Chapitre 3 : Accord et Panique à bord

Et voilà, le jour tant redouté est arrivé. Il est temps pour moi de rappeler la direction pour donner ma réponse concernant le poste en pédopsychiatrie.

Je n'en reviens pas que la semaine soit déjà écoulée. Elle est passée si vite que j'ai l'impression de ne pas avoir avancé d'un pouce. Ces derniers jours ont été rythmés par la réception de tout un tas de lettres de refus concernant les autres postes pour lesquels j'avais également postulé. Toutes ont le même motif « Inexpérimentée ».

"Evidemment que tu es inexpérimentée, tu es tout juste diplômée ! Et en même temps tu ne risques pas d'apprendre si on ne te donne pas ta chance. " s'emporte ma conscience.

Refusant de me résigner à ce genre de commentaires, j'ai bien pensé à accepter l'aide de mon père, pour forcer mon entrée dans un service respectable. Franchement, j'aurais tellement aimé prouver à ces clowns de la direction qu'une jeune diplômée peut rapidement être aussi efficace qu'une infirmière avec vingt ans de carrière. Puis, j'ai repris mes esprits et j'ai lâché l'affaire. C'est décidé, puisque la vie en a décidé ainsi, je vais accepter le poste en psychiatrie.

Inutile de dire que je n'en ai pas encore parlé à mon paternel car, à la vue de notre relation un peu tendue depuis mon entretien de la semaine dernière, je n'ai pas très envie d'envenimer les choses. Il a bien tenté de relancer le sujet, mais j'ai préféré esquiver à chaque fois pour éviter une nouvelle confrontation. Sa peur irrationnelle de ce qu'il peut m'arriver me laisse dans l'incompréhension.

La psychiatrie est un domaine qui a beaucoup évolué, d'un point de vue législatif, ces dernières années. Les conditions d'accueil des patients, tout comme leurs droits, sont très structurés à présent, donc fini les asiles et les camisoles. Qu'il se rassure une bonne fois pour toutes, je vais en psy, pas au bagne.

Assise en tailleur sur mon lit, le téléphone collé à l'oreille, une boule se forme dans mon ventre, alors que j'attends que quelqu'un me réponde. La psychiatrie reste une spécialité qui peut paraître redoutable pour une jeune débutante et, surtout, c'est vraiment la dernière dans laquelle je me voyais évoluer. Je sais que c'est contre-productif d'accepter un service par dépit, surtout dans ce genre de domaine, mais je ne peux pas rester sans travailler.

— Le secrétariat des Ressources Humaines bonjour, annonce une voix fluette dans mon téléphone, ce qui me ramène au moment présent.

— Oui, bonjour. Je suis mademoiselle Touerya et je devais rappeler monsieur Barts à la suite de l'entretien que j'ai passé avec lui la semaine dernière.

Ma voix tremblante traduit mon inconfort face à cette situation.

— Ah, oui, je me souviens de vous, répond-elle sur un ton plus dédaigneux. Je vous transfère sur son poste, ne quittez pas.

Je n'ai pas le temps de dire quoi que ce soit, que j'entends la musique d'attente. Elle est sensiblement similaire à celle de Pôle Emploi.

Le doute s'installe, alors que j'attends mon interlocuteur. Qu'est-ce que je suis en train de faire ?

"Il est encore temps de tout arrêter" intervient ma conscience, un panneau "Alerte Danger" en main. "Si tu ne le sens pas, ne le fais pas !"

Non ! Il est hors de question que je renonce. Bien sûr que ce n'est pas ce que j'attendais de mon premier poste mais, chez les Touerya, nous ne sommes pas des lâches.

L'homme finit par décrocher, ne me laissant plus le temps de me questionner davantage.

— Bonjour mademoiselle Touerya, vous allez bien ?

À son intonation de voix, il semble jovial et très aimable, comme si l'entretien de la semaine dernière n'avait jamais eu lieu.

— Très bien merci, répliqué-je mécaniquement. Je vous appelle pour donner suite à votre proposition de la semaine dernière. J'ai bien réfléchi et je suis prête à accepter le CDD de trois mois.

J'ai dit tout ça aussi vite que si je m'arrachais un pansement d'un coup sec.

— Ah, en voilà une bonne nouvelle, s'enthousiaste-t-il d'une voix très forte. Je savais bien que je ne regretterais pas notre rencontre.

Je lui dirais bien que c'est faute d'avoir trouvé mieux, mais je me retiens de lui gâcher sa joie si évidente.

— Quand seriez-vous disponible pour une rencontre avec le cadre et l'équipe ?

— Votre date sera la mienne, réponds-je moins emballée que lui. Je n'ai pas d'autres obligations.

— Eh bien, le plus tôt sera le mieux alors, s'empresse-t-il d'ajouter comme par peur que je change d'avis. L'équipe est en réunion le vendredi après-midi, rendez-vous à quatorze heures devant mon bureau, je vous y accompagnerai.

— Vendredi, demain ? demandé-je, en sentant la panique me gagner.

— Autant faire ça le plus vite possible, non ?

J'acquiesce d'une toute petite voix, réalisant que je suis bien peu enchantée par la tournure rapide que prennent les événements. Moi qui pensais avoir un peu de temps pour me préparer et réviser mes cours de psychiatrie, afin d'être incollable sur la théorie, c'est raté.

"Tu penses vraiment que tu aurais fini par être prête ? Ne te mens pas à toi-même Roxane, on sait toutes les deux que tu redoutes tellement ce service, que l'attente n'aurait fait qu'accroître ton angoisse."

