Chapitre 3 - La bête

Notes de l’auteur : réécrit le 01/09/2024

Éventrée, la charrette, sur le point de s’effondrer, est tenu de justesse par le coup d’accélération qu’inflige Avos au destrier, lançant l’épave rocambolesque hurler sur le sentier sinuant. Meos garde une ferme emprise sur Iro, sa rapière, et ce qu’il reste du banc. Juste assez pour ne pas perdre l’équilibre, ou être projeté sur l’un des arbres aux abords. Derrière, la bête piétine, retourne débris et bandes de tissus sombres. Bredouille, son échine se tourne vers la charrette estropiée, et entame une rampante ruée.

 

« Au prochain virage, Sautez ! hurle Avos le corps crispé. Cachez-vous dans la végétation, je vais servir de leurre ! Une escouade d’aventurier chasse à la lisière ! On s’y rejoint ! »

 

Iro s’agrippe au bras gauche de Meos qui se défait rapidement de sa prise, pour la récupérer entre ses bras, pour protéger sa tête et son dos. Il s’élance d’un bond du banc branlant, pivote sur lui-même dans les airs, pour finit projeté dos à un tronc d’arbre. Le choc lui soutire un grognement d’une intense douleur, qui se dissipe face aux gémissements d’Iro. Congédiant ses peurs, il la porte et se cache derrière l’arbre, lui fait signe de garder le silence.

 

Des secousses, intenses, grandissantes, retentissent dans leurs cœurs. La froide condensée éternelle rosée, bousculée, coule sur leur visage, perle et se mêle à leur sueur froide. L’ombre de la bête s’éclipse sur leurs pupilles dilatées, laisse une traînée d’haleine fétide, disparaît à la poursuite de la charrette et d’Avos.

 

« Tu vas bien ? questionne Meos en se relevant. Il tient Iro en suspend, ses deux pieds déchaussés par les cahots, qui acquiesce d’un mouvement de tête. Le long du chemin, des ronces longent le sol, parsemées d’épines fines qui secrètent des perles d’un liquide visqueux, blanchâtre, ressemblant à du pus. Il dresse immédiatement sa main en guise d’alerte. Regarde au sol ! alerte-t-il en désignant des yeux les ronces. Ne t’approche jamais de ces épines ! Je vais te porter sur mon dos jusqu’à ce que l’on sorte de cette maudite forêt, en lui tendant la rapière, tiens-la de toutes tes forces, la même force avec laquelle tu m’écrases le cou à chaque fois, lâche-t-il avec un petit rire étouffé par la douleur de la dernière chute.

– Idiot » murmure timidement Iro avant de s’agripper à au dos de Meos. Elle serre son cou avec la rapière, les genoux serrant ses côtes, le menton sur sa clavicule gauche, l’esquisse d’un sourire du bord des lèvres, le calme retrouvé en son âme.

 

De la pointe des pieds, Meos évite les spirales de ronces au sol afin de rejoindre le sentier. Au loin, une ombre se rapproche, la bête était revenue sur ses pas. C’était beaucoup trop tôt. La panique prend Meos, tandis qu’il observe à travers les bois que le village, à portée de vue, comme l’avait mentionné Avos. Il était maintenant dans la ligne de mire de la bête. Même s’il s’arrachait de la forêt, il n’avait aucune chance de pouvoir la semer sur une plaine. Courir vers le village est une mort certaine. D’un air décidé, il empoigne fermement de sa main gauche celles d’Iro, tenant la rapière, et s’élance dans la forêt, suivi par la bête. En miroir, slalomant entre les arbres, leurs regards se croisent, feinte sur feintes vers une fin. Imminente confrontation, Meos appuie de justesse son bras droit sur un tronc, use de la force du désespoir de pour changer de direction. Il évite de peu la masse de la bête, s’effondrant sur l’arbre, le déracinant, et bien d’autres, dans sa volée. Les battements de cœur d’Iro résonnent de plus en plus. Son souffle s’étrangle de frayeur à la vue du sang s’éclabousser sur la végétation, projeté pas les filantes jambes ensanglantées de Meos lacérées par les ronces. Les craquements, de bois sourd, causés par la bête s’éloignent derrière lui. Donnant un précieux répit, suffisant pour faire ressurgir un sentiment inhabituel, un rappel de ses jours d’Aventurier. Adoptant une posture engagée, jeune et téméraire, il s’engage alors à rejoindre la lisière de la forêt.

