Chapitre 3 [Présent]

Par Azeln_

— Oh doucement ! Y a pas le feu !

Wen-Wen se tourna vers Violette qui appuya sa déclaration d’un sourire rassurant. Derrière elle, le train quittait la gare. Elle attendit que sa femme la rejoigne en jetant un regard au seul autre couple qui était descendu du haut de son mètre quatre-vingt.

— Désolée, s’excusa-t-elle. J’avais pas vu que tu suivais pas.

— Vu ton état, c’est déjà étonnant que t’arrives à voir quoi que ce soit.

— J’aime pas être ici.

— Il y a quasiment personne, détends-toi.

— J’aurais préféré qu’il n’y ait vraiment personne. Allez, avance.

Violette poussa un soupir, mi-amusée, mi-irritée. Wen-Wen savait qu’elle n’aimait pas être pressée, elle se ferait pardonner plus tard, pour le moment, c’était plus fort qu’elle. Elle détestait ce trou paumé. Enfin, c’était plutôt avec la population locale qu’elle avait un souci. Et vu ce qui était arrivé à Vic, c’était réciproque.

Elle jeta un rapide regard aux deux autres voyageurs et eut l’impression qu’ils les fixaient. Elle détourna les yeux et se dépêcha de rejoindre la voiture de Waly. Elle allait lui reprocher de ne pas avoir fait l’effort de les attendre sur le quai quand elle se rendit compte qu’il était tout simplement endormi contre la vitre.

La tension s’allégea quelque peu devant le filet de bave qui s’étendait sur sa joue pour se mêler à ses cheveux.

— Beurk, lâcha Violette. Toujours aussi dégoûtant.

Elle sortit son téléphone pour immortaliser l’instant avec un sourire sadique. Wen-Wen était friande de ce genre de souvenirs, surtout lorsqu’ils étaient imprimés sur papier glace, mais là elle aurait préféré qu’elles se dépêchent. L’autre couple s’était installé à l’arrêt de bus et se demandait clairement ce qu’elles foutaient. Elle compta machinalement jusqu’à dix avant d’interrompre les amusements enfantins de Violette en donnant quelques coups sur la vitre.

Waly se réveilla en sursaut et s’éloigna instinctivement de la portière avant de les dévisager. Un sourire éclaira son visage, il s’essuya la joue et sortit.

— Ouah, désolé, je pensais juste me reposer dix minutes et j’ai raté votre arrivée. Comment ça va ?

Il les serra chaleureusement contre lui.

— Ça fait une éternité qu’on s’est pas vu, Wen-Wen ! J’aime beaucoup le rose !

— Lui parle pas de ça, j’ai passé la nuit dernière à la convaincre de pas repartir sur du brun. Elle m’a fait tout un drame sur le fait de pas vouloir attirer l’attention et gnia gnia gnia.

— Quoi ? Toi, tu vas te laisser emmerder par des cons ? On s’en fout de leur avis. Ça te va bien ! Vous avez fait bon voyage ?

— Ouais, super, on pourra en discuter sur la route ?

La question de Wen-Wen n’en était pas une et les jumeaux comprirent le message. Les sacs furent jetés dans le coffre et, quelques instants plus tard, le trio s’éloignait de la gare. La jeune femme aux cheveux roses prit bien soin de tourner la tête lorsqu’ils passèrent au niveau du couple de voyageurs.

— Tu les connais ? demanda-t-elle à Waly.

— Ouais, c’est les Chaumier. Ils sont allés installer leur fils à la capitale pour ses études. Je me suis occupé de leur nappe phréatique y a quelques mois. Ils sont OK.

Les Chaumier ? Le nom ne disait rien à Wen-Wen, en même temps, ce n’était pas son village. Cela la rassurait un peu. La main de Violette vint chercher la sienne.

— T’en fais pas pour nous, tout va bien se passer. On est pas là pour longtemps de toute façon.

Puis elle se tourna vers son frère.

— T’aurais pu passer un coup d’aspirateur ! Je vais avoir des poils partout sur mon pull !

— Désolé, j’ai fait de mon mieux, mais je vais pas raser Samus pour tes beaux yeux ! Vous repartez quand, au fait ?

— Demain, normalement.

— Ah oui, c’est rapide. Juste après l’inhumation ? Vous avez pris vos billets ?

— Non, pas encore. Vu qu’on sait pas trop combien de temps la cérémonie va durer, on voulait pas se mettre la pression.

— Sage décision.

— Comme si j’avais déjà pris une mauvaise décision dans ma vie.

Waly ne dit rien, il fixa sa sœur dans le rétroviseur intérieur avec un regard qui voulait tout dire. Wen-Wen ne put s’empêcher de sourire.

— C’est fou comment vous pouvez ne pas vous voir pendant des mois et quand même continuer à vous comporter comme des gamins à la première occasion, remarqua-t-elle.

— C’est lui qu’a commencé ! se plaignit Violette.

