— Il y a danse de deux, chant, course bateaux, saut dans l’eau, combat de gros, course cabosse, lettre pour pêcher, visage de sable, et aussi course de forêt, expliqua à grand renfort de geste Chaô à Gaelyn.
— C’est dans ordre de jours ? demanda maladroitement la jeune femme.
— Oui, lui répondit-il avec un grand hochement de tête.
Marco non loin, les bras chargés de fruits et qui essayait tant bien que mal d’en refuser d’autres, vint vers eux pour fluidifier la conversation.
— Un fruit ? demanda-t-il en mirovan au pécheur comme à Gaelyn.
— Non merci, lui répondit Gaelyn, je suis déjà en indigestion de sucre, si je reste ici je vais faire un choc sucré rapidement !
— Et ça ne s’arrangera pas forcément à Mirova, lui répondit le danseur en déposant son butin sur la toile où étaient assis les deux jeunes gens, sauf qu’il faudra aussi ajouter le beurre, les œufs et la crème…
— Vous savez comment me rassurer vous…
Marco s’assit et proposa à nouveau à Chaô de partager au moins un pomelo avec lui. A force d’insistance, le pécheur accepta.
— D’après mes informations il faudra en gros huit jours pour toute la célébration, reprit Marco en céréique avant de passer au mirovan, tu confirmes Chaô ?
— Oui c’est ça, mais ça dépend un peu, des fois c’est moins long, lui répondit le jeune homme.
— Oui je me basais sur une durée maximale, dit le danseur, Gaelyn avez-vous saisi le déroulement ?
— Vaguement… Chaô fait des efforts, mais je suis désespérément lente pour apprendre le mirovan…
— Sauf si on compte que vous ne l’aviez jamais parlé il y a encore un mois ! Franchement si ça continue vous pourriez presque être à l’aise à Mirova.
— Ce serait plutôt bien, déclara la jeune femme dubitative, je suppose que je ne pourrais pas compter éternellement sur vous pour me servir de traducteur ?
Marco ne répondit pas.
— En tout cas je reprends un peu…, fini-t-il par dire, il y a globalement cette année neuf épreuves : La danse de couple, les chorales de clan, la course sur mer, la course sur cosse de cabosse, le combat de gros, la pêche calligraphique, la sculpture sur sable et une course spéciale au cœur de la forêt…
— Le combat de gros !? reprit Gaelyn incrédule.
— Oui c’est une épreuve un peu particulière. Les insulaires ont une recette particulière et secrète de kova, la boisson traditionnelle, qui a des effets plutôt étonnant sur le corps, ils l’appellent la bebida… Elle fait gonfler, mais accorde aussi une quasi-invincibilité. Le combat de gros est un héritage des temps ancien, où cette boisson a permis aux habitants de se battre contre des envahisseurs. Vous verrez c’est assez étonnant… En tous les cas, j’aimerais bien savoir où vous comptiez vous insérer dans ce programme.
Gaelyn ne répondit pas tout de suite, baissant la tête et contemplant ses mains. A l’idée de la prouesse qu’elle comptait réaliser, elle sentit son estomac se nouer, envoyant une note aigue d’angoisse résonner dans son corps, jusqu’à atteindre son cerveau. Là l’angoisse se mua en onde caverneuse qui emplit son esprit, la rendant sourde et quasiment aveugle l’espace d’une fraction de seconde. Puis l’onde reflua, la laissant exsangue. Subitement l’idée étrange que celui qui saurait produire une telle note angoissante serait un homme redoutable traversa son esprit.
— Gaelyn ? appela Marco alors que Chaô la poussait timidement avec un bâton pour la faire réagir.
Elle sursauta et repoussa le bâton qui tâtait son biceps.
— Pardon, je réfléchissais ! dit-elle soudain embarrassée, eh bien on a fortement insisté pour que je participe aux danses de couple, mais jusqu’à présent j’ai réussi à dire non… Tout logiquement je devrais donc faire partie du chant collégial !
