Chapitre 30 - La boucle finale

Par David.J

Le néant.

Un blanc sans repères.

Pas de son. Pas de matière.

Pas de haut. Pas de bas.

Rien.

Un vide si vaste qu’il ne savait plus s’il pensait… ou s’il existait encore.

Ses souvenirs ? Dissous avant même de naître.

Son propre nom n’était qu’un écho lointain, perdu dans cette étendue infinie.

Il ne ressentait plus rien.

Ni la gravité.

Ni le froid.

Ni la chaleur.

Il n’était qu’un souffle suspendu entre deux réalités, une conscience flottante.

Puis, un murmure.

Sa propre voix.

Un chuchotement insaisissable, presque irréel, brisant la monotonie du néant.

— Est-ce que ça a fonctionné ?

Le silence vacilla.

Une pulsation infime.

Une onde invisible.

Une fracture dans un miroir sans reflet.

Et avec elle… une sensation.

Quelque chose l’écrasait.

Lourdeur. Présence.

Puis une douleur diffuse, un étau qui se resserrait sur son crâne.

Une pression exercée depuis l’intérieur même de son esprit.

Lentement, des fragments de perceptions émergèrent du néant.

Le contact rugueux d’un tissu contre sa peau.

La dureté d’un siège sous son corps.

Une odeur.

Du café.

Amère. Forte. Trop réelle.

Un éclair d’incompréhension traversa son esprit.

L’air lui revint brutalement. Ses poumons s’activèrent en un spasme incontrôlé, aspirant une goulée d’oxygène glacé. Il s’étrangla presque sous l’intensité soudaine du retour à la vie.

Réveil.

Lumière crue. Salle aveuglante.

Néons bourdonnants.

Un bureau. Des papiers. Une tasse fumante.

L’horloge accrochée au mur affichait 13H23.

Il inspira, lentement, profondément. Une respiration maladroite, irrégulière, comme si son corps ne savait plus comment fonctionner.

Il cligna des yeux.

La lumière était trop forte.

Son regard balaya lentement la pièce.

Devant lui, un bureau.

Un ordinateur éteint.

Une pile de dossiers soigneusement empilés.

Et sur le côté…

Une tasse de café encore fumante.

Un détail.

Infime.

Son regard glissa sur les documents posés devant lui.

Il y avait des notes. Des rapports détaillés.

Sa propre écriture.

Une enquête en cours.

Il fronça les sourcils, puis baissa lentement la tête vers la première page du dossier ouvert devant lui.

Un titre, rouge comme une alerte.

FRACTURE – Cas n°065

Le froid lui mordit la peau.

Il ne savait pas pourquoi, mais quelque chose en lui hurlait d’arrêter.

Son instinct le suppliait de refermer ce dossier.

De ne pas lire.

De ne pas comprendre.

L’atmosphère changea.

Ce n’était plus simplement une salle de bureau.

C’était devenu une cage.

Une prison sans barreaux, un piège dont il ne discernait pas encore les contours.

Mais qu’il sentait.

Il tendit la main, hésitant.

Ses doigts effleurèrent le papier du dossier devant lui.

Le grain du papier.

Légèrement rugueux sous sa paume.

Une sensation précise, palpable, indiscutablement réelle.

Mais…

Trop réelle.

Trop parfaite.

L’équilibre fragile entre authenticité et simulation.

Comme si tout avait été minutieusement conçu pour ressembler à la réalité, sans jamais vraiment l’être.

Quelque chose… d’impossible à saisir, tapi sous la surface.

Une dissonance minuscule. Mais dévastatrice.

Tout était trop net.

Trop… exact.

Une image arrêtée en plein mouvement.

Son cœur accéléra brutalement.

Un sentiment d’incohérence s’immisça dans son esprit.

Une impression insistante, qui lui murmurait que cette scène, cette pièce, cette chaise sous son corps, cette odeur de café encore chaud…

Tout cela était déjà arrivé.

Mais quand ?

Une douleur fine pulsa dans ses tempes.

