Lys était sur le point de s’endormir quand elle entendit un bruit inhabituel. Ou plutôt, plusieurs bruits inhabituels. Un léger coup, un frottement, et puis des pas. Cela semblait venir de la coursive des domestiques, qui longeait les appartements de l’Héritière, mais personne n’était censé s’y trouver à cette heure-ci.
Le bruit cessa, mais quelques instants après, la petite porte qui reliait sa chambre à la coursive s’ouvrit.
Lys ouvrit les yeux et tourna la tête. À la lumière de la lampe toujours allumée, elle vit quelqu’un.
Dans la pièce se tenait une jeune femme qu’elle ne connaissait pas. Son teint paraissait brûlé, ses cheveux bruns et bouffants n’étaient pas coiffés, ses vêtements étaient verts comme ceux des agriculteurs de la Muraille, mais rapiécés. Personne ne pénétrait jamais dans la Demeure dans une tenue aussi négligée. Ses yeux noirs s’agrandirent en la voyant, balayèrent la pièce jusque dans ses moindres recoins, avant de revenir sur Lys, qui ne bougeait pas.
– Qui êtes-vous ? demanda Lys.
– Toi, tu es qui ? retourna l’inconnue.
– Vous le savez déjà.
– Non, sinon je te demanderais pas.
– Vous devriez le savoir.
– Ah bon.
Un instant de silence. Les deux femmes ne se quittaient pas du regard.
– Tu veux pas me dire ?
– Si, bien sûr. Je suis Lys, l’Héritière du Clocher.
Un autre silence. Les yeux noirs s’agrandirent à nouveau.
– Tu es importante, finit-elle par dire.
– Oui.
– Et tu appelles pas à l’aide ?
– Pourquoi, allez-vous me faire du mal ?
– Non… admit l’inconnue après une courte hésitation.
– Pourquoi êtes-vous ici ? Ce sont mes appartements privés. Je dois dormir pour servir le Clocher demain.
– Évidemment. Le Clocher.
Quelque chose n’allait pas. Lys changea de position dans son lit.
– N’aimez-vous pas le Clocher ?
– Non.
– Pourquoi donc ?
– Je viens de dehors.
– Les Endormis n’aiment-ils pas le Clocher ?
– Certains, oui. Mais moi non.
– Vous devriez. Le Clocher nous sauvera tous.
– J’en suis sûre.
Encore une fois, quelque chose n’allait pas. Lys changea à nouveau de position, renonça, finit par se lever, s’avança. Elle était petite sous le regard noir.
– Vous vous moquez de moi.
– Bravo ! sourit-elle.
– Que veut dire ce mot, « bravo » ?
L’étrangère haussa les sourcils.
– C’est comme « félicitations ».
– Pourquoi dites-vous cela ?
– Parce que tu le mérites.
– Vous ne devriez pas me parler ainsi. Vous n’êtes pas polie.
– C’est vrai.
– Savez-vous qui je suis ?
– Oui, tu me l’as dit.
– Non, vous ne savez pas. Pas vraiment.
– Si tu veux.
Lys recula d’un pas.
– Pourquoi êtes-vous ici ?
– Pour visiter.
– La Demeure est interdite aux Endormis.
– Je sais.
– Je devrais sûrement appeler la garde.
– Tu aurais dû l'appeler depuis longtemps, termina l’autre, dont le sourire s’agrandit.
Lys recula encore, buta sur le bord de son lit, perdit l’équilibre et tomba à la renverse. Elle leva vivement les mains devant son visage et se mit à crier au secours.
Quelques instants plus tard, ses servantes étaient là. Elle se calma et revint à la normale. L’étrangère avait disparu.
– Il y avait quelqu’un.
Les servantes se regardèrent avec de grands yeux clairs.
– Qui était-ce ?
– Je ne sais pas, une femme. Une Endormie.
D’autres regards.
– Vous pouvez vous recoucher. Les gardes vont s’en occuper, vous n’avez plus rien à craindre.
– À craindre ?
– Il n’y a plus de danger.
– Oui, je sais ce que craindre veut dire.
– Recouchez-vous.
Elle obéit, mais au lieu de se fermer, ses yeux fixaient la porte par laquelle les servantes étaient parties, la petite porte de la coursive. Elle resta ainsi toute la nuit, clignant à peine, oubliant tout jusqu’au temps même, sauf ce rectangle blanc sur fond blanc, et ne bougea que quand le son de la Cloche décréta le début de la journée.
Quand elle arriva dans la Salle de l’Avènement, Adéla lui fit une remarque inhabituelle. Lys se tourna vers elle.
– Qu'y a-t-il, ma tante ?
