Zhang JingXi poussa la porte de sa chambre en se frottant les yeux, ressentant la fatigue qui venait de s’abattre sur ses épaules. Malgré sa presque double sieste de l’après-midi, il pressentit qu’il n’aurait pas de mal à s’endormir pour cette nuit.
Il sortait d’une très longue discussion avec son Lao Da Ye, une conversation calme, mais qui avait été émotionnellement chargée dans la mesure où Zhen YuJin en avait été le cœur, même s’ils avaient également beaucoup parlé du reste de la journée et des tunnels. Le Cultivateur retira ses bottes et les envoya voler d’un coup de pied à l’autre bout de la pièce. Il défit sa ceinture et libéra son épée, MengYou, qui s’empressa de retourner dans son fourreau exposé sur son bureau. Machinalement, il dénoua sa tresse, puis se passa une main dans les cheveux pour finir de les relâcher. D’un tiroir du bureau, il sortit un talisman de feu et alluma un charbon qu’il déposa dans l’encensoir, avant de rajouter par-dessus une poignée d’encens au camphre pour purifier et embaumer sa chambre. C’est en ouvrant la fenêtre pour laisser une partie de la fumée s’échapper qu’il réalisa qu’il n’avait même pas essayé d’utiliser sa capacité.
Peut-être que ça marcherait, aujourd’hui, qui sait…
Il regarda un instant sa main gauche, effleura sa cicatrice du bout des doigts tout en songeant à son Prince adoré qui avait pris l’habitude de la caresser délicatement. Un vague sourire aux lèvres, il entreprit de commencer à se déshabiller lorsqu’une missive pliée en forme de coq apparut sous son nez. Aussitôt, Zhang JingXi l’attrapa et la déplia pour en découvrir le contenu.
La lecture des quelques lignes notées dans le courrier fit pétiller ses yeux d’intérêt. Ravi, il s’assit sur le bord de son lit et s’allongea sur le dos, avant de relire la lettre, plus posément. Cette fois-ci, son expression se rembrunit et son regard se fixa sur le plafond alors qu’il la laissait retomber sur ses couvertures.
Il faut que je parle à A-Jin…
Cette missive était importante, il ne pouvait absolument pas la passer sous silence. Mais en dévoiler le contenu impliquait de devoir avouer certaines choses auparavant. Il se mordit les lèvres, puis se plaqua les deux mains sur le visage en soupirant, sachant qu’il ne pouvait pas repousser le moment fatidique des explications. Ils étaient censés se retrouver demain, devant la maison de l’ancien Intendant et de là participer au déblayage du tunnel et continuer leur enquête. Zhang JingXi songea un instant à simplement attirer son amant à l’écart du reste du groupe, pour pouvoir lui parler en toute tranquillité, mais rejeta bien vite cette pensée. La discussion qu’ils devaient avoir allait prendre plus qu’une poignée de minutes volées entre deux tâches importantes à mener. Il ne désirait pas non plus l’avoir avec plein de monde autour ou non loin d’eux, ils risquaient d’être dérangés. Il espérait que Zhen YuJin comprendrait et ne réagirait pas mal, mais si tel devait être le cas, le Cultivateur ne souhaitait pas qu’ils aient un public assistant à une potentielle dispute. Il se redressa sur un coude, tout en tournant la tête vers son bureau. Peut-être pouvait-il lui envoyer une lettre lui demandant de bien vouloir le rejoindre à un endroit précis, bien avant le rendez-vous prévu ? Ainsi, ils auraient tout le temps de parler !
Il tendit la main vers l’un de ses tiroirs pour attraper une feuille, puis se ravisa. S’il lui adressait une missive maintenant, il allait passer la nuit à attendre sa réponse et à s’angoisser en pensant à la conversation à venir. Ses yeux coulissèrent vers la fenêtre ouverte. Il observa le ciel noir. Il était à peine minuit. Zhen YuJin dormait sûrement à cette heure-ci, mais peut-être… peut-être pouvait-il aller le rejoindre ? Sa propre nuit était fichue de toute façon, Zhang JingXi savait qu’il n’arriverait pas à dormir tant qu’ils n’auraient pas parlé ensemble. Donc quitte à passer une nuit blanche pourquoi ne l’utiliser pour cette discussion ? Au moins, ils auraient de longues heures devant eux pour mettre des choses au clair. Il savait où était la chambre qu’il partageait avec Chan YinMai, il pouvait se faufiler jusqu’à l’auberge, entrer à l’intérieur — Monsieur Zhong ne fermait jamais la porte d’entrée étant donné qu’il recevait des clients qui pouvaient rentrer à des heures tardives — se glisser dans la chambre et réveiller Zhen YuJin. Ce n’était peut-être pas très correct de le tirer du sommeil à une heure pareille, néanmoins si Zhang JingXi craignait sa réaction future, il était quasiment certain que le Musivateur comprendrait parfaitement pourquoi il était venu le sortir du lit.