Sa respiration devint plus courte.

Il plissa les yeux et fixa le papier.

Puis…

Un bruit.

Un choc sourd.

Un coup frappé contre la porte.

Brutal.

Sec.

Réel.

Son corps réagit avant son esprit.

Un sursaut violent.

Un souffle coupé net.

Il redressa la tête, lentement, les muscles de son cou tendus comme des câbles sous haute pression.

Son regard observa la porte.

Et dans le silence oppressant qui suivit…

Elle s’ouvrit.

Lentement.

Un grincement.

Un râle métallique.

Un homme entra.

Jeune.

Costume mal ajusté.

Un air nerveux plaqué sur le visage.

Mais une nervosité artificielle.

Une imitation maladroite de l’anxiété.

Un masque mal ajusté.

Sous son bras, un dossier, serré contre lui.

Il s’arrêta net.

Puis, d’un geste mécanique, il déposa les documents sur le bureau.

Ses mouvements étaient trop précis.

Trop calculés.

Comme s’ils obéissaient à un rythme déjà défini.

Un automate déguisé en humain.

Il inspira… brièvement. Une respiration simulée, réglée au millimètre.

— La nouvelle enquête, inspecteur. Une série de meurtres.

Sa voix ne portait aucune hésitation. Aucun doute.

Son intonation était neutre.

Le silence qui suivit était lourd.

Épais.

Dense comme une chape de plomb.

Le regard d’Étienne s’accrocha à lui.

Une seconde.

Une éternité.

Il ne répondit pas.

Il ne pouvait pas répondre.

Un détail le troubla.

Quelque chose dans les yeux de l’homme.

Dans sa posture.

Dans la manière dont il restait légèrement immobile après avoir parlé.

Il attendait.

Étienne ouvrit la bouche.

Aucun son n’en sortit.

Une tension s’accumula dans ses muscles, le maintenant dans un état d’alerte instinctif.

Il sentait que quelque chose n’allait pas.

Que cette scène…

N’était pas réelle.

Ou plutôt…

Qu’elle ne devait pas l’être.

Le jeune homme fronça légèrement les sourcils, comme s’il s’impatientait.

Puis, après une hésitation à peine perceptible, il cligna des yeux.

Une seule fois.

— Inspecteur… Ça vous dit quelque chose, non ?

Sa voix sonnait faux.

Une phrase anodine.

Mais qui vibrait d’une trop grande précision.

Son esprit s’emballa.

Le poids de l’instant l’écrasa d’un seul coup.

Il tourna lentement la tête vers le dossier.

Sa main trembla légèrement sur l’accoudoir de son fauteuil.

Il n’osa pas ouvrir le dossier.

Pas tout de suite.

Il sentait que quelque chose était tapi à l’intérieur.

Un piège prêt à se refermer sur lui.

Il lutta pour contenir un vertige.

Son crâne pulsa, comme s’il contenait une fracture invisible.

Un goût métallique lui envahit la bouche.

Son souffle était court.

Son crâne lui faisait mal.

Une sensation de flottement.

Il oscillait entre deux réalités.

Quelque chose d’invisible essayait de le ramener en arrière.

Mais en arrière où ?

Il n’y avait aucun point d’ancrage.

Seulement ce bureau.

Ce dossier.

Cet homme devant lui.

Et ces mots qui résonnaient encore dans son esprit.

— Ça ressemble…

À un souvenir.

Ou à une répétition.

Que vous avez déjà vu.

Encore.

Encore.

Ses doigts tremblants soulevèrent la couverture du dossier.

Son souffle s’étrangla.

Un battement sourd. Trop puissant.

Une seconde suspendue au bord du gouffre.

Puis…

Des photos.

Des corps.

Des visages figés dans l’horreur.

Une mise en scène. Calculée. Chirurgicale.

Un chaos organisé.

Des indices éparpillés comme un puzzle.

Traces de lutte. Éclats de verre.

Vêtements déchirés, collés au sol par le sang figé.

Le décor.

La lumière crue des flashs illuminant ces morceaux d’existence brisée.

