Chapitre 3- Skender

Ah, mais qui avons-nous là ?
Ma proie qui s'aventure sur mon terrain de chasse...
Quelle coïncidence quand on sait que je te suivais depuis ce matin.
Voilà des heures que je te traquais dans l'ombre des ruelles, tandis que le soleil déclinait et que la ville s'éveillait à ses vices. Tu immortalisais les amants enlacés, les rires forcés, les regards qui se cherchent et se fuient avec ton appareil. Toute cette comédie humaine qui me dégoûte.
Mais, toi, tu étais différente. Tu l'as toujours été.
Tu traversais ce décor sans y être attaché, apathique à la mascarade. Tu es la seule à ne pas jouer ce jeu, la seule à rester insensible. Et, c'est précisément ce qui me fascine chez toi. Nos chemins s'étaient croisés à plusieurs reprises aujourd'hui, une danse étrange dans le labyrinthe de la ville, mais tu n'avais pas fait attention à moi. Parfois, tu me rendais fou à m'ignorer de la sorte, cependant tu faisais seulement m'enrôler sous ta coupe un peu plus. Je te contemplais, captivé, erré dans la ville, sans chercher à diriger tes pas, flânant dans les rues. Je me forçais à ne pas détruire ses gamins qui te lançaient ses putains de cailloux comme si tu étais la bête d'un film horrifique. Je laissais couler les regards horrifiés de leurs parents, terrorisés à l'idée de ce que tu pourrais leur faire et ceux, plus que ravie, des passants, souhaitant que tu dégages de leurs côtés.
Par ailleurs, tu ne prenais pas ce chemin d'habitude.
C'est là que tu as percuté cette fille. Je ne voyais pas tes yeux, mais je pourrais parfaitement les décrire. Le bleu si froid et sans fond devait s'être allumé, pas comme un feu de cheminée, mais comme un début d'incendie qui embrasaient la nuit. Tes pupilles devaient s'être rétractées. Deux chasseurs, c'est ce que nous étions. Deux traqueurs qui évoluaient dans un monde de proies. Et, tu venais de trouver la tienne, de la même façon que tu étais la mienne.
Putain, t'es si parfaite.
Et, oui, j'étais sûrement dérangé de t'adorer à en crever alors même que tu t'accrochais à quelqu'un d'autre. Mon corps se tordit et je me pliais en deux, comme chaque fois que la tension se faisait trop forte entre nous, ma petite merveille.
Mon Monstre,
Ma Maeve.
Nous restâmes ici, un bon moment, tandis que tu te contentais de regarder la maison dans laquelle, elle s'était réfugiée, jusqu'à qu'Isaac me dérange dans ma... On va dire, enquête. Cela sonne moins gros type flippant.
Bon point pour Skender. Il ne traque pas. Il enquête.
Je décrochai au bout de la quatrième sonnerie, renfrogné. On ne dérange pas un consultant de la police pendant ses passe-temps illégaux, putain.

— Quoi ? aboyé-je
— Bonjour à toi aussi, Arsen.
— Qu'est-ce que tu veux ?
— Le plaisir d'entendre ta merveilleuse voix, répondit-il, sarcastique.

Malgré moi, un sourire prit place sur mes lèvres.

— Je t'entends sourire.
— Pas du tout.
— Mhmh, bon ramène ton magnifique petit cul, on a besoin de tes services, avant que Matt finisse son cinquième café.

Putain, Matt était insupportable lorsqu'il buvait trop de café. On pourrait le confondre avec un écureuil sous LSD.

— Comment vous feriez sans moi ?
— On se roulerait en boule en pleurant, je suppose.
— Je sais heureusement pour vous. Je suis là.
— Ça doit être ça, ouais.
— J'arrive.

Je fixai une dernière fois Maeve, perché sur son arbre, puis enclenchai le moteur et je quittai la rue. Il me fallut une bonne quarantaine de minutes avant d'arriver devant le bâtiment. Le mot « Police » écrit en gros sur la devanture. Je coupai le contact et me dirigeai tranquillement devant le poste. Isaac m'attendait déjà devant, une cigarette à la main.

— Alors ?
— On a besoin de toi pour retrouver un gars. Dylan Neil. Je me suis dit que au vu de tes... passe-temps, tu saurais faire ça en un clin d'œil.
— J'ai besoin d'un ordi. Et d'énergie.
— Tout est déjà prêt, Monsieur le consultant.