 

À la vue de la porte de droite du village, ainsi qu’aux renforts, qui cependant arriveront trop tard, le bruit de la bête se rapproche, déjà.

« Qu’est-ce qu’il se passe – Iro n’a pas le temps de finir, le visage de Meos défile d’une émotion à l’autre. D’une soudaine réalisation, il arrache de part en part la tunique d’Apprenti Architecte d’Iro avant de l’assommer. Poussée d’un coup de genou maîtrisé, dans le creux d’une souche éventrée, épargnée par les ronces. Incapable d’expliquer ses actions, ni d’exprimer ses derniers mots, il s’enfonce dans les profondeurs de la forêt, la tunique déchirée à la main, la mort à ses trousses.

 

 

« Iro ! Iro ! Iro ! des cris salvateurs résonnent en son songe, un relent d’espoir qui la fait s’émerger de la torpeur.

– Meos ! Me… Iro ouvre les yeux, ratisse l’horizon mais ne voit que Avos sur le sentier. À côté de lui, d’autres gardes étudient les traces de sang au sol.

– Calme, tout va bien, tu es en sécurité. Rejoignons le village, murmure-t-il en tentant avec difficulté de rompre, en vain, l’emprise nécrotique des mains d’Iro sur la rapière.

– Meos va arriver… D’un instant à l’autre… balbutie-t-elle face à la panique, tandis que les larmes glissent de ses yeux, amenant lucidité et sang-froid. Non ! Il faut le rejoindre. Il a tué la… chose… mais ses jambes sont sûrement à bout, gémit-elle en pointant la traînée de sang, Il nous attend.

– Rentrons d’abord au…

– Village ? la colère envahit le visage d’Iro. Je n’ai que faire du village, il peut aller se faire ravager par les créatures ! Je dois sauver Meos, et je vais le sauver… je ne laisserai pas ma seule famille en ce monde partir sans… sans… » reprend-elle, alternant souffrance et défiance.

 

Avos fronce les sourcils, et contracte des traits de colère sur son visage. Tels des lames tranchantes, tournées vers lui-même, entrouvrant des plaies du passé. Un passé innocent, une joie révolue, noyée par le sanglot et le regret. Après une profonde respiration, son visage s’éclaircit, acceptant la supplique d’Iro. Il court prestement à une charrette, intacte, et reviens avec un brancard, et une paire de cuissardes renforcée de plaques métalliques.

 

« Elles ne sont probablement pas à ta pointure. Retrousse-les à ton aise et avance prudemment, dit-il en indiquant la traînée de sang. Meos a dû sacrifier son corps dans la fuite, et te prendre sur son dos pour t’épargner d’être déchiqueté par les ronces. »

 

Iro enfile délicatement les bottes, une par une, accompagnées par le tintement du bout de la rapière cognant sur celles-ci. Suivis par deux autres gardes, ils avancent dans la forêt, guidés par la piste sanguine menant à une scène de massacre. Mais contrairement à toute attente, le corps est là. Allongé, badigeonné de sang, certes… mais en un seul morceau, au milieu d’une végétation écrasée, déracinée, piétinée, et inhabituellement scintillante. Fleurie par des myriades de couleurs, provenant de la tunique déchiquetée d’Architecte d’Iro. Avos et Iro placent délicatement le corps, sans effort, anormalement léger, dans le brancard. Tandis que les deux autres gardes se tiennent aux aguets, fermant la marche du retour dans un silence complet. Le corps est déposé à l’arrière de la charrette, tiré par Avos, alors que Iro, assise sur le banc, avait cessée toutes paroles. Son regard est vide mais rivé vers Meos, scrutant les moindres écorchures, comptant chaque goutte de sang s’écoulant du brancard.

 

Lentement, silencieusement, solennellement ils approchent du village qui fourmille à son entrée, excité, bruyant à la vue des rescapés de la bête.

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