Kaeldra était bien loin d’être une stratège militaire, aussi fut-elle reléguée malgré la sainteté qui s’était posée sur sa tête aux quartiers reculés du grand fort dont elle avait tout juste pu apercevoir l’extérieur. Elle en avait admiré furtivement les hauts dômes bruns qui reposaient sur des colonnes cristallines, ornant les murs si épais bâtis de mille pierres qui venaient probablement de carrières d’à-travers tout Erivor, les façades grandioses et monstrueuses à l’air menaçant. C’était une solide demeure à l’intérieur de laquelle on ne pouvait que se sentir en sécurité. On la logea à l’étage où les racines brillantes d’Ildarifyël se mêlaient à la lumière du jour, au carrefour de la petite noblesse de Talma. On l’habilla lui sembla-t-il comme une princesse, d’étoffes lourdes et ajustées à la mode de cette cité militaire, on la nourrit du même pain que les Chevaliers qui s’agitaient dans la grande salle à quelques dizaines de mètres seulement d’elle. Il lui parut comme toute une vie ces jours d’attente dans le château centenaire.
Un petit magistrat, du nom de Beridin Terreliagin (qui devait avoir un rôle bien important par la suite à la Cour de Tarissin, indépendamment de cette histoire), fut désigné pour enseigner à cette enfant sortie de nulle part quelques rudiments d’Histoire sur ce qui se jouait en cet instant dans sa vallée natale, quelques kilomètres seulement derrière la barrière des montagnes.
Il lui expliqua avec zèle le rôle des soldats Skaâls dans les batailles contre les maîtres-dragons, ces hommes qui avaient sauvé Adynehil au prix de leurs vies et de l’honneur de leur peuple. A leur tête était un roi, Grëern Vulduyn, incapable de gérer les guerres intestines dans lesquelles se déchiraient les tribus de son peuple autrement qu’en les envoyant toutes ensemble à la guerre contre un ennemi commun. Ils y furent massacrés, notamment durant la tristement célèbre bataille des Deux Cols pendant laquelle les renforts promis de Talma ne vinrent jamais ; les soldats furent laissés pour morts, le général qui en réchappa fut humilié par les unités sous les ordres d’Elmir de Rinhavjas qui n’arrivèrent qu’après plusieurs jours de combat inégal, et rapporta sa fureur dans toutes les tribus dont étaient issus les deux cents hommes qui avaient survécu avec lui.
S’en suivit une longue période d’instabilité dans les îles, alors que le reste d’Adynehil se remettait en silence de son traumatisme, qui jeta la honte sur les Skaâls qu’on désigna alors comme des barbares abominables. Ce fut finalement lors d’une des multiples guerres civiles que la tête tant haïe des Vulduyn fut tranchée par la lame d’un officier décoré aux Deux Cols : le lieutenant Perrt Horasmorg. Sa dynastie régnait toujours sur l’archipel, et avait fait grandir dans le cœur de son peuple bien plus que chez aucun autre le sentiment de la nation. Aussi ces hommes du Nord ne voyaient dans leurs légendes que des rêves de vengeance, en particulier envers Erivor et les peuples des montagnes qui les avaient abandonnés.
Kaeldra fut assommée par tant de choses à comprendre, et par l’idée indéniable, qu’elle ne parvenait pas encore tout à fait à se représenter, qu’avant sa naissance avaient vécu suffisamment d’hommes pour accomplir tout cela. Elle en retint peu, et se souvint principalement que cette armée effrayante qui lui avait arraché son existence viendrait la chercher jusque dans sa forteresse.
Au conseil, on s’inquiétait croissant de tout ce que l’on apprenait sur l’avancée de la bannière bleue. C’étaient des milliers d’hommes qui avaient traversé le Talliar et arrivaient aux Vangûls, piétinant en rang les obstacles archaïques que la montagne avait mis sur leur chemin longtemps avant que les premiers hommes de l’Ouest ne la découvrent. Contre le roc résonnaient les chants des armées de Grëern que l’accent moderne des soldats déformait jusqu’à ce qu’à l’oreille de Talma n’arrive plus que le murmure effrayant du vieil austral porté par le vent.
Redelwin, le jeune Chevalier, revint d’Ezinmart le troisième jour, juste à temps pour que derrière sa petite escouade les portes de pierre soient refermées, et scellées. On craignait que la ville, emprisonnée dans la montagne, soit encerclée bientôt, et que les vivres ramenés soient insuffisants dans l’hiver qui se levait ; le Seigneur donna à ce propos quelques ordres, mais n’y porta pas plus d’attention, semblant accaparé par d’autres problématiques plus graves qui ne sortirent jamais de la salle du conseil.
De sa petite échelle, Kaeldra pouvait voir s’agiter toute la ville autour d’elle. Son précepteur fut congédié rapidement lorsque les rumeurs coururent que la situation au-dehors s’aggravait, et la douleur dans ses mains se faisait toujours plus intense à mesure que la menace skâale se précisait. C’était comme si Ildarifyël lui-même se manifestait à travers elle, et l’inquiétude la rongeait plus sûrement que ne l’auraient fait les rats si elle était restée sur les marches de la cité. Elle changea plusieurs fois ses bandages qui s’engorgeaient de sang et arrachaient autour de ses poignets les derniers lambeaux de peau asséchée par le désert, teinta l’eau de son bain en y nettoyant ses plaies qui refusaient toujours de se refermer, et alla finalement pleurer aux pieds de Vaalrièn, qui devait être bien sage du haut de sa grande armure argentée, la suppliant de lui donner une raison à la douleur qui faisait trembler son corps.
La Chevaleresse prit cela plus au sérieux que l’adolescente ne l’aurait crû, et fit rentrer cette dernière sous la voûte grave du Conseil. Ildarifyël accueillit sa protégée d’une douce lumière rouge et scintillante, comme il en avait l’habitude depuis peu, illuminant les plus hauts vitraux poussiéreux sur lesquels avaient chu son feuillage étoilé. Le Seigneur laissa parler sa vassale, comme toujours lorsqu’il s’agissait de l’arbre, celle-ci lui expliqua les inquiétudes que Kaeldra ressentait à travers ses saintes blessures et qui ne pouvait être due chez une enfant si naïve qu’à la bénédiction que représentaient ces éclats de lumière cristalline dans sa chair. Les Chevaliers ne prirent pas même la peine de parler rivéen, ce qui ennuya l’étrangère qui était fière tout de même d’avoir ces derniers jours saisi quelques unes des plus importantes subtilités de cette langue, et on lui annonça après plusieurs minutes de débats qu’avec elles s’exileraient plusieurs membres du conseil à Ezinmart, car l’avertissement d’Ildarifyël qu’elle leur transmettait leur faisait craindre grandement la bataille à venir, et que l’on ne pouvait pas prendre le risque de sacrifier l’ordre tout entier sur l’autel d’une seule guerre.
Quelques heures ensuite, alors que le soir jetait ses grandes ailes funestes d’ébène sur les toits que les siècles avaient élimés et que le pas de milliers d’hommes skâals grondait déjà entre les dunes, le convoi était prêt à partir. Kaeldra montait le même cheval que Redelwin de Palossor, qui était plus mince et meilleur cavalier que les autres, et à côté d’elle était Vaalrièn Nawutz de la présence de laquelle le Seigneur pensait que l’orpheline peinerait à se passer ; des deux autres Chevaliers qui l’accompagnaient, l’enfant ne savait pas même le nom. On lui offrit avant son départ un manteau de voyage taillé dans un cuir si épais qu’il semblait pouvoir arrêter les lames, et un petit rameau chatoyant de branches sacrées de l’Arbre que lui-même avait laissé s’enfuir ; elle le porta solidement attaché à sa ceinture, tel un rubis étincelant aurait serti la plus puissante des couronnes, et sur sa jupe roulèrent deux larmes de sève claire.
La petite escouade partit sans tarder, et derrière eux on referma pour de bon les portes de pierre, les enfermant dans la nuit bruyante des Vangûls assaillies. Leur galop incertain les conduisait vers les hauts murs merveilleux d’une cité où ils espéraient l’asile, comme dans un cauchemar qui leur murmurerait incessamment la même prophétie. Talma ne devait jamais se réveiller de cette nuit.
- - -
L’armée du Nord était innombrable, un bête affamée qui coulait tout autour du mur d’enceinte de la ville en lui donnant du bout de ses impitoyables pioches des coups de dent par centaines, et en plantant dans le sable tassé nul ne sait combien de milliers de flèches prêtes à déchirer les entrailles des rues et des façades au-delà. Derrière le mur de chair et d’acier se dressaient d’effrayants monstres de bois, sortis des esprits ingénieux et torturés des Skaâls. Des catapultes, trébuchets, balistes… toutes ces choses que l’on n’avait jamais vues dans ces montagnes avaient été disloquées et ré-articulées comme d’hideux insectes pour se faufiler entre les pierres coupantes. Ces choses-là juraient sur la pureté du désert minéral. Le cri arraché de cette armée chantait aux oreilles des citadins endormis, dont aucun n’était assez âgé pour avoir autrefois entendu ces mêmes mots et les craindre, faisait trembler les pierres millénaires et les dômes taillés dans la roche même de la montagne :
Quàlan gälaron va zevon Adorion
Kuh züzen yvmir aull leos eriesin
Züzen va yvmir thuan leen arigo ziv pân onirion
Nirsonull leos davam : « Trom skiàl aleosin »
Arimes aleos tomûn, Evin Allyön aleos kren tomûn !
Evin ruhnesa zan arimin aleos kren mä *
Au milieu des hourras et du chant retentissant, marchant seule au-devant de Talma tout entière qui rayonnait une dernière fois dans sa grandeur, une femme immense aux yeux bandés sur le dos d’un cheval blanc s’avançait. Elle portait l’habit bleu des îles, et à chaque pas que les lourds sabots taillaient dans le sol crissant, la cape de la Général se tordait pour accrocher la lumière de quelque autre étoile, témoins en silence de la scène de mort qui se jouait à leur clarté ; son grand col de fourrure absurdement impressionnant semblait parcouru de vagues. Tout cela lui donnait l’air d’une créature fantastique et sauvage, de celles devant lesquelles on se plie tant par sagesse que par respect. Immobile devant la masse rocheuse de cette ville légendaire, elle laissa avec fierté ses hommes achever leurs vers.
Tenus vom aleos gugnuk ziv drall nirië
Zeverliss kuh va aleos Skiàllenris
Krâendes tomë, Rinhavjax enliravë !
Quàlan vom sa nirië aleen cârasis
Arimes aleos tomûn, Evin Allyön aleos kren tomûn !
Evin ruhnesa zan nirië arimes aleos kren mä *
Puis l’abominable silence, qui cloua dans leur terreur tous les habitants de Talma. La général s’adressa, comme le prétend l’Histoire, aux Chevaliers et gardes de la porte en ces mots :
« Voici Yhtrvê, les dix-sept bataillons menés par Fron na’Warya, fille et dernier des fils des Vulduyn, qui vient réclamer dans le sang de vos saints vengeance pour l’honneur de sa dynastie tuée ! Vous pouvez supplier notre pitié pour vos civils, mais vous autres qui servez l'ordre qui nous a trahis êtes condamnés . »
Elle leva le bras lentement, et lorsqu’il fut certain que tous l’eût vue brandissant sa lourde main gantée, elle l’abattit en direction du mur et les machines se mirent en branle. Une nuée mortelle d’oiseaux de métal vola sur Talma, et les entrailles arrachées de cette montages autrefois sanctuaire vinrent s’écraser sur les battants de la porte. Le lourd gong d’étain dressé derrière la porte sonna, martelé de projectiles en tous genres, si étourdissant que de là où ils était les cinq fugitifs purent les entendre, et les grands battants se délitèrent avec fracas devant Yhtrvê. La bête se rua dans la ville, piétinant blessés et cadavres pour se jeter sur ceux qui portaient sur leurs cuirasse les armoiries de l’Arbre et se défendaient vaillamment à un contre dix. Ils tombaient inexorablement sous les coups de ce monstre enhardi. Voyant le reste des Chevaliers se faire massacrer à une vitesse folle et irrémédiable, ceux du conseil qui étaient restés à Talma se présentèrent à Warya et deux de ses plus hauts colonels, reconnaissables à leur écharpe rouge, restés à ses côtés à l’entrée de la ville. Le Seigneur, qui était le seul à n’être pas armé, prit la parole.
« Nous avons sonné le gong, nous nous sommes rendus. Prenez donc nos têtes et vous aurez votre vengeance.
—Nous ne sommes pas des monstres ni des menteurs, Chevalier, précisa la Général, mais nous ne sommes pas ici pour abattre le Conseil. Nous sommes venus abattre l’ordre tout entier. »
Elle avait dans la voix, en plus de son accent sec du Nord, la fierté de la mission accomplie. A ces mots l’un des Chevaliers du conseil, Malos de Garaggen qui était d’un naturel échauffé, s’avança, menaçant, dans un enchaînement de jurons en talmalite, qui s’étouffèrent dans un flot gargouillant de sang lorsque la garde dorée de l’épée du colonel Skaâl ressortit de sa poitrine.
