Chapitre 34 : La lavande.

Par Cléooo

Chapitre 34 : La lavande.

 

Tobias me lance des regards inquiets alors que nous parcourons les couloirs du palais. Je lui ai demandé de ne pas le faire, mais il me suit. Ma réaction l’a alerté. Je n’ai pas pu cacher mon choc. Flora est ici ? Ou est-ce une mauvaise plaisanterie d’Achille Byron ?

En chemin, on essaye de m’alpaguer pour divers motifs. J’ignore tout le monde, et Tobias les renvoie à monsieur Lheureux. Il n’a pas tort, Tobias. Les gens du Sommet me voient comme l’autorité suprême ici. Je vais devoir changer ça. Je ne suis là que pour Rebecca.

Mes pensées s’embrouillent. Je repousse un homme qui s’est avancé vers moi sans même le reconnaître. Je marche à une vitesse folle, jusqu’à avoir atteint la porte gardée par deux esclaves impériaux.

— Disposez !

Ils me lancent un regard d’incompréhension avant de s’écarter précipitamment, et je repousse brutalement la porte donnant l’accès au salon…

Faisant sursauter une jeune fille aux cheveux d’un châtain terne.

Elle se redresse immédiatement, et quand ses yeux rencontrent les miens…

— Ajax !

Elle parcourt la distance qui nous sépare et me saute au cou. Je la serre contre moi, et aussitôt, un parfum de lavande emplit mes narines.

— Bon sang Flora… Tu vas bien ?

Je recule d’un pas pour la regarder. Elle semble bien portante. Elle a un collier autour du cou…

La porte claque derrière moi. Je jette un œil par-dessus mon épaule. C’est Tobias.

— Tout va bien ? demande-t-il en nous observant.

Je hoche brièvement la tête et recentre mon attention sur Flora. Elle n’a pas changé. Je ressens une foule de sentiments contradictoires. J’effleure le collier, et Flora pose sa main sur la mienne. Elle le retire et sourit.

— C’est un faux, murmure-t-elle sans lâcher ma main. Je ne sais pas pourquoi, il voulait que je le porte. Il est venu me trouver il y a quelques jours… J’ai joué le jeu, je voulais juste te revoir. Ajax…

Elle prend mon visage à deux mains et dépose un baiser sur mes lèvres.

Derrière moi, un nouveau bruit.

Vaguement irrité, je me tourne vers un Tobias à l’air circonspect. Il s’est laissé tomber sur une chaise du salon où nous nous trouvons et observe la scène avec un intérêt non dissimulé.

— Tobias, ça te dérangerait de… ?

— Je ne dirai rien, assure-t-il aussitôt.

Décidément, il est bien curieux aujourd’hui. Je lui lance un regard désapprobateur mais n’insiste pas. Quand je fais face à Flora, je constate qu’elle l’observe, elle aussi.

— C’est ton ami ? interroge-t-elle.

— Oui… Qu’est-ce que tu fais là, Flora ?

— Je suis venue te chercher, à ton avis ! Tant que ton père tient la grande-duchesse occupée, on peut filer !

Ma respiration se bloque.

— Tu es venue me chercher… ?

Elle hoche vigoureusement la tête sans cesser de sourire. Elle plonge alors une main dans sa poche et en sort un petit objet ovale.

— J’ai fait main basse sur une clé universelle, m’indique-t-elle dans un rire. Mais tu n’as pas de collier… ?

Je porte la main à mon cou. J’avais oublié… Rebecca me l’a fait poser aujourd’hui, afin que mon père ne me voie pas comme un esclave… Flora me lance un regard interrogateur. Puis elle hausse les épaules.

— Tant pis. Je peux l’utiliser sur ton ami. Tobias, c’est ça ?

Elle lui sourit, puis fouille dans son sac.

— J’ai des colliers factices, le temps qu’on quitte l’étage ! s’écrie-t-elle.

Puis elle fait un pas vers Tobias mais je la retiens par le bras.

— Qu’est-ce que tu fais ? demande-t-elle, surprise. On n’a pas beaucoup de temps, Ajax… Il faut se dépêcher. Ton père a dit qu’il nous laisserait partir ensemble…

Elle plonge son regard dans le mien. Mon cœur bat à cent à l’heure.

— Flora, non, il ne faut… pas…

Je n’arrive pas à en dire plus. Quitter l’étage ? L’image de Rebecca vient court-circuiter mes pensées. Je relâche Flora et recule d’un pas. Son sourire semble se figer.

— Ajax… Tout va bien… On ne se fera pas prendre cette fois, ton père ne nous pourchassera pas ! Il regrette… Je pense qu’il regrette sincèrement que tu sois devenu esclave. Il ne m’a rien fait, il a promis qu’il nous laisserait en paix ! Tu comprends ?

— Comment… Comment t’a-t-il retrouvé… ?

— Oh… Je crois que tes frères n’ont pas été aussi discrets que ce qu’ils imaginaient… J’étais au Quatrième depuis à peine trois semaines quand il m’a retrouvé. Enfin son homme de main, Rivière. Mais il ne m’a fait aucun mal. Il m’a même offert un peu plus d’argent, et a promis qu’il ne me toucherait pas. Et il a tenu parole. Ajax, tout va bien…

Ma vision se brouille. Je recule d’encore un pas.

Elle cligne des yeux, une intense expression d’incompréhension sur le visage.

J’ai l’impression qu’on passe ma tête dans un étau.

— Il savait… depuis si longtemps… ?

— Oui mais peu importe. On en parlera plus tard, il faut qu’on se dépêche… Ajax ?

J’ai encore reculé.

Elle fait un pas en avant, et à cet exact moment, la porte s’ouvre à la volée.

Je fais volte-face.

C’est Rebecca.

Elle balaye le salon d’un regard surpris.

— Ajax ?

Elle avise Flora, qui s’est immédiatement rapprochée de moi pour me saisir une main que je lui reprends aussitôt. Elle blêmit à mon geste.

Rebecca referme la porte, la mine intriguée.

— Qui est cette jeune femme ?

Mes lèvres restent closes. Je vois Tobias, qui s’est levé à l’arrivée de Rebecca, s’incliner et faire mine de sortir. Rebecca le rattrape par l’épaule.

— Qui est-ce, Tobias ? demande-t-elle.

Au moment où il va tourner la tête vers moi, elle lui saisit le menton et le foudroie du regard.

— Elle s’appelle Flora, maîtresse Rebecca, répond-t-il alors précipitamment.

Oh ciel, Tobias… Je me fâcherais volontiers, mais je sais qu’il a une peur bleue de Rebecca. Elle le relâche alors.

— Reste ici, lui glisse-t-elle en lui tapotant l’épaule de manière quelque peu condescendante.

Elle fait quelques pas et va s’assoir derrière un petit bureau, puis lève les yeux vers nous, un étrange sourire aux lèvres.

J’ai l’impression que je vais défaillir.

— Maîtresse Rebecca, pourrais-je avoir un moment d’intimité ?

Ma voix tremble. Le sourire de Rebecca s’élargit.

— Non, rétorque-t-elle. Mais si vous avez à parler, faites-le donc.

— Rebecca.

Ma voix a pris en assurance, parce qu’elle me met en colère. Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu une telle expression chez elle. Pas depuis le jour où elle a rencontré Delilah. Cependant, elle ne dit rien. Elle se contente d’observer, spectatrice d’un nouveau de mes drames. Très bien. Qu’elle écoute, alors.

— Flora, il faut que tu partes. Je ne veux pas savoir ce que mon père t’a dit, je veux que tu partes, et que tu n’entres plus jamais en contact avec lui.

— Qu’est-ce que tu racontes ?

Je la détaille une seconde. Elle ne cesse de jeter des coups d’œil méfiants vers Rebecca. Elle tremble. Mais elle tente de nouveau d’attraper ma main. Je l’évite, encore.

— Flora, je t’ai dit de partir !

Flora laisse de nouveau son regard glisser sur Rebecca avant de le recentrer sur moi. Je baisse les yeux. Elle souffle par le nez, et c’est comme un rire mauvais qu’elle a à moitié tenté de retenir.

— Je vois… soupire-t-elle d’un ton étrange.

— Flora…

— Tu sais, Ajax… Pendant longtemps, j’ai cru que tu étais le prince charmant de mon histoire.

Je cherche alors son regard, suppliant. Il ne faut pas qu’elle…

Elle a une expression que je ne lui connais pas. Je n’ai jamais vu personne me regarder de cette façon. Jamais. Elle inspire lentement.

— Et tu étais le méchant, tout du long…

C’est comme si mon cœur était glace. Et sur ce cœur de glace, elle aurait donné un coup léger, du bout du doigt, et tout se serait fracassé parce que déjà, rien ne tenait plus.

— Ajax… Tu es bien un Byron, reprend-elle sur le ton du constat. Tu as voulu me faire croire que ton père était le grand méchant de notre histoire. Que tes frères étaient des monstres égoïstes et sans scrupule. Il y a du vrai, là-dedans. Mais je viens seulement de comprendre que toi aussi, en fait, tu étais comme ça. Je trouvais ça toujours étrange, quand tu t’acharnais à me demander si tu leur ressemblais. Tu voulais que je te dise que non. Tu voulais que je te rassure, parce qu’au fond, tu le savais, que tu leur ressemblais…

— Flora, non…

Elle parle d’une voix calme, presque détachée. Pourtant, chaque mot s’enfonce sous ma peau comme un millier d’aiguilles acérées.

— Tu le savais, si… et tu espérais que ça ne se voyait pas. Tu es le plus égoïste de tous, le plus mauvais, et tu es un lâche en plus de ça. Eux au moins, ils assument ce qu’ils sont. Toi, tu es un lâche, qui veut qu’on le considère comme une victime. Pauvre Ajax, que Delilah a trahi. Pauvre Ajax, qui s’est sacrifié pour sauver Flora… Tu parles. Tu m’as tout pris… Et tu m’as abandonnée.

— Non, j’ai…

— J’ai perdu Lloyd.

À cet instant, la colère fait vibrer sa voix. Puis son regard s’éteint.

— J’ai perdu toute chance d’être un jour vraiment libre. Il y a toujours un mandat de recherche sur ma tête. Je ne peux plus retourner au Sixième. Je ne pourrais jamais revoir mes proches… Et pourquoi, Ajax ? Parce que tu voulais te donner bonne conscience quand tu as foutu en l’air la vie de tous les autres… ? J’ai été assez stupide pour croire que c’était pour moi que tu faisais ça… Mais non. Non, tu te vengeais, simplement. Tu me l’avais dit, pourtant… que tu étais très rancunier. Tu voulais briser le cœur de Delilah, alors tu as prétendu l’aimer juste pour mieux la détruire. Tu étais en colère contre tes frères, mais au fond, tu savais qu’ils tenaient à toi, et tu les as forcés à te couvrir, tu les as forcés à s’opposer à votre père… Et ton père ? Ah, ce n’est pas un modèle de bonté. Pourtant, il t’aimait. Il voulait tout te laisser, parce que c’est toi, au fond, qui lui ressemble le plus. Je me demande si tu t’es tant forcé, pendant toute l’année où tu as fait « semblant ». Tu sais… Ironiquement, la vie n’avait jamais été si agréable qu’à cette époque. Tout le monde aurait pu avoir ce qu’il désirait, mais ça ne t’allait pas. Tu voulais être le seul à voir tes rêves se réaliser. Alors tu as tout foutu en l’air, tu as tout détruit.

Elle se tait, mais ne cesse de me scruter avec ce même air. 

Et je comprends.

C’est du dégoût, dans son regard. Je la dégoûte.

Je baisse les yeux.

Les larmes roulent sur mes joues.

— Qu’est-ce que j’ai été naïve… À chaque fois que je te voyais, à la télévision, j’essayais de me convaincre que tu n’avais pas le choix. J’avais quand même cette appréhension, tu sais ? « Et si, il était bien, là-haut ? » … Oh ce que je peux être bête. J’ai tellement voulu me convaincre que j’avais tort d’avoir peur…

— Flora, c’est plus compliqué que…

— Tu sais, tu es comme ça, Ajax. À chaque fois que tu fais une erreur, et qu’on te le fait remarquer, tu pleures. Pauvre Ajax, toujours si malmené… Mais ça ne marchera pas cette fois.

J’essaye de retenir le sanglot qui me monte à la gorge, mais c’est peine perdue.

Je voudrais pouvoir répondre, mais pour dire quoi ?

Est-ce que j’espérais qu’elle ne s’apercevrait jamais d’à quel point je lui ai fait du tort… ? Elle s’en est aperçue, et contrairement à moi, Flora a toujours été franche.

— Je suis désolé.

Elle hausse les épaules.

— Je m’en moque.

Puis elle me plante là et approche la grande-duchesse. N’a-t-elle donc plus peur de rien… ?

— Je ne peux même pas imaginer ce que vous traversez. Je suis sincèrement désolée pour votre famille. C’est horrible, ce qu’ils vous ont fait. Mais ne lui faites pas confiance.

Elle a fait un mouvement de tête dans ma direction et je croise le regard de Rebecca. La bouche légèrement entrouverte, elle nous observe à tour de rôle. Flora baisse finalement la tête et ne dit plus rien.

— Mademoiselle Beaumatin, c’est ça ?

Rebecca s’est relevée, et passe une main délicate sous son menton pour la forcer à la regarder dans les yeux.

— Je peux facilement faire en sorte que vous et vos proches soyez réunis, lance-t-elle d’un ton abrupt.

Flora la scrute, l’air méfiante. Puis une légère appréhension marque ses traits.

— Ils n’ont rien fait de mal… !

— Non, vous m’avez mal comprise, la coupe Rebecca avec douceur. Pour quelques années au moins, je possède le pouvoir impérial. Aussi, je vais blanchir votre nom. Sous protection impériale, plus personne ne pourra s’en prendre à vous, et vous pourrez retourner auprès d’eux.

La grande-duchesse relâche le menton de Flora. Elle recule de quelques pas, va s’assoir derrière le bureau, puis commence à rédiger un document.

Le silence règne dans la pièce. On entend seulement les respirations des quatre personnes présentes ici, et le bruit du papier que Rebecca noircit.

— Tobias, appelle-t-elle au bout d’un moment.

Il sursaute et approche précipitamment.

— Essaye de rattraper le ministre de la justice et donne-lui ceci de ma part.

Tobias prend le document, s’incline, puis quitte la pièce en me jetant un regard incertain.

La porte se referme, puis de nouveau, le silence m’étouffe.

— Je fais confiance à Ajax, finit par murmurer Rebecca.

Elle regarde Flora, pas moi.

— Avec tout le respect que je vous dois, vous avez tort, grande-duchesse.

— Oh, je ne crois pas.

Rebecca a parlé d’une voix paisible. Elle reprend :

— Je crois que vous avez raison sur certaines choses cependant, mademoiselle Beaumatin. Je crois qu’Ajax a de nombreuses failles.

— Vous n’imaginez même pas.

Rebecca sourit.

— Peut-être. Mais je suis un peu pareille, pour être franche. J’ai mes failles.

— Rebecca…

Ma voix est rauque. Elles me jettent toutes deux un regard de biais, comme une mise en garde, et je baisse encore les yeux.

— Il va vous décevoir, reprend la voix de Flora. Je me suis laissée bercer d’illusions, moi aussi. Ces dernières années, je me suis beaucoup posé la question de s’il m’avait vraiment aimée, mais au fond je crois que je savais que non. Il me le confirme aujourd’hui, vous voyez. Il sait prétendre. Et même quand il aime sincèrement… il aimait Delilah, la femme de son frère. Ça ne l’a pas empêché de détruire sa vie.

— Oui, murmure Rebecca. C’est vrai. Je crois qu’il aimait sincèrement cette jeune fille, et que vous « sauver » était peut-être un moyen d’apaiser sa conscience.

Je voudrais quitter la pièce, mais mon corps ne répond pas. Mes jambes tremblent, je suis à deux doigts de m’écrouler. Mon cœur tambourine dans ma poitrine. Pourquoi Rebecca pense-t-elle cela de moi, elle aussi… ?

— Alors pourquoi voulez-vous lui faire confiance ?

— Mmh. Qui sait ? Peut-être parce que je l’aime absurdement, moi aussi.

Je relève brusquement la tête. Elle a un sourire, son regard s’est perdu dans le vide.

— J’espère qu’un jour, réplique Flora, vous trouverez quelqu’un d’autre à aimer. Je vous le souhaite sincèrement.

Rebecca opine du chef.

— Oh, c’est bien aimable à vous, mais je ne compte pas trouver quelqu’un d’autre. Mais bref. Vous pouvez partir, à présent, mademoiselle Beaumatin. Présentez-vous demain au ministère de la justice, et vous pourrez reprendre votre vie comme bon vous semble. Personne ne pourra plus vous atteindre, et sûrement pas Achille Byron.

Elle se lève et contourne son bureau, puis tend une main à Flora. Après une hésitation, cette dernière accepte la poignée de main.

— Merci, grande-duchesse… murmure-t-elle.

Elles échangent un dernier regard, et Flora quitte la pièce sans même tourner la tête dans ma direction. Quand elle est sortie, je m’effondre. Les larmes pleuvent en cascade, je tremble sans pouvoir le contrôler.

Je n’arrive plus à respirer. Je n’arrive plus à vivre, jusqu’à ce que je sente Rebecca s’agenouiller auprès de moi, et passer ses bras autour de mon cou.

— Là, là… Elle n’a pas été tendre avec toi.

Je lève brusquement la tête vers elle.

Ma respiration est saccadée. Mon cœur se serre. Elle caresse ma joue.

De nouvelles larmes m’échappent. Flora a sûrement raison… J’ai besoin d’être une victime, parce qu’à cet instant, je serais prêt à supplier Rebecca de me dire qu’elle ne croit pas un mot de ce qu’a dit Flora. Mais Rebecca s’en fiche. J’aurais voulu qu’elle me défende, qu’elle dise que je n’étais pas ce genre de personne… Mais ça n’est pas Rebecca. Rebecca sait que l’être humain est pernicieux. Elle ne juge pas, parce que pour elle, c’est un absolu. Je laisse ma tête retomber sur le côté. Peut-être dois-je admettre que je ne suis le héros de personne. Que je suis à la fois le Ajax de Flora, celui de Delilah, et plus encore l’être imparfait de Rebecca…

— Ajax… murmure-t-elle à mon oreille. Je t’aime. Et je sais que tu m’aimes. Et tu m’aimeras toujours. Tu te souviens du jour où tu m’as parlé des filles que tu as aimé ? En vérité, je me suis renseignée sur chacune d’elles. J’avais besoin de tout savoir sur toi, à cette époque. J’avais trop peur que tu puisses m’échapper, et je ne parle pas de ta condition d’esclave. Tu sais ce que je crois ? Je crois que tu n’as jamais osé dire à ta Cyrielle que tu l’aimais, parce qu’elle était trop parfaite pour toi. Elle était droite et honnête, et elle n’avait pas besoin de toi. Tu as aimé Delilah parce qu’elle, elle avait besoin de toi. Elle était aussi manipulatrice que toi, aussi. Elle l’était même davantage, et ça a blessé ta fierté. Tu as aimé Flora parce qu’elle avait besoin de toi, et tu voulais, comme elle l’a si bien souligné, te sentir son héros. Mais c’était sa propre faute, que d’espérer que tu étais son prince charmant…

Elle marque une pause. Ses paroles m’apaisent autant qu’elles me font souffrir. Puis elle inspire, et reprend à voix plus basse encore :

— Quant à moi…Tu m’aimes parce que nous jouons à jeu égal, malgré tout le paraître. Je ne sais plus combien de fois j’ai eu le sentiment que tu étais mon monde entier. Si je te perdais, tout ne serait que cendres insipides… Je ne veux pas la perfection, mais si c’était ce que je voulais, je ne pourrais te trouver de défaut.

Je lève les yeux vers elle. Il y a dans son regard une tendresse que je n’avais jamais vue. Elle dépose un baiser sur mes lèvres.

— Rebecca… Ça fait bien longtemps que ça n’est plus un jeu, pour moi. Je resterai toujours à tes côtés, je te le promets.

— Évidemment, fait-elle d’un ton léger.

Elle caresse doucement mes cheveux. Je laisse ma tête reposer contre elle. L’image de Flora me traverse l’esprit, puis se brouille quand elle embrasse mon front. Je mérite que Flora me haïsse. Ne serait-ce que pour l’indifférence qui m’atteint déjà, à présent que je suis certain que Rebecca sera toujours là.

— Ajax ?

Je redresse la tête.

— Juste pour que tu le saches une bonne fois pour toute… Tu n’es pas ton père. Il ne me plaît pas du tout. Tu ne lui ressembles absolument pas. Je suis catégorique à ce sujet.

Un sourire étire mes lèvres un instant, puis disparaît.

— Flora a pourtant raison. J’ai tellement fait de mal autour de moi…

— Mmh. Peut-être. Mais tu ne m’as pas détruite, moi. Tu m’as rendue plus forte. Qu’aurais-je fait sans toi ? Je ne serai même plus de ce monde.

Je me redresse lentement. Sa façon de me regarder m’apaise.

— Qu’est-ce qui te fait croire que ça ne changera jamais ?

— Je le sais, c’est tout. Je sais qu’on se disputera, je sais qu’on voudra se haïr, parfois. Parce que nous sommes ce genre d’êtres imparfaits qui ont besoin de connaître la violence pour ensuite la regretter. Je ne peux juste plus imaginer un jour sans que tu sois à mes côtés, Ajax. Crois-tu que tu finiras par te lasser, toi ?

Mon regard glisse sur sa peau de porcelaine. J’effleure sa joue.

— Elle voulait que je parte avec elle… Je ne pouvais penser qu’à toi. Je pense à toi à chaque fois que je respire. Comment pourrais-je me lasser ?

— Bien.

Rebecca se relève. Elle me tend une main, que je saisis pour me lever à mon tour.

— Maintenant, va régler les choses avec ton père, ordonne-t-elle. Assume donc ce que tu es, au lieu de le pleurer, et sache bien que tu n’es pas lui. Je le répète, mais il me déplaît.

— Qu’a-t-il fait ?

J’ai remarqué que son ton s’était fait agacé. J’arrive pourtant à deviner ce qui a pu se produire, mais cette fois, je ne parviens pas à être en colère. Rebecca est une femme forte. Elle n’a besoin de personne pour la défendre. J’aurais dû le savoir déjà, depuis le temps.

— Vous avez les mêmes goûts en matière de femmes, dirons-nous.

Un rire m’échappe.

Je pose mes mains sur ses hanches et la rapproche de moi, pour emprunter ses lèvres.

— Mais y a-t-il un seul homme à Délos qui pourrait te résister ?

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A Dramallama
Posté le 27/10/2024
Hello Cleooo!

Alors, le flow de mes pensées:
1. OHMONDIEU Flora est libre
2. Achille a t il un moment de redemption
3. Une petite minute… pourquoi ferait il ça- c’est un piège, non?
Achille a testé son fils, où il voulait vraiment lui laisser le choix?

Difficile de ne pas comprendre Flora, Ajax retourne sa veste quand même “assez” facilement… et elle a beaucoup perdu en le suivant. J’aime bien l’honnêteté entre Rebecca et Flora (et aussi on va pas se mentir, j’aime beaucoup que Flora soit en colère contre Ajax et pas Rebecca parce que elle a “osé” lui piquer son homme).

J’aime aussi beaucoup le moment de vulnérabilité de ce dernier, ça “rééquilibre” la relation je trouve.

À bientôt!

P.s: j’ai pas trop compris ce que Achille avait fait quand il discutait avec Rebecca
Cléooo
Posté le 27/10/2024
Coucou Dramallama :D J'ai fini mon premier jet hihi !
Je vais poster le dernier chapitre et l'épilogue youhou ! Après ça, je vais pouvoir liiiiire.

Alors, oui, Achille a clairement testé son fils (pour changer). Peut-être voulait-il lui prouver que le Sommet était plus approprié pour lui que le Sixième ? Il a fait ça parce qu'il savait qu'Ajax ne repartirait pas avec Flora. Mesquin jusqu'au bout.
Et Ajax, oui, retourne assez facilement sa veste, et la colère de Flora est justifiée franchement. C'est vraiment son défaut.

J'aime ta remarque sur l'échange entre Flora et Rebecca. Je tenais beaucoup à ce que ça ne se réduise pas à "qui va avoir Ajax". Flora est venue l'aidée, elle s'est rendue compte qu'il ne voulait pas de son aide. Rebecca comprend son intention, et elle comprend même sa déception, et elle a une douceur inhabituelle envers elle. Je voulais un échange équilibré dans lequel Ajax n'avait pas son mot à dire.

Quant au moment de vulnérabilité, ça me semblait important pour plusieurs raisons :
1) Il était temps qu'Ajax accepte ses défauts.
2) Il me semblait important qu'on comprenne que Rebecca était parfaitement consciente de ces défauts. De toutes les femmes avec qui il a été, elle est peut-être la seule qui ne lui demande pas d'être plus que ce qu'il est, et à ne pas l'idéaliser. Ajax a vécu toute sa vie avec la pression d'être quelqu'un conforme aux attentes des autres, Rebecca l'en libère, en quelques sortes.

Pour ton PS : il a peut-être un peu tenter de lui faire du charme. Pour le reste, la partie moins olé olé, tu sauras au prochain chapitre xD

À bientôt !
Vous lisez