Il allait pleuvoir, ou y avoir de l'orage.
Je continuais à faire des allers-retours de la voiture à la maison avec nos affaires avant que je ne la trouve. Une boîte à chaussures neuve. Avec sur le dessus, soigneusement calligraphié « Pour Victoire ». L'écriture de Charles. Un cadeau de sa part. J'étais vraiment touchée et souris à nouveau malgré moi. J'ouvrais la boîte et trouvais une paire de chaussures neuves violette. Magnifique. Je les adorais déjà. Je les remis dans leur boîte, car je n'allais pas les mettre ici, je ne voulais surtout pas risquer de les abîmer ou de les salir.
Mais si Charles pensait que j'allais le pardonner si facilement, il se trompait. On ne m'achetait pas, moi, Victoire Trencavel !
Je prenais la boîte et des sacs de vêtements, puis, allais les poser dans la maison. L'entrée de la maison était maintenant encombrée par une multitude de cartons et c'était devenu un véritable labyrinthe d'ombres et de cartons. J'arrivais à trouver une place le long de l'escalier quand je vis une petite porte ouverte sous les escaliers. Je passais la tête par l'ouverture et découvris un escalier en pierre plonger dans l'obscurité la plus totale. Je regardais autour de moi, et, ne voyant rien qui puisse éclairer mon chemin, renonçais à y descendre. Je n'allais quand même pas descendre dans le noir sans savoir ce qu'il y avait en bas ! J'ai un minimum de bon sens, pas comme ces gens dans les films d'horreurs qui font n'importe quoi. Néanmoins, je criais « Y a quelqu'un en bas ? ».
Tout d'abord je n'entendais rien ; puis, un bruit. Je regardais autour de moi, cherchant la sortie des yeux, estimant le temps nécessaire à sortir et notant ce qui pourrait me faire trébucher dans ma course à la survie quand le démon de la cave surgirait...
- C'est moi, cria papa depuis les profondeurs des enfers, je viens de remettre l’électricité. Est-ce que tu peux chercher les fusibles et les remettre ? Normalement ça devrait marcher mais fait quand même attention à ne pas d’électrocuter !
Je regardais à nouveau autour de moi et vis l’interrupteur de l'escalier et à côté, un petit trou rectangulaire d'un centimètre de haut sur cinq millimètres de large, et par terre, au pied du mur, sur la première marche, un autre petit rectangle aux mêmes dimensions, comme un lego gris avec deux petites pattes comme sur les prises électriques. Je supposais que c'était un fusible. Je l'emboîtais donc dans le trou, puis appuyais sur l'interrupteur. Ça marchait. Fière de mon esprit de déduction, je descendis les escaliers avec précaution puisqu'ils étaient encore plus sales et glissants que les autres.
En bas, je découvris une vaste pièce toute grise, sans fenêtres, avec des étagères couvertes de bocaux vides, de grandes bassines en cuivre, des cages à poules, des clapiers à lapins et ce qui ressemblait à un grand aquarium. Bien sûr, il y avait papa dans un coin devant le tableau électrique, à côté de lui, il y avait ce qui ressemblait à une énorme chaudière. Il éteignit sa lampe et me remercia pour la lumière. Il faisait très froid et humide, l'air sentait la vieille cave et les champignons. Je remontais avec papa en appréciant de quitter ce qui me paraissait l'endroit le plus sinistre et nauséabond de la maison.
Le long du grand escalier, il y avait plusieurs placards, de l'un d'eux, papa sortit un vieil aspirateur et me sourit. Moi non. Je le pris par obligation, remis les fusibles du rez-de-chaussée, et commençais par aspirer la cuisine, qui n'était pas encore tout à fait encombrée par les cartons. L'aspirateur était le plus bruyant que j'avais jamais utilisé et j'avais l'impression d'aspirer des billes. Les mouches mortes avaient séché et produisaient un horrible claquement quand je les aspirais. Totalement écœurant, mais il fallait bien avouer que c’était assez marrant quand même.
