Chapitre 2
Le sifflement de la théière, pour signifier que l'eau était prête à être versée sur le sachet de thé, couvrait à peine le bruit des informations télévisées.
« Ce matin, devant le 10 Downing Street, notre premier ministre David Cameron vient d'annoncer sa démission. Au lendemain de ce referendum historique lors duquel le peuple britannique a signifié son désir de sortir de la zone Europe, il semblerait que notre premier ministre n'a pas supporté sa défaite...
Les informations, pourtant capitales, ne sortirent cependant pas de ses pensées le professeur Sémias.
Oscar Sémias, professeur diplômé de Cambridge, et enseignant à Oxford, dans diverses matières toutes excellemment maitrisées, n'arrivait pas à extraire ses yeux du courrier qui venait de lui être remis en main propre.
« Par la présente, le dénommé Professeur O. Sémias, est convié expressément par le bureau des renseignements de Sa Majesté la reine d'Angleterre. »
Rien de moins, rien de plus.
Les deux hommes costumés du traditionnel trois pièces noires à chemise blanche attendaient devant la porte de la demeure du professeur, et d'un ton ironique celui-ci les regarda et leur lança « par expressément et vu que vous ne partez pas, j'imagine que cela signifie immédiatement et votre chauffeur vous attend ».
Sans un mot, l'un des hommes lui tendit sa veste, tandis qu'un autre éteignait déjà la télévision, ainsi que le gaz sous la théière. Dans un flegme anglais typique et majestueux, Oscar mis ses chaussures, sa veste, si gentiment proposée, et passa sa porte, les clefs de son domicile suspendues sur son index tendu en direction du garde.
« Vous fermerez derrière moi, je vous remercie. »
Garée dans la rue, la berline gouvernementale attendait, moteur encore allumé, portière arrière ouverte. Lorsqu'il fronça les sourcils pour concentrer son regard, le professeur reconnut une silhouette assise sur la banquette arrière. Recroquevillé, apeuré, une goutte de sueur sur le front, l'homme ne semblait vraiment pas à son aise assis dans cette voiture.
« Ha, Thomas mon petit, vous êtes là aussi ? »
-O.... Osc.... Prr..... P...... Professeur, pour.... P.... Pourquoi des, des.., des hommes du MI-6 sont, sont, sont venus nous cher, cher, chercher ? On, on, on va nous f.., fai.., f.., faire disparaitre c'est ça ? Je vous avais dit, je vous le dis tout le temps d'ailleurs, à f.., for.., force de désobéir et de provoquer, voilà... Voilà ce qui arrive... !! Et moi, moi.., p.., pour.., p.., pourquoi je, j.., je me, me, me suis laissé con...., con.., convaincre ! Et pourquoi je vous ai suivi ... ! Je j.., je.., j'étais sans his.., histoires, j'étais un garçon sym.., sym.., sympathique, s'intéressant juste à que...que.., quelques phénomènes paranormaux.
-Calmez-vous, Thomas, vous bégayez deux fois plus lorsque vous êtes ému. Attendons de savoir ce que nous veulent ces gentilshommes avant de nous précipiter.
Par ailleurs, dans un souci de précision, et de justesse dans nos futures déclarations, je vous invite fortement à ne plus dire un mot et à me laisser discuter avec notre futur interlocuteur. »
Thomas acquiesça d'un signe de tête.
Les portières closes, la berline démarra lentement et s'éloigna du domicile du professeur. Le trajet commencé, le professeur laissait son esprit vagabonder dans les rues de Londres qui défilaient devant la fenêtre, puis s'amusa du monde toujours aussi présent devant les grilles du palais, de tous ces touristes photographiant le Victoria Mémorial, pendant que la voiture pénétrait quant à elle dans la cour de Buckingham Palace.
Le pauvre Thomas était resté durant tout le trajet visage baissé, les yeux dans le vague, imaginant déjà la peine qu'il allait faire à sa famille, lorsque celle-ci apprendrait que l'enfant « prodige », celui qui a réussi à obtenir une prestigieuse bourse et qui s'était hissé jusqu'à une place d'assistant d'un éminent et reconnu professeur, que cet enfant-là, avait fini emprisonné ou pire encore.
Il en était à sa pendaison ou à sa décapitation en place publique sans doute lorsque le professeur passa la main sur son épaule pour le tirer de ses divagations. Thomas leva les yeux, et vit un regard espiègle le rassurer. Puis les portières s'ouvrirent et les deux agents invitèrent alors les deux scientifiques à les suivre.
