Avant de dîner chez mes parents samedi soir avec ma petite sœur, je passai le week-end le nez dans des bouquins à potasser mes cours. Un peu parce que je n’avais rien d’autre de prévu, et du travail en retard. Un peu aussi pour penser à autre chose qu’à ce qui m’attendait lundi après-midi. Les questions, pourtant, se bousculaient dans ma tête. Comment est-ce que ça allait se passer ? A quoi ces deux hommes allaient-ils ressembler ? Comment allais-je réagir ? Me sentirais-je capable de me lancer seule après cette séance d’initiation ?
Lundi arriva finalement. Après une matinée de cours, je rentrai chez moi. Mélanie m’avait dit qu’elle m’attendrait pour 14 heures directement au local. Le premier client était prévu à 14 heures 30 et le suivant à 16 heures. Je n’avais pas faim. Mon estomac était noué. Je passai l’heure qui me séparait du départ à ruminer en me préparant tant bien que mal. Mélanie ne savait pas toujours à l’avance ce que les clients allaient choisir comme prestation. Le premier avait souhaité un massage de trois quarts d’heure. Ne sachant pas si j’allais devoir me dévêtir ou non, je préparai une tenue sexy, que j’enfilerais une fois sur place, et une jolie lingerie, au cas où je doive masser en sous-vêtements. Je me souvins d’un très bel ensemble acheté avec mon ex petit-ami, que je n’avais porté qu’à de trop rares occasions depuis. Il était constitué d’un soutien-gorge en corbeille, pourvu d’un effet « push up » qui, sans me transformer en bombe latine, avait le mérite de relever mon 85 presque B et qui, dans les décolletés, était du plus bel effet. En dentelle bleue marine légèrement ajourée, il suggérait sans montrer, soulignant le corps avec sensualité et subtilité. Le shorty coordonné dans la même dentelle bleue marine ne manquait pas de piquant : très échancré, il avait une frontière qui correspondait exactement avec le muscle fessier, et sublimait sa rondeur. A défaut d’une forte poitrine, j’avais appris à porter mon pouvoir de séduction sur le bas de mon corps. Mes longues jambes, mes fesses, avaient été fuselées et musclées par seize années de danse, dont douze de classique.
J’enfilai l’ensemble et m’observai dans la glace de mon armoire. Je dus avouer que je n’étais pas trop mal. Cette activité nouvelle m’obligeait à reprendre enfin soin de moi, après des mois de laisser-aller. Je me souvins ensuite des conseils de Mélanie et cherchai une jupe. J’en trouvai une, de style tailleur, droite, mais en version taille basse et plus courte. Je l’avais souvent portée pour sortir car elle avait un style à la fois élégant et sexy, et l’accord entre les deux me plaisait beaucoup. Elle était grise, légèrement chinée, et m’arrivait à mi cuisses. Je farfouillai pour trouver des talons. Mon mètre quatre-vingt-un m’avait souvent dispensée de me surélever, toutefois, ayant appris à pratiquer certaines danses en talons je savais parfaitement bien marcher avec, et avais quelque part une paire d’escarpins noirs que je sortais pour les grandes occasions. L’association avec la jupe me parut correspondre à l’idée de Mélanie de tout miser sur mes gambettes. J’attrapai enfin un chemisier blanc cintré, plaçai l’ensemble dans mon sac à dos et enfilai un jean et un gros pull blanc pour faire le trajet. Un coup de mascara suffit à achever le travail. La sophistication serait pour une autre fois. Le cœur battant, je quittai mon studio et me lançai dans l’inconnu.
