Les cendriers débordaient, témoins muets d’une enquête figée dans l’attente. Des feuilles froissées s’éparpillaient sur la table, reflet des pensées désordonnées d’Étienne. Les stores mi-clos tamisaient la lumière de début d’après-midi, laissant sur les murs des ombres hachurées. L’odeur de papier jauni et d’encre séchée flottait, se mêlant aux relents amers du tabac imprégné dans le mobilier. L’atmosphère pesait, oppressante, tel un fardeau invisible que chaque objet semblait absorber avec résignation.
Le repas avalé trop vite pesait dans l’estomac, alourdissant la lassitude accumulée par les heures d’enquête. Il était un peu plus de quatorze heure, mais le temps semblait suspendu, chaque minute s’étirant avec incertitude.
Étienne passa une main lasse sur son visage, tentant d’apaiser la brûlure dans ses yeux fatigués. Il se massa les tempes, enfonça les doigts dans sa nuque raidie. Le martèlement derrière son crâne ne faiblit pas. Il rouvrit le dossier devant lui, parcourant les lignes imprimées à la recherche d’un détail qu’il aurait pu négliger. Deux victimes. Deux morts inexpliquées. Aucune connexion apparente, et pourtant, un fil invisible semblait les lier.
Les murs du bureau semblaient plus étroits que d’habitude, comme si l’espace se refermait lentement autour d’Étienne. L’air était stagnant, alourdi par une fatigue qu’il ne pouvait plus ignorer. Il faisait tourner distraitement un stylo entre ses doigts, le cliquetis répétitif résonnant dans le silence. Son regard glissait sur les lignes du rapport d’autopsie posé devant lui, mais il ne les lisait plus vraiment.
Les mêmes conclusions.
Aucune cause de décès évidente.
Un cœur qui lâche sans raison apparente.
Mais surtout, cette marque.
Cette empreinte indéchiffrable, gravée dans la chair des victimes, et qui refusait de livrer son secret.
Il soupira, longuement, fatigué.
La tension s’était logée au creux de sa nuque, pulsant doucement comme un avertissement silencieux.
L’affaire s’insinuait en lui, plus profondément qu’elle ne l’aurait dû.
Un bruit sec rompit le silence.
David entra sans frapper, referma la porte dans un soupir. Son expression était plus fermée qu’à l’accoutumée, sa posture légèrement avachie trahissant une lassitude qui ne lui ressemblait pas.
Il posa ses mains sur ses hanches et regarda Étienne un instant avant de lâcher d’un ton mesuré :
— T’as besoin de souffler, mon vieux.
Il haussa un sourcil, un éclat d’ironie au coin des lèvres.
— Je soufflerai quand on aura une piste.
Il y eut un silence. David hocha la tête, un demi-sourire fugace à peine esquissé, puis s’affaissa lourdement dans la chaise en face de lui. Il posa un coude sur l’accoudoir et se frotta le menton, hésitant une fraction de seconde avant de parler.
— Justement.
Il marqua une pause, cherchant ses mots, avant de croiser enfin le regard d’Étienne.
— La sœur de Marc Lambert est là. Elle veut parler.
Étienne redressa lentement la tête, ses doigts se crispant inconsciemment autour du stylo, suspendu au-dessus du papier.
— Elle a demandé à nous voir ?
David hocha la tête, l’air plus grave.
— Ouais.
Il inspira légèrement avant d’ajouter, d’un ton plus bas, presque comme s’il craignait que les murs ne l’entendent :
— Et elle a l’air… tendue.
Quelques minutes plus tard, Étienne et David se retrouvaient dans une petite salle d’interrogatoire aux murs ternes, faiblement éclairée par une lumière pâle qui projetait des ombres incertaines sur la table en métal.
Face à eux, Sophie Lambert serrait une tasse de thé, ses jointures blanchies par la tension. La vapeur s’élevait lentement du liquide ambré, se dissipant en volutes fragiles, comme si la chaleur de la boisson peinait à réchauffer l’atmosphère glaciale de la pièce.
Jeune, mais marquée par la fatigue.
Ses traits tirés lui donnaient l’air d’avoir vieilli trop vite, son teint pâle trahissant des nuits trop courtes et des pensées trop lourdes. Son regard, vif, mais hanté, trahissait une peur contenue, pesant sur chacun de ses gestes.
Elle joua nerveusement avec l’anse de la tasse, son pouce traçant machinalement de petits cercles sur la céramique chaude, un geste répétitif qui trahissait son anxiété. Elle inspira profondément, elle rassemblait son courage avant de parler.
— Vous avez dit que votre frère semblait… changé avant sa mort ? demanda Étienne d’un ton mesuré, son regard ancré dans le sien.
Sophie hocha lentement la tête, une ombre fugace traversant son visage.
— Il ne dormait plus, murmura-t-elle, sa voix à peine plus forte qu’un souffle. Il disait qu’il se sentait… observé.
— Observé par qui ?
Elle hésita, baissa les yeux vers sa tasse, elle pesait le poids de ses mots avant de les lâcher dans l’air épais de la salle.
— Il ne le savait pas, finit-elle par avouer. Mais il était persuadé que quelque chose était là. Tout le temps. Même quand il était seul.
David nota rapidement ses paroles sur son carnet, son écriture rythmée par le silence pesant qui s’installait peu à peu.
— A-t-il mentionné des menaces ?
Sophie hésita de nouveau. Ses doigts crispés sur la tasse tremblèrent légèrement, et Étienne remarqua qu’elle se mordillait inconsciemment l’intérieur de la joue, cherchant à retenir quelque chose.
— Pas directement, murmura-t-elle enfin. Mais…
Elle releva enfin les yeux vers Étienne.
Son regard fit tressaillir l’inspecteur.
Une lueur de peur brute, une terreur presque enfantine qui semblait l’avoir rongée de l’intérieur.
— Une fois, il a recouvert tous les miroirs de son appartement.
David arrêta d’écrire.
Étienne sentit une tension s’infiltrer dans ses muscles, une impression étrange qui lui fit légèrement serrer la mâchoire.
— Pourquoi ? demanda-t-il, sa voix plus basse, plus prudente.
Sophie déglutit difficilement, puis se mordit la lèvre, elle hésitait à prononcer la suite.
Quand elle parla enfin, sa voix n’était qu’un murmure.
— Il disait… qu’il voyait quelqu’un d’autre dans le miroir.
Elle baissa encore la voix, et un léger frémissement parcourut ses épaules.
— Quelqu’un qui n’était pas lui.
Ses doigts se crispèrent sur la tasse, blanchissant ses phalanges.
Un courant d’air imperceptible sembla traverser la pièce.
Étienne se redressa légèrement, posant ses mains à plat sur la table, son regard scrutant Sophie avec une attention redoublée.
Elle ne mentait pas.
Elle avait peur.
Pas seulement pour son frère.
Mais parce qu’au fond d’elle, elle savait que ce qu’il avait vu…
Était peut-être toujours là.
Le silence s’étira, dense et oppressant, alourdissant l’air de la petite salle d’interrogatoire comme un brouillard invisible. L’atmosphère semblait suspendue, presque figée dans une attente silencieuse, où seul le tic-tac discret de l’horloge murale osait troubler le vide sonore.
David fut le premier à rompre cet équilibre fragile. Il se redressa, croisa les bras et planta son regard sur Sophie.
— Il avait des antécédents psychiatriques ?
Sa voix était neutre, mais le sous-entendu était clair. Il cherchait une explication rationnelle, un élément tangible qui permettrait de donner un cadre logique à l’étrangeté de cette affaire.
Sophie secoua vivement la tête, son mouvement presque trop brusque, comme si la question elle-même la révoltait.
— Non. C’est ça le pire.
Sa voix trembla légèrement, un frémissement à peine perceptible, mais qui ne passa pas inaperçu aux oreilles d’Étienne.
— Marc était rationnel, pragmatique. Il n’était pas du genre à céder à des peurs irrationnelles ou à s’inventer des histoires. Ce n’est que ces dernières semaines qu’il a… changé.
Un silence glissa entre eux, aussi pesant que la brume qui stagnait dans cette affaire.
Étienne regarda un instant le mur derrière Sophie, laissant les mots s’imprégner dans son esprit, s’y ancrer comme des pièces de puzzle dont l’image finale échappait encore à son raisonnement habituel.
Il le sentait, ce frisson imperceptible à la lisière de sa conscience, cette sensation insidieuse qu’une réponse se trouvait juste sous la surface… mais laquelle ?
Sophie inspira profondément, sa gorge se nouant sur les mots qu’elle s’apprêtait à dire. Lorsqu’elle reprit la parole, ce fut d’un ton plus bas, presque un murmure.
— Un soir, il m’a appelée en panique.
Ses doigts se resserrèrent sur la porcelaine tiède, tentant d’y puiser un réconfort, une preuve tangible qu’elle était encore ici.
— Il répétait sans cesse qu’il devait “arrêter avant qu’il ne soit trop tard”.
— Arrêter quoi ? dit Étienne.
Sophie releva lentement les yeux vers lui, son regard brillant d’une détresse contenue, d’une peur encore vivace, même après la disparition de son frère.
— Je n’ai jamais su.
Elle marqua une pause, puis sa voix vacilla.
— Mais il a arrêté son traitement ce jour-là.
David échangea un regard appuyé avec Étienne.
— Quel traitement ?
Sophie hésita un instant avant de répondre, et lorsqu’elle parla, sa voix était plus prudente, comme si elle révélait un secret interdit.
— Il voyait un psychiatre depuis quelques mois.
Elle fronça les sourcils, cherchant dans sa mémoire.
— Un certain…
Elle plissa les lèvres, et finalement, murmura :
— Dr Victor Renard.
Une onde traversa le corps d’Étienne.
Le nom ne lui disait rien.
Mais il savait une chose.
Ce n’était pas une coïncidence.
David, déjà absorbé par son écran, tapota frénétiquement sur son clavier avant de pivoter son ordinateur vers lui.
— Regarde ça.
Sur l’écran, un document détaillait les habitudes des deux victimes.
Marc Lambert et Alexandre Giraud.
Ils n’avaient, en apparence, aucun lien.
Rien.
Mais un élément venait de les relier.
Les deux hommes fréquentaient le même groupe de soutien psychologique.
Un groupe dirigé par un certain Dr Victor Renard.
Le silence retomba brutalement sur la pièce, cette fois plus oppressant, plus épais, comme une chape invisible qui s’abattait sur eux.
Étienne se redressa lentement, sa mâchoire légèrement contractée.
— On va devoir aller lui parler.
David hocha la tête sans un mot, mais son regard restait rivé sur Sophie.
Elle semblait… ailleurs.
Son regard flottait dans le vide, comme si elle était prisonnière d’une pensée qui la hantait.
Ses doigts crispés sur sa tasse ne bougeaient plus.
David s’éclaircit la gorge.
— Mademoiselle Lambert ?
Sophie cligna des yeux, sursauta légèrement.
Son regard se perdit un instant sur le bureau devant elle, puis elle releva enfin les yeux vers Étienne.
Et dans ce regard…
Quelque chose avait changé.
Une tension sourde, une peur viscérale.
Une certitude.
Elle ouvrit la bouche, et ce qu’elle dit ensuite glaça l’air de la pièce.
— Ne lui faites pas confiance.
Il sentit, sans même pouvoir l’expliquer, que chaque mot qu’elle venait de prononcer pesait plus lourd qu’il ne l’imaginait.
Il retint son souffle.
— Pourquoi ?
Sophie hésita.
Puis, lentement, elle leva les yeux vers lui.
Ses pupilles brillaient d’une lueur indéfinissable.
Une peur brute.
Une vérité qu’elle aurait préféré ne jamais connaître.
Et enfin, elle murmura :
— Parce qu’il savait.
Étienne l’observa, cherchant dans son regard une explication qu’elle ne semblait pas prête à donner. David, debout près de la fenêtre, croisa les bras et se racla la gorge, mais ne dit rien. L’atmosphère dans la pièce était devenue plus lourde, presque oppressante, comme si un poids invisible venait de s’abattre sur eux.
Sophie détourna les yeux, comme si elle regrettait déjà d’avoir parlé. Elle serra les mains autour de sa tasse, dont le contenu avait depuis longtemps refroidi.
— Sophie, insista doucement Étienne. Qu’est-ce que vous voulez dire ?
Elle inspira profondément, hésita.
— Je… je ne sais pas, murmura-t-elle. C’est juste… une impression. Quelque chose que je ressens.
Une impression. Rien de concret. Mais Étienne savait reconnaître une peur sincère quand il en voyait une. Il laissa échapper un soupir et referma son carnet.
— Si jamais vous vous souvenez de quelque chose, appelez-moi. À n’importe quelle heure.
Elle acquiesça lentement, sans ajouter un mot.
David lança un regard à Étienne. Il était temps d’y aller.
Ils se levèrent en silence, laissant Sophie seule, figée dans son propre tourment.
Le hall du commissariat résonnait des éclats de voix, des sonneries de téléphone, des bruits de claviers qui créaient un fond sonore constant. Étienne et David marchaient d’un pas rapide, l’esprit encore imprégné des paroles de Sophie.
— T’en penses quoi ? souffla David en attrapant son manteau sur le dossier d’une chaise.
— Elle en sait plus qu’elle ne le dit, répondit Étienne sans hésiter.
David hocha la tête, enfila son manteau et poussa la porte du commissariat.
L’air du soir était plus frais qu’ils ne l’avaient anticipé. La lumière du jour s’accrochait aux dernières heures, baignant la rue d’une lueur pâle qui s’effaçait lentement. Ils prirent place dans la voiture, le claquement des portières résonnant dans l’habitacle silencieux.
— Clinique Renard, 18h18, annonça Étienne en démarrant.
Le moteur ronronna, et la voiture s’élança dans les rues déjà marquées par la nuit naissante.
La voiture s’inséra dans la circulation fluide, glissant entre les avenues bordées d’immeubles ternis par le temps. Les rues défilaient sous un ciel pâle, où le soleil déclinant allongeait les ombres des bâtiments sur l’asphalte.
Le bâtiment s’élevait devant eux, impassible, sa façade de béton grise marquée par le temps, ses lignes austères renforcées par la froideur de la nuit tombée. Derrière les vitres sombres, aucune lueur ne filtrait, comme si l’endroit avait depuis longtemps été vidé de toute vie. Les rares néons vacillants du parking projetaient des éclats blêmes sur l’asphalte, accentuant l’impression de vide et de silence.
Aucune voiture stationnée. Pas un bruit, si ce n’est le grondement feutré du tonnerre lointain. Le vent sifflait à travers les interstices des fenêtres, soulevant des tourbillons de feuilles mortes qui s’accumulaient contre les marches de l’entrée. Tout semblait désert, comme abandonné depuis des années.
Étienne coupa le moteur et jeta un coup d’œil aux fenêtres du deuxième étage. Rien. Aucune lumière. Aucune silhouette derrière les rideaux opaques. Un bloc de béton mort, vidé de toute âme.
— Ambiance chaleureuse… murmura David en claquant la portière, son ton empreint d’ironie, mais son regard légèrement plus méfiant qu’il ne l’aurait voulu.
Ils franchirent les portes vitrées.
L’intérieur était glacial. Un hall aseptisé, des murs d’un blanc trop parfait, un sol carrelé qui reflétait froidement le halo des néons. Aucune trace de vie. Pas de bruit de pas, pas de voix, pas de standard téléphonique en arrière-plan. Seul le bourdonnement électrique des lampes brisait le silence.
Derrière un comptoir en verre dépoli, une femme en blouse blanche releva la tête, ses yeux d’un bleu trop clair fixant les nouveaux arrivants avec une pointe de surprise.
— Vous avez rendez-vous ?
Son ton était poli, mais Étienne remarqua l’infime tension dans sa mâchoire, ce léger plissement des sourcils qui trahissait un éclat de nervosité fugace.
— Inspecteurs Larue et Morel, brigade criminelle. Nous devons parler au Dr Renard.
Un battement de silence. Presque imperceptible. Mais suffisant.
L’éclat d’inquiétude traversa fugacement son regard.
— Il termine une consultation. Je vais voir s’il peut vous recevoir.
Elle disparut rapidement derrière une porte marquée PRIVÉ, comme si elle voulait écourter l’échange avant d’en révéler trop.
L’atmosphère pesait sur les épaules d’Étienne.
Il promena lentement son regard autour de lui.
Des cadres accrochés au mur. Des diplômes soigneusement encadrés, alignés avec une rigueur presque maniaque. Aucun faux pli dans la disposition, aucun écart entre les cadres. Tout était parfait, trop parfait.
Plusieurs photographies en noir et blanc, de patients en cercle, dans ce qui ressemblait à une séance de thérapie de groupe.
Des visages figés. Des sourires crispés.
Puis, un détail glaçant.
Marc Lambert.
Là, au centre d’une des photos. Son sourire semblait tendu. Et surtout… son regard fuyait l’objectif.
Comme s’il savait déjà.
Comme s’il tirait les ficelles.
— Regarde ça.
David s’approcha, son expression se durcissant immédiatement.
— Merde…
Un grincement imperceptible retentit derrière eux.
Un bruit trop léger. Presque intentionnel.
— Inspecteurs ?
Une voix calme.
Victor Renard, immobile dans l’encadrement de la porte.
Impeccable. Costume sombre, posture mesurée. Mais ce fut son regard qui accrocha Étienne.
Un regard tranchant, scrutateur. Il évaluait, mesurait chaque détail.
D’un pas maîtrisé, Renard s’avança et les invita à entrer d’un simple geste. Son bureau reflétait son apparence : ordonné, froid, presque clinique. Un vaste meuble en bois massif trônait au centre de la pièce, sa surface immaculée à l’exception d’un sous-main de cuir noir et d’un stylo aligné avec une précision chirurgicale.
Derrière lui, une large bibliothèque en verre et métal renfermait des ouvrages méthodiquement classés, tous reliés de cuir sombre. Aucune photo, aucun objet personnel ne venait troubler l’ordre sévère de la pièce. Juste des lignes nettes, une rigueur implacable. Même l’odeur y était différente, plus sèche, imprégnée d’un parfum discret aux notes boisées et de la cire du mobilier.
Renard s’installa derrière un bureau en bois massif, chaque geste mesuré, chaque mouvement empreint d’une rigueur méthodique. Il croisa les doigts, posant ses mains jointes sur le bois poli avec une patience étudiée.
Son regard, lui, restait fixé sur les deux enquêteurs, scrutateur, presque analytique, comme s’il les évaluait plutôt que de leur répondre.
— Alors ? lâcha-t-il enfin, d’un ton maîtrisé.
Étienne sortit son carnet, un automatisme, mais il sentait déjà que l’entretien serait plus compliqué qu’il n’y paraissait.
— Deux de vos patients sont morts récemment.
Aucune réaction. Aucune crispation. Aucune surprise feinte. Juste ce même calme implacable.
David, impassible, ajouta :
— Marc Lambert et Alexandre Giraud.
Renard inclina légèrement la tête, comme s’il pesait le poids de ces noms avant de répondre.
— Oui, je les connaissais. Ils faisaient partie de mes groupes de soutien.
Son ton était parfaitement lisse, professionnel. Mais quelque chose sonnait faux. Comme une réplique apprise par cœur.
— Pourquoi ?
Renard s’adossa légèrement à son fauteuil, prenant le temps, trop de temps, pour répondre.
— Troubles anxieux sévères. Peur d’être observés. Impulsions paranoïaques.
Chaque mot tomba avec précision, comme s’il récitait un diagnostic préétabli.
Étienne ne cilla pas, mais une gêne insidieuse s’infiltrait en lui. Quelque chose dans la posture de Renard, dans son rythme trop contrôlé, lui donnait l’impression qu’il était lui-même un sujet d’analyse.
Le ton. Trop neutre. Trop maîtrisé. Comme une note jouée sans intention.
Un sourcil imperceptiblement levé, Étienne posa la question sans détour :
— Ils vous ont parlé de quelque chose d’inhabituel récemment ?
Un infime silence.
Puis un sourire. Léger. Poli.
Un sourire qui n’avait rien à faire ici.
— Tous mes patients ont des angoisses, inspecteur. Mais rien d’anormal.
David échangea un regard rapide avec Étienne, avant de secouer imperceptiblement la tête.
— Rien du tout ? insista-t-il, sa voix plus sèche.
Renard baissa légèrement le menton, comme s’il jaugeait jusqu’où il pouvait jouer avec eux.
Puis il lâcha, posément :
— Inspecteurs, vous me posez les mauvaises questions.
Un frisson glacé traversa Étienne.
Il sentit son cœur accélérer. Un poids invisible s’accrocha à son sternum.
La pièce semblait rétrécir.
Il s’humidifia les lèvres, gardant son regard rivé sur Renard.
— Alors donnez-moi les bonnes.
Un silence.
Un silence qui dura une seconde de trop.
Puis, lentement, Renard se pencha en avant.
Son regard se planta droit dans celui d’Étienne. Profond. Insondable. Oppressant.
Sa voix baissa d’un ton.
— Avez-vous déjà eu l’impression d’être observé, inspecteur Larue ?
L’air parut s’épaissir.
L’espace autour de lui sembla se comprimer.
Quelque chose n’allait pas.
Étienne retint son souffle.
Il ne répondit pas immédiatement. Un battement de cœur plus fort que les autres cogna contre ses côtes.
David croisa les bras, se redressant légèrement.
— Si vous avez quelque chose d’utile à nous dire, Dr Renard, c’est le moment.
Le psychiatre eut un sourire imperceptible.
Un rictus à peine esquissé.
Mais suffisant pour déclencher un malaise.
Un sourire qui n’était ni amical, ni sincère. Juste… inapproprié.
— Je vous le dirai quand vous serez prêt à entendre la réponse.
Un silence suspendu.
Renard s’éloigna légèrement, décroisant lentement ses mains. Puis il se leva avec une aisance calculée.
— Si vous avez fini, j’ai des patients à voir.
Fin de la discussion.
Étienne échangea un regard avec David.
Ils n’avaient rien obtenu. Rien de concret.
Mais une certitude s’imposa à l’enquêteur.
Cet homme savait quelque chose.
Et il jouait avec eux.
Un silence pesant s’installa lorsqu’ils quittèrent le bureau. Étienne sentit la tension accumulée s’alourdir sur ses épaules alors qu’ils traversaient le couloir désert. Leurs pas résonnaient sur le sol carrelé, étouffés par l’atmosphère étrange du lieu.
Les murs, peints dans un blanc clinique, semblaient pourtant trop propres, trop lisses, comme s’ils n’avaient jamais vu passer de véritables patients. Ici, pas de bruits de conversations, pas d’agitation habituelle d’un centre médical. Juste un calme artificiel, une absence troublante qui mettait les nerfs à vif.
David s’arrêta un instant devant une porte entrouverte, laissant échapper un regard à l’intérieur d’un bureau vide. Les volets étaient à demi-fermés, plongeant la pièce dans une pénombre froide. Une horloge accrochée au mur marquait 19h05, mais le tic-tac ne produisait aucun son.
— Cet endroit me file la chair de poule, murmura-t-il en refermant doucement la porte.
Ils continuèrent leur progression jusqu’au hall d’entrée, croisant la réceptionniste qui leur adressa un sourire poli, trop distant, avant de replonger dans son écran. Une sensation de malaise persistait, s’insinuant sous la peau, intangible mais bien réelle.
Lorsqu’ils franchirent enfin les portes vitrées, l’air extérieur leur sembla presque irrespirable après la lourdeur clinique de l’intérieur. Étienne jeta un dernier regard vers le bâtiment.
Une silhouette austère, avalée par l’ombre, inerte comme une entité figée.
Aucune lumière aux fenêtres.
Aucun mouvement derrière les rideaux.
Comme si personne n’avait jamais habité cet endroit.
Et pourtant…
Il plissa les yeux, cherchant l’origine de cette sensation diffuse.
Renard.
Un mauvais pressentiment s’insinua en lui, aussi glacé que la nuit tombante.
David soupira et posa les mains sur le volant.
— Ce type est flippant.
— Il joue avec nous, répliqua Étienne, crispé.
David s’apprêtait à démarrer lorsque l’entrée latérale de la clinique s’ouvrit discrètement.
— Attends… regarde !
Une ombre sortit, avançant d’un pas lent mais assuré.
Victor Renard.
Toujours impeccable dans son manteau sombre, il s’arrêta un instant, scrutant la rue, comme s’il s’assurait de ne pas être suivi.
Puis, sans un regard en arrière, il se dirigea vers un taxi stationné à quelques mètres.
— Il quitte la clinique ? s’étonna David.
— Il nous a pourtant dit qu’il avait d’autres patients ce soir…
Un silence.
— On le suit.
David alluma les phares et laissa le taxi prendre un peu d’avance avant de démarrer.
L’air nocturne était épais, chargé d’une bruine fine.
La ville, en apparence endormie, semblait s’étirer lentement sous les réverbères jaunis.
Le taxi s’enfonçait dans des ruelles plus anciennes, où l’asphalte craquelé semblait murmurer sous les pneus.
Après plusieurs virages, il s’arrêta devant un bâtiment discret, presque anonyme.
Une porte vitrée. Une enseigne défraîchie, rongée par le temps.
Centre de soutien et réhabilitation psychologique.
David plissa les yeux.
— Attends… c’est pas…
Il s’interrompit en voyant Renard descendre du taxi et pousser la porte.
Étienne serra la mâchoire.
— C’est là qu’allaient Lambert et Giraud.
Un silence s’étira.
Puis David coupa le moteur.
— On entre ?
Étienne hocha lentement la tête.
— On entre.
L'intrigue est vraiment originale, et honnêtement il nous est impossible de deviner ce qui va se passer par la suite. On sent que tu ne vas pas arrêter de nous surprendre, et on attend que ça.
Tu dis que c’est impossible de deviner la suite… disons que c’est exactement ce que je veux. ;)
Ce qui arrive va peut-être tout remettre en question. Ou pas. Qui sait ?
Merci pour ton soutien.
C’est exactement ce que je veux provoquer : cette montée qui devient presque insoutenable… jusqu’au moment fatidique!
Content que tu continues à accrocher au fil des chapitres ! La suite arrive très vite 😉