Chapitre 2 [Présent]

Par Azeln_

Atlas balaya le quai du regard. Il était seul à descendre. Le train de six heures trente avait été un bon choix. Personne d’autre n’avait de raison de s’infliger un voyage de plusieurs heures depuis la capitale de si bon matin.

La gare n’avait pas changé. Enfin si, elle était plus décrépie que dans son souvenir. Il n’était même pas sûr que le quai sur lequel on avait posé un cabanon miteux méritait le titre de gare. Seul l’écran géant au-dessus de la porte qui annonçait les horaires rappelait l’existence du monde civilisé.

Autrement, il y avait des champs. Et des arbres, plus que lorsqu’il était ado. Partout, dans toutes les directions, et quelques grappes de maisons entre les vallées.

Une bourrasque l’encouragea à avancer. Waly devait être sur le parking. Atlas avait bien insisté pour qu’il l’attende dans sa voiture. La gare était déserte, mais il n’allait pas prendre de risques.

Le véhicule était à l’image du reste de la carte postale. Antique et en ruine. Une légère odeur de cigarette froide traînait dans l’air, mêlée à celle plus discrète de la vanille. Atlas fut surpris par le confort du siège lorsqu’il prit place. Et la fraîcheur lui donnait une bonne excuse pour garder son pull.

— Désolé de te faire lever tôt, lança-t-il en guise de bonjour.

— Je me suis pas couché, si ça peut te rassurer. T’as fait bon voyage ?

Dans la pénombre, Atlas avait du mal à voir son interlocuteur. Ses cheveux étaient toujours longs, ce qui n’aidait pas à distinguer ses traits. Il avait changé de lunettes. Il aurait dû s’y attendre, ça le surprit tout de même.

— Oui, il y avait pas grand monde.

— C’est la ligne des travailleurs qui vont vers les côtes en début de semaine. Normalement il est complet, s’étonna Waly.

Il démarra la voiture, manuellement, ne put s’empêcher de remarquer Atlas, avant d’enchaîner.

— Ah, mais c’est vrai que tu voyages en première, toi.

Aucune trace de jugement dans sa voix. Une simple observation. Atlas le prit tout de même comme un reproche. Oui, il avait réussi, il n’était pas resté dans ce trou paumé, il n’avait pas à en avoir honte. C’était pas comme s’il n’avait rien foutu, il avait galéré pour s’en sortir.

— Tu travaillais ? demanda-t-il pour changer de sujet.

— Ouais. Je me suis occupé d’un champ avec un problème de fertilité à trente bornes d’ici.

— De nuit ? Pour un truc comme ça ? s’étonna Atlas.

— On a plus le droit de bosser de jour depuis deux ans. Et de toute façon, même avant ça, personne voulait nous embaucher en journée. Ils veulent pas avouer qu’ils ont recours à nos services, ce serait trop honteux, tu comprends. Pas assez rationnel, pas assez scientifique. Bref… on fait avec. Ils voient quand même qu’on est utile. Et toi, la ville ? C’est toujours le paradis ?

Ça, c’était une petite pique bien volontaire. Une pique un peu méritée. Lorsque Atlas était parti s’installer, il avait eu tendance à enrober la réalité pour la rendre plus présentable. C’était l’époque où il avait un peu trop l’habitude d’exagérer les choses pour se mettre en avant. Il ne s’imaginait pas que Waly lui rendrait une visite surprise et découvre le pot aux roses.

— J’aurais jamais dû utiliser ce terme, soupira-t-il.

— Oh, non. Tu sais, les paradis c’est subjectif. Peut-être que j’ai simplement pas compris en quoi pouvoir pisser en faisant sa vaisselle était aussi formidable que toi, mais je ne voudrais pas juger tes pratiques.

Waly lui adressa un sourire moqueur et ce fut sûrement ce qui empêcha Atlas de rétorquer un peu trop sèchement qu’il pouvait maintenant choisir laquelle de ses trois salles de bain il voulait utiliser.

— Ça va mieux qu’à cette époque, tempéra-t-il.

— Je me doute, je me doute. Je vois que les affaires tournent pour toi. Je joue toujours, tu sais.

— Oh non… moi qui pensais pouvoir échapper au boulot en venant ici, se plaignit Atlas.

— Message reçu. J’aborde plus le sujet.