Après un trajet en tram qui me parut interminable, j’arrivai devant la maison où Mélanie avait trouvé son local. Elle s’était installée dans l’annexe, au fond d’une petite arrière-cour, ce qui la rendait indépendante de la maison principale, réaménagée en plusieurs appartements. Elle disposait de sa propre entrée, garante d’une discrétion bienvenue. Mélanie m’avait guettée, et ouvrit la porte sans que j’eusse besoin d’y sonner. Elle était déjà en tenue : ses deux seins étaient comprimés dans un débardeur blanc échancré et très près du corps, qu’elle portait sans soutien-gorge. Sa poitrine était suffisamment tonique pour qu’elle puisse se le permettre, et le débardeur moulant avait le mérite de tenir le tout ! Elle avait associé cela à un jean noir slim et des petites baskets blanches. L’association du sexy et du décontracté flattait sa silhouette, succession de courbures et d’ondulations intensément féminines. Côté maquillage, elle avait opté pour un simple rouge à lèvres très vif, qui illuminait son teint naturellement hâlé de méditerranéenne. Ses cheveux bruns étaient attachés en un petit chignon approximatif, qui apportait du naturel à ces chaudes couleurs. Jamais ses origines siciliennes ne m’étaient apparues avec autant d’évidence.
-Entre, on a une demi-heure avant l’arrivée de Pascal.
-Tu m’en touches un mot, de Pascal ?
-Marié, deux enfants, la cinquantaine bien conservée, poivre et sel, adorable.
-Tu lui as dit pour la particularité de la journée ?
-Les deux clients sont au courant oui, et ont accepté les conditions. On partagera en deux toi et moi.
-D’accord.
-Je te sens tendue.
-Je le suis.
-C’est normal. La première fois moi aussi, je n’en menais pas large.
-En plus tu étais seule ! Comment as-tu fait ?
-Comme tu vas le faire : je me suis jetée à l’eau. Tu vas te changer ?
-Ok. Tu as une salle de bains, ici ?
-Bien sûr, chaque client prend une douche en arrivant et une autre après le massage. Tu as besoin d’en prendre une ?
-Non je me suis douchée chez moi, je dois juste enfiler ma tenue de combat.
-Toujours pudique à ce que je vois … Elle me fit un clin d’œil.
-Ça va passer dans l’action, je suppose.
Je bifurquai une minute dans la salle de bains le temps de passer d’étudiante sage à masseuse sexy. La petite pièce était très bien aménagée : une vasque, un grand miroir, un meuble en bois à étagères sur lequel reposaient des bougies et plusieurs serviettes propres. Il n’y avait pas de baignoire mais une vraie cabine de douche assez spacieuse où différents gels douche étaient à disposition des utilisateurs. Tout à coup je me rendis compte de mon oubli…
-Mélanie, j’ai oublié de prendre des collants !
-C’est chauffé, hein… et je doute que tu sortes en jupe ensuite, collants ou pas.
-…
Un peu stupide, j’enfilai la jupe sur mes jambes nues, dont la dernière épilation heureusement n’était pas trop ancienne, puis j’entrai dans mes escarpins noirs à talons aiguilles. Je culminai à un mètre quatre-vingt-onze… Je boutonnai le chemisier, mais sans chercher à oublier un ou deux boutons. Dans ce domaine, ma consœur était imbattable. Je sortis de la salle de bain. Mélanie avait éteint la lumière du plafonnier de l’unique pièce de son salon de massage, et allumé plusieurs bougies ainsi qu’une lampe posée au sol qui diffusait une lumière colorée. Je n’avais pas pris le temps d’observer les lieux en arrivant. La pièce était petite, mais fonctionnelle et très judicieusement décorée par quelques tableaux évoquant des origines lointaines et chargées de symboles issus de civilisations orientales et indiennes que Mélanie avait dû rapporter d’un voyage chez Ikea. Une chaleur douce et sèche inondait la pièce. Au centre trônait une table de massage recouverte d’une serviette. Un tapis rouge, posé sur le carrelage, permettait de délimiter une zone de déplacement autour de la table. Adossé au mur de l’entrée, un canapé gris évoquait une salle d’attente pour masseuse désœuvrée. Contre le mur d’en face était disposé un petit buffet laqué à tiroirs, sur lequel un lecteur de CD proposait une musique zen apaisante et planante. A ses côtés, un plateau bordeaux et noir collectionnait différents flacons d’huiles, et d’autres lotions dont j’ignorais la nature. Un paquet de mouchoirs en papiers rappelait avec pragmatisme comment les choses étaient censées se terminer pour Pascal et pour son successeur.
