Chapitre 3 : Lune de Sang [ 1/4]

 

 

 

 

 

   À dire vrai, les visites ne m'enchantaient pas. Habituée à cette solitude qui m'apaisait les cœur et me donnait envie de rêver, je ne pouvais pas concevoir que des gens du Monde désiraient me voir, surtout une fois l'an. Une fois l'an... Pour une raison que j'ignorais, cette période suscitait une envie de liberté chez moi, comme un regain d'énergie qui poussait mon cœur à battre, et à retrancher ma raison dans les méandres des pages à moitié dévorées par la nuit quasi-omniprésente.

 

Collée à la pierre humide et fraîche comme de l'eau, c'est presque aveuglée par la lueur des torches que les discussions fusaient dans tous les sens. Mes tympans me semblaient faits de pierres d'où pendaient mes boucles d'oreilles à l'aura verdoyante.

 

Je glissai d'avantage vers mon recoin d'ombre, mon front plissé à l'extrême. Que faisaient-ils tous ici ? Les gardiens ont tous rangés précipitamment leurs victuailles, presque paniqués. Ils clamaient à l'inspection dans tous les cachots, rentrant leurs ventres, épées au fourreau, et par dessus tout, cachant le précieux sausciflard dans leurs braies.

 

Les cinq arrivants représentaient l'archétype même des hommes du Monde. Quatre se chargeaient de la protection du dernier. J'admirai le hâle de leurs peaux, leurs tatouages marqués et fermement imprimés sur leur épiderme des bottes aux casques par leurs tenues légères, les tresses étranges surmontées de perles... Ils transparaissent par le soleil. Dans leurs regards impénétrables, le désir de revoir leur chère mer. Certainement ont-ils pu fonder un foyer sur un littoral. Mais lequel ?

 

Au centre, un petit bedonnant au visage porcin. Il me semblait de prime abord inoffensif. Et pourtant, à peine arrivé qu'il se permit de gifler du revers de sa main l'un des geôliers. L'impact raisonna dans les corridors jonchés d'alcôves, pourtant, le garde en question ne bougea pas d'un cil.

 

Il s'agissait de l'impénétrable Namilim.

 

Jamais il ne commettait d'impair dans son travail. Les beuveries pouvaient toujours l'attendre, il préférait torturer une journée entière des prisonniers que de déserter son poste une minute. Ses collègues le surnomme "sociopathe".

 

D'ailleurs, celui-ci m'observait en oblique, son attention étant détourné de son opposant. Sa fierté venait d'être touché injustement. Il venait d'obtenir une raison supplémentaire de haïr les haut-culs.

 

- Votre Excellence... l'interpella Féroé en s'approchant doucement, lui indiquant implicitement un endroit où regarder.

 

Cet endroit, s'avérait être ma cellule. En garde face à ce violent personnage, j'inclinai mon menton vers le bas, mes iris dans les siens.

 

- Elle a des yeux de chatte... Il se lécha les babines par la suite. Mes ongles glissèrent sur le mur, tandis que je ne bougeais pas de mon emplacement, si ce n'était que je me redressai, accroupie pour me lever plus rapidement si il osait pénétrer mon "Antre".

 

- Pourquoi ont-ils cette lueur ? questionna-t-il par la suite, une main sur ses sourcils broussailleux au possible, détendant ses ridules logées un peu partout.

 

- Ce sont les bijoux, votre Excellence. Le Cénacle souhaite éviter tout incident diplomatique avec les prestigieux invités de ce soir.

 

Puis, chose incroyable. Inédite même. Le voleur se mit à s'esclaffer comme un dérangé. Rien n'aurait pu l'arrêter avant que son fou-rire ne passe tout seul. Même lorsque l'impétueux X'san pénétra dans la cellule, lance au poing prêt à l'achever, il ne se calma pas, au contraire, son ardeur à pouffer doubla, tripla même. Il gardait les bras levés pour intimer à X'san de ne pas le battre.

 

- Qu'a-t-il, celui-là ?!

 

Les mains sous sa bedaine, totalement absorbé par le voleur, j'en profitai pour me donner à l'obscurité naissante, m'immisçant vers des piles de livres qui me camouflerais de leur attention.

 

Je n'avais pas peur, juste... un peu d'appréhension quant à ce que cette "Excellence", pouvait me faire si je restai proche de lui. Au plus profond de mon âme de captive, je percevais la noirceur de la sienne. Elle portait un désir de souffrance, le plaisir de voir quelqu'un agonir sans doute, et d'asservir plus faible que lui. Une chiffe-molle à n'en point douter, comme dirait Killian.

 

- Je n'ai pas de temps à perdre. Le Cénacle est sur le qui-vive, comme chaque année. Cette fois-ci, même le chef des derniers dragons de Djinaï a décidé de venir. Cet ancêtre a appris que l'Enchanteresse se trouve dans nos geôles, ce qui signifie également... que même les Hommes-Loups sont au courant. Les quatre Antres doivent être en ébullition par la cachotterie, je ne m'étonnerai pas de trouver les quatre Alphas ce soir à la table du Cénacle.

