Fidèle à ma décision d’allumer mon portable professionnel plus souvent, je pris des appels dès les cours terminés, en ce mardi 13 mars. J’éliminai d’abord les sms. Ils étaient rarement pertinents et les mecs qui en envoyaient appelaient de toute façon tôt ou tard. J’étais encore dans le tram que ça sonnait déjà.
-Allo, oui ?
-Oui bonjour, j’appelle pour votre annonce.
Sentiment diffus que tout le public présent dans la rame savait de quoi il s’agissait et écoutait attentivement ma discussion.
-Pouvez-vous me rappeler dans cinq minutes s’il vous plait ?
-D’accord mais juste, dites-moi si vous faites les finitions buccales ?
-Non.
Le type raccrocha sans dire au revoir. Je rangeai mon portable un peu embarrassée, ne parvenant pas à éliminer totalement mon sentiment paranoïaque. L’homme assis en face de moi me regardait. Matait-il simplement une fille à son goût, ou se demandait-il quels étaient mes tarifs ?
Le portable sonna à nouveau. Il me restait une station, je décrochai.
-Allo, oui ?
-Bonjour je suis Fabien, un client d’Alessia, je suis ravi de réussir enfin à vous joindre.
-Bonjour Fabien.
-Alors voilà j’ai vu vos photos, et Alessia m’a parlé de vous, je suis évidemment intéressé, quelles sont vos disponibilités ?
Enfin levée, attendant que le tram s’immobilise à mon arrêt et que je puisse sortir, je répondis en prenant l’air de la fille qui propose à sa grand-mère d’aller lui faire ses courses.
-Le lundi à partir de 13 heures et le jeudi à partir de 12 heures.
-Parfait. Ecoutez, je viendrais volontiers jeudi.
-A partir de 15h15, alors. Avant, tout est pris.
-Est-ce que 16 heures ça pourrait aller ?
-Oui, ce serait pour quelle durée ?
-Je prends toujours une heure complète.
-D’accord Fabien. Je peux vous demander votre âge ?
-J’ai cinquante ans.
-C’est noté, Fabien. Vous me le confirmez demain par sms ?
-Comme avec Alessia, oui.
-Alors à jeudi.
-Au revoir Lola.
J’étais descendue, et debout sur le quai, je regardai s’éloigner la rame dans laquelle le type me fixait toujours avec le sourire. De toute évidence, je serais bonne pour rester avec mes doutes quant à ma discrétion. Cela me sembla une contrepartie psychologique obligatoire dès lors que l’on mène une telle double vie.
Le temps que je sois arrivée à mon studio, j’avais reçu deux nouveaux appels. Chacun étant celui d’un homme ayant très envie de s’envoyer en l’air avec une fille contre rémunération, je déclinai les offres et les invitai à poursuivre leurs recherches.
Dans l’escalier, où décidément il m’en arrivait, des choses coquines, ça vibra encore dans ma poche.
-Allo, oui ?
-Bonjour je suis Arthur, je vous ai appelée hier, j’ai été maladroit, je crois, vous vous souvenez ?
-Le forum, c’est ça ?
-Voilà. Je voulais tout d’abord m’excuser, après coup je me suis rendu compte que c’était pas génial de ma part d’essayer d’obtenir un body comme ça. En plus visiblement vous n’en connaissiez pas l’existence. Enfin voilà, je vous appelle pour tenter de prendre un rendez-vous, pour un massage normal.
-Mais oui, d’accord, Arthur, il n’y a pas de mal. J’étais davantage surprise qu’en colère contre vous.
-Alors tant mieux.
-Vous souhaitez venir quand ? J’ai un créneau d’une demi-heure après-demain à 15h15, sinon je peux vous recevoir à partir de 17 heures, sinon lundi prochain.
-Ah non mais le créneau de 15h15 ça me va bien, ce sera juste bien pour faire connaissance pour un premier massage.
Et c’est ainsi que je bouclai pour la première fois, jeudi, un planning avec cinq massages de prévus.