Il faut croire que ma conscience me connaît bien. Après tout, elle et monsieur Barts ont raison, autant faire ça le plus tôt possible.

— Bon, eh bien parfait alors, conclut-il brièvement. On se voit demain et, si tout se passe bien, vous commencerez dès lundi.

J'avale difficilement ma salive en prenant conscience de la situation. Moi, Roxane, major de promo, jeune diplômée du métier d'infirmière, souhaitant travailler aux urgences, me voilà à trois jours d'atterrir en psychiatrie. C'est fou ces petites vacheries que la vie vous réserve.

— Très bien, finis-je par dire, après de longues minutes de silence.

— Eh bien, à demain, me lance-t-il avant de raccrocher sans attendre une réponse de ma part.

Moi qui avais repris confiance, cet appel m'a complètement déstabilisée. Bien sûr, je savais ce que j'allais accepter, mais je ne pensais pas devoir m'y confronter si rapidement.

Face à mon angoisse grandissante, je me décide à envoyer un message à Tanya. Qui de mieux placé que sa meilleure amie pour évacuer ces tensions naissantes ?

Roxane :

« Coucou, Bichette ! Tu me suis pour une virée shopping ? J'ai besoin de me changer les idées... »

Sa réponse est si rapide, que l'on pourrait croire qu'elle était vissée derrière son téléphone.

Tanya :

"Roxane, depuis le temps que l'on se connait, tu devrais savoir que je ne refuse jamais une session shopping ! On se dit quatorze heures ? "

Son message est agrémenté d'un smiley qui a des étoiles dans les yeux. En même temps je n'en n'attendais pas moins de celle qui est une fan absolue de sac à main.

Je lui envoie un message de confirmation avec un smiley qui sourit.

Je ne suis même pas encore face à elle que je redoute sa réaction quand je vais lui annoncer pour le poste. Elle qui a des idées très figées sur la psychiatrie, elle est capable de me sermonner tout l'après-midi. Et puis mince, ce n'est pas elle qui est concernée alors elle finira par s'y faire.

— Mademoiselle, Roxane, le repas est prêt, m'interpelle Florence, à travers la porte de ma chambre.

— Merci Florence, j'arrive de ce pas.

Je me lève de mon lit d'un pas lourd, pose mon portable sur le bureau et quitte la pièce. Mon estomac est tellement noué, que l'idée de manger me le soulève. Je pense même que, si ce n'était pas Florence qui avait cuisiné, j'aurais sauté le repas. Cette femme se donne tellement de mal pour que je ne manque de rien, que je ne peux me résoudre à lui faire de la peine ou l'offenser.

— Vous êtes sûre que vous ne couvez rien, mademoiselle ? Vous me semblez pâle et fatiguée.

Un petit bout de femme au corps rondelet et aux doigts potelés dépose délicatement une assiette pleine de pâtes carbonara devant moi. Malgré ses traits tirés par la fatigue, elle m'adresse un regard doux, quoi que légèrement inquiet. Avec son éternelle robe noire, son petit tablier blanc et ses chaussures vernies, je ne saurais lui donner un âge, même approximatif. Même ses cheveux, colorés dans une teinte de brun aux reflets acajou et toujours tirés en un chignon parfait, ne trahissent son avancée dans le temps.

Je lui adresse un petit sourire tendu, sans réussir à dire quoi que ce soit. La vision de cette assiette pleine me donne la nausée. Je repousse délicatement le contenant en céramique blanc, écœurée par l'odeur, pourtant délicieuse, qui en émane.

— Ne vous inquiétez pas, la rassuré-je avec un faible sourire, c'est juste que ce n'est pas simple d'entrer dans la vie active.

— C'est au sujet de ce poste qui vous tourmente depuis des jours ? s'enquiert-elle d'une voix douce.

— Si vous saviez, Florence, réponds-je fatidiquement, en jouant avec ma fourchette. Non seulement il ne m'intéresse pas, mais, en plus, je me suis embrouillée avec mon père à cause de ça.

Mon cœur se resserre à l'évocation de mon paternel. On n'est jamais restés en conflit si longtemps lui et moi. Depuis toujours je suis sa "petite RORO d'amour" et c'est mon "papounet chéri". Nous avons toujours été très proches, même bien avant la disparition tragique de ma mère. Et, il a beau dire que je tiens beaucoup d'elle, notamment parce qu'il parait que j'ai hérité de ses yeux et de sa bonté d'âme, j'ai pourtant bien le caractère têtu et déterminé de l'avocat, ce qui n'annonce rien de bon quant à notre conflit actuel.

— On est tous passés par là, mademoiselle. Mais vous, je vous connais depuis votre plus jeune âge, et je suis sûre que vous vous en sortirez. Vous êtes une jeune femme combative. Et votre père, aussi borné soit-il, vous aime plus que tout.

Elle pose une main rassurante sur mon épaule avant de quitter la pièce.

Cette femme, d'une bonté sans égale, est pour moi ce qui se rapproche le plus d'une figure maternelle. Elle a été présente dans tous les instants importants de ma vie, parfois même à des moments où mon père brillait par son absence. Son soutien m'est important, car elle est la seule personne fiable qui ne m'ait jamais quittée. Elle est pour moi un membre à part entière de ma famille, alors si elle a foi en moi, je vais tout faire pour ne pas la décevoir.

Rassurée et habitée d'un nouvel élan de motivation, j'avale mon assiette à vive allure et je pars me préparer pour mes occupations de l'après-midi.

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