Je traversai le couloir sans presser le pas. Les néons grésillaient comme d'habitude et la machine à café clignotait hors service. Si l'enfer avait un nom... Mais je n'étais pas là pour ça. On m'avait préparé une salle. Au fond, un bureau, un ordi, une canette de boisson énergisante et surtout un policier posté devant la porte. Il commençait à me connaître. Je me laissais tomber sur la chaise, pris une gorgée de la boisson, puis lancée la base de données. Un mec qu'on soupçonnait de trafic de je-ne-sais-quoi. La routine. Je m'en ennuie d'avance. Je tapai les infos et son visage apparut à l'écran.

Silence.

Ce mec avait la gueule de l'emploi. Visiblement, il travaillait dans la construction et venait récemment de conclure un contrat avec la plus grosse boîte d'immobilier. La rivale de celle de la famille de Maeve.
Maeve...
Je me concentrai quelques minutes. Ça devenait intéressant. Visiblement, depuis quelque mois, le patron de la boîte connaissait un succès fulgurant, réussissant à convaincre le plus réfractaire à rejoindre sa bande. Au détriment de la Miller Corporation. Je pris une autre gorgée de l'énergisant et effectuai une autre recherche, déclenchant une reconnaissance faciale sur les caméras de surveillance disposées un peu partout dans le secteur du disparu. Puis jetant un coup d'œil au policier devant moi, je risquai une autre recherche. Des fenêtres s'ouvrirent et Maeve apparut dans sa chambre. Chez elle. Allongé sur son lit. Trop de peau, trop d'intimité. J'aurais dû fermer la fenêtre. Mais, je ne l'ai pas fait. Elle. Elle était là, inconsciente du regard avide que j'avais sur elle. Inconsciente du regard qui s'accrochait à ses gestes.
Du mien.
J'aurais dû détourner les yeux, mais j'ai cliqué pour zoomer. Je bus une nouvelle salve de boisson et m'étouffait avec. Maeve bougeait. Allongée, les yeux fermés. Mais sa main descendait. Sous le short. J'arrêtai de respirer.
Merde
Elle ne savait pas. Évidemment. Et, moi... moi, je regardais encore. Je savais que c'était mal. Je le savais et pourtant, ma main glissa. L'autre main sur la souris. J'agrandis l'image. Maeve avait toujours sa main entre ses jambes. Toujours inconsciente. Je regardai le policier. Puis l'écran. J'inspirai et bousculai la boisson sur la table d'un coup de coude. La canette renversée ruisselait sur le bureau. Je fis mine de tamponner avec ma manche, le regard embué, le souffle court.

— Merde ! Je suis désolé !

Le policier soupira, l'air blasé. Et, décolla son regard de son téléphone.

— Je vais chercher du Sopalin. Il sortit.

Parfait.
Mon pantalon était déjà entrouvert. Maeve, toujours à l'écran. Sa main entre ses cuisses. Mon souffle se coupa. Ma paume glissa sous le tissu. Son visage se tordit de plaisir. Et, j'avais l'impression qu'elle s'offrait à moi, à mon regard. À moi seul. J'étais dur, trop vite.
Ridicule.
Mais, je ne pouvais plus décrocher. Ma main s'activait en silence, mon regard cloué à l'écran, somme si je pouvais la toucher à travers les pixels. Chacun de ses mouvements devenait un ordre pour moi. Et, dans ce tumulte, ce n'était plus elle qui se caressait.
C'était moi.
Moi, sur elle.
Moi, contre elle.
Moi, en elle.

Mon souffle se faisait saccader, mes mouvements imprécis et des gouttelettes se baladaient sur mon front. Je n'étais plus là, Et je la sentais. Sa peau. Sa Chaleur. Puis vint le point de non-retour. Ce moment où tout se tend, se crispe. Se retient, avant de céder comme un barrage face à un tsunami. Je jouis dans un souffle étranglé. Je me dépêchai de reprendre une posture normale tandis que l'officier revenait. Je clarifiai ma gorge et profitai des serviettes pour essuyer ma main collante et les restes de...
Fin, pas besoin de vous faire un dessin.

— Alors ton verdict ? lança la voix grave de Matt.

Il était accoudé à la porte, les jambes croisées. Je fermai la fenêtre en quatrième vitesse et retombai sur la page de recherche. Je fis mine de me concentrer de nouveau sur l'écran, effaçant les dernières traces de fièvre qui collaient à ma peau. Isaac et Matt m'observaient sans vraiment y prêter attention. Pour eux, j'étais juste le hackeur marginal à qui on confie les cas casse-gueule. Je fis défiler les données, les noms, les contacts, mouvements bancaires, badge d'accès... Et là, bingo.

