Chapitre 3 - Erkhän

Erkhän contemplait son reflet tout en rajustant sa chemise anthracite. Il enfila son long manteau noir, admirant un instant les discrètes broderies de fil d’argent qui couraient élégamment sur le tissu. À nouveau, il regarda son apparence. Ses vêtements mettaient en valeur sa stature fine, mais musculeuse, et semblaient le rendre plus grand que ce qu’il était en réalité. Il était quasiment entièrement vêtu de noir, comme toujours, afin de ne pas trop adoucir la dureté des yeux gris hérités de son père. Quant à la finesse de ses traits et le jais de ses cheveux, c’est sa mère qu’il devait remercier.

Son visage se fendit d’un demi-sourire, celui auquel peu de personnes ne pouvaient résister, il le savait. Il fouilla dans un coffre rempli de bijoux tous plus précieux les uns que les autres et en sortit deux bagues, l’une représentant la cité où il était né, Lignis, l’autre rappelant son appartenance aux hautes sphères du Royaume de Piques.

Parfait.

Satisfait de son apparence, le jeune Duc sortit de ses appartements sans un mot pour le page qui l’attendait patiemment dans le couloir. Sans prendre le temps de s’arrêter, il lui jeta un regard appuyé et l’homme se précipita aussitôt en sens inverse, soucieux de ne pas décevoir son maître.

Erkhän dévala les marches de la Tour du Sud dans laquelle il résidait désormais, puis s’engouffra dans la cour. L’air glacial lui gifla le visage. Il inspira profondément et ferma les yeux, appréciant le calme qui perdurait encore quelque temps après l’aube. Aujourd’hui était un grand jour. Une missive était arrivée tard dans la nuit, une bonne nouvelle dont il avait été immédiatement informé. Le Prince Héritier était mort. Il sourit, remerciant le destin pour cette chance inespérée.

L’espace d’une infime seconde, une sensation étrange l’envahit, comme un vague regret. Ça ne dura pas. Erkhän écarta aussitôt cette impression absurde, après tout, il ne connaissait pas personnellement le prince. Les mots de sa mère résonnèrent dans sa tête : seuls les vivants ont de l’importance. Elle avait parfaitement raison. Pour l’heure, le royaume risquait d’entrer en crise sans héritier, du moins, sans héritier légitime. C’était la chance qu’il attendait depuis toujours. Maintenant son demi-frère écarté, le roi allait peut-être enfin reconnaître qu’il avait eu d’autres enfants, des fils qui plus est. Mais Erkhän devait faire vite, il n’était pas le seul encore en vie et il était hors de question qu’il arrive en seconde place. Il avait donc immédiatement ordonné qu’on prépare une escorte pour la capitale, Sectra, afin de prendre son adversaire de vitesse. Avec un peu de chance, son rival n’était pas encore informé de la mort prématurée du Prince Héritier et Erkhän aurait tout le temps de rejoindre le roi.

Alors qu’il rejoignait son escorte, un flocon se mit à tourbillonner devant lui. Le jeune Duc tendit la main, mais celui-ci se volatilisa juste avant de la toucher, évaporé par la chaleur de sa peau. En enfilant ses gants, il se rappela que la neige était un bon présage. Oui, bientôt il serait prince.