— Tout logiquement ? répéta Marco, vous allez chanter dans une chorale ?
Gaelyn fit mine d’être vexée avant d’éclater de rire.
— Non non, je suis la gardienne des chimères, n’est-ce pas ? déclara Gaelyn qui avait du mal à se remettre de son fou-rire en voyant le visage de son danseur-protecteur, Il faut séduire et terroriser je me trompe ?
— Vous n’allez pas me dire ce que vous avez prévu je parie ? lui dit le danseur.
— Vous pariez maintenant ? le taquina Gaelyn, faites attention je déteins sur vous, les jeux sont traitres ne l’oubliez pas…
Le danseur soupira.
— On ne peut pas se permettre le moindre faux pas ici, vous comme moi devons rejoindre Mirova sans tarder…
Le sourire de Gaelyn disparut et son regard enfantin se transforma. Son front se plissa et les muscles de sa mâchoire se durcirent. Chaô qui assistait sans comprendre au dialogue entre les deux étrangers observa le phénomène avec inquiétude.
— Vous m’avez fait venir jusqu’ici… Pour des raisons qui me paraissent de plus en plus étranges…, expliqua Gaelyn d’une voix qui devint subitement grave, Je ne suis pas votre partenaire et je ne me laisserais pas guider par vous ! Faites-moi confiance ou partez seul à Mirova. Léger comme vous êtes, vous devriez pouvoir courir sur l’eau, n’est-ce pas ?
Gaelyn entendit Marco jurer dans une langue qu’elle ne l’avait jamais entendu prononcer en se relevant brusquement.
— J’ai compris, dit-il d’un ton sec, n’oubliez pas non plus pourquoi vous êtes avec moi ! J’ai été envoyé vous chercher, je vous amènerez jusqu’à Mirova…
Le danseur parla rapidement à Chaô en mirovan, trop rapidement pour Gaelyn. Il la désigna brièvement et s’éloigna d’un pas énergique. Chaô le regarda partir puis reporta son attention sur Gaelyn d’un air étrange.
— Quoi a-t-il dit ? demanda-t-elle au pécheur.
— J’ai pas trop compris, lui répondit-il, il a dit… Je te laisse avec « tueuse de son »…
La matinée passa rapidement, principalement consacrée aux préparatifs pour les repas et les épreuves à venir. La prochaine animation commencerait sur le soir, par la danse de couple. Marco avait été chaleureusement sollicité pour participer à cette célébration dansante, mais il avait décliné. C’était trop attendu, trop évident et il voulait ménager ses effets pour plus tard. La danse de couple n’était pas sa spécialité et s’il était bien plus qu’un amateur il n’aurait pu faire de miracle fasse aux insulaires plutôt bien réputé pour ce type de danse.
Il marchait le long de la plage, sans but précis, réfléchissant à la suite des évènements. Il avait répondu sèchement à Gaelyn par fierté mais il ne pouvait donner tort à la jeune joueuse, pourquoi l’avait-il emmené jusqu’ici ? Il avait bien des raisons mais elles étaient difficilement justifiables… Et la mission qu’il voulait coûte que coûte poursuivre malgré la présence de la jeune femme était à présent franchement compromise...
Sans qu’il n’y prête attention, ses pas le conduisirent vers la haute silhouette de Madèriché qui contrôlait avec une consœur l’état des cosses de cabosse pour la grande course qui aurait lieu prochainement.
— Tout va bien ? demanda-t-il, si je peux aider à quoi que ce soit n’hésitez pas.
La femme, qui s’était accroupie un instant pour attester d’une mauvaise fissure dans une cosse se redressa en souriant au danseur.
— Merci mais non, c’est une affaire de spécialiste, dit-elle en s’étirant, faisant jouer une musculature puissante que lui auraient enviée bien des hommes, Madro m’a dit que les pirates vous tournent autour. Tu es agile mais distrait, méfies toi, même le poisson le plus vif se fait manger par la murène patiente.
