Quelques jours passèrent.
Le jeudi suivant, des parents dans les contacts desquels je me trouvais, sûrement à la rubrique « la blondasse qui coûte pas cher pour garder Jules », m’appelèrent en catastrophe à 18h45 pour que je vienne m’occuper de leur rejeton de deux ans à partir de 19h30. Un empêchement de la nounou habituelle… Tu parles, ils me savaient corvéable, alors pourquoi prendre des gants et me prévenir à l’avance ?
J’acceptai, et passai la soirée à essayer de faire manger Jules le plus proprement possible, puis à lui chanter quelques chansons en espérant l’endormir. Le respectable père de famille me raccompagna ensuite en voiture chez moi, non sans avoir oublié de reluquer mes fesses dans l’escalier tout en bénissant les bienfaits de la mode slim, puis d’essayer de deviner ma taille de soutien-gorge à travers mon pull. Evidemment, il avait encore une fois fallu que je réclame mes trente euros : papa était trop occupé à me baver dessus pour penser de lui-même à me payer pour avoir laissé son fils me baver dessus également ! Je rentrai dans mon studio, lasse. J’envoyai mes Converses valser dans un coin avant d’enlever mon jean et mon pull, et de me vautrer en sous-vêtements sur mon canapé.
Le moral à zéro, je zappai sur quelques nullités télévisuelles censées rapporter du temps de cerveau disponible à je ne sais qui pour mieux vous convaincre d’acheter encore et encore je ne sais quoi. Mais acheter avec quel argent ? Quand avais-je acheté un vêtement sur un coup de tête ? Quand avais-je cédé à un coup de cœur, à un bijou offert à une autre occasion qu’à un anniversaire ou Noël ? Je passais mon temps entre mes cours, la bibliothèque universitaire, et les jobs que je cumulais. Mes soirées aussi. Les moments de loisir devenaient rares. Et surtout … quand avais-je fait l’amour pour la dernière fois ? Depuis ma rupture avec mon ancien petit ami, Gaël, dont l’offre d’emploi au Québec avait mis six mois plus tôt un terme définitif à notre histoire naissante, un seul homme m’avait touchée. J’avais rompu au cœur de l'été, en pleine sexualité épanouie, vie trépidante remplie de projets d’avenir en commun, et je me retrouvais l'hiver suivant, en sous-vêtements même pas coordonnés, avachie sur un canapé qui avait autrefois accueilli quelques si beaux orgasmes… Pour qui les aurais-je coordonnés, d’ailleurs ? Qui se souciait de la façon dont je choisissais ma lingerie ? Je me rendis compte que moi aussi, j’étais frustrée. Frustrée de sexe. D’affection. D’attentions. De plaisirs simples du quotidien, qui m’étaient devenus inaccessibles faute de temps et d’argent. Insidieusement, des sentiments contradictoires m’avaient envahie. Un mélange de désir purement sexuel et de tristesse, comme la nostalgie d’une époque que j’avais failli connaître.
Supprimer les traces
La moindre trace
Ce qui reste de candeur
Avant que des larmes ne me débordent, je donnai à mon corps oublié la satisfaction mécanique et solitaire qu’il réclamait, sans même enlever ma culotte, en me contentant de couper le son de la télé, et d’y glisser une main en fermant les yeux.
Ne plus rien sentir
Inconscient, minéral
Que le moindre désir
Plus de peur, ni de mal
Après un orgasme furtif, j’achevai de me déshabiller et m’immobilisai sous la douche. Le filet d’eau fraîche, qui peinait à se réchauffer dans ces vieilles tuyauteries, eut un effet inattendu sur mon corps encore tiède. Je sursautai à son contact. Certaines réalités deviennent de fait des métaphores, et celle mon quotidien m’apparut clairement dans le choc de cette douche froide. La possibilité m’était offerte d’en améliorer au moins les conditions matérielles. Donc également ma disponibilité pour des loisirs, et des rencontres. Accepter l’offre de Mélanie devint une évidence.
Vendredi matin, j’envoyai un sms à ma sicilienne de voisine pour lui proposer de dîner ensemble chez moi. Dès le repas commencé je lui annonçai que j’acceptais de faire un essai. Je n’étais pas hésitante. Je savais où j’allais et pourquoi j’y allais.
Nous passâmes le dîner à discuter des modalités. Elle me précisa ses tarifs : le massage de trente minutes coûtait cinquante euros, et elle en demandait vingt de plus pour chaque quart d’heure supplémentaire. A cela s’ajoutait un bonus pour sa tenue vestimentaire : dix euros pour la voir en sous-vêtements, et contre trente euros elle tombait le haut ! Elle m’expliqua que la majorité des clients prenaient quarante-cinq minutes topless et lui remettaient donc cent euros en liquide « toujours au début de la séance, dès leur arrivée ». Enfin l’option « body body » qu’elle proposait à de rares privilégiés ayant fait la preuve de leur courtoisie, sans que celle-ci figurât sur son annonce, exigeait de leur part cent-cinquante euros contre une heure de bonheur glissant et voluptueux. Selon ses dires, elle essayait d’enchainer trois clients les jours où elle massait, pour rentabiliser le déplacement à son local, situé à vingt minutes en tram de notre immeuble. Cela pouvait rapporter jusqu’à trois cents voire quatre cents euros la demi-journée !
Une fois le repas terminé, elle me dispensa ma formation express au massage californien, directement sur mon lit. L’essentiel était de maîtriser quelques gestes élémentaires. Je m’adapterais vite à la table de massage qui ne changerait pas grand-chose. Je me mis en sous-vêtements pendant qu’elle alla chercher dans son studio un flacon de l’huile qu’elle utilisait avec ses clients.
« Vire-moi ton soutif, sinon je vais le tâcher », me dit-elle en revenant. Je m’allongeai seins nus sur mon lit et elle vint s’asseoir sur mes jambes. Son massage était agréable, à la fois appuyé et tonique, revigorant. Elle tourna autour de moi, massant épaules, reins, nuque, bras, doigts, un par un, puis pieds, chevilles, jambes et mes cuisses.
-Le but est purement pédagogique. Je t’explique les gestes pendant que je les fais, ensuite tu essaieras de les refaire sur moi et je te dirai si ça va ou pas. Evidemment, les gestes plus coquins qui agrémenteront les massages avec des clients, je te les montrerai au moment du premier rendez-vous, que l’on fera ensemble.
-Tu en as déjà fixés ?
-Oui, lundi après-midi j’ai deux clients très sympas, ça serait parfait avec eux. Je ne leur fais pas payer de supplément du fait que nous serons deux, comme ça ils accepteront d’autant mieux le côté approximatif du massage d’une débutante, que ça ne leur aura rien coûté de plus. Ils seront en compagnie de deux jeunes filles, je pense qu’ils y trouveront leur compte.
Nous passâmes deux heures en séance de travaux pratiques. Mélanie décrivait aussi bien les gestes qu’elle les réalisait. Au moment de me retourner sur le dos, je rougis d’être ainsi dévêtue face à elle.
-Tu sais, me dit-elle, il ne va pas falloir être trop pudique.
-Ils te demandent souvent d’être en lingerie ou topless ?
-Il y a ceux qui viennent pour le minimum : le massage à cinquante euros. Les autres, en général, veulent que ça dure un peu plus longtemps, et avoir davantage le loisir de te regarder… donc ils payent pour ça, oui.
-Sans supplément tu masses dans quelle tenue ?
-C’est variable. Souvent, je mets un t-shirt très moulant avec un beau décolleté en V. Ca fait ressortir ma poitrine et quand je passe derrière leur tête et que je me penche en avant pour masser les bras et le ventre, cela place leur nez pile entre mes deux seins… s’ils ne bandent pas déjà à ce moment-là, ça règle le problème et ça grimpe tout seul !
J’admirai sa décontraction, et la simplicité avec laquelle elle parlait d’actes qui, sans être totalement sexuels, s’en approchaient quand même diablement !
Elle enchaina.
-Dans ton cas tu peux faire la même chose, ou jouer sur tes superbes jambes en portant une jupe courte, voire des talons. Quand ils seront sur le ventre en début de massage, par le trou de la table dans lequel ils posent leur tête, ils auront tout le loisir d’admirer la vue.
-Je crois que je vois l’idée oui…
Côté pile, elle s’attarda sur ma nuque, à nouveau, puis mon crâne, le cuir chevelu, qu’elle enveloppa dans des mouvements amples qui me donnèrent un délicieux tournis. Ensuite ce fut mon ventre, sur lequel elle s’attarda, et à nouveau mes jambes. Elle termina par de très grands mouvements, ses mains fermes partant de mes pieds et glissant sur mon corps jusqu’à l’épaule opposée. Sur le trajet, elles contournèrent mes seins, et je compris comment un massage aussi agréable pouvait assez facilement basculer dans quelque chose de plus troublant.
Quand ce fut à mon tour de la masser, j’essayai de répéter les gestes et constatai que l’essentiel était davantage une question de positionnement des mains et de « quantité de pression » dans l’appui qu’elles exerçaient. Mélanie avait eu raison : tant qu’on ne voulait pas devenir kiné professionnel, on chopait vite le truc suffisant pour réaliser un massage californien d’excellente facture. Une fois sur le dos, Mélanie resta très à l’aise avec son corps et la vue qu’elle en donnait. Comment être gênée de dévoiler une aussi somptueuse poitrine que la sienne ? Ses deux seins bien ronds avaient une tenue parfaite, défiant en même temps les lois de la gravité et, j’imagine, le regard des hommes. Je me surpris à penser que dans le volume de chacun d’eux on devait pourvoir mettre les deux miens, peut-être même un troisième … Sa peau cuivrée, même en plein hiver, renvoyait magnifiquement la lumière qu’elle captait, ce qui lui donnait un aspect velouté. De petits tétons sombres venaient piquer la rétine avec toute la subtilité dont la féminité est le gardien.
