Marlène ouvrit les yeux sur une nouvelle journée. La routine qui s’installait mettait sa persévérance à rude épreuve. Elle luttait contre l’envie de tout laisser tomber et de rejoindre Lycronus dans l’ombre. Elle craignait tant d’échouer et que le résultat soit pire. Et si, à « miss stupide » s’ajoutait « la nulle », « l’incapable » ? Et si les commentaires devenaient plus acerbes encore ?
Heureusement, le professeur de communication l’aidait à appréhender les futurs interviews. Marlène s’améliorait, parvenant à mieux répondre aux questions de ses comparses lors des jeux de rôle. Prendre le rôle de journaliste l’aidait à mieux cerner leur personnalité et ainsi, à les contrer plus aisément. Elle devait admettre apprécier la méthode du professeur.
Le papier de transfert vibra dans sa gnosie. Marlène l’attrapa, ravie. Lycronus ne la contactait jamais, laissant la néomage choisir les horaires de leurs échanges. Elle déplia la feuille pour découvrir un magnifique dessin de lui et d’elle, ensemble, enlacés dans un tendre câlin. Le Lycronus dessiné disait « Joyeux anniversaire » à la Marlène dessinée.
La néomage en eut les larmes aux yeux. Dix-huit ans. Elle devenait majeure, responsable, grande. Elle n’avait pas du tout la sensation de l’être.
Amanda l’appela pour le lui souhaiter, puis ses parents.
- Tu viens à la maison ? demanda Henriette.
- Non, maman. Je dois m’entraîner. La coupe du monde commence dans quelques jours, rappela Marlène.
- Tu as bien le droit à quelques heures de repos ! s’exclama Didier.
Personne n’empêchait Marlène de ne rien faire. Quelques années plus tôt, elle en aurait profité pour glander. Plus maintenant. Lycronus lui avait montré sa force intérieure. Elle comptait bien s’en servir pour remporter la victoire.
Elle sortit de sa chambre pour rejoindre Antoine et leur footing matinal, aussi délassant que d’habitude.
- Tu veux aller où à midi ? demanda Antoine de retour dans le couloir des chambres.
- Comment ça ?
- Pour fêter ton anniversaire, expliqua Antoine. C’est quoi ton type de restaurant favori ?
Marlène fronça les sourcils. Elle ne leur avait rien dit. Patrick avait dû balancer, sa date de naissance étant écrite sur son dossier d’inscription.
- Dix-huit ans ! Ce n’est pas rien ! poursuivit Antoine. Tu préfères peut-être le passer avec tes parents ?
C’est avec Lycronus que je voudrais être, pensa Marlène, le cœur lourd. Elle ravala ses larmes, serrant les poings pour se contenir.
- Je préfère le passer loin des micros et des caméras, indiqua Marlène.
- On peut se faire livrer, proposa Antoine.
Voilà qui lui convenait davantage.
- Mac do ? proposa Marlène.
Antoine ricana tout en haussant un sourcil.
- Ouais, je sais, grommela Marlène, mais je n’ai pas pu y aller depuis des années et ça me manque.
- Mac do, alors. Fatima va faire la gueule. Tu lui permets de préparer le dessert elle-même ?
- Bien sûr, répondit Marlène, touchée.
Elle dégusta son hamburger et ses frites avec plaisir, adora le gâteau réalisé par Fatima et apprécia la bonne humeur générale. Personne ne lui fit le moindre reproche. Pas de piques incisives. Pas d’alcool non plus, offrant un Peter souriant, drôle et gentil. Cette pause fit du bien à Marlène.
Un paquet emballé simplement dans du papier journal lui fut tendu par Séverine.
- De notre part à tous, précisa-t-elle.
Vu sa taille, la boîte devait contenir un objet petit. Léger, aussi, constata Marlène en attrapant le cadeau. Elle se sentait mal. Elle ne leur avait jamais offert que son mépris. Elle ne savait même pas la date de leur anniversaire et ne s’était même pas posé la question. Elle eut l’impression d’une imposture et la honte l’envahit. Elle tenta de la masquer sans parvenir à retenir le tremblement de ses mains.
Pas besoin de déballer le cadeau pour savoir qu’il contenait un objet magique. Sa gnosie le lui révélait. Les composants s’assemblèrent : un traducteur universel. Avec ça, elle pourrait comprendre n’importe qui sur Terre, capacité que quelques grands magiciens possédaient mais pas Marlène qui n’était pas partie dans cette direction. L’émotion la submergea et elle fondit en larmes.
- Hé ! s’exclama Séverine en la prenant dans ses bras, geste que Marlène apprécia de sa part.
L’attaquante se montrait toujours incisive lors des jeux de rôle travaillant la communication. Cependant, le thème « Lycronus Stoffer » restait soigneusement évité par tous. Séverine savait se montre ferme et bienveillante. Marlène l’admirait beaucoup.
- Nous avons remarqué comme tu es à l’écart lors de nos déplacements à l’étranger, indiqua Antoine. Nous avons pensé que ça te permettrait de profiter davantage.
Séverine s’éloigna un peu. Marlène déballa le cadeau pour découvrir que le traducteur était un collier. Elle reposa la boîte.
- Je ne pourrai pas le porter, indiqua-t-elle.
- Pourquoi ? Nous te l’offrons de bon cœur ! assura Antoine.
- Ce n’est pas ça, répondit Marlène dont la gorge se serrait.
Elle repoussa un peu la boîte, comme si son contenu pouvait l’égorger.
- Peut-être que les rumeurs sont vraies et qu’elle considère vraiment comme dégradant pour un magicien d’utiliser un objet magique plutôt que ses pouvoirs personnels, proposa Peter.
Marlène ne s’opposa pas. Après tout, la pique était méritée. Ces idées-là elle les avait exprimées à haute voix à de nombreuses reprises au Mistral. De plus, son absence d’écoute au cours de monsieur Toupin avait permis son enlèvement lors de la sortie de Noël au centre commercial.
- Si elle n’appréciait pas les objets magiques, elle n’aurait pas pour seuls objets de décoration deux objets magiques, rétorqua Séverine.
Marlène apprécia le soutien. Elle recula quand même, désireuse de mettre un peu plus de distance entre le traducteur et elle.
- J’adore l’idée, vraiment ! assura Marlène. C’est juste que… Je ne peux pas.
Elle secoua la tête et sortit pour rejoindre le parc afin de s’aérer. Antoine la rejoignit.
- On fait la course ? proposa-t-il.
- Je ne suis pas d’humeur, répondit Marlène d’un ton morose.
- Baby foot ? intervint Nicolas en apparaissant.
Marlène n’y avait jamais joué. Elle accepta. L’après-midi fut ponctué de rires, de grognements, de « tricheurs » répétés, de disputes amicales. Marlène offrit quelques sourires timides sans toutefois permettre à son malaise de passer.
Le soir, blottie dans l’intimité de sa chambre, Marlène sortit le papier de transfert, caressant sa surface avant d’écrire.
- Merci pour ton dessin. Il est magnifique… et il m’a beaucoup émue. Les Tuniques Rouges m’ont offert un traducteur universel pour mon anniversaire.
Elle s’arrêta, hésitant sur la suite.
- C’est sympa de leur part, écrivit Lycronus. C’est super cher ces trucs-là.
Marlène relut ses mots, une moue se dessinant sur ses lèvres.
- Je ne peux pas le porter. C’est un collier.
- Ce sont toujours des colliers, indiqua Lycronus. Les bracelets sont hors de prix.
- Je ne mettrai pas un bracelet non plus.
- Un traducteur universel doit être enveloppant, précisa Lycronus.
Marlène ne remit pas sa parole en doute. Cela ne changeait pas le fait qu’elle ne comptait plus jamais porter un quelconque objet magique enveloppant.
- Je ne comprendrai jamais Amanda sans téléphone entre elle et moi.
- Il te suffit d’apprendre à parler l’italien, répliqua Lycronus.
Un rire sec s’échappa de Marlène.
- Je suis nulle en langue.
- Personne n’est nul en quoi que ce soit, répondit Lycronus avec cette conviction désarmante qui la laissait souvent sans voix. Il suffit de le vouloir vraiment.
Lycronus et son indécrottable optimisme couplé à « Quant on veut, on peut ». Et comment je fais pour faire gagner la coupe du monde de PBM à une équipe de bras cassés ? voulut-elle lui demander. Elle se retint. Elle préféra poser une question plus intime, profitant que son amoureux soit disponible pour échanger.
- Tu parles quelle langue ?
- Tu ne regardes jamais les infos ? s’étonna-t-il.
- Rarement. Pourquoi ?
- Ma vie a été disséquée dans tous les sens. Tout le monde connaît ma date et mon lieu de naissance, le jour où ma première dent est tombée et d’autres conneries du genre.
Marlène fronça les sourcils en faisant la moue.
- Je n’aime pas les entendre parler de toi. J’ai envie de tout fracasser quand j’entends tous les mensonges qu’ils racontent.
- Tu es adorable, admit Lycronus. Je suis américain.
Une vague de découragement la submergea.
- Je ne te comprendrai pas quand on se reverra.
L’anglais. Sa bête noire.
- Le papier de transfert dispose de son propre traducteur universel ? demanda-t-elle.
La chose surprenait Marlène car elle ne l’avait pas décelé.
- Non, seulement anglais / français. Ils sont spécifiques. Nous sommes les deux seuls à pouvoir les utiliser. À quoi bon mettre d’autres langues ?
Marlène hocha la tête, geste inutile puisque Lycronus ne pouvait pas la voir.
- I love you, écrivit-elle avant de poursuivre. As-tu un moyen de savoir que j’ai écris ça en anglais et pas en français ?
- Je t’aime, écrivit Lycronus en retour en bleu et non dans l’habituel noir d’encre.
Son cœur s’emballa. Marlène se laissa retomber sur son lit, un sourire éclairant son visage. Cette journée lui avait offert une trêve inattendue dans la tourmente de ses entraînements. Et ce simple moment, si fragile et précieux, l’accompagna jusque dans son sommeil.