Chapitre 31

Par Notsil
Notes de l’auteur : Je vous avais un peu oubliés, j'espère terminer la publi avant la fin du mois. Ce chapitre mérite un gros coup de correction mais je n'aurais pas le temps donc je le poste tel quel.

Les jours s’écoulèrent bien plus rapidement qu’Axel ne l’eût cru.

Entre le défilé des livraisons et Dame Esbeth qui l’employait autant que ses propres enfants… Lypherin était la seule épargnée, mais discutait ferme chaque point de décoration. Axel plaignait son cousin Alistair, souvent pris entre les deux femmes qui demandaient son jugement.

Tous les matins, Axel s’entrainait dans la grande cour, assez tôt pour ne pas être gêné par les va-et-vient des domestiques. Mus par la curiosité, Aéryn, Killian, Chloan et Liam venaient parfois le regarder, s’essayaient à l’imiter, et avec quelques mots, Axel corrigeait leurs attitudes. Alistair le rejoignait parfois, et ils échangeaient alors quelques passes d’armes. Son style de combat était différent de celui des Mecers, alors Axel était ravi de se saisir de l’occasion d’apprendre.

L’arrivée de son oncle, un soir, l’avait pourtant figé. Le Commandeur des Maagoïs était bien plus impressionnant que son épouse ; les cheveux gris et les rides sur son visage ne masquaient pas la dureté de ses traits.

Aux côtés d’Alistair, Lypherin s’était raidie également. Pourtant, Éric s’était contenté de les saluer avant d’aller aider Esbeth avec les enfants. Axel s’en était voulu ; certes, Éric aux Ailes Rouges avait incarné l’ennemi de la Fédération des Douze Royaumes, celui qui les avait trahis en rejoignant l’Empire, vingt-quatre ans plus tôt. Depuis, le temps avait adouci les vieilles blessures ; rares étaient les Massiliens qui avaient oublié, cependant, et Éric était toujours sous le coup d’une interdiction de poser le pied sur le sol des Douze Royaumes.

 

Quelques jours avant la cérémonie officielle, prévue en grandes pompes sur la capitale, Draakam, sur Druus, le Premier Monde, les parents et les trois sœurs de Lypherin étaient arrivés. Axel avait été aux premières loges des angoisses d’Alistair, qui craignait encore que l’entrevue entre leurs parents respectifs se passe mal. Une chose était sûre, ils étaient tous bien du Clan des Îles, avec leurs plumages vivement colorés. La mère de Lypherin, Serena, avait un plumage jaune barré d’une ligne rouge ; le père, Eviel, des plumes d’un vert tendre. Chez les sœurs, il y avait un mélange de bleu et de vert chez l’une, du jaune chez l’autre, et un mélange arc-en-ciel similaire au plumage de Lypherin pour la dernière. Axel réalisa à leurs traits similaires que les deux femmes ne pouvaient qu’être jumelles.

Cependant, Dame Esbeth, seule non ailée des lieux, réussit par miracle à mettre tout le monde à l’aise une fois les enfants installés à table. Elle gérait les discussions avec doigté, se montrait curieuse de leur vie sur Massilia, évitait tous les sujets sensibles qui auraient pu les mettre dans l’embarras. Sa tante était une experte. Seule terrestre, seule capable de mentir ; c’était aussi pour cette raison qu’il était parfois difficile de concilier les Massiliens. Quand on était tenu à dire la vérité, se montrer diplomate relevait parfois du tour de force.

D’ailleurs, son oncle Éric s’était fait discret, une attitude qui l‘avait beaucoup étonné. Se l’était-il imaginé bien plus sûr de lui, arrogant, fier, comme les histoires le racontaient ? Lors des rares repas qu’ils avaient partagés avant l’arrivée des parents de Lypherin, Axel ne l’aurait jamais qualifié de conciliant.

Et que gagnerait-il à se montrer provocant ? intervint Telclet.

Vrai. Éric aimait ses enfants et Axel se rappela qu’il en avait enterré six, quelques années plus tôt. Une tragédie qui avait dévasté leur famille. C’était compréhensible qu’il ne souhaite que le bonheur d’Alistair.

Le lendemain, ce fut au tour de ses parents et de ses sœurs d’arriver dans un flamboiement de lumière. Si Axel était habitué à ce mode de transport, l’air bouche bée de ses petits cousins le fit sourire.

Lorsque sa mère vint le serrer dans ses bras, Axel réalisa qu’elle lui avait manqué. Il avait pu prendre du recul, oui, sur le sol impérial, mais chez son oncle et sa tante, ce n’était quand même pas pareil que chez lui.