— Il est dans un motel. Visiblement, il sait que vous êtes à sa recherche. Pourquoi vous le cherchez ?
— Cela ne te regarde pas, Arsen, fustigea Matt. Par ailleurs, tu n'es qu'un conseiller, je te rappelle. Et tu es toujours sous probation.

Je haussai un sourcil, sans répondre. Probation, hein? Je me retins de lui rappeler que sans moi, ils seraient encore en train de feuilleter « comment pirater un compte bancaire pour les nuls ». Je me penchai vers l'écran, notant l'adresse du motel. Un quartier pourri, à la frontière d'une zone industrielle. Classique.

— Il a réservé une chambre sous le nom de "Peter McCall", dis-je, les yeux rivés à l'écran. Fausse identité. Carte bancaire traçable. Il est encore là.

Il est con, ou suicidaire. Isaac siffla :

— On y va ?
— Évidemment qu'on y va. Arsen, tu restes ici, soupira Matt, fatigué d'avance.

Je levai les yeux vers lui, lentement.

— On va avoir besoin de lui, Matt.
— Ce n'est pas son affaire.
— S'il se déplace, on aura besoin qu'il le suive.

Il allait répliquer. Mais Isaac l'interrompit en touchant son bras. Le silence s'installa. Pas de geste brusque. Juste un regard lent, un peu trop long pour n'être que professionnel. Je les regardai tout à tour.

— C'est moi ou il y a une tension sexuelle, là ?

— Très bien, lâcha Matt. Mais tu restes derrière. Tu n'ouvres pas ta grande gueule et tu ne fais pas ton show de flic déchu, ok ?

Je souris.

— Promis.

On grimpa dans la voiture banalisée. Matt au volant. Isaac côté passager, moi à l'arrière. J'allumai une clope.

— Tu ne fumes pas dans la bagnole, grogna Matt.

Je plissai des yeux et jetai la clope par la fenêtre entrouverte et m'affalai sur le siège. On roula en silence pendant quelques moments. Le motel n'était qu'à une vingtaine de minutes, mais l'ambiance était déjà tendue comme une corde de piano. Isaac pianotait sur son téléphone, probablement à la recherche de la marque du déo de Matt, vu l'odeur dans l'habitacle et les discrets reniflement d'Isaac.

— Vous croyez qu'il est seul ?, demandai-je, plus pour briser le silence que par réel intérêt.
— On n'en sait rien, répondit Matt.
— S'il n'a pas bougé, c'est qu'il planque quelque chose, ajouta Isaac. Ou quelqu'un.

Je me redressai un peu.

— Ou il attend quelqu'un.

Regard échangé entre les deux à l'avant. Je vis dans le rétro que Matt serrait le volant un peu plus fort. Nous restâmes encore un peu de temps dans le confort de la voiture. Je fus le premier à ouvrir la portière.

— On t'a dit de rester derrière, claqua Matt.

Je levai les mains, innocemment. Et les suivit pendant qu'ils me dépassaient sans un regard. Nous nous rendîmes à l'accueil, et l'homme dégarni nous indiqua la chambre.
Personne ne l'avait quitté.
Personne ne l'avait rejoint.
Tout se passa alors au ralenti. Isaac toqua à la porte, trois coups secs qui résonnèrent dans le couloir moisi. Aucun bruit de l'autre côté. Pas même un grincement de planche, un froissement de drap. Rien.
Le silence pesait, comme si la pièce elle-même retenait son souffle.
Matt échangea un regard bref avec Isaac. Il dégaina lentement son arme, la main tendue, crispée.
Puis, il poussa la porte.
Un grincement strident déchira le silence. La lumière blafarde du couloir balaya la chambre. Le temps sembla se figer.
Au centre de la pièce, là où on aurait dû trouver un lit, une chaise, n'importe quoi de banal... il y avait lui.
Dylan Neil.
Suspendu à une poutre du plafond, une corde nouée autour du cou.
Son corps pendait, immobile.

Ses pieds effleuraient le sol...
Ses yeux ouverts fixaient un point quelque part entre le plancher et l'au-delà.
Et ce silence... Ce putain de silence.
Isaac recula d'un pas, le souffle coupé. Matt ne bougea pas. Il restait planté là, l'arme baissée, la gorge nouée. Le flingue ne servait plus à rien, face à ça.
Une odeur rance nous monta au nez, la mort venait déjà de passer
Putain.

— Je crois que ça va être dur d'interroger votre gars.

Matt soupira à ma remarque et décrochait son téléphone pour appeler des renforts tandis que les informations que j'avais se remuait dans ma mémoire. Qu'est-ce que ce cadavre cachait ?

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