Atlas regretta aussitôt sa remarque. Waly avait dit ça sur le ton de la blague, mais un silence s’installa tout de même dans l’habitacle. Ce silence gênant qu’il avait appréhendé pendant tout le voyage. Il avait un instant eu l’espoir que tout se passe bien, que le poids des non-dits et de l’absence ne se fasse pas ressentir. Qu’ils retombent dans leurs années adolescentes à pouvoir discuter de tout et de rien pendant des heures sans jamais s’ennuyer.

Il avait été naïf de croire que ce qu’il avait abandonné des années plus tôt puisse revenir aussi vite. Il y avait trop de choses entre eux à présent.

— Ça te rend pas un peu triste de voir le jeu vidéo comme un travail et de plus pouvoir l’apprécier comme un loisir ? reprit finalement Waly.

— Euh… je sais pas. J’ai jamais eu trop l’occasion d’y réfléchir. Ironiquement, j’ai jamais eu aussi peu de temps pour jouer que depuis que je fais des jeux, plaisanta-t-il.

— Si t’es rouillé, je suis peut-être enfin devenu meilleur que toi.

— J’espère pas… mon honneur en prendrait un coup… t’étais quand même sacrément mauvais.

— J’étais excellent. Avant que t’arrives, personne m’avait jamais battu ! Et je suis toujours le plus doué du coin !

— Ouais, en même temps quand tes adversaires les plus farouches sont des vaches, c’est pas difficile d’être le meilleur.

Waly eut un sourire étrange. Pas exactement triste… mélancolique ? Le silence dura un poil trop longtemps avant qu’il reprenne.

— Arcadia a fermé il y a quelque temps.

— Je sais, tu me l’avais dit dans ta lettre.

— Celle à laquelle t’as jamais répondu ? Ou celle d’avant à laquelle t’as jamais répondu ?

Le ton était taquin, mais le reproche n’en était pas moins fondé.

— Désolé… j’étais occupé, j’ai laissé traîner ça et j’ai fini par me dire que c’était trop tard.

— Non, mais je suis content de savoir que tu les recevais au moins. Vic avait parié que t’avais déménagé sans faire suivre ton courrier et que je correspondais avec ton fantôme. Ou avec le nouvel élu qui pouvait faire sa vaisselle et ses besoins en même temps. C’est fou qu’avec autant d’optimisation t’aies pas réussi à te dégager du temps pour me répondre.

Le cœur d’Atlas se serra. Il sentait bien que malgré son ton léger, l’homme avait été affecté par son silence. Il s’en voulait. Le temps n’était qu’une excuse. La vérité c’est qu’il avait été lâche, voilà tout. Qu’il ne savait pas quoi raconter, comment le raconter sans passer pour quelqu’un d’autre. Il changeait tellement. Tout était si différent là-bas… Il n’avait jamais imaginé que ça se passerait comme ça quand il était parti.

— Au moins, j’ai gagné mon pari. Mais bon, Vic s’est débrouillé pour mourir avant de m’offrir le repas qu’il me devait. C’est pas vraiment dans ses habitudes. Normalement, c’est Slim qui trouve toujours des combines pour pas payer ses dettes.

Waly ne parvint pas à masquer le tremblement de sa voix dans un faux rire. Atlas sentit sa gorge se serrer. Il avait tellement appréhendé la réunion avec ses anciennes connaissances qu’il avait presque oublié les circonstances de ce voyage.

Depuis les tours de la ville, la disparition de Vic avait quelque chose d’irréel. Il n’était pas vraiment mort, simplement parti un peu plus loin que les autres dans ces vallées à perte de vue. Maintenant qu’il était de retour, c’était plus tangible. Vic était bel et bien mort. Il ne pourrait plus se dire qu’il le recroiserait à l’occasion de tel ou tel événement pour rattraper le temps perdu. Il allait lui faire ses adieux des années après lui avoir adressé la parole pour la dernière fois.

— Je suis vraiment désolé. Je sais que vous étiez restés proches.

— Merci.

Waly sembla hésiter, les lèvres entrouvertes. Il garda finalement le silence et mit le lecteur de musique en route. Une antiquité reliée à son téléphone.

La discussion était close. Dans leur dos le soleil se levait alors que les premières notes d’une chanson familière résonnaient.

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