 

Un village dans les montagnes. Djinaï. Ce nom sonne tellement bien à voix haute. Surtout avec cette résonance commune à toutes les prisons, d'après Zhora. D'après lui, et les quelques livres dont je dispose et qui abordent le sujet, il ne resterait que cinq dragons dans tout le Monde connu. Deux femelles dont une stérile et trois mâles qui ne parviennent pas à l'approcher. Cette espèce est donc, indéniablement, condamnée à disparaître.

 

Ah ! Si le dragonnier vient pour les festivités, peut-être pourrai-je entrevoir sa monture, tellement peu décrite dans les bouquins pour cause qu'ils seraient "indéfinissables uniquement par des mots". Enchantée par ce constat, je sursautai vivement lorsque le voleur cogna du plus fort qu'il le put son poing contre les barreaux de sa geôle.

 

- Vous avez osé cacher l'Enchanteresse aux dragons de Djinaï !?

 

Ses pupilles rétrécies laissaient vivement voir l'or de ses iris. Du feu aurait pu en sortir tant il semblait en colère. Les hommes au-dehors des grilles semblèrent déconcertés un moment par la fougue du blessé, mais se reprirent tout aussi vite.

 

- En quoi cela te regarde ? Fouette-le une dizaine de fois pour son impudence.

 

Puis, sans un mot de plus, la petite troupe s'en alla, grimpant les marches innombrables qui menaient au Monde. Je me dressai sur mes jambes, analysant le faiseur de larcins de par-dessus mon épaule.

 

- Tu... Tu es... bégaya-t-il, ignorant comme moi les exclamations de rire des soldats.

 

- Ah ça ! Ça nous a fait un choc, à nous aussi ! Layot s'approcha, son fourreau claqua contre sa cuisse, et sa paume de main s'abattit à plusieurs reprises sur les épaules qui traînaient sur son chemin.

 

Mon esprit se ferma sans plus attendre. Je n'avais en tête que ce dragon. Cette bête que l'on nomme majestueuse. Je ne pensais qu'à elle. Mon "Antre", me laissais l'opportunité de voir un morceau de l'extérieur, pour filtrer la lumière dans la prison. Et ce petit bout de vie, ce Monde que je pouvais apercevoir, se limiter à un brin de ciel, comme un ruban, un quelconque aperçu de tout cet espace que je ne connaissais pas, ou bien encore, un appel, pour me dire qu'un jour, tout changerait, que j'apprendrais ce mot, ce sens, cette définition : liberté...

 

 

 

 

~

 

 

 

- Laisse-moi te dire une chose, Enchanteresse.

 

Ne quittant pas ma faille des yeux, j'inclinai légèrement ma nuque pour lui indiquer mon intention de l'écouter.

 

- Tu ne verras pas le dragon.

 

Cette fois-ci blessée, je le savais, juste là dans mon cœur, je lui infligeai la même chose par mon regard. Son sourire changea aussitôt en un rictus-grimace pour cause de sa punition enfin achevée.

 

- Qu'en sais-tu ? Son souffle se fit haché lorsqu'il chercha à soupirer, défaisant un bout de corde en ficelle traînant dans une flaque de liquide de vie.

 

- Les écuries se trouvent de l'autre côté de la forteresse. Même si le dragonnier voudra sans l'ombre d'un doute impressionner le Cénacle et les haut-culs autour, il n'atterrira pas là. Et il ne passera pas audessus puisqu'il vient du sud. Ne te fais pas de faux espoirs même si tu vis dans un trou...

 

Ces paroles, provoquèrent quelque chose en moi... Comme un soulèvement de mon propre corps. Une alerte. Un véritable kaléidoscope de teintes déviante du noir, aussi sombre que chaque nuit que j'ai pu passer dans cet endroit.

 

Sans astre lumineux, je me fondais dans mes ténèbres, là où le Dieu Gardien Onyx me serrai de plus en plus fort contre lui, à la manière d'un amant. Le Dieu demeure toujours celui qui gouverne ma mort, et qui me poussai subitement à tomber sur le sol, mordant mes chairs de sa froideur, et qui me fit hurler à m'en époumoner.

 

Parce que c'était là tout ce que je pouvais faire. Pleurer et gémir. De mon destin misérable. Du sort cruel des Dieux. De mon manque de respect envers moi-même. Tout était chose à penser que mon manque de chance, relevait de mon propre fait.

 

Pourtant, ce dont je ne me doutais pas encore, régnait dans la certitude que la Gardienne du Dioptaze s'est divertie grâce à son Livre du Destin, car le mien est enfin en marche. Et ses fondations, tout comme le début de son déroulement, allait pour se faire, débuter ce soir...

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MariKy
Posté le 13/11/2020
Salut Ekaterina ! Voilà un moment que je devais poursuivre ma lecture ici. J'espère que la suite viendra bientôt, car tu sèmes plein de mystères sur ton univers et j'ai hâte d'en savoir plus. Surtout que tu m'as promis des alliés intéressants dans le synopsis... Le voleur de la geôle d'à côté sera-t-il celui qui l'aidera à se sauver ? Je croise les doigts pour elle !
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