« Comme je l’ai dit, seuls vos civils auront notre pitié. »
Le Seigneur regretta en silence que, de là où était le magicien en cet instant, occupé à sa tâche si importante de protéger l’élue d’Ildarifyël, les pouvoirs de Deuynir ne puissent pas leur venir en aide pour protéger les classes inférieures de l’ordre, puis il se laissa enfermer en premier dans les geôles brunes que la lumière tarie d’Ildarifyël atteignait à peine désormais, attendant patiemment le jour à la lueur duquel l’écarlate de leurs gorges ferait un plus beau spectacle de victoire. Dehors, le massacre faisait rage tandis que les Vangûls s’enfonçaient dans la nuit, et seul l’éclat des torches déformé par les morceaux de métal en tous genres qui servaient d’armes au simple soldat du Nord éclairait ce spectacle terrible des hommes qui, puisqu’il fallait mourir, n’osaient pas se rendre.
On tailla à la Général un passage dans la foule à travers toute la ville, par les hauts escaliers qui menaient en serpentant sur le flanc de cette montagne le long d’un chemin funeste jusqu’au palais au cœur duquel trônait la salle du Conseil sous ses arceaux de pierre. Fron na’Warya entra seule dans la salle, et s’arrêta un instant devant la beauté de cet arbre merveilleux et trompeur dont elle n’avait entendu que les contes. Elle pouvait sentir la peur de cette entité mourante dont la lumière s’étiolait lentement devant elle, qui avait traversé les millénaires avant même que les Hommes ne posent le pied sur les terres d’Adynehil. Ce jour était un jour d’Histoire. La Général fit glisser hors de son fourreau une épaisse lame miroitante, forgée dans le plus bel acier qu’enfantèrent les Côtes de Fer, et la planta profondément dans l’écorce de l’Arbre, jusqu’à ce qu’un flot de sève brillante et claire comme de l’eau s’écoule sur le sol du palais. La lame fut baptisée, à ce premier sang, Anvfdÿr (l’Enchanteresse, bien que l’on ait beaucoup de mal à traduire précisément les langues régionales des îles du Nord, par manque de sources écrites). Cet arbre maléfique qui avait ensorcelé les hommes et les femmes de l’Est devait disparaître, emportant avec lui les fous qui le vénéraient ! Jetant au sol sa torche en métal, la Skaâle alluma le brasier mortuaire de ce dieu déchu, qui se rompit finalement dans une grande lamentation silencieuse. La lumière d’Ildarifyël s’éteignit avec son dernier souffle, plongeant dans le noir les geôles et toute une partie des souterrains de ce qui n’était désormais plus Talma.
Au milieu de la nuit, la vague somnolence maladive de Kaeldra fut rompue par de puissants hauts-le-cœur, qui forcèrent Redelwin à s’arrêter pour la laisser descendre un instant ; elle se jeta sur le sol et, les yeux révulsés, vomi devant elle dans la poussière étouffante un pus acide et mat qu’elle n’osait pas même regarder tant il la dégouttait. L’horreur surpassait suffisamment la douleur pour laisser la jeune fille coite, les joues marquées par deux sillons salés supplémentaires. Quiconque eut vu cette enfant, prostrée dans la sable et secouée de nausées, l’eut prise en pitié.
- - -
Le soleil brûlant avait déjà atteint son zénith lorsque la petite escouade arriva enfin devant l’entrée massive d’Ezinmart, encadrée par deux lourdes statues de chiens taillées dans le roc même des murs infranchissables que les Vangûls avaient placés là et qui faisaient en quelque sorte la fierté des artisans de la cité. Ces deux colosses gardaient jalousement l’entrée du petit royaume d’Eudgard de Thorre, Roi du Désert, en montrant leurs crocs épais chacun grand comme un homme et du haut de leur posture hautaine méprisant d’un seul regard les intrus qui osaient se présenter à la porte de ce dédale recouvert d’or.
