Ce matin-là vit naître au creux de l’aube dorée une Table des Dix transformée, amputée de l’une de ses Parlantes. À la place de la Panthère Noire trônait désormais un Christian à l’air soucieux, le bas de son visage dissimulé derrière ses mains jointes. À ses côtés, Guillaume d’Arsénis veillait, couvant l’assemblée de son regard perçant, méfiant.
Mais le changement – nécessaire et inévitable – ne perturba pas les souvenirs pendant trop longtemps. Et lorsque la Table fut ouverte en cette nouvelle journée, Garance des Andes se leva sans attendre. Tous les yeux convergèrent vers elle alors qu’elle ouvrait les bras devant elle.
— Je crois que c’est à mon tour de vous proposer une modification de notre Loi Sacrée. Mais, à la différence de mes compagnons, je n’ai pas en tête un amendement précis à vous soumettre. C’est pourquoi je sollicite votre avis afin que nous arrivions ensemble à une proposition de modification.
Fidèles à leur poste, les interprètes s’empressèrent de faire passer le message aux dirigeants de l’ancien Continent Inconnu.
— Nous vous écoutons, reine Garance des Andes, approuva Marina dans un hochement de tête appréciateur.
Garance promena son regard sombre sur chaque souverain et souveraine pendu à ses lèvres.
— Je voudrais que nous traitions d’un problème qui touche notre dynastie depuis des décennies, et qui pourtant ne semble pas alarmer plus que cela.
— De quel problème parlez-vous donc ? l’interrogea immédiatement Amalric, sceptique.
Garance tourna la tête vers le roi de Galvin et lui offrit un sourire éblouissant de satisfaction, comme s’il venait de verbaliser exactement ce qu’elle souhaitait entendre.
— Un problème qui ne vous a jamais concerné, j’en ai peur.
Le roi de Galvin fronça ses sourcils blond cendré, et Garance poursuivit sans se départir de son large rictus.
— Le sort de nos héritières.
Une courte pause s’imposa dans la salle, avant que le silence ne soit brisé par une voix empreinte de curiosité.
— Qu’entendez-vous par là exactement, reine Garance ? Et pourquoi les héritières précisément ?
Le regard de charbon se posa sur Juliette, et son sourire se fit chaleureux.
— Eh bien, je suis ravie que vous me posiez la question. En fait, votre histoire en est l’exemple parfait, reine Juliette.
L’interpellée pencha la tête de côté d’un air interrogateur, geste qui lui donna l’air d’un jeune oiseau curieux.
— Vous étiez héritière du trône de Percée à l’origine, n’est-ce pas ? s’assura Garance, et après un hochement de tête de Juliette, elle continua. Puis votre père a décidé de vous marier au prince de Crystallide afin de créer une alliance entre vos deux pays. Mais vous vous êtes enfuie. Vous avez fui votre mariage, et votre époux a déclaré la guerre à Percée. Ironiquement, le prince Edouard meurt à la guerre, ainsi, vous devenez reine légitime de Crystallide à sa place. Honnêtement, si l’on ne vous connaissait pas un peu mieux, l’on aurait presque pu croire que vous l’aviez fait exprès, tant tout a été si bien orchestré…
Elle s’interrompît lorsque Juliette se dressa sur ses pieds, les joues rougies et ses prunelles noisette plus brillantes que jamais.
— Je n’ai jamais voulu ça ! s’exclama-t-elle, la voix cassée. Je ne voulais pas de ce mariage, c’est vrai, mais… Tout est allé si vite. Si j’avais su que mon immaturité provoquerait une guerre, jamais je n’aurais pris cette décision, jamais… Le prince Edouard n’était pas quelqu’un que l’on pourrait qualifier d’appréciable, mais il ne méritait pas de mourir pour cela. Il ne se passe pas un jour sans que je regrette, vous savez.
Juliette baissa les yeux et dans un soupir, se rassit. Il n’échappa à personne que les mains blafardes de la Magicienne Sans Cœur s’étaient tendues sur le marbre de la table.
— Que veux-tu regretter, Juliette ? intervint une voix faible, brouillée par l’émotion. D’avoir fui un mariage forcé qui t’aurait détruite… aliénée ? Qui aurait fait de toi… ce que tu n’es pas ? Ne regrette pas, Juliette, s’il te plait. Ne regrette plus. Tu as eu le courage… ou la folie, peut-être… que peu d’entre nous ont eu. Edouard a appelé sa propre mort.