Essoufflée d’avoir monté quatre étages à pied tout en parlant, j’entrai chez moi et me posai sur mon lit. Il faudrait penser à revoir ma condition physique. La danse entretenait certaines parties de mon corps, mais la sortie de l’hiver nécessitait de toute évidence un décrassage. Une copine de mon amphi m’avait parlé il y a déjà plusieurs semaines de ses sorties de running. Je ne connaissais même pas le terme ! Pour moi, courir, c’était faire un footing. Elle m’avait appris qu’un footing est une séance de running à faible vitesse, ce qu’elle appelait une sortie lente. Il y a vraiment des nuances qui ont le don de m’échapper. Quoi qu’il en soit, elle m’avait aussi proposé de l’accompagner de temps en temps. Nous n’habitions pas très loin l’une de l’autre, ce qui rendait des séances à deux envisageables. Je l’appelai, pleine de bonnes résolutions.
-Oui, Chloé, c’est Léa, t’es où, là ?
-Salut Léa, je suis chez moi, je bosse les cours.
-T’irais pas courir, par hasard ?
-Ça y est t’as envie de t’y mettre ?
-Je me sens un peu crasseuse de l’hiver, j’ai besoin de me dynamiser.
-On se retrouve au parc dans une demi-heure ?
-Ça me va.
-Entrée nord, là où il y a le marchand de glace en été.
-Impec ! A toute !
Le parc en question était une petite bulle verte vallonnée située en pleine ville. Sans aller jusqu’au dépaysement qu’offre Central Park à New-York, on pouvait y courir, y manger des glaces, s’y balader en famille, bronzer sur les pelouses, s’embrasser sur les bancs et sous les chênes centenaires, et même arpenter son minuscule lac à la barque, pour des sorties romantiques qui plaisent énormément l’été. J’enfilai des sous-vêtements appropriés, utilisés lors de mes entrainements de danse, puis un pantalon de survêtement noir, et un t-shirt blanc par-dessus lequel je rajoutai un sweat léger. Le soleil s’imposait depuis plusieurs jours, mais les températures restaient celles d’une première quinzaine de mars ! Je retrouvai les baskets qui avaient servi à pas mal de sorties plus ou moins ludiques, dont un paint-ball avec Charlotte et Mélanie, mais jamais à du running, et partis en direction du parc.
Chloé m’y attendait, équipée comme une pro ! Legging noir, t-shirt jaune fluo à manches longues très près du corps visiblement dans un matériau isolant car elle ne portait rien d’autre et ne semblait pas avoir froid, baskets noires et oranges du plus bel effet, la brunette cumulait avec brio mode et exigences sportives. C’était une jolie fille, encore plus petite que Mélanie. Elle devait culminer à 1m60, si ça se trouve moins. Côte à côte, nous faisions un peu Laurel et Hardy. Ses cheveux, qui lui arrivaient aux épaules, tiraient sur l’auburn, et accusaient quelques beaux reflets roux dans le soleil. Elle avait un corps tonique que sa tenue moulante mettait en évidence. Elle me vit arriver et se mit à rire.
-Tu vas cueillir des légumes dans un potager ?
-Je venais courir, moi, pas faire un défilé de mode.
-Qu’est ce qui t’a donné envie ? T’es quand même physiquement en forme.
-Oui mais aucun sport ne fait travailler tous les muscles. La danse n’y échappe pas. Donc je me dis que courir un peu, et de temps en temps nager un peu, ça me fera du bien. Mais t’as l’air d’être une pro, toi !
-Non, mais je fais plusieurs sorties par semaine, au moins trois.
-Quel que soit le temps ?
-Oui, sinon tu perds vite.
-Mais tu fais de la compétition ?
-Oui, des dix kilomètres et des semis.
-Semis … ?
-Marathon.
-Tu vas avoir honte de moi, dès qu’on se mettra en route.
-Mais non, on va faire une sortie lente.
-C’est quoi, une sortie lente, pour toi ?
-12 km/h.
-Bon, je vais aller cueillir des légumes quelque part, plutôt.
-Mais non, ça va aller, t’inquiète. T’es venue en courant ?
-Euh non…
-C’est con tu te serais échauffée. Mais pour une petite séance comme ça, tu t’échaufferas en courant, on y va ?
