Alors que Théo et Riton s'offraient un petit voyage dans le cellier, j'allai voir les deux gosses pour m'assurer qu'ils ne tuaient personne. À mon grand étonnement, le Gamin était couché sur les jambes de sa grande sœur, il dormait paisiblement pendant que la Gamine lui caressait la tête en regardant le terrarium devant elle. Il s'agissait d'une énorme cage en verre, plus haute que moi, contenant une statue du Penseur de Rodin. Le pauvre bougre servait de support à un élevage d'araignée dont le corps était gros comme mon pouce.
« On dirait que celui-là a attendu trop longtemps pour agir » dis-je tout bas pour ne pas réveiller le Gamin, « Maintenant il se sent obligé de rester immobile, sinon ils détruiraient la maison de ses hôtes. »
« C'est stupide !» me répondit la Gamine sans arrêter de fixer la statue dans les yeux. « Ce ne sont que des parasites, si j'étais à sa place je ne me laisserais coincée par rien ni personne. »
« Pourquoi penses-tu qu'il reste comme ça Gamine ? »
« Par peur. Il craint que les araignées l'attaquent. »
« Possible, ça peut être par amour aussi. Il ne veut peut être pas les déranger. »
« Ce sont des araignées, Vieux Gamin. Personne n'aime les araignées. »
« On a la compagnie que l'on souhaite. Tu dis que tu ne laisserais personne te stopper, mais ton frère t'empêche de te lever. »
« Ce n'est pas la même chose ! » répliqua t-elle d'un ton menaçant, «Mon frère n'est pas une araignée. »
« Non en effet, c'est quelqu'un que tu protèges. On pourrait s'y méprendre d'ailleurs : on pourrait croire que ce sont les araignées qui protègent la statue. Après tout, c'est peut être toi l'araignée. »
«... Qu'est ce que vous insinuez vieux cinglé ? »
« Moi ? Je n'insinue rien. Je vois un gamin muet qui n'a jamais vraiment communiqué avec les humains et je vois une grande sœur qui lui serre de bouclier. Je m'assure juste que la dite grande sœur comprenne bien qu'il doit finir par sortir et découvrir le monde extérieur. »
« Il a déjà vu le mond... »
« Seul .»
Elle resta paralysée quelques secondes, sa lèvre tremblant un petit peu. « … Il n'est pas prêt. »
« Peut être. Mais ça viendra. Malheureusement pour toi, je n'attendrai pas que tu sois prête. Aussi, tu sais comme moi que c'est pour le mieux, pour toi comme pour lui. »
Elle me fusilla du regard, il y avait de la haine dans ses yeux et une promesse sourde de vengeance ; mais comme je ne bronchais pas, elle détourna le regard, prit délicatement son frère dans ses bras, sans le réveiller, et se dirigea vers la chambre de Théo.
Avant de rentrer dedans, elle s'arrêta et me dit : « Vous avez sauvé mon frère alors que je ne pouvais pas le faire. Je ne vous remercierai jamais assez. Alors comme convenu, ma vie vous appartient. Je compte sur vous pour m'aider à rendre mon frère heureux. Je vous fais confiance, et je vous conseille de ne pas vous moquez de moi, sinon... »
« Sinon tu me tueras, je le sais. »
Elle resta silencieuse quelques secondes, puis elle ajouta « … Pas que. ».
Elle rentra avec son frère dans les ténèbres de la chambre.
Puis elle referma la porte.