Chapitre 3 : Le chant de Ja (5eme partie : Foyer chanté)

Notes de l’auteur : Bienvenue dans ce nouveau chapitre. Si vous avez envie de savoir à quoi ressemble les chants des insulaires en fin de chapitre, vous pouvez écouter Kaval Sviri (chant bulgare). C'est le plus proche que j'ai pu trouver.
Je vous souhaite un bon début des célébrations de Ja

Il était temps de partir.

Marco rejoignit le village à travers la forêt luxuriante en compagnie de Madèriché, Portué, et Soa. Une large assemblée s'afférait à porter des paquetages, s'occuper des enfants, rassembler les embarcations et les maintenir à quai. Tout cela sur une zone comprenant deux pontons, trois pas de maisons et un petit pont suspendu. Gaelyn, un peu perdue au milieu de la fourmilière essayait principalement de ne pas gêner, avec un succès tout relatif. Au bout de quelques temps on la fit embarquer dans une longue barque d'ajoncs tressés en compagnie de Pélaga, Funchali et Canari, la seconde fille de Pélaga et Madro. L'embarcation vogua vers la rive du lac où attendaient le petit groupe revenu de la forêt dont le danseur faisait partie. Marco embarqua, laissant le reste du groupe prendre un autre bateau. Pour éviter l'encombrement, la barque d'ajoncs, comme toutes les embarcations déjà prêtes, partie vers la mer.

— Bonjour mademoiselle Hastin, cela fait quelques jours que nous ne nous étions vus, comment allez-vous ? commença le danseur d'un ton jovial en constatant que la jeune femme avait à son côté sa cornemuse, vous avez réussi à les convaincre d'emmener votre instrument ?

La cornemuse de Gaelyn, comme tout instrument avait été consignée lorsque les deux voyageurs avaient pénétrés dans le village, car considérée comme une arme potentielle.

— Bonjour... Marco ! Je propose que vous cessiez de m'appeler par mon nom de famille, je ne peux en faire de même alors appelez-moi Gaelyn se sera plus simple..., lui répondit la jeune joueuse avec un sourire, oui je crois qu'ils me font confiance à présent... La féérie des bulles à ce charmant côté de plaire aux enfants comme aux plus anciens...

Marco plissa son front :

— Oui... Les jeux ont toujours su séduire... Dommage qu'ils ont souvent aussi su trahir !

— Je suis de bonne humeur je vais faire comme si je n'avais rien entendu..., lui répondit Gaelyn.

Marco faillit lui répondre qu'il faudrait bien qu'elle l'entende un jour, et qu'elle dévoile son jeu... Un jour qui ne devrait plus trop tarder. Mais ce n'était pas le moment de se fâcher avec la jeune femme.

— Vous avez préparé quelque chose pour célébrer la terre-mère alors ? reprit-il en contemplant les reflets du Soleil couchant onduler avec les vagues, j'espère que vous n'avez pas oublié qu'il y aura aussi nos ennemis à convaincre !

— Séduire les insulaires, terroriser les pirates... Vaste programme ! dit la jeune femme d'un ton moqueur, ne vous inquiétez pas vous pourrez vous aussi découvrir tout cela le moment venu...

Le temps fila alors que de plus en plus de bateaux arrivaient dans le lagon. Les membres du clan s'appelaient, vérifier leurs paquetages et la présence de chacun. Il régnait une grande effervescence, mais aussi un certain sérieux dans la préparation, dans la manière dont il faudrait représenter le village lors des jours à venir.

Une fois que toutes les embarcations furent descendues du lac, le cortège disparate commença à voguer en restant dans les eaux peu profondes du bord du lagon. L'île de Ja pratiquement au centre de l'archipel était encore à plus de deux heures de navigation. Le danseur se plaça à côté de Pélaga et proposa de ramer à sa place en compagnie d'un jeune homme appelé Abem. Pélaga accepta et lui laissa la rame. Elle se porta à l'avant du navire et discuta avec le danseur par phrases courtes, entrecoupées de longs silences.

Après une grande insistance, Gaelyn accepta de jouer avec Canari et pour la centième fois depuis son arrivée dans le village, lui présenta quelques tours de passe-passe sans prétentions.

Le Soleil disparu rapidement à l'horizon, mais le ciel dégagé et la Lune, tout à fait pleine, offraient une visibilité suffisante pour naviguer. Néanmoins, sur de nombreuses embarcations, on sortit des lanternes où brûlait des mélanges de graines de cabosse, de fleurs de soufrière et de graisses de poisson produisant des flammes, bleues, vertes ou oranges en fonction des mélanges de combustibles. Des tâches de lumières se formèrent sur l'eau autour des bateaux, donnant au cortège des airs fantomatiques. Gaelyn resta fascinée par ses vaisseaux de lumière vacillante, glissant sur une mer lisse et silencieuse. Elle pensa subitement à Holmert qui travaillait lui aussi sur la lumière et le laboratoire de féérie de l'université, loin au nord. Elle n'avait pu dire au revoir à personne et elle sentit le poids des souvenirs peser sur son cœur.

