Le jardin ? Mais déformé, monstrueux. Les herbes s’élevaient comme des murs, la lune baignait tout d’une clarté livide.Élise marcha, pieds nus sur une terre glacée. Là, sous les racines du vieux cerisier, une dalle de pierre fendue. Une trappe.
Un battement sourd monta de dessous, comme un cœur prisonnier. La trappe s’entrouvrit dans un souffle glacé. Autour d’elle, les arbres prirent forme humaine. Des silhouettes hautes et décharnées se détachaient de l’ombre.
Leurs yeux luisaient, deux par deux, fixant Élise sans un mot.
Elle voulut reculer, mais ses pieds restèrent cloués au sol. L’une des silhouettes avança, et le ciel entier sembla s’assombrir.
Alors, un éclat jaillit : la bague brûlait, irradiant une lumière vive. Les créatures reculèrent. La trappe claqua d’un coup sec.
Tout était si réel que son cœur battait à s’en rompre.
Pensant se réveiller d'un cauchemar, c'est songe se prolongea.
Elle se revoyait, enfant, dans le jardin écrasé par la chaleur. La lumière du soleil semblait s’arrêter à la lisière des arbres, comme si la forêt refusait de la laisser entrer. Le moindre bruissement résonnait dans son dos, et ce souffle glacé qui lui avait parcouru l’échine…
Elle tremblait encore quand une main lourde, mais familière, se posa sur son épaule.
Elle se retourna brusquement — et croisa les yeux bruns de son grand-père. Jacob.
— « Qu’est-ce qui vous prend, petite ? On dirait que vous avez vu un fantôme… » dit-il d’une voix grave mais douce, toujours ce vouvoiement étrange, comme pour lui rappeler qu’elle valait plus qu’une enfant.
Élise sentit les larmes lui monter aux yeux.
— « J’ai peur, papi… il y avait quelque chose… dans les arbres. »
Jacob la serra contre lui, sa main calleuse lui caressant les cheveux.
— « Vous avez une imagination débordante, Élise. Mais souvenez-vous d’une chose : même dans l’ombre, il y a toujours une lumière. Ne l’oubliez jamais. »
Il l’écarta doucement, planta son regard dans le sien et ajouta, plus bas, presque pour lui-même :
— « Et si un jour l’ombre venait vraiment… vous devrez être plus forte que moi. »
Avant qu’elle ne puisse répondre, son visage se brouilla, se dilua comme une peinture sous la pluie…
Élise ouvrit les yeux brusquement. Son cœur battait encore à toute vitesse. Elle était dans sa chambre ou le silence, mais l’écho de la voix de Jacob vibrait toujours dans sa mémoire. Et ce doute, aussi : avait-il voulu la rassurer… ou la prévenir ?
Alors, elle comprit.
Ce qu’elle venait de vivre n’était pas un simple cauchemar.
C’était un souvenir. Le souvenir de son grand-père.
Elle se leva comme attiré pare une énérgie étrange qu'elle ne comprenant pas, qui dirigea c'est pas hors de la maison, et s'enfonca dans le jardin.
La nuit avait avalé tout bruit., Élise traversa le jardin, guidée par l’image obsédante de la trappe vue dans son rêve.
Le vent froid s’était levé, portant avec lui un parfum de terre humide et de feuilles pourries.
Ses pas s’alourdissaient, chaque mètre parcouru lui donnait l’impression de pénétrer dans un autre monde.
Un craquement retentit, puis un souffle rauque derrière elle. Avant même qu’elle ne puisse se retourner, une ombre bondit hors de la lisière de la forêt. D’autres suivirent, rapides, voûtées, aux contours difformes. Elles l’encerclèrent, leurs yeux luisant faiblement dans la nuit.
Élise recula, trébucha, et tomba dans l’herbe glacée. Une créature se jeta sur elle, gueule ouverte, quand soudain une silhouette sombre fendit l’air. Une lame – ou peut-être un éclat de lumière, elle n’aurait su dire – trancha l’espace. La bête hurla d’un son guttural avant de reculer dans les ombres.
L’homme la saisit par le bras. Sa poigne était ferme, pressante.
— Viens ! Vite, pas un mot !
Avant qu’elle n’ait le temps de réfléchir, il la tira vers la maison. Le cœur battant à rompre sa poitrine, Élise franchit le seuil dans un élan, espérant enfin trouver refuge. Mais ce qu’elle vit la figea net. Les deux jardiniers se tenaient là, dans le salon. Leurs vêtements, autrefois tachés de terre, étaient cette fois maculés de sang.
Leurs visages s’étiraient en sourires lugubres, déformés par une joie malsaine. Leurs yeux, vides comme du verre, brillaient d’une lueur surnaturelle.
— Tu aurais dû rester loin de la trappe, petite, gronda l’un d’eux d’une voix distordue.
Élise recula, le souffle coupé. Son esprit refusait de croire ce qu’elle voyait. Ce n’étaient plus des hommes, et pourtant… c’étaient bien leurs visages, leurs silhouettes.