Mélanie me sortit de ma contemplation.
-Dis-donc, canon la miss Léa !
-Hein ?
-La jupe ! Les talons ! Pas mal, non ?
-Merci. Toi… ça va exploser dans ton débardeur, si tu te penches trop, tu ne crois pas ?
-C’est autre chose qu’on va faire exploser, tu vas voir.
Et à nouveau, son allant et son humour m’aidèrent à me dérider.
-Faisons simple : quand il arrive, tu me laisses gérer. Je fais les présentations, je l’envoie à la douche… de toute façon c’est un habitué, sa queue et lui ont des automatismes bien rodés.
-J’adore ton humour et ton flegme très second degré. Si tu ne ressemblais pas à une jeune mamma palermitina, et si tu avais des taches de rousseur comme moi, je te croirais née à South Kensington.
-Quand il s’agira d’empoigner la teub d’un inconnu qui a l’âge de ton père, tu seras contente de l’avoir, mon second degré, ma poulette…
Cette fille me faisait rire, et je l’appréciais de plus en plus. Je l’invitai à continuer le briefing et l’écoutai.
-Donc pour le premier massage tu vas simplement me suivre. Je vais commencer puis te passerai la main. Je t’observerai et n’interviendrai que si tu fais quelque chose de travers ou que tu oublies un mouvement. Dans les petits moments où un geste coquin est possible, je les réaliserai et te laisserai les reproduire à ta guise ou en trouver d’autres par toi-même. En revanche, au moment de la finition, je te montrerai concrètement comment la faire, quels sont les bons gestes, ceux qui vont le rendre absolument dingue et te permettre de maîtriser les débats et de décider à quel moment précis tu feras céder sa digue. Donc je fais, puis tu fais. Je fais autre chose, puis tu fais la même chose dans la foulée. Pour lui, ce sera double dose. C’est son jour de chance. Un dernier truc important : pour mes clients, je m’appelle Alessia. Interdiction formelle de m’appeler Mélanie, d’accord ?
-Ok, Alessia.
-Tu veux te faire appeler comment, toi ?
« Lola » est le premier prénom qui me vint à l’esprit. Je me rendrais compte plus tard que sa proximité avec le mien, le vrai, était tout sauf un hasard. Et que les deux femmes qui allaient se dissocier pour la première fois dans les minutes à venir, étaient bel et bien une seule et même personne qui se cherchait encore.
-Lola.
-Ça marche.
-Tout cela reste un peu abstrait, mais je te fais confiance.
-Crois-moi miss gambettes, ça va devenir très vite très concret.
Comme pour acquiescer à ce dernier trait d’esprit, un carillon retentit dans la pièce. Le temps que Mélanie prenne l’interphone pour vérifier l’identité du survenant, mon corps semblait avoir perdu deux degrés d’un seul coup, tous les poils de mes bras s’étaient dressés en une chair de poule et un très fin film de sueur froide tapissait mon dos. J’eus à peine le temps de respirer profondément pour tenter de calmer mon cœur qui s’emballait sous le push-up bleu marine. Mélanie ouvrit la porte de son petit coin de paradis payant, pour y faire pénétrer un grand homme svelte et souriant aux cheveux parsemés d’argent.
-Bonjour Pascal.
Mélanie accueillit le quinquagénaire avec beaucoup de simplicité, et lui claqua même une bise comme s’il s’était agi d’un vieux pote. Sa décontraction continuait de m’étonner.
-Salut Alessia, tu es toujours aussi belle.
-Je te présente Lola, dont je t’ai parlé au téléphone.
C’était l’heure d’entrer en scène. Lola, en tout cas, faisait son arrivée. La bouche sèche, les jambes chancelantes sur mes dix centimètres de talons, je fis deux pas en avant pour tendre la main à Pascal en essayant de sourire de façon, sinon sensuelle, tout au moins la plus naturelle possible. Intérieurement, je n’en menais pas large.
-Bonjour Pascal.