L’ordre précis de chaque élément.

Un crime, capturé, disséqué.

Un crime qui ne devait plus être qu’un souvenir…

Et pourtant.

Trop précis.

Trop familier.

Lentement, comme hypnotisé, son regard glissa sur les clichés.

Il connaissait ces scènes.

Pas comme un enquêteur.

Non.

Comme un acteur.

Les images étaient là avant qu’il les voie.

Avant qu’elles existent.

Un poids lui écrasa la poitrine.

Un étau, invisible, impitoyable.

Sa respiration devint erratique.

Chaque battement de son cœur résonnait dans sa cage thoracique.

Sa gorge se serra.

Ses doigts se crispèrent sur les bords du dossier, blanchissant sous la pression.

Et puis, cette impression.

Les murs…

Ils se rapprochaient.

Ou bien était-ce une illusion ?

Un effet de la panique rampante qui s’insinuait en lui ?

L’espace rétrécissait.

L’air devenait plus lourd.

Plus dense.

Son regard, encore flou, remonta lentement vers le jeune homme.

Toujours là.

Toujours figé.

Mais quelque chose…

Un détail.

Un imperceptible décalage dans son attitude.

Un malaise à peine dissimulé.

Il attendait quelque chose.

Il attendait une réaction.

Une réponse précise.

Une confirmation.

La gorge sèche, Étienne déglutit difficilement.

Puis, dans un souffle étranglé, il posa la question :

— Depuis quand… ? Depuis combien d’années… ?

Sa propre voix lui sembla lointaine.

Creuse.

Détachée de lui-même.

Le jeune homme sursauta presque imperceptiblement.

Un tressaillement léger.

Un détail fugace, mais suffisant.

Puis, une réaction trop rapide.

Trop instinctive.

— Pardon ?

Un décalage.

Un bug dans la scène.

Il faisait semblant de ne pas comprendre.

Étienne le savait.

Un silence. Mort. Artificiel.

Un vide glacé qui ne devrait pas exister.

Le monde retenait son souffle.

Ou l’avait-il déjà expiré ?

Depuis combien de temps… tout était figé ?

Le genre de silence qui ne devrait pas exister dans une scène ordinaire.

Un silence forcé.

Un souffle.

Un battement de cœur plus fort que les autres.

Un frisson incontrôlable.

Étienne ouvrit la bouche, prêt à poser une autre question…

Mais il s’arrêta net.

Un instinct primal hurla en lui.

Quelque chose était là.

Quelque chose l’observait.

Il ne savait pas encore quoi…

Son corps le ressentait avant son esprit.

Lentement.

Très lentement.

Son regard dériva.

Glissa sur le bureau.

Sur le café.

Sur les documents.

Puis…

Plus haut.

Remontant vers la paroi vitrée du bureau.

Un uppercut invisible.

Derrière la vitre.

Deux silhouettes.

Fermes.

Immuables.

Là.

Elles avaient toujours été là.

Elles avaient attendu ce moment précis.

David.

Et Renard.

Leurs visages…

Calmes.

Inexpressifs.

Statues figées dans une éternité indéchiffrable.

Ils ne trahissaient rien.

Pas de surprise.

Pas d’interrogation.

Pas d’émotion.

Leurs yeux.

Leurs yeux…

Fixes.

Froids.

Ancrés en lui.

Non pas comme des collègues.

Non pas comme des hommes assistant à une scène banale.

Mais comme des observateurs.

Des entités figées, plantées là, à l’orée de la réalité.

Patientes.

Silencieuses.

Comme si elles savaient.

Comme si elles avaient toujours su.

Comme si elles attendaient qu’il comprenne enfin.

Un vertige violent s’empara de lui.

Une onde invisible le heurta de plein fouet, ébranlant chaque fibre de son être.

L’espace autour de lui vacilla.

La salle entière ondula, se déforma, la réalité elle-même hésitait à s’effondrer.

Son équilibre chancela.