— Avec le clan, il n’y a pas vraiment de risque, soupira-t-il, faites attention à Gaelyn surtout, moi je m’en sortirais. Il ne suffit pas de m’avaler, comme le crabe de palétuvier… Euh, et bien je ne suis pas facile à digérer...
Madèriché le regarda étrangement mais ne fit aucun commentaire, il reprit donc la parole :
— Et comment les pirates agissent-ils avec les mirovans ?
La native de l’archipel émit quelques claquements de langues, signe de perplexité chez les insulaires.
— Ils parlent ensemble, ils plaisantent, dit-elle avant de faire signe à sa consœur de continuer les vérifications sans elle un instant, ce n’est pas vraiment bizarre ici. Comme on impose une trêve à tout le monde sur Ja, les marins ne savent pas trop quoi faire et comme ils sont tous des étrangers, ils se sentent plus proche les uns des autres. Mais le capitaine pirate est quand même très fort pour être ami avec tout le monde.
Alors que le danseur allait répliquer, Madèriché fit rouler ses yeux et désigna quelque chose dans le dos du danseur d’un geste du menton. Marco put voir en se retournant le capitaine pirate et ses acolytes, derrière un rang de membre du clan du haut lac qui s’étaient mis entre lui et les pirates sans en avoir l’air. Le capitaine flibustier trainait aussi avec lui plusieurs membres de la tribu de la trinité.
— Bien le bonjour danseur ! lança le Morse tout sourire, j’aimerais discuter avec toi et la demoiselle, ta « maitresse » apparemment...
Marco se frotta la nuque en signe de nervosité et réfléchit rapidement :
— J’ai quelques détails à régler avant cela. Ma maitresse n’est pas très encline à vous voir pour l’instant. Ceux qui vous accompagnent sont les grands organisateurs de cette fête, n’est-ce pas ? Merci à vous, cela promet d’être divertissant…
Le capitaine pirate rit d’une voix rauque et lorsqu’il reprit la parole, les mots restèrent un moment coincés dans sa gorge, le temps qu’il tousse :
— Ce sera divertissant ça c’est sûr ! Tu as jusqu’au combat de gros, dans trois jours pour venir discuter. Que sa grâce de l’ouest, ta petite protégée et ses bulles daignent faire un effort pour qu’on puisse mettre à plat toutes nos querelles anciennes. La clef est le verbe, j’accepterais vos excuses pour le vol de mon navire si vous me le demandez gentiment.
— Comment va votre navire tiens ? demanda Marco, nos danses enflammées ne lui manquent pas trop ?
— A demain danseur, je compte sur toi, répondit le pirate en repartant d’un pas nonchalant.
Le capitaine contrebandier resta un moment sur place, observant le danseur de son regard de fou furieux en grimaçant avant de poursuive lui aussi sa route. Marco ne savait quoi penser de l’attitude des pirates. De manière inattendue, le contrebandier avait visiblement rejoint le camp du Morse, il lui avait donc surement raconté ce qu’il savait à propos de sa cargaison de contrebande… S’il avait des questions à ce sujet, et il en aurait, elles risqueraient de mettre en péril la confiance précaire que lui accordait Gaelyn…
Il décida de laisser ces détails de côté pour le lendemain, de toutes façons il ne couperait pas à cette confrontation alors il n’y avait pas de raison de s’en inquiéter. A la place, il profita du temps imparti pour aller trouver les marchands mirovans. Il fut étonné de constater que les pirates n’avaient pas évoqué qu’ils se connaissaient. Un marin après l’autre, il discuta, se renseigna et gagna la confiance suffisante pour parler avec le responsable de l’expédition.
— Si vous voulez aller à Mirova, il faudra parler au chef, lui expliqua un marin particulièrement massif, et si vous voulez parler au chef il va falloir aller sur le navire.
— Et quand pourrai-je y aller ?,demanda Marco.
