Chapitre 32 - Sehar

Notes de l’auteur : Bonjour :D Vous pouvez souffler un peu, le chapitre avec seulement une pincée d'angoisse recouverte par une bonne dose de mignon est là x) Bonne lecture !

Lorsque Sehar vit Del disparaître sous la masse du monstre, aucun de ses muscles ne bougea. Paralysé de terreur, son ridicule jouet d’ombre dans les mains, il regarda le maegis se faire engloutir sans que ses pouvoirs de Gardien ne lui soufflent quoi faire.

— Lasso ! cria Zaza.

Le prince n’avait pas hésité une seule seconde, en revanche. Nodia et lui changèrent leurs lances en une longue corde, et ensembles, ils enlacèrent le Cauchemar pour le tirer loin de Del. Sehar réussit enfin à bouger, et se précipita vers le maegis encore sonné pour l’attraper et l’éloigner de la créature.

Le Cauchemar avait d’autres idées en tête, cependant. Ignorant les lassos qui l’enserraient, il chargea dans leur direction, tirant derrière lui les deux valenis qui tentaient de le maintenir en place. Sehar courut, mais il était toujours le plus lent d’eux tous, et la créature n’était intéressée par aucune des tentatives de détourner son attention que Nodia et Zaza lançaient dans sa direction. 

Alors que Sehar pensait que la situation ne pouvait pas empirer - pourtant, il savait que c’était toujours possible - elle devint brusquement hors de contrôle. Au lieu de maintenir une forme floue et large, le Cauchemar rétrécit subitement, et se compacta dans la silhouette terrible d’une Féroce d’ombre, sur laquelle les lassos glissèrent, trop lâches pour la maintenir prisonnière.

Enfin libre, elle chargea, et Sehar trébucha aussitôt dans l’herbe brune. 

Dans sa chute, il réussit à rouler de manière à ne pas blesser Del, toujours sonné, et eut tout juste le temps de brandir sa ridicule petite lance-marionnette face au monstre.

Il ferma les yeux, se prépara à l’impact…

Mais les lourds pas du monstre s’arrêtèrent sans le terrasser, et à leur place, il entendit le reniflement de naseaux et sentit un souffle chaud sur sa main tendue. Il entrouvrit les yeux, perplexe, et constata que la Féroce, aussi terrifiante que la vraie à qui il avait déjà assené un poing, regardait avec curiosité de ses huit yeux laiteux son jouet.

Sehar était presque tenté de rire. Parce que de près, absorbé dans sa contemplation, elle ne faisait plus si peur du tout, cette bestiole. Une idée absurde le traversa - une idée totalement imprudente, il le savait. Mais il savait aussi qu’il y avait de nombreux points communs avec toutes les créatures qui avaient un museau. Alors, si le Cauchemar avait pris cette apparence…

— Sehar, n’approches pas ta main de ses… Oh merde, mais qu’est-ce qu’il fout ? 

Il avait ignoré l’avertissement du prince, et tendu sa paume vers le museau de l’ombre pour le caresser. Elle le laissa faire, et le sourire de Sehar s’élargit lorsque les huit yeux se fermèrent à demi avec satisfaction.

— Tu veux nous aider à soigner un ami ? murmura-t-il. On a besoin d’un Cauchemar comme toi, pour le faire.

La Féroce ronronnait presque désormais, et Sehar sentit sa fourrure d’ombre se définir de plus en plus sous ses doigts, étrangement chaude et un peu piquante. Il repensa aux nuages dans lesquels il était tombé, doux et lumineux, mais qui eux avaient été si froids, sur sa peau.

— Comment ? lâcha Zaza.

Sehar n’arrêta pas ses caresses, mais se retourna juste assez pour observer Del, derrière lui, que Nodia avait aidé à se redresser et guidait pour calmer sa respiration. Le maegis semblait au bord des larmes, et Sehar aurait voulu pouvoir être à ses côtés - mais pour le moment, garder le Cauchemar calme était la meilleure chose qu’il pouvait faire pour l’aider.

— Je ne sais pas ce que tu fais, mais ça marche, constata Zaza avec un demi-rire. Tu penses pouvoir le guider sur le retour ?

— Peut-être ?

Même s’il sonnait incertain, Sehar ne trouvait pas l’idée si absurde. La créature semblait vraiment l’apprécier, pour une raison étrange, et continua à ronronner docilement lorsqu’il caressa son encolure.

— Alors je vais te porter, Del, si tu le veux bien, proposa le prince. On va éviter que Sehar ait trop de distractions.