– Comment, vous… Enfin, ce n’est rien. Cela ne se reproduira plus, et vous vous êtes bien comportée.
Elle aurait peut-être insisté, mais Adéla mit fin à la conversation en sortant des appartements d’un pas rapide. Lys dut se presser pour la suivre, et les prunelles pressantes du peuple la réduirent au silence.
Le manque de sommeil changeait tout. Elle devait faire attention. Agressée par le soleil qui se multipliait sur les miroirs, l’Héritière trébucha dans les escaliers. La clochette à son cou tressauta bruyamment. Pendant un instant, le son se répercuta partout, semblant troubler même la lumière. Lys se rendit compte que sa main avait décidé toute seule de la retenir au mur, l’empêchant de tomber. Mais elle n’eut pas le temps de noter ce phénomène : elle devait rattraper sa Guide, qui ne l’avait pas attendue et était déjà loin devant.
La Cérémonie ne la guérit pas de sa maladresse. Ses mouvements paraissaient comme distants. Le Duc la regarda, exactement la même durée que d’habitude, mais pas de la même manière, plus durement. Lys ne reçut pas le message, occupée à ne pas s’effondrer de fatigue : les soupirs des fidèles l'étouffaient, leurs yeux implorants cherchaient les siens, leurs mains coupables la tiraient vers le sol. Adéla, cependant, avait compris.
– Attendez-vous à être convoquée par votre père, lui dit-elle sèchement tandis que le peuple sortait de la Salle du Commencement pour aller continuer sa journée. J’espère que vous lui présenterez vos excuses. Vous nous avez tous déçus aujourd’hui.
Mais cette prédiction ne se réalisa pas. Les deux femmes se promenèrent dans toute la Demeure, la Guide semblant les ramener sans cesse près du bureau du Duc, mais la porte restait close et silencieuse. Elles croisèrent un haut dignitaire, mais ce dernier ne leur accorda pas un regard. Adéla était agacée d’une telle indulgence et ne se priva pas d’en informer sa pupille. Une faute devait toujours être punie si l’on ne voulait pas qu’elle se reproduise. Mais le soir approchait, et elle fut finalement obligée de raccompagner la fautive à ses appartements.
Enfin seule, Lys constata qu’elle avait très faim. Elle se dirigea vers la Salle de la Plénitude, où l’attendait une assiette d’une purée de légumes, d’oeuf et de céréales. Une fois avalée, elle esquissa le mouvement pour se lever, mais s’interrompit au milieu et retomba maladroitement sur sa chaise. Elle avait encore faim. Elle contempla son assiette vide. Elle en avait déjà gratté les dernières miettes, comme elle le faisait toujours. Ses portions correspondaient toujours précisément à ses besoins nutritifs. Et cependant, elle avait encore faim.
Elle partit se coucher. Son corps était éveillé. Il avait voulu dormir tout le jour, mais à présent il réclamait autre chose. Son ventre faisait du bruit. Sa bouche était mouillée. La Salle de la Quiétude n’était plus silencieuse.
J'aurai bien aimé un peu plus de descriptions à propos des différentes salles (surtout dans le chapitre 1) mais c'est parce que j'aime bien avoir un univers visuel dans ma tête pendant la lecture.
Les interactions et l'ambiance sont bien immersives en revanche et ça permet bien de se mettre dans le cadre de cette société très codifiée.
Hâte de voir la suite :)
Le chapitre 2 contient un discours du Duc, et les ébauches que j'en ai faites ne me plaisaient pas du tout.
Les descriptions seront peut-être plus détaillées, soit dans la suite de l'histoire, soit dans un second jet. C'est difficile parce que je m'aperçois que j'ai une approche très, parfois très très, minimaliste, ce qui n'est pas aidé par les perceptions très restreintes de Lys, et comme c'est son point de vue qu'on suit...
Honnêtement j’accroche toujours à l’histoire cela va bien dans la continuité.
J’avoue que je me pose plusieurs questions, mais c’est plutôt bon signe et je suis sûr que tu y répondra au fur et à mesure.
Mon passage préféré c’est l’interaction entre Lys et l’Endormi! 😉
Pour finir je te félicite pour l’idée que tu as eu, c’est vraiment pas mal!
Bon après la seule petite remarque que je pourrai faire c’est que parfois l’écriture est maladroite, mais comme tu l’as dis c’est un premier jet donc tu reviendras là dessus plus tard! 🙂
( Je suis passé et passe encore par là du coup je sais que c’est tout à fait normal! Ce n’est pas une critique. ^^)
Encore une fois je t’encourage à poursuivre sur cette voie ton histoire à toutes ses chances! 😉
Je serais curieux de connaitre tes questions, si tu t'en souviens.