-Je te suis.
C’était un bien grand mot. J’avais trop de fierté pour m’arrêter et vomir mes intestins sur les pelouses autour desquelles Chloé fit de multiples tours, accumulant des kilomètres dont elle surveillait la progression sur une montre, en même temps que notre vitesse suffisamment lente, en tout cas selon ses critères. Mais la claque que je reçus sur ma capacité d’endurance était cinglante. Chloé fit plusieurs passages le long d’une montée assez raide, ce qui avait l’air de beaucoup l’amuser. Tel un robot, sa cadence ne baissa jamais. Elle avait prévu de courir une petite heure. Au bout d’un temps qui me sembla ne jamais devoir s’arrêter, elle stoppa brusquement et fit quelques étirements élégants, le pied posée sur le dossier d’un banc, pendant que je me vautrai sur son assise, la langue mousseuse débordant de ma bouche, aussi dégoulinante que Chloé semblait fraiche.
-Ça va, Léa ?
-Vais m’acheter des poumons sur internet, sinon ça va.
-C’est normal si t’es pas habituée.
-Je me croyais invincible, avec mes années de danse.
La danse m’avait au moins permis d’habituer mon corps à récupérer très vite. En quelques instants mon cœur se calma, et ma respiration reprit un cours moins syncopé. Je l’accompagnai dans ses étirements et, décidément orgueilleuse, je fis quelques mouvements que seule une femme vraiment souple peut se vanter de réussir. Au moins sur la fin, j’eus l’air moins pathétique…
Chloé m’invita à boire un verre chez elle. Elle habitait avec ses parents, tout à côté du parc en question. Ils n’étaient pas rentrés de leur travail quand nous entrâmes dans sa cuisine pour nous rafraichir enfin.
-Tu vis seule toi, il me semble, dit-elle pour entamer la conversation.
-Oui, depuis que je suis étudiante. Mes parents vivent trop loin, c’était plus possible d’habiter chez eux tout en étant étudiante ici.
-J’aimerais bien avoir mon indépendance, moi aussi.
-Tu sais, indépendance c’est juste un mot. La réalité est un peu différente.
-Oui, mais je veux dire, t’as plus tes parents dans tes pattes au quotidien.
-C’est vrai.
-T’as l’air en forme ces derniers temps. Quand je t’avais proposé de m’accompagner courir, je te trouvais pas très bien.
-Ah, oui, cela dit c’est sympa de courir aussi quand on va bien !
-C’est indiscret si je te demande ce qui t’était arrivé ?
-Rupture.
-T’as eu du mal à l’encaisser visiblement… Et là, tu vas mieux parce que t’as réussi à tirer un trait, ou bien … ?
-J’ai un nouveau copain.
-Cool !
-Et toi, un mec ?
-Non, non, je suis célibataire en ce moment.
-Dis-moi, ta super montre, là, elle dit qu’on a couvert quelle distance ?
-Huit kilomètres.
-J’ai fait ça, moi ?
-Oui.
-Mais en une heure ?
-Non, moins.
-Ah ! Je croyais que tu voulais courir une heure.
-Non, je visais les huit bornes.
-Et donc on a mis combien de temps ?
-Quarante-deux minutes, en gros.
-C’est bien ?
-Pour une première séance, franchement oui. Ça te fait du 5 minutes 15 du kilomètre.
-Mais toi, seule, t’aurais mis combien ?
-Disons que dans le même temps j’aurais fait dix bornes.
-C’est pas trop chiant de courir avec une débutante lente et mal fringuée ?
-Mais non, et d’ailleurs si tu veux faire ça de façon plus régulière, ça me va. Je ferai mes séances longues et plus rapides de mon côté, et puis tu verras que petit à petit tu accélèreras et dureras plus longtemps.
-On essaye de se fixer ce rituel tous les mardis ?
-Tous les mardis vers 16h15 on se retrouve à l’entrée du parc, d’accord.