Après avoir contourné le Déchu, l'une des trois grandes cheminées volcaniques de l'archipel, ils voguèrent dans une zone de hauts fonds, jusqu'à un large banc de sable. Au-delà, une île au faible relief et bordée de grandes plages de sable couleur rouille trônait au milieu d'un lagon de très faible profondeur, où de nombreux récifs et massifs coralliens perçaient la surface de l'eau. Plus au sud, apparurent des embarcations ancrées à l'appoint du banc de sable, trop grandes, pas assez maniables et avec un trop fort tirant d'eau pour entrer dans le lagon. Deux navires dominaient tous les autres, un navire rapide avec deux flotteurs à la proue duquel dormait une imposante tête de morse, et une immense barge au-dessus de laquelle évoluait une nuée de mouettes. Sa forme massive, large et à fond plat était adaptée à la navigation sur la mer sucrière dont la viscosité assurait une bonne portance et où la mer était rarement plus agitée que pas des vagues mousseuses à dos rond.

— C'est un navire marchand de Mirova, déclara Marco à Gaelyn en céréique, les sortes de petits radeaux que l'on peut voir autour sont faits pour le protéger...

— C'est celui que l'on attendait ? lui répondit Gaelyn.

— Oui normalement nous devrions pouvoir négocier notre traversée jusqu'à Mirova. Sur ce navire nous serions en parfaite sécurité. Les autorités mirovanes accordent une très grande importance au commerce avec l'archipel et les navires qui s'y emploient sont bien protégés. Restent les pirates...

La barque avança quelques temps en silence alors qu'ils pénétraient dans le lagon. La mer prise dans un goulot entre deux bancs de sable, se bosselait, entrainant les embarcations du clan du haut lac les unes contre les autres. Marco et Abem jouèrent des coudes avec les autres bateaux pour entrer dans le lagon.

— Pourquoi vous dites « restent les pirates » ? demanda Gaelyn une fois dépassé le banc de sable, vous dites vous-même que les pirates ne pourraient rien contre ce navire.

— Ils nous ont fait venir jusqu'ici et ils savent bien que ce navire marchand allait arriver, répondit Marco tout en suivant les indications de Pélaga qui guidait l'embarcation entre les bouquets de coraux gélatineux, ils ont forcément une idée derrière la tête. Ils comptent peut être nous dévaloriser auprès des mirovans pour qu'on reste bloqué dans l'archipel...

— En même temps, ce sont des pirates et il serait étonnant qu'ils puissent faire valoir le contraire... La parole d'un tricheur démasqué n'a jamais fait un bon bluff...

— Sauf si leur but est de nous faire passer pour leurs partenaires. Nous ne représentons qu'une faible menace pour les mirovans, mais ils n'ont aucune raison d'embarquer avec eux de potentiels flibustiers...

Une musique à peine perceptible semblait provenir des larges plages de l'île de Ja et par intermittence, la lumière de grands feux pointait au travers des récifs.

— Mais j'ai pris quelques précautions, reprit Marco, nous sommes maintenant plutôt bien perçu par le clan du haut lac et ils ont compris notre situation, nous pouvons donc compter sur eux pour se mettre en travers de la route des pirates ce qui nous évitera de mauvaises surprises.

Les chants en provenance de l'île étaient à présent distinctement audibles depuis la barque. Lancinante, chaque voix apportait une tonalité différente, une nouvelle dimension au chant collectif. Chaque chant était à la fois unique mais partie d'un tout. Pélaga joignit également sa voix au grand chant, comme le firent d'autres membres adultes du clan. Malgré la distance, l'ensemble était harmonieux, chaque voix se glissant au milieu des autres pour former un tissu lyrique enveloppant tout l'espace. Marco et Gaelyn sentirent la douceur de ce tissu les entourer, les caresser et les réchauffer. Ils se sentaient protégés et enveloppés en compagnie des personnes qui les entouraient par une harmonie qui se passait de mots. Gaelyn s'imagina au coin du feu, regardant la douce féérie des flammes, serrée avec ses frères dans une couverture épaisse, laissant la pluie marteler le toit au-dessus d'eux. Marco éprouva la douce sérénité au petit matin de serrer délicatement le corps chaud et doux d'une femme qu'il avait aimé... Le chant de l'île de Ja n'était pas un chant joyeux, ni un chant heureux. Il enveloppait ces auditeurs sous une chaude couverture, évoquant le passé, rappelant à chacun le bonheur du foyer.

Pour les insulaires, le foyer c'était leur archipel, leur terre-mère qu'ils honoraient dans ce chant collectivement, mais pour Gaelyn et Marco, ce n'était qu'un lieu loin d'ici et peut être perdu à jamais.