— Eh voilà, j’ai quitté la capitale avec une ingénieure en génie civil de trente ans, mature, qui participe à des débats militants dans le cybercafé du coin et je me retrouve avec une gamine en pleine crise d’adolescence. L’air de la campagne, ça te fait vraiment pas du bien.

Pour toute réponse, Violette tira la langue. Wen-Wen n’eut d’autre choix que de l’embrasser pour pallier l’affront.

— Et moi je me retrouve avec deux lycéennes qui se roulent des patins sur la banquette arrière, se plaignit Waly.

Le groupe échangea un sourire complice.

— Vous m’avez toujours pas dit si vous avez fait bon voyage, ajouta-t-il.

— Pff, quelle minable tentative de revenir à un comportement plus adulte. Je sais que tu passes tes soirées à jouer à des jeux vidéos avec Weenie. Tu pourras pas me faire croire que t’es plus un gosse…

— L’un n’empêche pas l’autre, se défendit Waly. Je peux très bien jouer à des jeux vidéos et être un adulte responsable !

L’argument était tout à fait recevable, et Wen-Wen était particulièrement bien placée pour le savoir. Mais la voix enfantine qu’avait prise Waly pour parler gâchait tout l’effet.

— En plus ça fait un moment qu’on n’a pas joué ensemble, ajouta-t-il.

— Et ça va pas aller en s’arrangeant, entre les manifs et le taf en ce moment j’ai le temps de rien faire…

— Ah ouais, j’ai suivi ça de loin. On avait prévu de monter en ville pour la dernière grosse mobilisation avec les autres, mais Slim a interdiction de quitter le département…

— Ouais, en ce moment ils sont sur les nerfs. On a failli rater notre train parce qu’un connard a vérifié nos papiers pendant une heure.

— C’est dans ce genre de situation que je suis contente d’avoir une avocate de compagnie.

— Il t’as pas reconnue ? s’étonna Waly.

— J’en sais rien. Peut-être que si et que c’est pour ça qu’il nous a prises en grippe. Mais j’avais prévu le coup. J’avais tous les justificatifs en double exemplaire et j’avais Dylan en appel pour me transmettre toute pièce que cette petite merde aurait exigée.

— Au moins, on a eu notre train, se réjouit Violette. Après, on a dû sacrifier notre déjeuner. Je crève la dalle, j’espère que ton frigo est plein !

— Vous avez pas mangé depuis ce matin ?! Vous auriez dû me le dire, je vous aurais rapporté un truc…

— Non, mais on avait de quoi grignoter, tu connais ta sœur, elle a tendance à tout dramatiser…

— C’est faux ! Je dramatise juste ce qu’il faut ! C’est toi qui dramatises pas assez !

— C’est marrant, c’est pourtant ce que tous les journaux me reprochent de faire en permanence.

— Le jour où on pourra croire ce que les journaux racontent, j’envisagerai peut-être de les lire. En attendant, je fais uniquement confiance à mon jugement. Et mon jugement est le suivant : tu dramatises pas assez !

Apparemment convaincue par sa tirade, Violette croisa les bras, fière d’elle.

— Je vais appeler Alex pour lui dire de mettre le repas à chauffer, annonça Waly.

— Alex ? Tu veux dire Atlas ? s’étonna Wen-Wen.

— Ah oui… j’oublie tout le temps que c’est Atlas, maintenant. Il a vraiment changé de nom ? Officiellement ?

— J’en sais rien, j’ai jamais vu ses papiers. Mais qu’est-ce qu’il fout là ?

— Je l’ai prévenu pour l’enterrement. Je sais que c’est compliqué avec lui, mais je me disais qu’il avait le droit de venir. Ça te dérange ?

— Non. C’est pas ça le problème. C’est que je lui avais proposé de prendre nos billets pour venir ensemble et qu’il m’a bafouillé une excuse à base d’avion et de travail. Je pensais qu’il arriverait demain matin pour repartir aussitôt.

Un silence se fit alors que l’appel résonnait dans l’habitacle.

Wen-Wen bouillonnait. Ce petit con n’avait simplement pas voulu être vu en sa compagnie. Elle aurait dû y penser, c’était évident. Alors quoi, maintenant ce n’était pas que de ses ennemis qu’elle devait se méfier, ses alliés aussi la rejetaient ? Elle savait qu’Atlas était plus ou moins un traître qui avait su faire oublier sa prescience au grand public pour plaire, mais dans un cadre privé, il pouvait faire un effort ! Surtout quand il s’agissait de la mort d’un ami.

— Il répond pas, annonça Waly. Quand je suis parti, il dormait.

— Il sait qu’on vient ?

— Non, je voulais lui dire en arrivant, mais j’ai pas eu l’occasion. Ça lui fera une surprise.

— Je suis sûre qu’il sera ravi, grogna Wen-Wen.

Personne ne répondit. Waly prit un virage et le soleil couchant éblouit le petit comité.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez