Je referme le cahier avec précipitation, comme si le fait de ne pas voir ces mots pouvait les rendre moins réels.
"Elle n’est pas seule dans sa chambre."
C’est absurde.
Évidemment que je suis seule.
Ma chambre est petite, familière. Rien n’a changé. Le lit est encore défait, mon bureau encombré de feuilles gribouillées et de vieux carnets que je n’ai jamais terminés. Tout est normal.
Alors pourquoi ai-je cette sensation désagréable, ce frisson au creux de la nuque, comme si… quelque chose veillait ?
Je souffle et secoue la tête.
— N’importe quoi, murmuré-je pour moi-même.
Je pose le cahier sur mon bureau et décide de ne plus y toucher. Peut-être que c’est une mauvaise blague. Peut-être que je suis juste fatiguée, influencée par cette fichue phrase qui refuse de me lâcher.
J’attrape mes écouteurs et mets une playlist au hasard. La musique me calme toujours. Je m’allonge sur mon lit, fixant le plafond, et fredonne doucement.
"She sings when no one's listening…"
Je me fige.
Ce sont les paroles du cahier.
Je regarde mon téléphone. La chanson s’appelle Eclipse et appartient à un artiste dont je n’ai jamais entendu parler. Pourtant, elle est dans ma playlist.
Mon cœur rate un battement.
Je n’ai jamais ajouté cette chanson.
Je la coupe d’un geste tremblant et arrache mes écouteurs.
C’est impossible.
Tout ça n’a aucun sens.
J’essaie de me raisonner. Peut-être que je l’ai ajoutée sans faire attention. Peut-être que…
Un bruit me fait sursauter.
Un léger grincement.
Je tourne la tête vers mon bureau.
Le cahier est ouvert.
J’en suis sûre : je l’avais fermé.
La nouvelle page est remplie.
Mon sang se glace.
"Elle entendra la chanson avant de comprendre qu’elle est pour elle."
Mes doigts se crispent sur le bord du lit.
C’est un hasard. Ça doit être un hasard.
Je me lève lentement, hésitante, et approche du cahier, chaque pas résonnant trop fort dans ma tête.
Je touche la page du bout des doigts. L’encre est légèrement bavée, comme si elle venait d’être écrite.
Mon cœur cogne contre ma poitrine.
Je ferme violemment le cahier et le balance dans le tiroir de mon bureau.
Je ne veux plus y penser.
Pas ce soir.
Mais alors que j’éteins la lumière et me glisse sous ma couette, j’ai l’étrange certitude que quelque chose ne va pas.
Et que ce cahier n’a pas encore fini de me parler.