Ils s'étaient garés coté services, et leur périple leur fit visiter une bonne partie du palais. Ils passèrent par la salle de bal, puis la grande salle à manger d'état. Ils entraperçurent le salon rose et la salle de musique, suivi du salon vert et du closet royal, en face duquel ils trouvèrent porte close.
— Dommage ! Lança le professeur à Thomas, nous aurions au moins pu admirer la salle du trône ! Ce ne sera pour cette fois, vivement que l'on revienne !
Enfin, ils entrèrent dans les appartements privés.
Debout, majestueuse et fière, contemplant la forêt derrière sa fenêtre, la reine les attendait. Ils la saluèrent avec toute la grâce et le respect qui s'imposait, puis les hommes en noir invitèrent tout le monde à s'assoir.
D'autres hommes en noir entrèrent à leur tour dans la pièce, chemise à documents sous le bras. Une fois tout ce petit monde installé, un homme pris calmement la parole.
-Professeur Semias ? Ainsi que votre assistant, Mister Fussy ?
Le regard des deux intéressés se fixa sur ce nouvel interlocuteur.
— Tout d'abord bonjour, enchanté et désolé pour l'aspect, disons militaire, de l'invitation. Vous comprendrez que si de tels moyens ont été déployés plutôt qu'une invitation plus classique, c'est que l'affaire est de la plus haute importance.
L'image de sa décapitation en place publique revint aux yeux de Thomas et il blêmit d'un coup.
- Professeur, nous surveillons avec beaucoup d'attention vos travaux, et nous les trouvons très intéressants. Nous aimerions vous donner une liberté plus ample et plus concrète, tant que nous trouvons un accord sur l'aspect confidentiel de celle-ci. En gage de bonne foi et pour vous montrer la réalité de notre implication, nous aimerions vous proposez de financer une expédition que vous mèneriez avec une équipe que vous choisirez évidemment, concernant des rumeurs sur l'existence d'un être, comment dire, différent de la race humaine dans une région froide de la Russie.
— Un être différent de la race humaine ? Interrogea le professeur
— Disons une créature légendaire. De plus en plus de rumeurs évoquent l'apparition du Yéti. Pour être plus direct.
- Voyez-vous ça ! Le Yéti !
- Vous savez…, Nous savons... Qu'il n'existe nul singe blanc géant. En revanche, les rumeurs parlent d'un être plus grand qu'un homme d'au moins un mètre, et beaucoup plus développé. Certains lui accordent plusieurs membres supérieurs, quand d'autres imaginent le voir manipuler les « énergies » qui l'entourent. Beaucoup d'histoires très vagues et à la fois trop souvent similaires pour être écartées sans l'avis d'un expert de ce genre de phénomènes.
Alors Professeur, qu'en dites-vous ? Cela serait-il intéressant d'aller jeter un œil à ces histoires ?
— Hum, et bien, cela est effectivement intéressant, je dois avouer, et tout aussi surprenant. Pourrais-je, si vous me le permettez, m'entretenir avec mon assistant ?
Et tout en posant la question, le professeur Sémias avait déjà pris Thomas par le bras et ils s'étaient tous deux écartés pour discuter.
- Mon cher Thomas, ne dites rien, mais je pense que nous devons dire oui, car si nos théories récentes ont un sens, refuser cette mission revient à nous condamner.
- Nou.... No... nous con.., cond.., con....
- Nous condamner oui. Allons, faites signe de la tête pour acquiescer et allons annoncer la bonne nouvelle à notre chère reine. Le contrat fut donc entendu, puis conclut, sous l'œil attentif, voire suspicieux des agents en noir. La reine elle-même semblait avoir une lueur de satisfaction bien étrange dans son regard.
« Parfait » conclut la reine elle-même. L'agent 17 va vous expliquer le déroulement des prochaines semaines.
« Nous allons partir dans les Alpes Françaises, dans un camp situé à environ 2300 mètres d'altitude, pour vous préparer à l'expédition qui vous attend. Il ne faudra pas lambiner, nous partirons pour Lhassa à la mi-août. Le départ de l'expédition est prévu le 24 aout. » Expliqua alors l'un des costumes noirs.
« Ça doit être 17 ! » chuchota le professeur avec un petit sourire moqueur.
C'est ainsi, qu'une fois leurs affaires prêtes, Oscar Sémias et Thomas Fussy prirent la direction de l'aéroport.
Pauvre Thomas, embarqué malgré lui avec un professeur bout en train qui promet bien des espiègleries !
Hâte de voir où va mener cette expédition alpine !