Après que tous descendirent de leurs chevaux, le moins vieux des deux Chevaliers dont Kaeldra ignorait le nom appela quelque chose en ariman, et un grondement s’éleva du sol ; dans un nuage de poussière qui coulait le long des deux battants de la porte murée en cascades oniriques que le jour faisait scintiller, les statues s’animèrent et la majesté de leur rugissement fit se rabattre les deux pans de cette entrée somptueuse née de l’ingéniosité mythique des colons du Sud. Les lions et les oiseaux exotiques, peut-être existant au-delà des Vangûls à l’Est, ouvraient leurs gueules et dansaient pendant que se déroulaient les battants de pierre aux ordres de ces deux chiens fantastiques. La pupille d’Ildarifyël ne parvint pas à retenir une exclamation d’admiration devant une chose aussi fantastique, et lorsqu’elle eut l’occasion ensuite de lire les descriptions émerveillées des voyageurs et pèlerins qui découvrirent cette porte de paradis au beau milieu du désert, elle su les comprendre mieux que quiconque. Derrière cette muraille éventrée se tenait, debout au milieu de sa Cour, le Roi.
Kaeldra se baissa comme le faisaient les chevaliers, craignant profondément d’être maladroite devant une telle autorité. Elle le fut en effet, ce qui ne manqua pas de lui attirer les gloussements ténus de quelques dames qu’elle n’entendit pas. Sa Majesté demanda lorsque tous se furent remis debout :
« Moryhné Amnoptis, voici cinq jours tout juste que ton ordre a fait appel à moi par la voix du camarade à tes côtés, et aujourd’hui encore, par la tienne, en ces temps si difficiles. Que se passe-t-il donc à Talma qui justifia ceci ?
— Votre Majesté, à Talma est venue la guerre. Nous vous demandons asile contre l’armée assassine qui jura notre fin et qui hier déjà se tenait à nos portes. Au nom d’Ildarifyël et de sa pupille placée sous notre protection, nous vous supplions de sauver notre ordre.
— De la vengeance méritée de toute une nation, il n’est nul asile ; Chevaliers, vous voilà condamnés. Alors votre tombeau ne sera pas celui d’Ezinmart, car l’héritière de l’Arbre, quelle que soit sa puissance, ne sera à mon peuple d’aucun secours contre la main toute-puissante du destin. Adieu. »
Le ton sec du monarque, autrefois si bienveillant, surprit tous les Chevaliers qui réalisèrent tout juste que les portes se refermaient devant eux quelques minutes seulement après s’être ouvertes. Redelwin tenta lui aussi sa chance, s’adressant directement aux statues dans l’ariman le plus pur qui fut parlé Pendant l’Age des Empires. Mais les deux gardiens restèrent absolument insensibles à ses discours, on eut même dit qu’ils devenaient de plus en plus effrayants pour faire fuir ces étrangers inopportuns.
Que faire alors ? Ils étaient là, perdus dans le désert qui lors d’un autrefois désormais si loin fut leur douce demeure, regardant bouche bée les rivières de sables qui pleuraient déjà autour d’eux leur disparition prochaine. Kaeldra sembla tout à coup mesurer l’envergure de la situation, et éclata en lourds sanglots dans les bras de Vaalrièn, se noyant avec un hoquet dans les larmes âcres qui jaillissaient enfin sur son visage creusé de fatigues et de douleurs. La Chevalière faisait de son mieux pour la calmer, sans succès, alors elle reposa la jeune fille sur la croupe du cheval sur lequel elle avait déjà passé le reste du voyage, et tourna vers ses camarades des yeux désespérés, dont le bleu était devenu aussi gris que les embruns qui étouffaient la Mer Pâle les jours de brouillard.
On s’accorda à dire qu’il fallait rejoindre Tulengrad, où en se dépêchant on pouvait trouver encore un semblant de protection, et qu’il fallait la rejoindre par le Sud, c’est-à-dire par les Vangûls, puisque le mur de roche immense dans lequel avait été creusé Ezinmart interdisait de rejoindre directement les terres d’Erivor sur presque encore toute la longueur des montagnes, et que repartir en direction de Talma pour contourner le royaume par le Nord était inenvisageable tant que l’armée skaâle maîtrisait la zone. On partit donc sur-le-champ : il y avait plus d’un jour de chevauchée avant d’arriver enfin à la trouée d’Evin Allÿon, seule échappatoire à cet enfer de roche acérée et de sable grouillant. Sans aucun vivre de réserve, une telle traversée se transformait en une course effrénée, alors en plus d’Ildarifyël, les quatre païens placèrent exceptionnellement leur voyage sous la protection de Gdalain, qui semblait déjà avoir porté chance à leur jeune compagne.