Un regard gris se posa sur moi, glissant quelques secondes sur mon corps mais remontant vite sur mes yeux. En me serrant chaleureusement la main, Pascal me dit tout le bien qu’il pensait de l’opportunité qui lui était tombée dessus. Je n’eus aucune peine à croire à la sincérité de son enthousiasme. Il sut trouver les mots pour me complimenter sur ma tenue et sur mon physique. Il avait l’aisance oratoire des hommes habitués à s’exprimer et à être écoutés, mais tout comme sa poignée de main, ce discours rodé était ponctué d’une pointe de sincérité qui rendait le bonhomme avenant.
Comme prévu, Mélanie prit les choses en main, en tout cas au sens figuré dans un premier temps.
-Que souhaites-tu, aujourd’hui ?
-Comme dit au téléphone, on fait trois quart d’heures ? Et ma foi dans ces tenues vous êtes absolument parfaites.
Je fis immédiatement la déduction : au moins pour ce premier massage, les mains du client ne se poseraient pas sur moi.
Sans que Mélanie eût besoin de réclamer quoi que ce soit, Pascal lui tendit un billet de vingt euros et un autre de cinquante. Elle le remercia en glissant les deux billets dans la poche de son jean.
-Je te laisse prendre une petite douche ? Tout est prêt, nous t’attendons impatiemment.
-Je suis à vous dans deux minutes.
Pascal laissa sa parka sur une chaise que Mélanie avait placée à l’entrée de la salle de bains, puis il disparut dans la pièce d’eau. Nous restâmes Mélanie et moi silencieuses. Ces instants d’attente allaient devenir un petit rituel pour moi, moitié appréhension, moitié excitation. Dans l’immédiat, je découvrais des sensations inédites, en étant ravie de laisser Mélanie assumer un premier acte qu’elle semblait si bien maîtriser. Nous entendîmes l’eau de la douche couler. Mélanie vint vers moi, et me prit la main.
-Allez, respire. Au pire tu l’auras fait une fois et ça restera un souvenir amusé d’un truc dingue fait sur un coup de tête.
-Hin-hin.
L’eau s’arrêta. Je suivis Pascal au bruit, imaginant son déplacement dans la salle de bains et conjecturant le nombre de secondes qu’il devait me rester pour prendre mes jambes à mon coup et déguerpir d’ici avant qu’il ne soit trop tard pour reculer. Mais le temps est retors, et avant même que cette idée de fuite en escarpins sur le sol gelé par la rigueur de la récente Saint-Valentin ne fût devenue un projet, Pascal sortit, les épaules nues mal essuyées, une serviette blanche nouée autour de la taille, dévoilant un corps entretenu, légèrement velu, qui avait dû être athlétique et qui restait aujourd’hui fort présentable. Effectivement habitué aux délices d’Alessia, il dénoua sa serviette et la posa sur le canapé avant de s’installer, le ventre sur la table de massage. J’eus le temps de voir son sexe, qu’il plaça avec précision avant de s’allonger, en faisant en sorte que celui-ci ne soit pas comprimé sous son ventre, mais déroulé vers le bas entre ses jambes qu’il avait laissées légèrement écartées.
Help me if you can, I’m feeling down
And I do appreciate you being round
Help me, get my feet back on the ground
Won’t you please, please help me !
La tension est là, sans en faire des caisses, ça reste naturel bien qu'on entre pas à pas de plus en plus dans de l'intimité.
J'apprécie les dialogues, débarrassé de lourdeurs propres souvent à ce type de récits "initiatiques"
Merci pour ce commentaire.
Je plussoie quant aux dialogue qui sont toujours l'une de mes priorités quand j'écris. Non seulement ils sont importants pour faire vivre les personnages et développer leurs personnalités tout en faisant mine de rien avancer le récit, mais c'est souvent aussi un moyen de mettre un peu d'humour, de vivacité, pour éviter que la seule narration devienne plombante.
Aussi, ta remarque sur les dialogues me touche particulièrement.
Bonne suite de lecture.
J'ai rigolé !
J'ai vu quelques formulations un peu tarabiscotées par ci par là mais sinon nickel