Rapidement, le Cultivateur fit un calcul dans sa tête, estimant qu’en partant maintenant et en prenant les raccourcis, il pouvait arriver à l’auberge d’ici une quinzaine de minutes. Autrement dit, dans vingt minutes tout au plus, ils pourraient commencer leur conversation. Motivé, bien que légèrement préoccupé face aux heures à venir, Zhang JingXi sauta hors de son lit et se rhabilla.
— MengYou, appela-t-il.
Aussitôt, sa fidèle épée jaillit de son fourreau pour retourner dans sa ceinture tandis qu’il remettait celle-ci autour de sa taille. Il renfila ses bottes, glissa la missive reçue dans sa manche et se pencha sur son bureau pour attraper un papier. Il ignorait comment les choses allaient se dérouler, mais si tout se passait bien peut-être qu’il finirait la nuit avec son homme, auquel cas il ne fallait pas que son oncle s’inquiète de son absence.
Le Cultivateur sortit peu après de l’habitation, tout en renouant ses cheveux, puis se mit à courir sans bruit en direction de l’auberge.
Telle une ombre, il se faufila dans les rues et ruelles qu’il connaissait par cœur. À l’instant où il s’apprêtait à tourner à l’angle de l’une d’elles, Zhang JingXi pila net et recula précipitamment pour ne pas se faire repérer par les deux silhouettes qui semblaient attendre quelque chose.
Ah zut, il va falloir que je fasse un détour.
Il commença à rebrousser prudemment chemin lorsque l’une d’elles prit la parole :
— Il pourrait se dépêcher là ! Pourquoi il fait pas son bazar à la planque, ça serait plus simple !
— Trop dangereux pour nous, rétorqua aussitôt une seconde voix.
Le Cultivateur retint son souffle en cessant soudain de bouger, reconnaissant immédiatement la dernière personne.
Mademoiselle Xue…
Quant à l’autre, il était certain de l’avoir déjà entendu également quelque part, mais ne parvint pas à situer son identité.
Il s’agit de ne pas trainer dans les parages, ce n’est pas le moment de se faire attraper.
Zhang JingXi recula encore de quelques pas, avant de se retourner pour continuer son chemin. Son cœur rata quelques battements ; un troisième individu arrivait droit sur lui et ne semblait pas du tout ravi de constater sa présence. Le nouveau venu lui bloquait naturellement la route et haussa les sourcils en le reconnaissant :
— Tiens, tiens, mais je t’ai vu à Jinhar, toi !
Il leva aussitôt la voix :
— Eh ! Venez voir un peu sur qui je viens de tomber ! Un fouineur !
Les yeux du Cultivateur fouillèrent immédiatement les alentours. L’accès arrière était bloqué par les deux autres qui arrivaient dans son dos. Le toit le plus proche était trop haut pour qu’il puisse y accéder simplement en sautant. Son chemin de sortie était bouché par l’individu qu’il identifia comme étant Yang JuZheng, le soi-disant fiancé de feu Jeune Maîtresse HengXing.
— On peut peut-être discuter ? hasarda-t-il en reculant d’un pas tout en jetant un coup d’œil par-dessus son épaule.
La fille de l’aubergiste de Jinhar se tenait derrière un garçon de son âge qu’il reconnut enfin, il s’agissait du fils du joaillier, Liu XiLun.
Ils sont au moins deux sur les trois à avoir un Noyau d’Or, je dois me montrer prud…
MengYou jaillit à cet instant de sa ceinture et envoya voler plus loin les deux dagues que Yang JuZheng avait expédiées dans sa direction.
— Chopons-le !
Le riziculteur tendit la main pour rappeler les deux armes, tandis que l’épée de Zhang JingXi se déplaçait à toute vitesse pour dévier celles que Liu XiLun venait à son tour de jeter droit sur lui. Par chance, MengYou détourna l’une des dagues vers l’homme qui lui barrait le chemin, ce dernier du faire un écart pour ne pas se faire toucher. Le Cultivateur profita de cette ouverture pour détaler à toutes jambes en le bousculant au passage.
— Je me permets d’emprunter les tiennes, Xue Hui ! s’écria le joaillier.