— Okay… 

Le maegis tremblait toujours, et Sehar aurait aimé qu’ils prennent un peu plus le temps de s’assurer qu’il n’avait rien de grave. Mais au vu de la situation, peut-être qu’il serait effectivement plus prudent de rentrer au plus vite, là où il y aura davantage de personnes pour les aider, comme Suzette par exemple.

— Ça va aller là-haut ? demanda Zaza après l’avoir hissé sur son dos. 

— Oh, rigola-t-il faiblement. Je vois plus loin que sur Sehar.

— Et tu es plus lourd que tu en as l’air. En route !

Le prince et le maegis prirent les devants, suivis de Nodia, et Sehar avança en faisant signe à la Féroce d’ombre de faire de même. Elle ne bougea pas, cependant, et le regardait avec ses huit yeux blanc curieux. Perplexe, il fit ressortir sa marionnette, plus facilement qu’il ne l’aurait cru, et l’agita pour attirer son attention. Le résultat fut immédiat : elle trotta à sa suite avec entrain, alors Sehar continua son manège, toujours aussi incrédule mais presque tenté de rire.

— C’est bizarre, ce qu’il fait, hein ?

Del sonnait déjà moins faible, et presque rieur, lui aussi. L’image que Sehar renvoyait devait être assez comique pour aider le maegis à se remettre de la terreur qu’il avait subit et chasser les images de cauchemar que la créature éponyme lui avait montré. Ses oreilles frémissaient encore, cependant, et il ne s’accrochait pas assez fermement à Zaza, ce qui rendait la marche de ce dernier plus difficile. Nodia s’était placée entre eux et Sehar, les mains prêtes à ressortir sa lance s’il le fallait - mais pour le moment, la Féroce n’était plus intéressée par rien d’autre que la marionnette d’ombre, que l’hybride agitait de temps à autre pour l’encourager.

— Très étrange, confirma Zaza. Honnêtement, je n’ai jamais vu ni entendu parler de qui que soit qui aurait réussi à dompter un Cauchemar avant.

Nodia signa, trop vite pour qu’il ne la comprenne. Elle avait été trop rapide pour Del aussi, s’il en croyait sa mine perplexe.

— Une Féroce non plus, confirma le prince.

Les signes suivants firent rire Zaza, et Nodia sourit un peu. 

— Vraiment ? J’aurais bien aimé voir ça !

Quoique la valeni lui ait raconté, Sehar ne le saurait probablement jamais - et sur le moment, il l’oublia bien vite, car il accrocha de nouveau le regard de Del, qui le fixait avec un rire dans les yeux et un semblant de quelque chose d’autre qui lui donnait à la fois envie de se faire tout petit et de ne jamais détourner le regard. Comme compromis, il lui sourit maladroitement, ce qui agrandit encore l’incompréhensible hilarité du maegis et la beauté de ses traits. Sehar en oublia quelques instants ce qu’il faisait ici, mais le Cauchemar à ses trousses le lui rappela bien assez vite. La Féroce d’ombre se colla à lui comme si elle voulait lui prendre son jouet des mains, avec un jappement enthousiaste qui arracha un demi-rire à Sehar avant qu’il n’accélère le pas pour pouvoir la guider de nouveau.

C’était si facile, dans ses collines brunes, alors qu’il guidait cet animal étrange et qu’il échangeait des regards qu’il ne comprenait pas tout à fait - qu’il n’était pas prêt à comprendre - avec Del, d’oublier où il était, et pourquoi il faisait ce qu’il faisait.

C’était si facile, finalement, de jouer avec un Cauchemar, direction le Bout du Monde, sans peur ni regret.

Lorsqu’ils arrivèrent en vue des ruines, il aperçut au devant de celles-ci les silhouettes des jumelles emmitouflées dans leurs combinaisons et celles des deux corbeaux. Elles avaient déjà entamé les préparatifs pour le sortilège, Lo installé confortablement sur plusieurs toiles au milieu, et ne s’arrêtèrent que pour les regarder approcher.

— Est-ce le Cauchemar ? demanda Erin, les sourcils froncés sous son casque.

— Celui-là même. On a eu un changement de plan. Sehar est secrètement un dompteur d’ombre. 

Le prince l’avait annoncé sur un ton rieur qui lui serra légèrement l’estomac avec embarras, alors que Jin et Sia l’observaient avec surprise. Erin jaugeait quand à elle la créature avec intérêt, alors que Suzette, à demie assoupie dans l’herbe à côté de Lo, semblait rattraper sa nuit passée à guetter au sommet des ruines.

— Nous n’avons pas encore terminé, alors garde-là à l’écart encore quelques instants, ordonna Erin.

Sehar acquiesça, et resta là où il se trouvait pour s’asseoir dans l’herbe et profiter d’un peu de répit. Zaza déposa Del à ses côtés, puis partit examiner où les jumelles en étaient de leur travail et discuter des derniers détails techniques avec Erin. La Féroce d’ombre s’allongea dans l’herbe, immense même dans cette position, et y resta sagement sans qu’il n’ait à bouger le jouet, fort heureusement.

— Je pensais pas que ça finirait comme ça, quand Zaza nous a parlé de capturer un Cauchemar ! rigola Del en se glissant dans l’herbe jusqu’à être assis tout contre Sehar.

— Moi non plus, admit ce dernier avec un léger sourire. Mais… il est mignon, non ?

Le Cauchemar avait entrepris de mâchouiller une de ses propres pattes, deux de ses yeux fermés avec concentration, ce qui confirmait largement ce que Sehar avait affirmé.

Cependant, Del ne regardait pas du tout la créature, mais le fixait lui, avec une étincelle de malice dans les yeux.

— Est-ce que c’est ringard si je te dis qu’il y a quelqu’un de beaaaaaaucoup plus mignon juste à côté ? 

Sehar ouvrit la bouche avec stupeur, et ne réussit à se ressaisir que lorsque le Cauchemar posa ses naseaux sur ses genoux pour réclamer son attention. Del recula légèrement avec appréhension, alors Sehar en profita - lâchement - pour détourner le sujet.

— Je ne pense pas qu’il t’attaquera de nouveau. 

— Peut-être, mais je n’ai pas trop envie de jouer avec quand même.

Del regardait encore le Cauchemar avec méfiance, alors Sehar plaça un bras qu’il espérait rassurant autour du maegis. 

 — Je suis pas vraiment très doué pour ça, mais je te promets que je ne laisserais rien te faire du mal, si je le peux.

Il eut l’impression d’avoir dit ou fait quelque chose qu’il n’aurait pas dû, lorsque Del resta immobile quelques instants - puis la panique l’envahit encore davantage lorsque le maegis serra ses deux bras autour de lui avec un petit rire nerveux.

— C’est vraiment nul, ces combinaisons, je ne peux même pas profiter vraiment d’un câlin…

Pour ne rien arranger à leur état mutuel, Sehar eut la terrible idée de poser son front sur le verre du casque pour regarder Del de plus près, et il sourit un peu en lui répondant.

— Raison de plus pour rentrer… non ? 

Del rigola de nouveau, et Sehar eut presque peur de l’avoir trop perturbé, car les couleurs de sa cicatrice étaient devenues de nouveau instables. Heureusement, Jin les interrompit en avançant dans leur direction, la démarche maladroite dans sa combinaison trop grande.

— Del, Sehar ? les appela-t-elle. Nous sommes prêtes, si vous voulez bien venir…

Le maegis se tendit presque aussitôt, un regard mécontent tourné vers la jeune fille, et accepta l’aide de Sehar pour se redresser sur ses pieds.

Autour de Lo, elles avaient planté plusieurs tiges de métal, sans doute récupérées dans les ruines, pour former une zone balisée qui permettrait de canaliser le sortilège. C’était du moins la seule explication que Sehar pouvait tirer de ses maigres connaissances en magie. Lorsqu’il était encore trop petit pour voir par les fenêtres de la Tour sans monter sur un siège, lui et les autres petits kévriens avaient réalisés un exercice similaire, avec des tiges d’échos plantées dans un bol de sable, au milieu duquel ils devaient créer un tourbillon. Sehar avait été très fier d’avoir réussi à bouger un peu les grains à la surface, jusqu’à ce que la kévrienne qui les guidait lui ait froidement annoncé qu’il avait seulement respiré trop fort et trop près de son bol. 

Aujourd’hui encore, il ne pouvait pas prétendre comprendre quoi que ce soit à la magie. Il n’avait pas su invoquer une lance digne de ce nom, mais il avait fait quelque chose, et ce quelque chose avait fonctionné. Son estomac se serra à l’idée que peut-être, s’il avait réussi comme Zaza et Nodia, le Cauchemar qu’ils auraient ramenés aurait été enchaîné, tiré contre son gré et forcé à aider Lo à sortir de sa torpeur. 

C’était étrange, qu’un échec soit finalement une bonne chose. C’était étrange, mais il ne le regretterait pas. 

— Sehar, guide le Cauchemar ici, sa tête tournée vers celle de Lo, si tu peux.

Erin indiqua deux rangées de piquets parallèles, alignés avec lea faune, et Sehar fit de son mieux pour emmener la Féroce d’ombre à son emplacement désigné. Après quelques essais infructueux, pendant lesquels la créature s’assit les fesses dans le mauvais sens, puis en perpendiculaire, et enfin arrêta de lui prêter attention pour se gratter le chanfrein sur un des piquets, Sehar réussit enfin à l’allonger correctement et à la maintenir immobile.

— Tout est en place, sauf nous, constata alors Zaza. Jin, Sia, Suzette, vous restez en dehors du cercle. Nodia et Sehar, chacun d’un côté de Lo, le plus proche du Cauchemar. Del et moi, sur la rangée suivante. Erin, tu seras à ses pieds, dans la ligne de mire du rayon.

Alors qu’ils prenaient tous place, Sehar observa la maegis, avec son visage presque inexpressif, concentré à sa tâche, mais son regard vif comme si elle calculait des milliers de choses derrières ses yeux sans pupilles. Elle semblait trop calme, pour quelqu’un qui risquait tant. Même si l’état de Lo était en grande partie de sa faute, Sehar ne pouvait pas s’empêcher de croire qu’il en fallait, du sang-froid, pour ainsi accepter une telle responsabilité. Surtout après qu’elle ait perdu son frère - ne serait-il pas plus tentant de pleurer sans interruption ? 

A moins que ce ne soit cela, sa façon de faire face à sa souffrance. Agir, quel que soit le danger.

Sehar fut surpris de la voir retirer son casque, moins de lire l’angoisse dans les yeux de ses soeurs. Il échangea un regard avec Nodia, en face de lui, qui signa assez lentement pour lui permettre de traduire.

Ça va aller, petit frère ?

Il acquiesça avec un sourire, et se tourna vers Del, juste à côté de lui, qui avait attrapé une des mains de Lo, et regardait le visage éteint de son ami avec autant d’espoir que d’angoisse. Zaza étira ses bras, comme s’il s’apprêtait à grimper le mat d’un navire, les cicatrices de ses joues étrangement pâles dans l’ombre de la journée qui déclinait.

— Comment on saura que le sortilège est bien parti ? demanda Del.

Le prince observa Lo en silence quelques instants, puis haussa les épaules.

— Aucune idée. Nous serons les premiers à réussir. Vous êtes prêts ? 

Comme personne ne le retint, son visage se fendit en un sourire qui n’était ni joyeux, ni espiègle, ni désespéré. Sehar ne comprit ce qui animait Zaza que lorsque ce dernier croisa son regard, et qu’il y lut un mélange de peur et d’aventure, de regret et de confiance, mêlé dans ses iris noirs qui n’avaient pas de pupilles non plus, bien qu’il ne l’ait jamais remarqué avant.

— Alors ne perdons pas de temps, conclut-il. Allons chercher Lo. 

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Nanouchka
Posté le 20/03/2022
L'adorabilité de ce chapitre. Tout le monde il est gentil, tout le monde il est joyeux. J'avais envie de cette douceur aujourd'hui, et je suis bien tombée.

J'adore le fait que Sehar soit gentil et puissant, parce que c'est un combo qu'on trouve beaucoup trop rarement dans la fiction, où on associe généralement pouvoir et méchanceté (Voldemort, coucou). Ça fait de ton roman un récit optimiste, plein d'espoir, et j'y reviens d'autant plus facilement et joyeusement à chaque fois.

Je suis intriguée par Zaza, qui a l'air d'avoir mille facettes, tout comme Nodia et Suzette. Ce sont les personnages les plus expérimentés, ceux qui ont déjà traversé la lumière et l'ombre. Il y a un bon équilibre dans la troupe entre eux et ceux qui sont encore innocents.

Sehar, dompteur d'ombre... Ça promet.
AnatoleJ
Posté le 24/03/2022
Très content que cette douceur t’ait été utile :D

Optimiste c’est un des meilleurs compliments du monde, merci T_T Je suis content que ce soit ce qui ressort même s’il se passe des choses dures (en toute relativité bien évidemment), on a tous besoin de douceur dans ce monde de brute !

Une fois toutes ses aventures terminées, Sehar pourra peut-être postuler comme éducateur canin mais version Cauchemars, il a clairement un potentiel à exploiter.
Nanouchka
Posté le 25/03/2022
Ahahahahahahaha j'aime absolument beaucoup trop l'idée de Sehar comme éducateur canin pour Cauchemars. Je suis prête à lire 200 pages de roman où c'est juste lui qui mène sa petite vie d'éducateur au calme, avec ses amis et Del.
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