C'est en m’aplatissant au sol pour passer l'aspirateur sous une commode que je les trouvais pour la première fois. Des traces de pas dans la poussière. De petites traces de pieds, que j'aurais qualifiées d'humaines si elles n'avaient pas été grandes de quelques centimètres seulement. Tout à fait surprise de faire une pareille découverte, j'oubliais d’arrêter mon geste et les effaçais d'un coup de balai. Merde. J'arrêtais l'aspirateur et regardais sous les autres meubles de la cuisine. Rien. Absolument que de la poussière, les mouches, du verre cassé et des toiles d'araignées. Qu'étaient donc ces traces de petits pieds ? Un bébé ? Impossible. Dire que j'avais effacé les traces comme une idiote. Peut-être que j'avais mal vu qu'il n'y avait rien eu du tout. Ou alors c’étaient des traces de pattes de rats. Ça n'aurait rien d'étonnant dans une vieille maison comme celle-ci, ou bien une martre, ou même un loir. Il faudra quand même que j'en parle aux parents.
Je mis plus d'une heure à aspirer la cuisine, sur le sol, sous les meubles, sur les meubles même, et aussi les murs, (aux grands maux, les grands remèdes !) mais malheureusement pas jusqu'au plafond. Le plafond est aussi haut que je suis petite. Je ne retrouvais pas d’autres mystérieuses traces jusqu’à ce qu’on m’appelle pour manger.
Je sortis de la maison et observais que le temps avait changé du tout au tout, il faisait maintenant beau à nouveau, chaud, voire carrément étouffant, il n’y aurait peut-être pas d’orage finalement. À l'arrière de la voiture, maman avait préparé des sandwichs, ce n'est pas quelque chose que j'apprécie normalement mais là, j'avais vraiment faim, et quand on a faim, on trouve tout appétissant.
Nous mangions debout, sous le soleil, alors que les déménageurs, eux, préférèrent se mettre à l'ombre du grand chêne. À la fin du repas, j'allais chercher de l'eau à l'avant de la voiture quand je vis, du coin de l’œil, quelque chose bouger à l'une des fenêtres du troisième étage. Je tournais la tête vers la maison, et, effectivement, je vis un rideau bouger, comme si quelqu'un l'avait tiré précipitamment. Je regardais autour de moi, tout le monde était dehors. En théorie, il n'y avait personne dans la maison. À moins, bien sûr, que ce soit la bête sauvage.
-Un rideau a bougé au troisième étage, je dis de but en blanc, soit c'est une bête, soit nous ne sommes pas seuls.
-Tu es sûre de ce que tu as vu ? demanda papa, tout à l'heure, j'ai cru voir quelqu'un dans le couloir mais c'était juste moi dans un miroir.
-Bien sûr, que j'en suis sûre, je répondis, un peu vexée qu'on ne me croit pas, ça vient de se passer à l'instant, et puis j'ai vu des traces bizarres dans la cuisine tout à l'heure.
-Des traces de sang ? Tu crois qu'il y a eu un meurtre et que le fantôme est toujours là ? demande Alice.
Tout le monde se tut et la regarda. Elle a toujours eu une imagination sordide et débordante.
-Non, ce n’étaient pas des traces de sang, je repris, plutôt comme de minuscules traces de pas sous un meuble. Comme des petits pieds.
-Sûrement un rat ou une bête dans le genre, dit maman, ne t'en fait pas, en général, quand l'activité humaine reprend dans un lieu à l'abandon, les bêtes sauvages s'en vont. Dans quelques jours, il n'y aura plus aucune bête.
Ça ne me rassurait pas vraiment, de savoir que cette nuit, j’allais dormir dans cette ruine, à la merci des rats, et autres nuisibles nocturnes. J'irai quand même jeter un coup d’œil au troisième tout à l'heure.
- Après le repas, on va remettre l'eau dans la maison, annonce maman.
- Il y a déjà l'eau, non ? Tout à l'heure à la pompe, j'ai utilisé l'eau, je répondis.
- Ce n'est pas le même réseau d'eau, dit maman en s'asseyant dans la voiture.
- Alors pourquoi il faut remettre l'eau dans la maison ? Enfin, ce que je veux dire, c'est pourquoi est-ce qu'il a fallu arrêter l'eau dans la maison.
- A cause de l'hiver déjà, me dit papa, quand ça gèle, ça fait exploser les tuyaux. On peut aussi mettre de l’antigel, mais sur le long terme ça attaque la tuyauterie. Et puis ça évite les odeurs, les fuites, les factures d'eau.
J’espérais vraiment pouvoir prendre une douche ce soir, car j'étais couverte de toile d'araignées, de poussière, et sûrement d'autres choses dégoûtantes.