Tout en courant, le Cultivateur entendait et voyait sa fidèle épée qui se chargeait de repousser les six dagues qu’on venait de jeter à ses trousses. Toutes semblaient être manipulées à distance par du Qi et ses poursuivants s’étaient lancés sur ses talons. Ils courraient moins vite que lui. La jeune fille n’avait visiblement pas encore de Noyau d’Or et ses deux acolytes utilisaient déjà une grande partie de leurs capacités pour manier les armes de loin. Il pouvait réussir à les distancer, mais se débarrasser des dagues allait être difficile. Il sortit un talisman de vent de sa manche et l’actionna pour aider sa fidèle lame à planter trois armes ennemies dans un mur. Il remarqua avec angoisse que celles-ci ne comptaient pas rester sagement en place et remuaient dans tous les sens pour se dégager.
Bon sang de… !
Il ne voulait pas savoir comment ils avaient réussi à trafiquer leurs dagues pour qu’elles aient l’air de vouloir le réduire en charpie. Zhang JingXi se faufila précipitamment dans les rues, effectuant des écarts brusques et irréguliers pour éviter de se faire toucher, conscient que MengYou faisait de son mieux pour le protéger, mais que tous deux n’allaient pas tenir ce rythme bien longtemps. Il était seul contre six armes enragées et trois humains qui souhaitaient lui faire la peau. Il n’avait pas non plus le temps de sauter sur son épée et de s’envoler avec elle, les quelques secondes que durerait la manœuvre risquaient d’être fatales. Il n’était même pas sûr de pouvoir les semer en volant.
Réfléchissant à toute vitesse, le Cultivateur dévia soudain en direction du fleuve, obéissant à une intuition.
J’ai une chance de leur échapper si je prends le passage !
Tout en se concentrant sur son Énergie Spirituelle pour accélérer encore le mouvement, il se rua en direction des quais, le regard rivé sur le plus grand pont de la Capitale. Zhang JingXi baissa la tête pour esquiver une dague. Il entendit le claquement métallique de MengYou qui repoussait les assauts réguliers de ses congénères et chercha un nouveau talisman de vent dans ses manches, tout en se félicitant intérieurement d’avoir renouvelé son stock. En arrivant aux abords du pont, le Cultivateur se retourna brutalement en libérant le pouvoir du sceau et la puissante bourrasque frappa les six lames qui s’éloignèrent de lui, lui offrant un répit provisoire. Aussitôt, il prit appui sur le muret longeant les quais et sauta en bas, atterrissant directement sur les berges du fleuve. Ses poursuivants n’étaient pas encore en vue, mais il les entendait galoper dans les rues proches. Il plaqua immédiatement ses mains sur le mur de pierres apparentes, juste à côté du pont et tâtonna jusqu’à trouver celle qui l’intéressait. Instantanément, son Qi s’activa, tandis que MengYou reprenait son combat contre les dagues, dans son dos.
Vite, vite, vite ! Pourvu que ça marche !
Le mur commença à se dérober sous sa main, libérant une ouverture et il faillit laisser passer une exclamation de joie. Zhang JingXi se retourna, utilisant un troisième talisman et repoussa cinq dagues sur le quai supérieur, préférant éviter de donner une indication sur sa cachette. À l’instant où il rappela MengYou à lui, un mouvement furtif attira son attention. Un cri de douleur lui échappa lorsque la dernière lame s’enfonça jusqu’à la garde dans son épaule droite. En étouffant un gémissement, il la retira et la lança aussi loin que possible. Ensuite, il s’engouffra dans le passage et plaqua sa main sur le mur pour le rabattre.
— Il a crié ! Par ici !
Il eut le temps d’entendre les bruits de pas de ses agresseurs qui commençaient à se rapprocher, plusieurs mètres au-dessus de lui, mais le passage se referma bien avant qu’ils ne puissent voir quoi que ce soit.
Zhang JingXi poussa un soupir de soulagement en s’adossant contre le pan de mur. Il était en sécurité ici. Même si par le plus grand des hasards, le trio arrivait à trouver la porte dissimulée, seul son Qi pouvait l’ouvrir. Il tâtonna dans ses manches et sortit un talisman de feu qu’il alluma. Son premier réflexe fut de regarder son épaule douloureuse et il grimaça en constatant que ses vêtements s’imbibaient de sang noirci.
Du poison…
MengYou attendait, à côté de lui, l’air penaud. Il lui adressa un sourire rassurant et chuchota :
— Ce n’est pas de ta faute, ils étaient plus nombreux que nous.