A la tombée de la nuit enfin, Kaeldra s’était parfaitement remise, et elle réalisa qu’ils avaient dû déjà parcourir de longs kilomètres au Sud de la porte d’Ezinmart. La faim et la soif se faisaient déjà ressentir dans sa gorge, qui grinçait et crissait douloureusement dans chaque coin de sa tête, mais le soulagement de ne plus souffrir ces élancements atroces dans ses mains, sous les bandages, était tel qu’elle s’accommoda presque de cette nouvelle situation. Le claquement régulier et prudent des fers des chevaux contre le traître sol rocailleux des Vangûls aurait pu lui paraître une jolie berceuse, si l’adolescente n’avait pas au ventre ses crampes coriaces du jeûne trop long, et elle aurait pu s’endormir sous le ciel d’automne, d’une beauté touchante dans le vide du désert.
Tout ce sable roulant à ses pieds sur la pierre dure semblait une mer infinie, noire et affreusement calme, sur laquelle se reflétaient les millions d’étoiles multicolores suspendues au-dessus de sa tête. Le presque silence dans lequel avançait péniblement la petite escouade faisait résonner la respiration des animaux, épuisés eux aussi par la marche éternisée, et l’éclat faible de la lune qui donnait aux Chevaliers l’air de créatures chimériques et squelettiques qu’un vieux conte aurait ramenées à la vie. Et l’odeur du sel se répandait sans répit dans l’air, portée par la poussière que le passage du convoi soulevait en des volutes noires tout près du visage de la jeune fille. Cette nuit fut pour elle un long moment de contemplation, pendant lequel elle n’eut pas même la force de fredonner l’une de ces chansons d’enfants que les bienheureux de Tarissin apprennent tant qu’ils le sont encore.
Sur le dos du destrier pas encore chancelant du chevalier de Palossor, Kaeldra s’enfonça malgré elle dans la nuit et la mélancolie, au creux des bras grands ouverts d’Epnézia qui la rappelait en ses eaux sombres.
* extraits de Evin zan Arimin (le camarade sur la Montagne), chant de guerre des armées de Grëern à la fin du premier âge
Encore un chapitre impeccablement écrit, avec un vocabulaire et une rhétorique irréprochable.
Par contre, il faut vraiment le lire à tête reposée pour tout comprendre. La complexité des noms n'aidant pas.
Je ne suis pas certain d'avoir tout compris:
Lorsque les Skaâls se battirent contre les maître-dragons, ils se firent massacrer car les renforts de Talmar n'arrivèrent jamais?
Est-ce la cause de la guerre actuelle?
Ce qui justifierait la phrase du roi d'Ezinmart.
"De la vengeance méritée de toute une nation, il n’est nul asile "
Est-ce que j'ai bien compris ou est-ce que je suis à côté de la plaque?
Mon défaut est d'avoir laissé passer du temps entre les chapitres. Une histoire comme la tienne doit se lire d'une traite.
A bientôt!
Oui, tu as compris ce qui est important, le reste c'est presque juste pour l'ambiance '^^ Excepté le passage entre Fron na'Warya et Ildarifyël, mais c'est vraiment un détail pour l'instant, qui ne sera creusé que bien plus tard dans l'intrigue, disons plutôt que c'est juste un clin d'œil.
En tous cas merci pour tes retours, c'est une histoire qui me tient à cœur alors je suis contente qu'elle intéresse.
Sympa de voir l'histoire basculer pour de bon.
Quelques remarques :
Dans le tout premier paragraphe de ce chapitre, il faut selon moi couper au milieu au moins 2 phrases, là c'est trop long. La suite est un peu plus naturelle même si ca reste élaboré.
Sinon je pense que tu devrais raccourcir certains prénoms pour que ce soit plus facile à mémoriser, 2 syllabes c'est l'idéal je trouve, voir 3 de temps en temps. Après ils peuvent avoir un nom de famille mais qu'on ne donne que de temps en temps pour les moments plus cérémonieux.
Deux petites fautes de frappe :
"La Chevalière pris cela" -> prit
"mais vous autres qui servez l'oredre qui" -> l'ordre
Voilà pour ce commentaire, je me lance dans le chapitre suivant !
Et merci pour les fautes, je vais aller corriger ça de suite !
"à l’air menaçant ; c’était" point après menaçant
"son grand col de fourrure absurdement impressionnant" un peu lourd
"surpris tous les Chevaliers" -> surprit
C'est toi qui voit de toutes façons.
C'est toi qui voit de toutes façons.