Surexcitée, sa sœur Surielle s’était empressée d’aller discuter avec Alistair. Lequel, un sourire en coin, se contentait d’acquiescer, alors que Lypherin, apparemment ravie, ouvrait des yeux ronds. Axel se demanda si Surielle était en train de décrire à Lypherin tous les tours peu recommandables qu’Alistair lui avait joués.

Une chose était sûre, il se sentait bien, entouré de sa famille. Et il se surprit à considérer Dame Esbeth, Éric, et ses cousins, comme appartenant bel et bien à sa famille. Juste côté territoire impérial, mais après tout, nul n’était parfait ?

La technologie impériale était surprenante, au début, avec ses écrans omniprésents. Il y en avait souvent un d’allumé, dans la grande salle de détente, où passaient les informations. Jamais Axel n’aurait cru qu’on puisse parler autant à propos du climat, des récoltes, de la politique, de la vie des Seigneurs. Et puis ces lumières qui s’allumaient seules, les facilités en cuisine ou pour avoir de l’eau chaude pour la douche… Axel reconnut qu’il s’était plutôt habitué à ce confort où tout était facile. Et se sentait coupable de laisser Nicoleï souffrir au sein du campement des Maagoïs.

Il est Envoyé, il doit encore travailler dur, souffla Telclet.

Moi aussi, lui rétorqua Axel.

Je te vois continuer tes entrainements tous les matins. Pour le reste, tu as mérité tes vacances, non ?

Axel grimaça au souvenir des jours passés sous le contrôle de Solerys.

*****

Deux jours avant la cérémonie, Elésyne débarqua à son tour, à la surprise d’Alistair.

—Je pensais te voir seulement sur Massilia, l’accueillit-il, ravi.

Elésyne éclata de rire.

—J’ai réussi à persuader mon père que ça serait un bon point pour nos relations diplomatiques. Et puis, tu es le héros qui a tué Orhim, non ?

Alistair leva les yeux au ciel et grogna.

—Pitié, Ely… tu sais bien que je déteste ça.

Un autre ailé se posa près d’eux et Alistair le détailla avec curiosité. Des ailes d’un gris sombre barrées d’une teinte plus claire, des yeux noirs et d’épais cheveux bouclés, l’uniforme blanc des Messagers.

—Tu étais censée m’attendre, Taka, soupira le nouveau venu.

Alistair haussa un sourcil à l’intention de sa cousine.

—Léander. Mon garde du corps, officiellement. Léander, je te présente Alistair d’Iwar, ambassadeur impérial, colonel des Maagoïs, héritier du Seigneur d’Iwar, tueur de dieu… mon cousin adoré, aussi, comme tu le sais.

—Sérieusement, Ely…

Alistair reporta son attention sur Léander.

—Garde du corps, vraiment ?

—Je vois que nous nous comprenons, répondit Léander avec un mince sourire.

—Bienvenue sur Iwar, alors, en attendant de te souhaiter plus officiellement la bienvenue dans la famille.

—Ce serait déjà le cas, si une certaine personne n’avait pas pris tout le monde de court avec un mariage en quatrième vitesse, rétorqua Elésyne.

Lypherin arriva près d’eux, les joues rougies par l’excitation.

—Ta mère te cherche partout, Alistair. Oh, bienvenue. Tu dois être Elésyne ? Alistair m’a beaucoup parlé de toi. Ravie de te rencontrer enfin.

—Et c’est Léander, le « garde du corps ». Tu pourrais t’occuper d’eux le temps que je vois que ce veut ma mère ? Désolé, mais je t’abandonne entre de bonnes mains. J’espère qu’on trouvera le temps de discuter un peu !

*****

La cérémonie du mariage se déroulait dans le Temple d’Orssanc de la capitale Draakam, sur Druus, le Premier Monde. Axel avait observé le trajet en navette plus attentivement, cette fois. Tous les invités tenaient dans ce grand vaisseau, et il avait réussi à obtenir une place près d’un hublot. Le noir de l’espace emplissait tout et très vite, il avait pu voir le croissant d’Iwar s’éloigner d’eux. Druus restait hors de son champ de vision, alors il avait cherché lesquels des points brillants étaient ceux du système impérial.

À l’arrivée sur la planète-capitale, Axel avait pris quelques secondes pour noter la différence de pesanteur. C’était une notion importante, pour mieux équilibrer son vol en cas d’urgence.

Axel fut surpris par la grandeur du Temple. Comme tous les sanctuaires dédiés à la déesse Orssanc, il était plaqué d’obsidienne, comme pour absorber la lumière. Les murs étaient percés de fenêtres étroites aux vitraux rouges, un bassin rectangulaire occupait une bonne largeur du bâtiment et la lueur qui émanait de l’extérieur colorait l’eau en rouge. C’était perturbant. De loin, on aurait pu le croire rempli de sang. Heureusement, il y avait longtemps que des innocents n’étaient plus sacrifiés à la déesse Orssanc.

Déesse d’ailleurs censée résider dans la boite cubique qui reposait sur un autel derrière le bassin.

Axel prit place sur l’une des rangées de bancs, aux côtés de sa famille. De l’autre côté du couloir central se tenaient les parents de Lypherin et d’Alistair, ainsi que leurs frères et sœurs.

Derrière eux venaient les Seigneurs des Neuf Mondes, quelques amis proches des futurs mariés, et au dernier rang, entourée de ses Iko – des jeunes gens des deux sexes choisis pour leur beauté – trônait l’Impératrice Shaniel, maitresse des Neuf Mondes.

Ils étaient tous installés depuis de longues minutes lorsqu’entra celui qui allait conduire la cérémonie, Edénar Vézerin. Vêtu de noir, les flammes rouges d’Orssanc brodées sur sa poitrine, assorties au liseré en bas de ses manches et de sa bure, ses yeux bleus ressortaient dans son visage souriant au crâne rasé.

—Bienvenue à tous, dit-il d’une voix douce.

L’acoustique de la salle était telle que tous l’entendirent et les murmures des conversations se turent.

—Nous sommes réunis aujourd’hui pour célébrer une union sous le regard d’Orssanc. Lypherin, Alistair, venez vous soumettre à son jugement.

Axel se retourna pour regarder les futurs mariés parcourir la longue allée. Son cousin avait fière allure dans l’uniforme de cérémonie des Maagoïs. Col officier, galons écarlates sur l’épaule, les six étoiles de son grade de colonel, et les médailles de service, dont l’Etoile Impériale, pour services rendus à l’Empire, lorsqu’il avait aidé Shaniel à reconquérir son trône. À ses côtés, Lypherin portait une robe longue argentée, brodée de perles qui ruisselaient autour d’elle. La traine reprenait le dégradé de couleur de ses ailes : rouge, jaune, vert, bleu. Ses cheveux avaient été bouclés et ornés de broches d’argent, un maquillage léger soulignait son regard et colorait ses lèvres. Un rouge de la même teinte que les ailes d’Alistair. Ils avaient pensé au moindre détail. Évidemment, une dague pendait à sa taille, même si le fourreau était de soie et d’argent.

De l’avis d’Axel, elle éclipsait totalement Alistair. Une musique accompagnait leurs pas, et Axel reconnut l’un des nombreux airs sur lesquels Alistair et Lypherin avaient hésité. Une marche lente sur laquelle ils avançaient en rythme.

Edénar les accueillit avec un sourire, prononça un long discours sur les devoirs qui leur incomberaient en tant qu’époux, sur l’importance des liens qui se renforçaient entre leurs deux nations, sur les avancées depuis le Traité de Paix, vingt-cinq ans plus tôt.

— Orssanc va maintenant vous accorder sa bénédiction, conclut Edénar.

Il ferma les yeux, et lorsqu’il les rouvrit, Axel sursauta. Ses iris étaient devenus rouges ! Des murmures au sein de l’assemblée lui firent comprendre qu’il n’était pas le seul à l’avoir remarqué. Surielle posa une main sur son poignet.

— La déesse se manifeste en personne, chuchota-t-elle. Il m’avait dit que ça risquait d’arriver.

À moitié rassuré, Axel vit Alistair se raidir au fur et à mesure que les lèvres d’Edénar bougeaient sans qu’il puisse en saisir un seul mot. Lypherin resserra sa prise sur la main d’Alistair ; elle aussi s’était crispée. Finalement, Alistair acquiesça à quelque chose et Edénar sourit ; puis ses yeux redevinrent bleus.

Axel laissa filer un soupir de soulagement. Il était mal à l’aise de savoir que les Dieux existaient réellement ; c’était bien différent que de simplement choisir de croire ou non en leur existence. Et il avait été témoin des changements que sa sœur avait subis en étant l’Élue d’Eraïm, la couleur de ses ailes n’étant pas le moindre.