Sur ses mots, il invita son épée à déchirer le bas de sa robe et récupéra le bout de tissu pour en faire un bandage provisoire. Ensuite, MengYou à nouveau rangée dans sa ceinture, un talisman dans la main pour éclairer son chemin, il se mit en route.
Zhang JingXi marchait dans le passage qu’il avait emprunté, des années auparavant, pour libérer une partie des prisonniers, ce fameux jour où il avait rencontré Lu Lei. Il savait qu’en avançant pendant quinze bonnes minutes, il finirait par rejoindre la deuxième salle. De là, il pourrait retrouver le tunnel utilisé plus tôt dans l’après-midi. Il sortirait par le pavillon de l’ancien Intendant et trouverait rapidement de l’aide pour soigner sa plaie.
Du moins, c’était son plan jusqu’à ce qu’il réalise au bout de dix pas que sa vision commençait à s’obscurcir. Sa blessure l’élançait terriblement, il avait la sensation que des centaines d’aiguilles piquaient son épaule et essayaient de la détacher du reste de son corps. De sa main valide, il prit appui contre le mur et tenta d’avancer, un pied après l’autre, l’autre bras serré contre lui. Lorsque le feu s’éteignit, il ne chercha pas à en allumer un nouveau, il savait qu’il lui suffisait de longer le couloir jusqu’à la prochaine intersection et gaspiller son Qi ne semblait pas être la meilleure des idées à l’heure actuelle.
Zhang JingXi se mordit les lèvres. Ses jambes tremblaient davantage à chaque seconde qui s’écoulait. Son corps frissonnait. Une sueur moite commença à le recouvrir. Le silence régnait dans les souterrains, rompu uniquement par l’écho de ses semelles qui progressaient péniblement et par son souffle qui devenait de plus en plus haché.
Chaque pas en avant était difficile que le précédent.
… Il faut… Il faut… au moins que j’avance un peu. Même si je n’arrive pas à atteindre la sortie, si je peux… si je peux rallier la deuxième salle, ils seront obligés de passer par là, demain. Ils pourront me trouver…
Mais avant d’atteindre la pièce, il devait longer son couloir jusqu’au croisement voulu, puis suivre encore un tunnel…
Titubant, le Cultivateur parvint à avancer de quelques mètres, avant que ses jambes ne se dérobent brutalement sous son poids. Il s’écroula de tout son long sur le sol froid et humide. Un faible cri lui échappa lorsque son épaule cogna par terre, accentuant la douleur lui ravageant déjà tout le bras qui semblait avoir plongé dans un bain d’acide. Il avait la sensation que quelque chose rongeait ses os, brûlait à vif ses méridiens.
Zhang JingXi tenta de se relever en s’appuyant sur son coude valide. Ses forces le quittèrent et il retomba aussitôt. Les dents serrées, il roula sur le dos. De sa main gauche, il tâtonna dans sa manche droite, à la recherche de papier, tout en sachant pourtant parfaitement qu’il rangeait uniquement ses talismans ici. Son papier à lettres et ses encres se trouvaient dans son autre manche et pour ça il avait besoin d’utiliser son bras blessé. Prenant une profonde inspiration, il bougea ce dernier dans l’espoir de réussir à récupérer ce qu’il voulait, mais la simple amorce du mouvement déclencha une douleur vive et brutale dans toute son épaule. Un hurlement lui échappa, malgré sa tentative pour le contenir. La souffrance fut telle qu’un éclair blanc transperça son champ de vision. Tout se mit à tanguer autour de lui. Par réflexe, il plaqua sa main sur sa blessure et se recroquevilla sur lui-même, tremblant de tous ses membres.
Il ne pouvait pas se relever. Les larmes aux yeux de détresse, il essaya de ramper en plantant ses talons dans le sol et parvint à avancer ainsi de quelques pauvres mètres, avant de sentir qu’il perdait de plus en plus pied.
Désolé, Chan YinMai… Tu m’avais prévenu pourtant. Et j’avais promis à A-Jin de ne pas m’aventurer seul ici…
Ses paupières se fermèrent.
Je ne dois pas renoncer. Je peux m’accorder un peu de repos… juste un peu… et trouver un moyen de les prévenir. Il faut que je tienne le coup quelques heures, c’est tout.
Son corps lui paraissait si lourd. Si fatigué. La souffrance de son bras semblait presque lointaine maintenant, comme s’il la percevait à travers un brouillard.
Pardonne-moi, A-Jin…
Zhang JingXi essaya de ramper encore. Haletant de douleur, il eut la sensation que le sol s’ouvrait sous lui et l’engloutissait tout entier dans un gouffre noir.
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