Chapitre 3

Je ne saurais dire combien de temps je restais inconsciente. Cinq minutes ? Une heure ? Je n’en savais rien. Les gouttes de pluie sur mon visage me donnèrent la confirmation que je n’étais pas en plein rêve. Je n’étais pas vraiment rassurée par le fait que je n’étais pas en réalité en train d’halluciner. Je luttais pour ouvrir les yeux car mes paupière étaient comme engluées. J’étais allongée sur le dos sans vraiment me souvenir comment j’étais arrivée là. Je grognais de douleur en essayant de me redresser avant d’abandonner quand une douleur intense irradia mon épaule droite. Abattue par la douleur, je me laissais retomber sur le sol, sur mon bras blessé, ma joue baignant dans ce qui semblait être mon sang. 

- Bordel… jurai-je au moment où j’essayais de me tourner pour changer de position car la douleur dans mon bras et mon épaule était insupportable.

Ce simple mouvement m’arracha un cri de douleur. Le choc entre ma tête et le mur avait dû être particulièrement violent. Je pouvais sentir le sang, chaud et poisseux couler le long de ma tête avant de dégouliner dans ma nuque et sur mon visage avant de venir rejoindre celui déjà répandu sur le sol crasseux de la ruelle. Ma tête me faisait un mal de chien mais j’étais plus inquiète pour mon épaule. Je fis une nouvelle tentative pour essayer de m’asseoir pour ne plus être allongée sur le bitume répugnant. Une nouvelle fois, ce fut un échec. La douleur était trop intense. Si seulement j’arrivais à appeler quelqu’un pour le faire venir dans cette maudite ruelle..

 

La ruelle… d’un coup, les derniers événements me revinrent en mémoire avec la brutalité d’un uppercut à l’estomac. Paniquée, l’adrénaline me fit oublier un instant la douleur et je parvins à me mettre à genoux. Je battis plus violemment des paupières pour essayer de voir ce qu’il était advenu de l’homme blessé. Mais tout ce que je parvins à voir fut les yeux de son assassin.

Debout, me toisant de toute sa hauteur, le tueur braquait sur moi un étrange regard. Ses yeux semblaient flamboyer, tant que j’avais dû mal à détourner le regard. Ils étaient d’une teinte étrange, ambrée, presque dorée mais c’était difficile à discerner car ses pupilles étaient si dilatées qu’elles ne laissaient voir q’une infime partie de l’iris. Etrangement, j’avais du mal à discerner ses traits alors que j’aurais pu compter le nombre de briques sur le mur derrière lui. J’aurais peut-être dû baisser le regard face à ses yeux trop intenses pour êtres totalement humains, mais ce n’est pas ce que je fis. Il y avait dans ses yeux, un mépris, un dédain, presque une condescendant qui me fit bouillir de l’intérieur.

Quelqu’un d’autre aurait peut-être supplié, détourné les yeux ou fondu en larme. Moi non. Il allait sans doute me tuer et je ne voulais pas que mes derniers actes soient ceux d’une lâche. Autant que possible malgré la douleur qui faisait vaciller le monde autour de moi, je plantais mon regard dans le sien en y mettant tout ce que je pouvais de mépris, de colère et de haine. Je savais que de vaines paroles ne me serviraient à rien s’il voulait en finir, et puis supplier était contre mes principes. Je m’étais déjà retrouvée avec un pistolet sur la tempe et je ne m’en étais pas sortie en larmoyant.

Je ne pensais pas être capable de m’en sortir cette fois mais cela ne changeait rien. Même si ma situation actuelle me semblait insoluble et ne pouvant se terminer que par ma mort, je ne baisserai pas les yeux, surtout face à un homme capable d’une telle cruauté. Je me permettais de faire la fière une dernière fois car, s’il se décidait à m’arracher les yeux et les coeur, je savais que je chanterai sur un autre air. 

L’inconnu ne bougea pas et continua de me fixer sans ciller. Son attitude me mis hors de moi. A quoi jouait-il ? Il prenant son pied en me voyant me vider de mon sang et trembler de douleur ? J’étais là, devant lui, incapable de me défendre, donc que voulait-il ? Serrant les dents, laissant couler des larmes de douleur sur mes joues je m’appuyais sur un pied puis sur l’autre pour me mettre péniblement debout. Etre à genoux, dans une position d’une telle impuissance, d’une telle soumission face à cet homme me mettait dans une rage noire. Alors que je terminai de me redresser le monde se mis à tourner autour de moi. Pour éviter de perdre de nouveau conscience, je fis une chose stupide.

Je retins ma respiration avant d’enfoncer mes doigts valides dans mon épaule blessée. La douleur eu l’effet d’un électrochoc qui me parcouru de la tête au pied et qui eut au moins le mérite d’être efficace : le monde cessa aussitôt de tourner. En revanche, la douleur dans mon bras était à la limite du supportable. Je savais également que ce stratagème ne durerait pas longtemps. Si ce n’était pas ma blessure à la tête, ce serait l’anémie qui me ferait perdre connaissance.

- Voilà qui est intéressant, murmura l’inconnu d’une voix presque amusée sans que je le vois remuer les lèvres.

Soudain, son visage, dont les traits m’avaient d’abord semblé flous m’apparu avec une netteté déconcertante. Malgré le fait que je sois debout, il me toisait toujours comme un fauve l’aurait fait de la proie qu’il attend de déguster. J’avais toujours l’impression d’être une petite chose négligeable, à genoux sur le sol. Il était plus grand que moi d’une poignée de centimètre, pourtant j’avais l’impression qu’il était immense. Seule face à lui, c’était comme si son ombre m’engloutissait toute entière. Ses longs cheveux noirs étaient coiffés en un catogan dont quelques mèches s’étaient échappées et claquaient autour d’un visage comme je n’en avais jamais vu de semblable.