Ses doigts s’agrippèrent aux bords du bureau, cherchant un point d’ancrage dans un monde qui ne tenait plus debout.

Il ferma les yeux.

Une seconde.

Une inspiration.

Reprendre le contrôle.

Retrouver un fil logique.

Juste une seconde.

Puis, il les rouvrit.

Rien n’avait changé.

Tout était identique.

David et Renard…

Toujours là.

Toujours immobiles.

Toujours figés dans la même posture exacte.

Ils ne respiraient même pas.

Ils n’existaient que dans ce moment précis.

Leurs yeux.

Fixes.

Glaciaux.

Ils ne clignaient pas.

Ils ne bougeaient pas d’un millimètre.

Statues.

Spectateurs muets.

Des fantômes piégés dans une boucle intemporelle.

Un frisson oppressant l’envahit.

L’impression d’être enfermé dans une scène trop bien orchestrée.

Un cauchemar programmé où tout était calculé.

Précis.

Parfait.

Trop parfait.

Il inspira brusquement.

Une bouffée d’air glaciale, presque douloureuse.

Ses doigts tremblèrent sur le dossier.

Son cœur battait à un rythme frénétique, cognant dans ses tempes.

Ses lèvres étaient sèches.

Sa gorge, nouée.

L’air…

L’air était lourd.

Chaque respiration lui coûtait.

Lentement, avec une horreur grandissante, son regard glissa vers la droite.

Vers la tasse de café.

Toujours là.

Toujours fumante.

Pas une goutte ne manquait.

Le liquide, parfaitement immobile.

Un instant suspendu dans le temps.

Un temps qui ne s’écoulait plus.

Un piège.

Un détail trop précis.

Trop exact.

Un mauvais script qui se répétait à l’identique.

Rien ne pouvait changer.

Tout devait se répéter.

Encore.

Et encore.

NON.

Son souffle se brisa.

Il recula d’un pas, une décharge glaciale parcourant sa colonne vertébrale.

L’instinct hurlait : DÉGAGE.

Ses doigts se crispèrent.

Il secoua la tête, tentant d’arracher l’illusion comme on arrache une peau morte.

Mais rien.

David. Renard. Toujours là.

Fixes. Figés. Impossible à fuir.

Ils attendaient un signal.

Un déclencheur.

Un retour à zéro.

L’air pourrissait dans ses poumons.

Les murs fondaient sur lui.

Illusion ? Non. Trop réel. Trop parfait.

Un piège cousu sur mesure.

Un piège invisible. Pas de chaînes.

Juste… le contrôle absolu de son esprit.

BOUM.

Un choc sourd éclata dans son crâne.

Un grondement intérieur, comme un écho venu d’avant.

Sa vision bascula.

Son esprit hurla en silence.

Et cette pensée, encore. Encore.

Une obsession.

Un vertige.

Est-ce que la boucle s’est brisée ?

Un silence absolu.

Une fraction de seconde.

Une éternité condensée en un battement de paupières.

CRAC.

Ses doigts broyaient la couverture.

Un claquement sec. Comme un os qui cède.

Le monde frémit. Puis… il s’arrêta.

Étienne ferma les yeux.

Tout redevient noir.

Néant.

Une éternité.

Un murmure.

— Est-ce que ça a fonctionné ?

Mais au fond de lui…

Au plus profond de son être…

Il savait.

La vérité était déjà là.

Inscrite dans chaque détail.

Dans chaque seconde qui se répétait.

Dans chaque regard qui ne vacillait jamais.

La boucle…

Elle n’était pas brisée.

Elle ne l’avait jamais été.

Elle avait continué d’exister.

Et peut-être…

Peut-être qu’elle ne cesserait jamais.

FIN.


Si tu lis ces lignes, c’est que tu as brisé l’illusion.

Mais étais-tu vraiment libre de le faire ?


Regarde bien.

Ne te fie pas au glissement horaire.

Il ment.


Seul le cycle résiduel

te révélera la clé.


Il est déjà trop tard.

Peut-être que toi… tu peux t’éveiller.

 

 

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