Avant que Julienne et Héléna aient eu le temps de vraiment comprendre ce qui leur était arrivé, on les entraîna au pied de l’arbre géant – qui leur paraissait plus gigantesque que jamais –, et on les entoura de nouveau d’enlaceuse. Cette fois, on se contenta d’un simple tour, sous leurs bras, et d’un nœud bien serré dans leur dos. Puis les très longues cordes auxquelles elles étaient attachées furent menées à toute vitesse, par quelques guetteux qui gravirent le tronc tout en les tenant d’une main, vers le feuillage d’où venait d’émerger le magicien. Elles ne virent pas bien ce qu’il se passa alors là-haut, mais quelques secondes plus tard, Héléna voyait soudain les pieds de Julienne décoller du sol, et son amie s’élever dans les airs, de plus en plus haut, impuissante, montant rapidement le long du tronc avec sur le visage une expression ahurie et affolée. Julienne en était à mi-chemin, à la fois très loin du pied de l’arbre et très loin du sommet, lorsque Héléna fut soulevée à son tour.
Là encore, leur situation leur parut dégradante, alors qu’elles étaient traînées le long de l’écorce, sous les regards dédaigneux de centaines de guetteux, sur lesquels elles n’avaient même plus l’avantage de la taille. Le sol s’éloigna peu à peu, sous leurs pieds ballottant dans le vide. Les guetteux, réunis en un semblant de cercle autour du tronc, leur semblaient minuscules au moment où elles atteignirent le feuillage, qui les retira brusquement de leur champ de vision.
Pendant quelques secondes, très confuses pour elles, elles ne virent plus rien, et ne sentirent plus que la corde qui compressait leur torse et le déluge des énormes feuilles qui les effleurèrent comme autant de griffes effilées. Puis, tout à coup, le dos de Julienne, quelques instants avant celui de Héléna, heurta ce qu’elles identifièrent rapidement comme une branche titanesque. De nouveau des mains les agrippèrent, pour les hisser sur cette dernière.
Regardant autour d’elles tandis qu’on les manipulait encore, elles virent quelques guetteux penchés au-dessus d’elles, parmi lesquels les deux chefs de la bande qui les avaient traînées jusqu’à l’Arbaraque, ainsi que le magicien qui les avait raccourcies. Ils se tenaient en équilibre sur la branche, et la largeur de cette dernière ne leur fit pas paraître moins impressionnante l’aisance de leurs mouvements, sur ce rondin irrégulier et plein d’aspérités. Elles-mêmes étaient terrifiées, et s’agrippèrent de toutes leurs forces à la branche, qu’elles saisirent à pleins bras et à pleines jambes. Mais les guetteux, encore une fois, ne leur laissèrent pas le choix, et tirèrent sur les cordes, ainsi que sur des laisses, pour les forcer à les suivre.
Le cœur au bord des lèvres, conscientes qu’elles pouvaient à chaque instant faire un faux pas qui les précipiterait dans le vide, et s’écraser quelques dizaines de mètres plus bas, elles furent bien obligées d’avancer, assises, par petits bonds, en direction de ce qu’elles comprirent être une entrée creusée dans le tronc de l’arbre.
Pour décrire brièvement cette dernière aux delsaïens – les plus nombreux – qui n’ont jamais eu l’honneur de visiter l’Arbaraque, je dirais qu’elle consiste, de prime abord, en un grand trou sombre. De forme imprécise, vaguement arrondie, les morceaux d’écorce taillés un peu grossièrement formant comme des pics tout autour, elle ressemble à une gueule béante pourvue d’innombrables dents, qui effraie n’importe quel visiteur. Je soupçonne les guetteux de l’avoir consciemment façonnée ainsi.
Julienne et Héléna, comme tous ceux qui avaient connu cette situation avant elles, l’ont connue depuis et la connaîtront encore pour longtemps, sentirent leur sang se glacer lorsqu’on les poussa vers ce gosier, et hurlèrent quand on les précipita dans le vide.
Elles tombèrent si longtemps qu’elles en vinrent presque à croire qu’elles n’allaient jamais atterrir. Mais les cordes qui les retenaient encore arrêtèrent brusquement leur chute, et leurs organes firent une brusque remontée dans leur ventre tandis que leur dos butait contre l’intérieur du tronc. Les cordes lâchèrent alors, et elles crièrent encore. Leur glapissement mourut dans leur gorge quand elles s’écrasèrent enfin, moins d’une seconde plus tard.