L’inconnu se plaça devant elle, comme un rempart. Sa voix claqua, froide et sans appel :
— Ils ne sont plus humains. Depuis longtemps déjà. Ils servent les ombres.
Les deux jardiniers éclatèrent d’un rire guttural, presque inhumain, tandis qu’au-dehors les créatures frappaient contre les vitres et la porte. Le verre vibra sous les coups, comme si la maison elle-même allait céder.
Élise sentit ses jambes se dérober. Tout autour d’elle, le monde basculait dans l’horreur. L’extérieur grouillait de monstres. L’intérieur n’offrait qu’un piège sanglant.
L’homme se tourna vers elle, ses yeux brillants d’une intensité qui la cloua sur place.
— Écoute-moi. Si tu veux survivre, tu n’as qu’un choix. Me faire confiance.
Élise resta figée, incapable de répondre. La peur battait dans ses tempes comme un tambour, mais une certitude grandissait en elle : elle venait de franchir une frontière. Plus rien, désormais, ne serait comme avant.
Les rires des jardiniers corrompus emplissaient la pièce, lugubres, résonnant contre les murs comme un écho venu d’ailleurs. Élise, le dos plaqué contre la porte, n’osait plus respirer.
L’homme s’avança d’un pas. Et pour la première fois, elle vit briller dans sa main une arme d’une beauté terrifiante : une épée au métal pâle, parcourue de reflets mouvants, comme si elle contenait en elle un fragment de lumière vivante.
Quand il la leva, la pièce fut inondée d’une clarté fulgurante. Les jardiniers reculèrent en hurlant, leurs yeux vitreux brûlés par l’éclat. Leurs silhouettes se tordaient, oscillant entre chair et ombre, comme si la lumière les arrachait à leur masque humain.
— Recule ! tonna l’homme à Élise sans détourner le regard de ses ennemis.
Il fit un geste net, et l’épée fendit l’air. À chaque mouvement, l’éclat chassait les ténèbres, repoussant les créatures qui cognaient aux vitres. Leurs cris d’agonie se mêlaient aux rires distordus des jardiniers, formant un vacarme insoutenable.
Élise, les yeux écarquillés, sentit sa bague vibrer à son doigt. Un éclat argenté répondit faiblement à la lumière de l’épée.L’homme repoussa un premier assaut, puis planta son arme dans le sol. Une onde lumineuse jaillit, parcourant la pièce comme une vague. Les vitres tremblèrent, les créatures hurlèrent et se dispersèrent dans la nuit, happées par la forêt.Les jardiniers s’effondrèrent au sol, pantelants, encore animés par un souffle malsain. Leurs rires moururent dans un gargouillis.
L’homme les observa un instant, son visage crispé par une douleur qu’Élise ne comprenait pas. Puis, abaissant lentement son arme, il se tourna vers elle.
— Tu n’es pas en sécurité ici, dit-il d’une voix grave. Mais tant que je suis là, je ne les laisserai pas t’emmener.
Élise voulut parler, poser mille questions, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était fixer l’épée qui brillait encore faiblement, et l’homme qui, sans un mot de plus, s’approcha de la fenêtre et scruta la forêt.
— Le pire n’a pas encore commencé, souffla-t-il.
Dans le silence pesant qui suivit, Élise sut une chose avec certitude : le cauchemar n’était plus un rêve. Il était entré dans sa vie. L’air sentait le fer et la cendre. Élise tremblait encore. Puis une pensée la transperça, glaciale.
— Grand-mère…
Sans attendre, elle se précipita vers l’escalier, son cœur cognant à s’en rompre. Chaque marche grinçait sous son pas affolé. Derrière elle, l’homme lança son nom, mais elle n’écouta pas. Les images des deux jardiniers ensanglantés lui revenaient en mémoire. Leurs vêtements dégoulinaient presque, leurs visages maculés comme après un festin. Mais de qui ? De quoi ?
Élise atteignit le palier, ses doigts crispés sur la rampe. La porte de la chambre de Jeanne était entrouverte, un souffle d’air glacial s’en échappant. Elle osa murmurer :
— Mamie… ?
Aucune réponse.
L’inconnu la rejoignit en quelques pas. Sa main se posa sur son épaule, ferme.
— Je ne te conseille pas d’ouvrir cette porte, dit-il d’une voix grave.
Élise secoua la tête, le cœur au bord de l’explosion.
— Je dois savoir !
Elle repoussa brutalement sa main et poussa la porte.
Aussitôt, une odeur métallique l’agressa, lui coupant la respiration. Son pied glissa, et elle chuta lourdement à genoux. Quand elle baissa les yeux, elle comprit : le sol était recouvert d’une nappe de sang encore tiède.
La chambre baignait dans une obscurité morbide, et dans cette obscurité se dessinait une scène d’horreur. Élise voulut crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche.