Le lendemain matin, la maison est calme quand je descends dans la cuisine. Ma mère est déjà partie au travail, et mon père, assis à la table, scrolle sur son téléphone d’un air absent tout en buvant son café. Il lève brièvement les yeux vers moi.
— Bien dormi ?
Je hoche la tête sans répondre, encore troublée par la soirée d’hier. J’ai fini par cacher le cahier sous une pile de vêtements dans mon armoire, comme si l’éloigner de moi allait suffire à l’effacer de ma mémoire. Mais toute la nuit, des fragments de phrases me sont revenus, s’imposant à moi dans un flot incohérent.
"Elle chante quand personne n’écoute."
Pourquoi cette phrase me hante-t-elle autant ?
Je me sers un bol de céréales, cherchant à me focaliser sur quelque chose de normal, de concret. Mais alors que je tends la main vers la bouteille de lait, je ressens une étrange sensation, comme un décalage imperceptible dans le temps.
Je fronce les sourcils.
La bouteille était déjà ouverte.
Ce n’est rien. Une coïncidence. Peut-être que mon père s’en est servi juste avant moi.
Mais quelque chose me perturbe. Comme une impression de déjà-vu.
Je secoue la tête et mange rapidement, repoussant cette sensation.
Une fois arrivée au lycée, je retrouve Anaïs et les autres devant le portail. La conversation tourne autour du contrôle de maths de la veille, des profs, des potins habituels. Tout est normal. Pourtant, une partie de mon esprit reste ailleurs.
En cours de musique, quand le prof nous demande d’écrire quelques paroles de chanson pour un exercice, mes doigts restent figés sur mon stylo.
D’habitude, je griffonne sans réfléchir. Rien de très bon, mais j’aime jouer avec les mots, les sons.
Aujourd’hui, rien ne vient.
Enfin, si.
Une phrase. Une seule.
"Elle chante quand personne n’écoute."
Je referme mon cahier d’un geste brusque.
C’est ridicule. Juste une coïncidence. Une phrase qui me marque, voilà tout.
— Chloé, ça va ?
Je lève les yeux. Lina me regarde avec une légère inquiétude.
— Oui, oui, je réfléchissais.
Elle hausse les épaules et reprend son exercice.
Mais moi, je n’arrive pas à me concentrer.
En rentrant chez moi, je monte directement dans ma chambre et ouvre mon armoire. Je repousse les vêtements sous lesquels j’ai caché le cahier.
Et je me fige.
Le cahier n’est plus à la même place.
Je suis sûre de l’avoir mis sous mon sweat gris.
À présent, il est posé dessus.
Je tends la main avec hésitation et l’ouvre à la page d’hier.
Les mêmes paroles. Rien n’a changé.
Je souffle, soulagée, avant de m’arrêter net.
Une page suivante a été ajoutée.
Et elle n’était pas là hier soir.
Je déglutis et lis la première ligne.
"Elle n’est pas seule dans sa chambre."
Un frisson glacé me parcourt l’échine.
Je lève les yeux, lentement, et regarde autour de moi.
Personne.
Mais alors, pourquoi ai-je l’impression oppressante que quelqu’un m’observe ?