Elles étaient dans le noir le plus complet, n’avait pas la moindre idée de ce qui les entourait. Lorsqu’elles se relevèrent, les jambes flageolantes, chacune sentit confusément la présence de l’autre à ses côtés, mais elles ne savaient pas si elles étaient seules dans ce trou où on les avait jetées.
Des bruits légers, tout autour d’elles, les informèrent sur ce point : elles comprirent, quand elle furent de nouveau saisies par des mains invisibles, que des guetteux, dont elles ne pouvaient encore apprécier le nombre, les avaient rejointes. Quelques instants plus tard, un filament incandescent dansait soudain devant leurs yeux, tout autour d’elles, et elles reconnurent immédiatement la brûliane dont leur avait parlé Ivan la veille au soir.
La plante, en une seconde, leur fit découvrir l’intérieur de l’Arbaraque, qui était très certainement la chose la plus étrange qui leur avait été donné de voir jusque là. C’est Stéphane, particulièrement marquée par son court séjour dans l’antre des guetteux, qui m’en a fourni la description la plus détaillée.
Elle raconte avoir été saisie, d’abord, par la taille de l’Arbaraque. Vu de l’intérieur, ce dernier lui sembla encore plus monstrueusement grand, si ahurissant que ses jambes tremblèrent davantage et que les guetteux qui la tenaient durent l’empêcher de s’affaisser. Ils étaient une dizaine à les entourer, et ils ne leur laissèrent pas le temps d’admirer ce qu’elles avaient sous les yeux, ni même de se remettre du spectacle, avant de les pousser en avant.
Héléna eut à peine le temps de jeter un œil vers le sommet de l’arbre, qu’elle ne put de toute façon pas voir, puisqu’il se perdait dans l’obscurité, bien trop haut pour que la lumière de la brûliane puisse l’atteindre. Ce qu’elle voyait, en revanche, c’était une sorte de tube très irrégulier, d’une hauteur et d’un diamètre phénoménaux, qu’elle identifia rapidement comme étant tout simplement l’intérieur de l’arbre, presque complètement creux. Elle eut l’impression de se trouver dans une immense grotte, dont chaque élément minéral aurait été transformé en bois. Les parois, au premier coup d’œil, lui parurent étonnantes, la lumière rougeoyante et ondulante de la brûliane se reflétant curieusement sur les aspérités innombrables qui les tapissaient. Lorsque les guetteux les menèrent – un peu rudement, il faut l’avouer – vers d’imposantes portes closes qui leur barraient la route, recouvertes des mêmes ombres étranges, elle comprit en s’approchant que la totalité des surfaces de bois qui les entouraient avaient été sculptées avec la plus grande minutie. Elle n’eut pas le temps de reconnaître grand-chose dans les milliers de scènes imagées qui grouillaient partout autour d’eux, mais elle vit tout de même émerger ça et là des visages dont le réalisme et l’expressivité la stupéfièrent et l’effrayèrent un peu, ainsi que des créatures qu’elle reconnut être des animaux mais qu’elle ne parvint pas à identifier, et elle comprit que ces dessins incroyables devaient raconter des histoires, qu’elle ne pouvait bien sûr pas connaître[1]. Le tout lui parut éblouissant.
Ils atteignirent bientôt les deux portes en question, devant lesquelles étaient postés quatre guetteux, les plus imposants qu’elles aient rencontrés jusque là. Leur allure leur parut différente, et pas uniquement à cause de leur carrure haute et massive. Eux non plus n’étaient pas recouverts de feuillages ni de brindilles, mais d’inquiétantes carapaces métalliques, dans lesquelles les lueurs de la brûliane se reflétaient. Julienne et Héléna ne pouvaient pas regarder dans leur direction sans être éblouies à chacun de leurs mouvements. Leurs pieds – chaussés de lourdes bottes de cuir – solidement plantés dans le sol, leurs mains brandissant fermement de longues armes dissuasives au bout de leurs épais bras de colosses, ils regardèrent s’approcher le groupe d’un œil suspicieux mais néanmoins tranquille. Lorsque les guetteux firent s’arrêter les filles juste devant eux, elles se sentirent pâlir : Julienne n’atteignait pas leurs épaules, et Héléna étaient à hauteur de leurs coudes.
« Des détrousseuses, indiqua le guetteux qui avait interrogé Julienne dans la forêt, et qui était désormais accroché au bras de Héléna. On vient de les trouver. Il semblerait qu’elles aient attaqué un magicien, et peut-être d’autres personnes. »
Il mit la main dans l’une des poches de sa veste de cuir, et en sortit la pierre qu’il avait prise à Julienne pour la présenter aux gardes comme preuve de ce qu’il avançait, avant de la faire disparaître de nouveau.
Les quatre gardes jaugèrent un instant les deux prisonnières, semblèrent surtout s’étonner de la frêle silhouette d’Héléna, et se demander comment une fille comme elle avait bien pu s’en prendre à un magicien. Mais ils ne firent aucune objection, et trois d’entre eux s’écartèrent d’un même pas lourd et saccadé. Le dernier, leur tournant le dos, actionna les énormes poignées des portes sculptées. Les deux battants s’arrachèrent lentement du monumental monceau de bois dans lequel ils étaient enchâssés, et qui masquait à la vue des filles tout ce qui se trouvait de l’autre côté. Il leur apparaissait désormais évident que la vaste salle à peu près vide où elles se trouvaient n’était qu’une simple antichambre, et que derrière ces portes se cachait l’endroit où l’on voulait vraiment les conduire.
La lumière vive qui s’échappa de cet endroit les surprit, contrastant presque douloureusement avec la clarté pâle de la première salle. Il y avait de la brûliane absolument partout, qui donnait au lieu une étrange atmosphère orangeâtre. Elle sinuait tout le long des parois, et à intervalles réguliers, de loin en loin, elle s’enroulait aussi autour de piliers métalliques, couronnés d’amas embrasés qui les faisaient ressembler à des boules de feu. Sur le sol, elle s’étendait, rectiligne, dessinant des rues dont elle éclairait les deux côtés.
Le chemin qui s’ouvrit devant eux, au moment où ils franchirent les portes, semblait être la plus large et la plus longue de ces rues, aux allures de boulevard. Julienne et Héléna n’auraient su dire jusqu’où s’étendait cette avenue, qui se perdait dans les profondeurs du tronc insondable dont elles ne devinaient pas même le fond. De part et d’autre, s’alignaient des constructions de bois, de cuir et de mousse, hérissées de rameaux au feuillage plus ou moins fourni, séparées les unes des autres par de petites venelles sombres.
Elles furent immédiatement saisie par des odeurs fortes et âcres, celle de la terre et celle de la sueur. La première venait, évidemment, du tronc qui les emprisonnait, ainsi que des matériaux, tout droit tirés de la forêt, que les guetteux semblaient utiliser pour à peu près tout usage. La seconde semblait quant à elle émaner des guetteux eux-mêmes, qui grouillaient absolument partout dans cette étrange cité, mue par une activité incessante et sûrement très mal ventilée.
Des enfants couraient, criaient, se pourchassaient avec de courts bâtons de bois léger qu’ils brandissaient comme des lances, et avec de petits arcs qu’ils faisaient mine de tendre, mais qui n’étaient garnis d’aucune flèche. Les adultes étaient tous affairés, et certains d’entre eux jetaient aux nouveaux arrivants des coups d’œil vagues, avant de se replonger dans leur travail. L’un, assis sur une marche en bois au seuil d’une petite maison, polissait une lame avec des gestes très délicats. Alors que les filles le regardaient, curieuses, un groupe de quatre guetteux leur coupa la route, chargé de la carcasse d’un énorme bogue, que Héléna a décrit comme « une bête à la longue fourrure noire zébrée de roux, aux jambes courtaudes chacune terminée par un sabot fendu, et dont la tête ressemble à un curieux mélange de poney et de rhinocéros, ayant la frange de l’un et un peu les cornes de l’autre »[2]. Par l’ouverture d’une autre habitation, les filles aperçurent une guetteuse, un long couteau en main, debout devant une dépouille d’une autre sorte dont elles perçurent mal la forme. L’animal pendait du plafond, vraisemblablement suspendu par les pattes, et au moment où le cortège passait juste devant sa fenêtre ouverte, Julienne et Héléna virent la guetteuse l’éviscérer d’un coup de couteau expert. Elles furent soulagées que leur escorte, tirant toujours sur les cordes, les forcent à avancer encore, les empêchant d’assister à la suite. Ils dépassèrent un petit étal de bois, monté sur roulettes, derrière lequel se tenait un guetteux dont l’allure ressemblait à celle du magicien qu’elles avaient croisé dehors. Lui non plus n’arborait aucune brindille ni feuille, et elles finirent par comprendre que ces dernières étaient des éléments de parure, et non des prolongements naturels du corps des guetteux. Ces derniers, d’ailleurs, n’ont tendance à en porter que lorsqu’ils quittent leur village, pour mieux se fondre dans la forêt, mais on les représente si souvent dans leur tenue de chasse et de combat qu’on oublie parfois qu’à l’intérieur de l’Arbaraque ils se vêtent généralement de la même façon que ce marchand, c’est-à-dire avec des étoffes bien plus souples, de peau ou bien tissées.
Le marchand, tout à son négoce, ne leva pas un instant le nez vers le groupe qui passait devant lui. Son étal était chargé de petites fioles de verre, de toutes formes et renfermant des substances de toutes les couleurs, et ses mains virevoltaient de l’une à l’autre tandis qu’il les présentait aux deux clients – un homme et une femme – qui l’écoutaient parler. Elles regrettèrent de n’avoir entendu que quelques bribes de son discours bien rôdé, qui vantaient les propriétés abrasives de son élixir à la fleur d’atchum, son huile de russin phosphorescent toujours plus rayonnante, ainsi que la fulgurance de son nouvel extrait de venin de coreuse, dont il affirmait qu’un bon chasseur qui n’en enduisait pas ses flèches n’était pas un bon chasseur.
Le marchand et ses clients disparurent trop tôt de leur champ de vision pour qu’elles puissent savoir si la vente avait été concluante. Ils arrivaient déjà en vue d’une construction bien plus large et plus haute que toutes celles qu’ils avaient dépassées. La porte seule avait bien la hauteur d’une maison ordinaire et portait, comme celles qui protégeaient le village, des gravures impressionnantes de finesse. Elles ne montraient pas des épisodes historiques, ni aucune image à première vue figurative, mais des volutes, des arabesques, des jaillissements, chaotiques ou ordonnés ; peut-être des plantes, de la fumée, ou rien de particulier. La résidence du Grand Giboyeur et de sa famille, - puisque c’est d’elle qu’il s’agit ici –, s’élevait sur six étages, et sa façade tout entière était recouverte d’une mousse soigneusement entretenue, verte, douce, et qui n’empiétait pas sur l’ouverture des fenêtres. Les volets de bois, régulièrement revernis, étaient ornés de motifs de cuir, eux-mêmes parsemés de petites fleurs aux innombrables couleurs, et de feuilles savamment disposées en rinceaux. Tout le mérite de ces chefs-d’œuvre revient aux fameux maîtres-voleteurs guetteux, dont trois représentants au moins sont employés de façon permanente pour l’entretien des volets de la maison giboyeuse.
Julienne et Héléna, n’étant pas conscientes de la dextérité et du talent qui avaient été nécessaires pour faire naître de telles merveilles, en détournèrent vite le regard, et s’intéressèrent davantage aux deux gardes postés devant la maison, qui ressemblaient comme à des Sosies aux quatre qu’ils avaient croisés un peu plus tôt. Cette fois, les guetteux qui les avaient capturées montrèrent un peu plus de déférence, et s’inclinèrent un peu plus bas devant eux. Les gardes, sans répondre à leur salut, les regardèrent d’un œil très peu intéressé et vaguement impatient.
« Nous voudrions présenter ces deux détrousseuses à Vioc. »
Les gardes coulèrent un regard lent vers Julienne et Héléna, et l’un d’eux eut un bref soupir.
« Emmène-les au poste des sentinelles. On ne dérange pas le Grand Giboyeur pour de simples détrousseurs. Il a plus important à faire. »
Le guetteux qui avait la pierre de Julienne dans sa poche la ressortit et la présenta, au creux de sa paume, aux deux gardes.
« La grande avait ça sur elle. Elle a essayé de nous faire croire que c’était à elle, mais elle est incapable de s’en servir. Elles l’ont très certainement prise à un magicien. Il faut que nous en ayons le cœur net, pour pouvoir lui porter secours s’il en a besoin, et si c’est encore possible. »
Un autre des membres de leur escorte, celui qui avait été le premier à s’adresser à elles, renchérit :
« Vioc veut que nous le mettions au courant de ce genre de cas. »
Les deux gardes eurent un regard l’un vers l’autre, soupirèrent en chœur, et s’écartèrent avec mauvaise grâce. Le guetteux remit furtivement la pierre dans la poche de sa veste, et s’avança, le pas fier, vers la grande porte. Il l’ouvrit d’un geste un rien arrogant et, se retournant à peine, fit signe à ses compagnons de le suivre. Ces derniers se mirent aussitôt en branle, et tirèrent brusquement sur les cordes qui retenaient Julienne et Héléna pour les faire suivre le mouvement. Impuissantes et dociles, elles gravirent avec eux les quelques marches de pierre polie qui les séparaient des portes. Le guetteux qui avait pris la tête les précéda de peu dans la grande maison, où elles pénétrèrent bientôt, effrayées et très curieuses.
Ils étaient à présent dans une vaste entrée, un peu sombre, au fond de laquelle ils distinguaient un large escalier qui se séparait en deux après une première volée de marches, pour desservir les deux couloirs qu’ils apercevaient derrière des balustrades, de part et d’autres de la salle et derrière eux, au-dessus de leurs têtes. Cette configuration se répétait d’étage en étage, et donnait à la maison du Grand Giboyeur l’apparence d’un bâtiment administratif, ce qu’il est par ailleurs. Le sol brillait sous leurs pieds, et leurs semelles glissaient presque dessus. Les filles crurent un instant qu’elles se tenaient sur du carrelage, avant de comprendre que presque tout autour d’elles – le sol, les murs, les innombrables marches des escaliers qui se perdaient dans les hauteurs, les sièges massifs qui attendaient les visiteurs dans un coin pour les inviter à patienter, le chambranle des portes alignées partout autour d’eux ; mais ni les portes elles-mêmes ni les balustrades de bois ouvragées – était taillé dans une pierre grise lustrée au possible, parsemée d’éclats blancs qui scintillaient à chaque mouvement de la tête : la fameuse roche gésienne, si abondante dans les sous-sols prim’terriens. N’abritant que les escaliers et les quelques sièges que nous venons d’évoquer, cette grande salle leur apparut si profonde, si haute et si vide qu’elles en eurent le vertige.
Un petit personnage se tenait là, debout sur la première marche des escaliers, les mains dans le dos et la silhouette voûtée, bien qu’il fît des efforts visibles pour se tenir le plus droit possible. Son visage, comme celui des autres guetteux, avait l’âpreté de l’écorce taillée à la hache, mais il était bien plus affaissé, et ses yeux étaient à demi cachés sous les plis que faisaient ses paupières. Il était de toute évidence bien plus âgé que tous les guetteux que Julienne et Héléna avaient croisés jusque là. Il portait un habit particulier, long et cintré, orné de motifs floraux qu’il arborait avec fierté, et elles sentirent qu’il s’agissait là d’un uniforme, mais elles ignoraient encore de quel corps.
Leur cortège s’arrêta à l’unisson en apercevant le vieux guetteux, qui descendit de sa marche et s’approcha d’eux d’un pas un peu raide mais orgueilleux. Il ne semblait pas surpris de l’apparition soudaine, devant lui, de cinq individus qui tenaient en bride deux étrangères. Il laissa entre lui et les nouveaux venus une distance respectable, s’immobilisa, reprenant sa position d’origine, et demanda :
« C’est pour ? »
Le guetteux qui s’était institué chef de meute répondit, avec une courbette :
« Nous devons parler à Vioc. Un, ou peut-être plusieurs magiciens ont été attaqués par ces intruses. Mais elles refusent de révéler quoi que ce soit. Vioc a demandé à être informé des affaires qui concernent des magiciens », lui rappela-t-il pour appuyer sa demande.
Le vieux guetteux ne fut pas difficile à convaincre. Il hocha la tête d’un air entendu, et fit un pas sur le côté, le bras tendu vers les escaliers qui s’élevaient derrière lui.
« Vous tombez au bon moment, leur dit-il en leur faisant signe qu’ils pouvaient s’avancer. Le Grand Giboyeur vient tout juste de prendre congé du délégué de la Garde. Il va pouvoir vous accorder quelques minutes avant son repas. »
[1] Les fameuses sculptures de l’Arbaraque, qui comme chacun le sait racontent la totalité de l’histoire des guetteux de Delsa, œuvre des plus brillants artisans guetteux qui se sont succédés au fil des générations, ont été entièrement reproduites par Jules Glèze dans son ouvrage de 245, que les lecteurs les plus intéressés pourront facilement se procurer. Une nouvelle édition, augmentée des sculptures les plus récentes – qui relatent justement les diverses interventions des guetteux dans les évènements que nous racontons ici – est en cours de préparation, et devrait être bientôt disponible.
[2] Pour ceux qui voudraient savoir à quoi ressemblent ces deux animaux du Là-Bas, ainsi que le fameux « écureuil » dont il a été question un peu plus tôt, l’Institut d’Études de la Faune, de la Flore et des Usages du Là-Bas, basé à Haut’Île, en possède des représentations fidèles et détaillées.
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y a quand même une coquillette rigolote : soupirèrent en cœur => c'est chou. Mais sans jeu de mot il faudrait mettre un -h.
A bientôt
Je ne me rends pas bien compte de ce que ça change pour le lecteur, si cette connaissance peut gêner, voire gâcher la lecture…
Merci de m’apporter des éléments de réflexion sur la question ! ;) Et merci pour la coquillette, je fais tout le temps cette erreur ^^
A bientôt ! :)