L’imposant marin parut embarrassé.
— C’est que c’est pas moi qui décide, dit-il, il faudra voir avec Casano, c’est le lieutenant, il va aller au navire après le repas, mais bon…
— Te casse pas Pav’, dit un second marin en lui tapant sur l’épaule, Casano il est là-bas suffit de demander.
Le marin prit une forte inspiration et cria :
— Eh Casano y a un type qui veut voir le chef là !
— Quel genre de type ! hurla à son tour le lieutenant de marine en continuant à observer des fruits d’un œil critique.
— Ce type là ! lui répondit le marin en levant le bras de Marco, il veut discuter voyage !
Le lieutenant délaissa les fruits pour observer Marco, le bras toujours bien en l’air. Puis il s’approcha d’un pas vif.
— D’accord mon gars tu me racontes qui t’es, et si ça me satisfait et que tu nous convaincs que tu caches rien, ni dans ton froc ni derrière ton dos alors tu pourras partir avec la cargaison de fruits disons… Le temps de monter des blancs en neige, qu’est-ce t’en dit ? dit-il en gueulant toujours aussi fort même s’il était maintenant à un mètre du danseur.
— Eh bien je crois bien que je vais dire oui…
La relation entre Marco et Gaelyn évolue de façon assez réaliste, chacun ayant ses objectifs même s'ils 'estiment mutuellement. L'action progresse petit à petit et on attend de découvrir ce que tous les deux préparent pour cette fête. J'ai beaucoup aimé découvrir les cabosses et l'attitude de Gaélyn dans tout le chapitre: elle réfléchit ne se laisse pas faire et gare des cordes à son arc. J'ai juste trouvé qu'il y a avait comme un double énumération des épreuves un peu répétitive.
Merci encore
Oui ils sont dans le même bateau et ils n'ont pas de raison de s'en vouloir plus que ça, mais chacun a son objectif et des réserves légitimes à l'égard de l'autre...
Gaelyn n'aime pas se laisser faire, alors elle est pas mal ballottée par les évènements dans cette histoire mais elle essaye de garder en vue son objectif et de mener sa barque autant que possible.
Je vois ce que tu veux dire pour les épreuves, il y a peut être moyen de mieux optimiser en effet. Merci de m'en avoir fait part!
Bonne journée à toi!
C'est vraiment intéressant que juste quand ils faudraient qu'ils se serrent les coudes pour échapper aux méchants, évidemment l'ego vient saper la relation :) d'ailleurs c'est assez réaliste.
Au final, Marco n'a-t-il pas embarqué Gaelyn en "paquet secondaire" ? XD la pauvre. Quand aux marchands ils n'ont pas l'air sympa non plus...
C'est toujours aussi amusant de voir cette pauvre Gaelyn en prise avec les barrières linguistiques. La tension qui s'installe entre notre duo de choc vient sublimer les menaces à demie-voilées de Morse et crochet.
L'univers est toujours aussi sublime, et les explications autour des épreuves de la fête intriguantes. Mention pour ta note de l'auteur, j
'aurais aimé un rappel plus imposant dans le chapitre qu'une simple embarcation.
A bientôt
Et encore merci pour ce commentaire !
Mon univers te remercie également pour les compliments que tu lui fais. Pas impossible qu'il rougisse, surtout au Soleil couchant.
Pour la note d'auteur, c'est vrai que je fais peu mention du chant de la cabosse dans le chapitre c'est vrai... Et pourtant c'est la bonne saison.
Je comprends ta déception.
Je l'évoquerai rapidement deux épisodes plus loin.
Bonne journée et bon weekend à toi!
La danse de couple arrive au prochain épisode, mais tu l'as déjà lu il me semble...
Merci beaucoup pour toute cette lecture d'ailleurs! Ca fait bien plaisir!
Pour les reserves de chacun, ils ont peut être des raisons encore même si ce n'est pas transparent comme ça...