L’image d’un loup, ou d’une panthère surgit instantanément dans mon esprit. Ses yeux étaient bel et bien jaunes et s’enchâssaient dans un visage aux traits secs, durs, saillants dont il se dégageait une harmonie presque dérangeante car trop parfaite pour être réelle. Sa barbe rase était du même noir profond que ses cheveux et couvrait une mâchoire sévère et volontaire. L’intensité de son regard était accentuée par ses pommettes hautes, presque arrogantes et son large front. Sa bouche tordue en un rictus moqueur me donna envie de le gifler. Ce que j’aurais fait s’il ne m’avait pas autant effrayée. C’était un visage terrifiant, qui n’avait rien d’humain. Il était trop sauvage, trop violent, tout en lui respirait la violence et la mort. Un tel visage ne pouvait pas être humain. Il en irradiait une telle brutalité que j’avais du mal à ne pas détourner les yeux.

- Eh bien ? Demanda-t-il en croisant les bras.

- Eh bien quoi ? Répondis-je sans réfléchir.

Je déglutis, consciente, que cela pouvait être mes dernières paroles. Une bourrasque de vent s’engouffra dans la ruelle, charriant avec elle l’odeur de pourriture qui m’avait saisie à la gorge quand j’y étaient entrée. Malgré moi, je dus fermer les yeux au moment où une violente nausée me faisait presque me plier en deux. Cela ne sembla pas déranger mon interlocuteur qui semblait imperturbable.

Les pans de son long manteau sombre, qui tombaient jusqu’au sol voletaient autour de lui, claquant autour de ses jambes. C’était un vêtement élégant, aux amples manches, décorées de motifs étranges que je n’arrivai pas à reconnaître, dans lequel ses mains disparaissaient. Je serrai les dents au souvenir de ce que ses mains, ou plutôt de ce que ses griffes, avaient fait à mon bras. A part son manteau, il était vêtu d’un costume et d’une chemise entièrement noir. A son cou, une chaîne brillait.

J’aurais préféré passer plus de temps à le défier du regard plutôt qu’à détailler sa tenue mais les épreuves des dernières minutes avaient poussé mon corps à bout et j’étais incapable de me remettre complètement debout. Vaincue par mes propre limites, je me laissais retomber en lâchant un soupir de colère et de rage. Je fermais les yeux, attendant le choc avec le sol et la douleur supplémentaire qui en résulterait. Mais le choc ne vint pas. Mon cerveau embrumé par la douleur et par la fièvre naissante ne s’en étonna pas. L’assassin m’avait rattrapée avant que je tombe et me tenait désormais contre lui, cette pensée se fraya un chemin dans mon cerveau et tout ce que je pus faire, fus lever une main vers lui pour le repousser mais c’était sans espoir. Ma main retomba contre moi avant même de l’avoir touché. 

J’aurais aimé le pousser loin de moi. L’idée qu’il me touche avec les mêmes mains que celles qui avaient essayer d’arracher le coeur d’un autre homme me donnait envie de hurler, mais même de cela j’étais incapable. Des larmes de colère et de frustration commencèrent à rouler sur mes joues. J’avais envie de l’insulter, de lui hurler tout le dégoût qu’il m’inspirait mais à quoi bon ? A la place, je serrai les dents, contenant toute ma colère, priant pour qu’elle m’aide à rester consciente quelques minutes supplémentaires. 

- Très intéressant en effet…

Sa voix me parvint étouffée. Mes yeux se fermaient sans que je puisse l’empêcher et je ne sentais plus mes jambes. J’allais m’évanouir, mais qui pouvait dire quand je me réveillerai ou même si ce serait seulement le cas ? J’avais eu plusieurs occasion de mourir mais aucune ne me paraissait plus pathétique que celle-ci. Je ne voulais pas mourir, je ne voulais pas que tout s’arrête maintenant, dans cette ruelle sordide et puante, de la main d’un homme qui, j’en étais convaincue, n’en était pas un. Je n’avais aucune idée de ce qu’il pouvait être mais c’était une certitude : lui et moi n’étions pas de la même espèce.

La façon dont je l’avais vu bouger, dont il parlait, tout en lui m’avait inspiré une peur sans nom. Comme si j’avais retrouvé un vieux réflexe enfoui dans mes gênes : celui de fuir devant mon prédateur naturel. Je ne voulais pas être sa prochaine victime. Et pourtant, je n’y pouvais plus rien. Mon esprit sombra, accordant un peu de répit à mon corps meurtri.

Je ne vis pas l’assassin se pencher vers moi et passer sa langue sur ma joue couverte de mon sang. Je ne le vis pas me déposer sur le sol avec douceur pour épargner la blessure de ma tête. Je ne vis pas non plus tout ce qu’il infligea au cadavre encore chaud de l’homme dont les gémissements m’avaient fait venir dans cette maudite allée. 

Une fois son œuvre achevée, il réajusta ses gants avant de toiser ma silhouette évanouie. Un rare sourire étira ses lèvres.

- Voilà qui devrait pimenter un peu les choses.

Il quitta la ruelle en agitant la main alors que je ne pouvais pas le voir.

- Nous nous reverrons, Hélèna Chantraine !

Je ne vis ni n’entendis rien de tout cela. Mais, en goûtant mon sang et en me laissant la vie sauve, l’assassin avait changé mon destin.

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