Régénérée par ce regain d’activité physique en plus de ma séance hebdomadaire de danse, je rentrai chez moi, pris une douche méritée, et rallumai mon portable pro tout en travaillant jusqu’à ce qu’il soit l’heure du dîner. Quelques hommes tentèrent encore d’obtenir un ticket gagnant pour que je les suive au fond de leur lit, mais il n’y eut pas de nouvelle prise de rendez-vous pour des massages.
L’après-midi touchait à sa fin quand mon portable personnel sonna. C’était ma mère. Je pris l’appareil et mon courage à deux mains.
-Bonjour ma chérie, tu vas bien ?
-Très bien, maman.
-Ecoute je t’appelle pour plusieurs choses liées à Charlotte.
-Oui ?
-La première chose c’est que je suis un peu inquiète. Je la trouve étrange depuis quelques jours.
-Etrange comment ?
-Pas en forme, et assez secrète.
-Mais qu’est-ce que je peux faire sur ce sujet ?
-Samedi on était chez des amis, ton père et moi, nous sommes rentrés tard, elle ne dormait pas, et elle avait vraiment l’air préoccupée. Le lendemain c’était la même chose, elle est allée travailler chez une copine dans l’après-midi, mais quelque chose sonnait faux, je ne sais pas… J’ai l’impression qu’elle m’a menti. Lundi soir en rentrant du lycée, elle était toute blanche, vraiment pas bien. Elle m’a assuré que tout allait bien, mais ça n’en avait pas l’air du tout. Ce matin elle est partie agacée, en me disant qu’il fallait que j’arrête de la harceler avec mes questions. Là elle n’est pas encore rentrée mais comme ça me travaille j’ai préféré t’appeler.
-Mais pourquoi ?
-Tu sais peut-être quelque chose.
-Maman, fais confiance à Charlotte. S’il y avait quelque chose elle vous le dirait.
-Je n’en suis pas sûre.
-Alors respecte son besoin de silence, dans ce cas.
-Si ma fille est en danger j’ai quand même envie d’être au courant.
-Charlotte n’est pas en danger, maman.
-Donc tu sais quelque chose.
-Je sais que ta fille n’est pas en danger.
-Tu ne voudrais pas essayer de lui parler pour voir ce qu’il y a ?
-Non, Maman, je ne vais pas espionner Charlotte pour toi.
-Tout de suite les grands mots…
-Parle à ta fille, si tu te poses des questions.
-J’ai essayé, figure-toi. Et ce n’est pas plus facile qu’avec toi au même âge.
-Et je suis toujours en vie, non ?
-Oui et alors ?
-Donc je n’étais pas en danger quand je te disais blanc en pensant noir.
-Ah, donc tu crois aussi que c’est ce que fait Charlotte.
-Je crois que Charlotte a dix-sept ans et que c’est une fille géniale. Ça devrait à la fois t’expliquer pourquoi tu peux parfois la trouver étrange, et te rassurer.
-C’est facile à dire, tu n’es pas sa mère.
-Non, je suis sa grande sœur, et excuse-moi maman si je ne l’ai pas mise au monde, mais je tiens à elle autant que toi !
-Excuse-moi…
-C’est bon, laisse. C’est quoi les autres choses liées à Charlotte ?
-Elle va faire une fête pour ses dix-huit ans.
-Oui je sais, je serai là.
-Non, je veux dire, le samedi soir, avec ses amis.
-Oui, je sais.
-On a donné notre accord, ton père et moi, pour ne pas être présents et la laisser se débrouiller.
-Elle en est ravie, oui.
-Oui mais avec les inquiétudes de ces derniers jours… je suis moins sûre que ce soit une bonne idée.
-Mais si.
-Est-ce que toi qui es si proche d’elle tu pourrais … t’inviter à cette fête ?
-Non mais je rêve, là !
-Quoi ?
-Y’a cinq minutes tu me demandes de l’espionner, maintenant tu me demandes de la fliquer ?
-Mais non, simplement marquer une présence adulte.
-Rappelle-moi ce qu’elle fêtera, exactement, ce soir-là ?
-Ne joue pas sur les mots, Léa !
-Je ne joue sur rien. La présence adulte ce sera elle-même. Elle a la maturité pour. Je trouve dommage que tu en doutes. Tu as peur de quoi au juste ? Qu’elle transforme la maison en site de rave avec deux-cents teufeurs recrutés sur facebook ? Si c’est le cas, bien qu’adulte aussi, je ne pourrai rien faire pour l’éviter.
-Ne va donc pas dans les extrêmes, ma fille.
-Ta demande est extrême, maman. Mais réponds-moi, tu as peur de quoi ?
-J’ai peur qu’elle se drogue !
-Ce n’est pas le cas.
-Ton père me dit de me calmer et de la laisser vivre, mais tu le connais, il a toujours été permissif.
-Non, maman, c’est toi qui as toujours été chiante ! Lui a simplement essayé de compenser.
-Chiante, carrément.
-Oui, maman, chiante, et je le dis affectueusement.
-Encore heureux, dis donc.
-A défaut d’obtenir de moi la surveillance que tu espérais, tu es ouverte à un conseil de ta fille aînée ?
-Bien sûr, Léa.
-Fais-lui confiance et montre-le-lui !
-Je suis simplement inquiète pour elle.
-Raison de plus pour lui montrer que tu lui fais confiance malgré tout. Ça n’en aura que plus de valeur pour elle.
-Je ne te faisais pas confiance à toi ?
-Non, maman.
-J’étais…
-Inquiète, oui, je sais. C’est juste un prétexte, ça. Elle n’a plus douze ans. Au mieux ton inquiétude ne porte sur aucun fait avéré, car ta cadette est désormais une jeune fille extraordinaire et tu vas l’agacer, voire la blesser. Au pire ta petite princesse est une trainée qui se drogue et se vautre dans la luxure et ton inquiétude n’a pas empêché cela, pas davantage qu’elle n’a empêché que tu ne t’en sois pas aperçu. Dans tous les cas, être inquiète ne sert plus à rien. Alors lâche un peu Charlotte et respire toi aussi.
-Donc finalement, c’est toi qui me suggères des conseils d’éducation ?
-Non, juste un conseil d’attitude.
-Et qu’est ce qui te donne une telle assurance ?
-Je suis ta fille aussi, et j’ai eu dix-sept ans aussi.
-Tu as réponse à tout, donc.
-Oui. Avec toi, ne pas avoir de réponse revient à avoir tort.
-Je vais te faire confiance à toi. Je sais que tu connais bien Charlotte et qu’elle est très liée à toi.
-Voilà, et par transitivité ça te permettra de faire confiance à Charlotte à travers moi. T’as le sens du compromis…
-Bon Léa, on te voit avant la fameuse fête du dimanche ?
-Non j’ai énormément de travail, mais je passerai la journée entière à la maison avec vous. Vous avez quoi de prévu ?
-Presque toute la famille sera là. S’il fait beau ton père fera des grillades et on a commandé le gâteau préféré de Charlotte en taille XXL.
-Chauve-souris melba ?
-Tu ne t’en remettras jamais, hein ?
-Non, et c’est tout sauf grave. Donc le gâteau ?
-Un Saint-Honoré. Le pâtissier a cru devenir fou quand je lui ai dit que ce serait pour trente personnes.
-Pourquoi n’en fait-il pas plusieurs ?
-Il me l’a suggéré, mais je veux un seul gâteau. Avec les dix-huit bougies.
-Maman, comment veux-tu faire un unique Saint-Honoré pour autant de monde ?
-Il se débrouille, c’est lui le pâtissier !
-A part ça, t’es pas chiante … T’as une idée du diamètre que ça va avoir ? Tu vas le trimballer comment ?
-Ton père se débrouillera !
-Bon j’irai chercher le truc avec lui dimanche matin. Ça promet.
-C’est quand même son gâteau préféré, non ?
-Mais oui, maman, évidemment, elle sera contente.
-Donc tu viens tôt le matin ?
-Si j’arrive pour dix heures ça ira ?
-Les invités viennent vers midi…
-Neuf heures ? Ça laisse du temps pour vous aider papa et toi…
-Y’aura plein de choses à faire, tu sais.
-Bah oui, sans parler de recoller le papier peint, d’effacer les tags sur les murs, de replanter les rosiers qui flotteront dans la piscine et de ramasser les joints et les seringues usagées de la veille.
-Très drôle, ma fille.
-Huit heures ?
-Excellente idée !
-Oui, je l’aurais pas eu toute seule, d’ailleurs…
Après une telle conversation, je ne fus plus bonne qu’à m’avaler une soupe de petits pois à la menthe et à m’enfiler les épisodes 17 à 20 de la première saison de Lost, avant d’aller me coucher pour attaquer un mercredi au programme duquel il y avait une matinée à la fac, le cours particulier avec Eva, mon entrainement de danse, et Éric !
Pendant la matinée, Chloé me confirma que ça lui avait fait plaisir de courir avec moi. J’étais moi-aussi heureuse de cette nouvelle pratique, et de mieux faire connaissance avec cette fille sympathique, un peu à l’écart dans les amphis et les séances de TD.
Eva avait repris les cours au lycée et son bulletin du deuxième trimestre était arrivé pendant les vacances. Ses notes étaient très satisfaisantes et elle était en bonne voie pour être acceptée en première ES, ce qu’elle souhaitait en priorité. Son père était ravi, fier de sa fille, et me remercia chaleureusement pour l’aide apportée depuis bientôt trois ans. Je disparus dans l’escalier pour me rendre à mon cours de danse, laissant le papa apprécier ma chute de rein comme il en avait pris l’habitude.
La prof égyptienne nous annonça qu’elle avait enfin une date pour le spectacle de danses orientales que nous montions progressivement. Ce serait pour le soir de la fête de la musique, le jeudi 21 juin ! Ce choix nous garantissait un public nombreux, ce qui rajoutait de l’excitation et du stress, d’autant que nous aurions moins de temps pour être prêtes que s’il avait fallu l’être pour juillet ou août. La représentation tomberait en plein pendant les épreuves du bac. J’espérai que Charlotte pourrait venir me voir quand même. Nous nous remîmes donc au travail, avec cette échéance enthousiasmante en point de mire, dans à peine trois mois.
Rentrée chez moi, je me changeai pour accueillir Éric. J’enfilai mon ensemble de lingerie en dentelle vieux rose, mon jean skinny et mon chemisier blanc dont, une fois n’est pas coutume, je laissai deux boutons ouverts. Pour lui faire plaisir, je chaussai mes récentes bottines rouge brique à talons hauts. Il arriva en fin d’après-midi. Nous passâmes la soirée ensemble, allant au cinéma manger un panini puis voir « Nos plus belles vacances » qui venait de sortir. Il me raccompagna chez moi et nous fîmes l’amour.
Une fois les ébats achevés, et alors que je somnolais nue dans ses bras, il se fit curieux.
-Quand tu m’as appelée hier, t’avais l’air…
-… l’air … ?
-D’avoir envie…
-D’un tiramisu ?
-T’es chiante avec ton second degré.
-C’est comme ça, je fais les meilleures fellations que t’as jamais eues, mais il faut supporter mon humour défensif et mon ironie.
-T’avais envie de faire l’amour ?
-Très !
-Moi aussi. Tu… as fait… quoi… du coup ?
-J’ai appelé SOS orgasmes, ils envoient Matt Damon.
-…
-Toi t’as une question osée à me poser et elle n’arrive pas à sortir !
-J’avoue.
-…
-Est-ce que tu te caresses, de temps en temps ?
-Bien sûr, pas toi ?
-Si, si… enfin moins maintenant, vu qu’avec toi c’est … enfin … explosif.
-Mais tu le fais encore, c’est normal. Pareil pour moi.
-Et hier ?
-Oui, puisque tu n’as pas pu mettre ton pénis à ma disposition, j’ai fait le boulot toute seule comme une grande, c’est ça que tu voulais entendre ?
-L’idée est assez … excitante.
-T’aurais envie de me voir faire, un de ces jours ?
-T’es sérieuse ?
-Pourquoi pas, ça peut être un petit jeu érotique très stimulant.
-Tu aimerais que j’en fasse autant ?
-On verra bien sur le moment. T’as jamais osé demander ça à tes ex ?
-Non, c’est quand même spécial.