Bien sûr, les questions s'imposèrent, sur la particularité des massages que j’aurais à prodiguer à mes futurs clients.
-Concrètement, quels gestes coquins dois-je faire de plus avec eux, et à quel moment ?
-C’est difficile de répondre à ça, car c’est très variable. Aucun de mes massages n’est exactement le même que le précédent. Il faut que tu sois attentive, que tu guettes leurs réactions. Certains parlent. Certains laissent paraitre. Même s’ils sont sur le ventre, tu verras si une érection intervient. Ça peut être le cas même si tu n’as encore rien fait de spécial. Un client peut parfois réagir dès le début du massage car il est nu, massés par une fille en toute petite tenue, et que la situation l’excite. La plupart du temps leur sexe retombe puis remonte, puis retombe tu verras c’est marrant. Certains ne banderont qu’à la fin. Parfois, ils ne banderont que quand tu les « prendras en main ». Ça ne veut pas dire qu’ils n’auront pas été réceptifs à la sensualité de ton massage. Juste qu’ils bandent moins facilement. N’hésite pas à leur demander régulièrement si tout va bien. Surtout pour les timides qui s’expriment peu. Et surtout dans la partie « soft » du massage, la première moitié. Après, tu aviseras. Tu peux glisser quelques gestes coquins subrepticement quand ils sont sur le ventre, je te montrerai lundi. Mais l’essentiel de la partie « hot » c’est évidemment la deuxième moitié. N’hésite pas à jouer de ton corps. Chauffe-les. Lance des regards. Amuse-toi de leur état, taquine-les. Sois masseuse, mais sois coquine. Ce n’est pas qu’une question de geste ou de technique. Beaucoup de sensualité et d’érotisme vont passer dans ton langage corporel, dans tes regards, dans les poses sexy que tu vas prendre, et bien évidemment dans les mots que tu vas prononcer. Quand ils banderont et qu’approchera le moment de la finition, tu sentiras une énorme puissance en toi, celle de donner du plaisir. Et à ce moment-là, parler est important. Tu sentiras ce que le mec a besoin d’entendre au moment où son sperme montera en enflammant son bas-ventre. A toi de voir comment tu veux y répondre. Je ne suis jamais vulgaire, mais si un mec aime quelques mots bien placés et que ça participe à son plaisir, pourquoi les lui refuser ? Quand tu vois le gland du pénis se gonfler et le mec se crisper sur la table, un petit « oh oui chéri, viens pour moi, fais voir ce que tu caches, libère-toi, tu vas jouir dans mes mains et ça va te plaire » d’une voix de geisha, et pour lui ce sera l’extase complète.
-On dirait que tu aimes ce que tu fais.
-Je vais te dire, je masse, et je donne du plaisir. Evidemment c’est proche de la prostitution, mais aucun client n’a fait l’amour avec moi, et je n’en ai sucé aucun. Je ne garde en séance que ceux qui m’inspirent confiance. Ceux qui au téléphone semblent louches ou laissent un seul doute planer, je ne les prends pas. A partir de là, le reste je l’assume totalement et, en face d’un mec gentil, donner un tel plaisir… ben oui, j’aime bien, alors je le fais le mieux possible !
Nous terminâmes la soirée, rhabillées, en sirotant quelques bières et en papotant comme deux copines. Deux copines qui, deux jours plus tard, avaient rendez-vous avec deux hommes.
Et même si je m'améliore
Oh j'en rêve encore
Même en sachant que j'ai tort
Oh j'en rêve encore
Vivant mais mort
N'être plus qu'un corps
Que tout me soit égal
Plus de mal
Les descriptions, crues sans être grossières, sont très bien menées, parfois drôles. C'est toujours amusant d'avoir le point de vue féminin sur les affres du plaisir masculin.
Je reviens juste sur la question du droit d'auteur. En publiant sur PA, tu ne publies pas chez un éditeur mais tu publies bien officiellement. A mon sens, tu devrais justement mentionner, peut-être dans la présentation du chapitre, le titre de la chanson et de l'album à laquelle elle appartient, le nom de l'auteur et la date de sortie de l'album. Je ne connais pas les règles spécifiques du droit d'auteur concernant les paroles des chansons ni toutes les jurisprudences le concernant mais une chose est sûre : il vaut toujours mieux clairement identifier ce qui est cité.
Merci pour ton avis.
Léa.