Alistair et Lypherin s’agenouillèrent et inclinèrent la tête. Curieux, Axel se demanda si Orssanc aimait les démonstrations de soumission. Plusieurs Prêtres et Prêtresses au crâne rasé s’avancèrent alors, bols à la main. À la différence de liseré sur le bas de leurs robes, Axel comprit qu’ils étaient d’un rang inférieur à celui d’Edénar. La quête pour le clergé restait traditionnelle.

— Je n’ai pas pensé à prendre de la monnaie impériale, murmura-t-il à l’adresse de sa sœur.

Laquelle sourit.

— Le culte d’Orssanc est différent de celui d’Eraïm. Leurs bols servent à collecter du sang.

— Eraïm !

Ça, c’était une étrange coutume. Axel avait entendu dire qu’Orssanc était friande de sacrifices humains ; allait-il assister à l’un d’entre eux ? Il frissonna. Mais Surielle posa une main apaisante sur son bras.

— Les sacrifices ont disparu depuis longtemps. Il reste que son pouvoir est basé sur le sang. Chacun peut verser quelques gouttes de son sang dans le bol, s’il le souhaite. C’est un don qui doit être consenti. Sinon, il n’a pas la même force.

— Tu en sais beaucoup, dit Axel, impressionné. Merci.

Et pas pour la première fois, il se demanda quels étaient exactement ses liens avec Edénar.

Un bol d’obsidienne leur fut bientôt présenté. Axel se saisit de sa dague et s’arrêta net. Son sang était violet, possédait les propriétés des phénix, en s’enflammant une fois sec. Risquait-il de perturber la cérémonie ?

— Je donnerai sa part, dit Surielle à la Prêtresse. Son sang est lié à Eraïm, nous n’avions pas pensé à ce détail et je préfère éviter de gâcher la cérémonie.

La Prêtresse acquiesça et Surielle s’entailla le doigt. Plusieurs gouttes écarlates roulèrent jusque dans le fond du bol. Avec curiosité, Axel suivit la Prêtresse du regard, pour voir si sa mère s’abstenait aussi. Ce fut le cas, et ce fut même elle qui fit le don pour leur père. Axel retint un sourire. Le serment des Veilleurs leur demandait de ne pas toucher d’arme. Il était bien placé pour savoir qu’ils restaient des combattants redoutables.

Axel patienta de longues minutes alors que les servants d’Orssanc poursuivaient leur tâche silencieuse. Une musique calme et apaisante était diffusée, invitant l’esprit à la rêverie. Lové sur son bras, Telclet balançait doucement la tête.

Enfin, ils retournèrent vers Edénar, rassemblèrent le contenu de leurs récipients avant de le lui présenter. Axel ne put s’empêcher d’être mal à l’aise. Les rituels avec le sang étaient mal vus, au sein de la Fédération des Douze Royaumes. La plupart des légendes qui y faisaient référence exploraient des côtés sombres de l’âme humaine : invoquer des créatures malfaisantes, asservir la volonté…

Pendant longtemps, Axel avait été convaincu que tout cela n’était que chimères et élucubrations d’esprits égarés. Depuis sa dernière mésaventure, cependant…

Invoquer des créatures ? interrogea Telclet. Ton imagination s’emballe. Solerys pratiquait la magie des herbes, pas celle du sang.

Et j’espère bien ne plus y être confronté.

Edénar avait plongé ses doigts dans le bol ; les yeux fermés, il marmonna des paroles qu’Axel ne comprit pas. Il se passait quelque chose, apparemment. Axel ouvrit des yeux ronds. Quelque chose glissait sur la peau d’Edénar ! Sous ses manches, il ne le voyait pas, mais maintenant que ça atteignait son visage…

Des lignes rouges – rouge sang – encadrèrent ses yeux, des runes luisantes se dessinèrent sur ses pommettes. Axel jeta un coup d’œil à sa sœur, puis à sa famille. Tous semblaient trouver la situation normale. La voix d’Edénar s’éleva, rauque et pourtant mélodieuse, alors qu’il posait les mains sur les têtes baissées de Lypherin et Alistair.

— Par ma voix et par mes gestes, recevez la bénédiction d’Orssanc.

Les runes coulèrent – Axel ne voyait pas d’autre mot – de son visage à ses mains ; puis les ailes de Lypherin virèrent doucement au rouge.

Quelle puissance, souffla Telclet.

Les dernières plumes écarlates, Edénar enleva ses mains et invita Lypherin et Alistair à se relever.

—Lypherin, Alistair, vous êtes désormais unis par le pouvoir d’Orssanc.

Avec un sourire, Lypherin attira Alistair vers elle pour l’embrasser.

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