-C’est vrai.
-Tu l’as déjà fait en face d’un garçon ?
-Non, pas directement, comme ça.
-Si un jour t’as le feeling…
-Oui, je te le dirai.
-T’as pas le feeling, là ?
J’éclatai de rire.
-Non pas ce soir.
-Ok…
-C’est un truc qu’il faut sentir.
-Evidemment.
-Et puis y’a un petit détail qui entre en ligne de compte.
-Lequel ?
-Je devrais avoir mes règles demain.
-Ah… et donc ?
-Bah et donc j’ai envie de refaire l’amour, gros malin, vu que je pourrai plus pendant quelques jours !
Après un premier ébat fougueux, nous étions d’humeur câline. Nous accumulâmes les préliminaires, laissant s’exprimer nos mains. Puis il me prit en cuiller, très lascivement, lové dans mon dos, allongés tous les deux sur le côté, jambes imbriquées. Ses deux mains libres avaient toute latitude pour continuer les caresses dont j’étais demandeuse, et ma poitrine, mon dos, mes épaules, mes fesses, furent comblées. Ravi de partager les rôles, Éric me laissa gérer la pénétration. Mes fesses s’accordèrent avec son bas-ventre, et elles imprimèrent des mouvements suaves, suffisants pour que les sensations délicieuses nous envahissent peu à peu, tout en donnant l’impression que nous pourrions rester des heures ainsi. Je sentais des baisers dans mon cou, et mes oreilles furent inondées des mots les plus doux tandis que mon amoureux se frayait un chemin dans ma chevelure blonde. Les orgasmes vinrent lentement, très lentement. Quand la tension monta, Éric se retira et s’assit sur mon lit. Sa verge luisait. Mon sexe au bord de l’extase suprême réclama sa présence, envoyant des signaux de manque. Je m’assis sur lui, descendant fébrilement, et Éric guida son sexe pour qu’il pénètre à nouveau en moi. Mon ventre glissa sur le sien, et mes bras encerclèrent ses épaules. Nos bouches se trouvèrent et ne firent elles-aussi plus qu’une. Éric plaça ses mains sous mes fesses. Je le sentis me soulever puis me reposer sur ses jambes en tailleur afin que son pénis glisse en moi. J’aidai le mouvement saccadé à devenir répétitif en donnant de petites impulsions avec mes pieds. Quand l’orgasme s’imposa à moi, ma bouche se lova dans son cou et mes mains se crispèrent sur ses épaules, mes ongles griffant les chairs, remplaçant ma voix dans la manifestation du plaisir. Éric bascula alors, me faisant tomber sur le dos, ma tête retenue par mon oreiller, et je sentis son corps presser le mien, jambes emmêlées alors que je jouissais. Quelques coups de rein ravivèrent le plateau de mon orgasme et mes ongles griffèrent à nouveau. Mon amant se cabra enfin et, ses jambes toujours prisonnières des miennes, il posa une main sur mes seins, poussant légèrement comme s’il avait voulu s’enfuir, mais quand il éjacula, sa bouche chercha mes lèvres et sa langue revint caresser la mienne pendant que sa liqueur se déversait en moi.
Il repartit alors que j’étais toujours nue.
Une impression de toute puissance m’envahit délicieusement, mélange de reste d’orgasme, du sentiment exaltant que tout allait bien dans ma vie, et de la griserie orgueilleuse mais illusoire que j’en avais le contrôle. Ces enchainements de moments de bonheur, petite routine de conte de fée, ne pouvaient qu’annoncer des jours enchanteurs à perte de vue, comme un été caniculaire sans nuage n’est qu’une succession de ciel bleu azur et de soleil éclatant.
Mais il faut parfois peu de choses pour que la canicule vire aux orages les plus violents et que vienne l’automne, inéluctablement.
En particulier quand on croit que l’on fait soi-même la pluie et le beau-temps.
I have a tale to tell
Sometimes it gets so hard to hide it well
I was not ready for the fall
Too blind to see the writing on the wall
A man can tell a thousand lies
I've learned my lesson well
Hope I live to tell
The secret I've learned 'till then
It will burn inside of me