Porté par un vent de mélancolie, le clan du haut lac arriva peu de temps après sur la plage où commençait à se masser les différentes familles de l'archipel. Les vaisseaux vinrent s'échouer sur le sable et les insulaires se glissèrent dans l'eau pour porter leur paquetage jusqu'au grand camp. Le temps du chant de Ja, l'activité s'était presque éteinte sur la plage, mais une fois qu'il s'était achevé, les insulaires avaient repris leurs installations et la préparation de plats pour un diner sous les étoiles. Les deux voyageurs un peu perdu se rapprochèrent de la famille de Pélaga et Madro et suivirent le mouvement général. Ils furent vite bien accueillis, en particulier Gaelyn qui faisait toujours forte impression avec sa peau blanche dans la tenue du clan du haut lac. 

Les deux voyageurs repérèrent sans mal des marins de Mirova et le capitaine Morse, simplement accompagné de son second et de son ancien ennemi, le capitaine du Bleu Horizon. Aucun ne semblait vouloir les approcher, comme eux même restaient prudents. La soirée se déroula sans que les trois groupes d'étrangers ne se rencontrent, ce n'était pas encore le moment. Il n'y eut que le capitaine Morse pour saluer de loin ses ennemis avec un grand sourire. La soirée passa doucement à mesure qu'arrivaient les différents clans, que chacun s'installait, que les anciens discutaient, que l'on festoyait, de fruits et de poissons. Puis au milieu de la nuit, avec calme, tous allèrent se coucher, sous les embarcations reconverties en habitations de fortune ou directement là où ils s'étaient écroulés pour ceux pour qui boire avaient été l'activité la plus importante de la soirée.

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Camille Octavie
Posté le 17/05/2025
Rebonjour :)

(Je profite des 90min des célèbres dessins animés d'une souris pour prendre une pause)
J'aime beaucoup ce chapitre ! Il y a un petit indice sur le passé de Marco, la tension qui remonte... et un univers toujours aussi bien décrit :)
Mini point de détail, mais quand Gaelyn part dans la forêt à la fin du chapitre précédent j'ai vraiment cru qu'elle faisait quelque chose d'important alors je suis retournée voir si j'avais loupé quelque chose, mais je n'ai rien trouvé de plus alors je ne sais pas ce que tu voulais me faire comprendre en tant que lecteur mais j'ai rien capté XD
J'ai hâte de voir ce que Gaelyn a prévu je pense que les insulaires ne seront pas les seuls surpris ^^
Plume de Poney
Posté le 17/05/2025
Re, oui Marco a aimé par le passé. Mais ça ne s'est pas si bien terminé que ça, ça a mêmes clairement fini par sentir le roussi. Littéralement...

Dans un sens Gaelyn dans la forêt est partie faire quelque chose d'important, elle s'éloignait de Marco, partait de son côté préparer sa participation aux célébrations de Ja. Et comme je sais que tu as lu plus loin, tu as pu constater que ce n'était pas rien...
Mais concrètement, elle voulait juste retourner vers le village, mais s'est paumée très rapidement.
Luvi
Posté le 23/04/2025
Bien le bonjour 👋
Je me suis sentie transporté dans cette incroyable voyage féerique sur les flots. Féerie que tu acheve brutalement. L'on se retrouve à nouveau face au danger, et la menace est palpable. Fébrile et pourtant excitée par aussi bien par la fête que par les stratégies que vont employés tous nos chers amis.
A bientôt
Plume de Poney
Posté le 23/04/2025
Bonjour à toi!

Merci de t'être laissée emporter par la fête !

Oui malheureusement pour Gaelyn et Marco, ils ne peuvent pas se détendre et juste profiter des festivités, il y a la menace pirate qui plane et leurs objectifs respectifs qui restent en suspens avec ce contre-temps...

Merci à toi pour ton implication dans tout ça !

A la prochaine.
Phideliane
Posté le 15/04/2025
Hummm, je me demande ce qui va suivre, tu as du nous préparer un immense feu d'artifice d'événements.... Cette scène est parfaite pour titiller mon côté impatiente, je vois des gens partout et ils sont menaçants (lol). J'essaie de deviner quelle stratégie chacun va mettre en place, et je suis frustrée de n'avoir que des prémices. Chants, danses, cérémonie, et tensions, un cocktail parfait pour faire monter la pression, merci!
Plume de Poney
Posté le 15/04/2025
Il faut profiter un peu de la fête avant le feu d'artifice !

D'ici là, tu peux boire quelques pressions (bon pas sûr qu'ils en aient, mais ils ont du kova : alcool madrisé, jus de fruits et épices. Plus sucré et plus chill) et te faire un sang d'encre (ce qui ferait plaisir à monsieur Morse).

Merci d'apprécier les célébrations de Ja!
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