Tous les regards se dirigèrent vers Eléanor de Percée qui s’était exprimée d’une traite. Même la Magicienne Sans Cœur avait légèrement redressé la tête pour l’apercevoir malgré le capuchon rabattu sur ses yeux.
— Si les raisons qui ont motivé votre raisonnement peuvent être sujet à discussion, vous avez néanmoins raison, concéda Christian, magnanime. Compte-tenu de la force armée que représentait le Royaume de Richard de Percée lors de l’affrontement, lui déclarer la guerre n’était que pure folie. Le prince Edouard a sans conteste manqué de tactique et de jugement.
— Faire la guerre pour obtenir la propriété sur ce qui ne nous appartient pas, voilà là encore une grave erreur de la part de ce cher prince Edouard, renchérit Diane, glaciale. Lui non plus n’avait pas compris le sens du mariage, semblerait-il.
Soudain, le roi Léon se figea de la tête aux pieds à ses côtés, son visage devenant tout à coup livide, tandis que la reine des Ospales laissa un léger sourire flotter aux coins de ses lèvres blanches. Juliette hocha la tête avec lenteur, comme reconnaissante.
— Mais dites-moi, reine Juliette, reprit Garance. Vous avez hérité du trône de Crystallide, parce que la princesse héritière Adélaïde s’est volatilisée dans la nature, parce que sa benjamine n’est autre que votre mère qui est reine de Percée… Et enfin, parce que votre époux, dernier de la lignée, est décédé. Mais demain, qui va donc hériter du trône de Crystallide ?
Sa seule réponse fut les yeux ronds de surprise de Juliette. Garance acquiesça comme pour elle-même, satisfaite.
— C’est bien ce que j’imaginais, vous n’en avez aucune idée. Et vous, reine Eléanor, qui héritera de votre trône ?
L’interpellée ouvrit de grands yeux à l’image de sa fille, avant d’ouvrir sa bouche tremblante.
— Je… euh… Je ne sais pas, je… Je n’ai qu’une seule fille, et…
— Et elle est reine de Crystallide, en effet. Nous sommes d’accord qu’il est plutôt raisonnable d’assumer qu’elle ne pourra pas être à la fois reine de Crystallide et reine de Percée, compléta Garance, avant de pivoter pour faire face à la reine Diane. Et vous, reine Diane ? Qui donc vous succédera au trône des Ospales ?
La reine des Ospales haussa un sourcil dédaigneux.
— Je suppose que lorsque je serai incapable de régner, je devrais nommer moi-même mon successeur.
— Parce que votre fille a été mariée au roi d’Indeya, ajouta Garance, le ton lourd, et maintenant… Il n’est même plus certain que votre fille demeurera sur le trône d’Indeya.
— Ce que la justice d’Indeya décide de faire du destin de la Panthère Noire ne me regarde pas.
— Naturellement, rétorqua Garance dans un petit rire amusé, plein de chaleur.
Puis elle se tourna vers la reine d’Elesther.
— Mais en réalité, le problème nous concerne tous. Même vous, reine d’Elesther. Vous n’avez pas d’héritier, si demain un malheur venait à arriver, le trône d’Elesther serait vacant également.
Marina fronça ses sourcils de jais.
— Mon chancelier prendrait ma place, comme il est prévu dans le règlement du Royaume d’Elesther. Reine Garance, j’avoue que je ne vois pas bien où vous voulez en venir. Pourriez-vous être plus précise ?
Garance soupira, avant d’acquiescer comme à contre-cœur.
— À l’évidence, la manière dont nous traitons nos héritiers aujourd’hui, et en particulier nos héritières, pose problème. Il suffit de faire un tour de table pour se rendre compte que la plupart des souverains ici présents n’ont pas d’héritier ou alors, s’en sont débarrassés de telle sorte qu’ils ne leur succèderont pas. Nous avons tous placé nos royaumes dans une situation instable et inextricable. Je crois que nous devons mieux protéger notre descendance.
— Je… intervint la voix faible d’Eléanor qui peinait à lever les yeux du marbre de la Table. Je crois que je vois ce que vous voulez dire. Toutes nos filles ont été mariées à un autre royaume.
Une étincelle de reconnaissance brilla au fond des yeux de charbon de Garance lorsqu’ils se posèrent sur la silhouette recroquevillée de la reine de Percée.
— Et ce alors même que les aînées filles sont de plus en plus nombreuses. Cela n’a pas de sens. Elles sont appelées à régner, elles sont les seules à l’être et nous les envoyons marier des princes alentour. Cela doit cesser.
— Très bien, j’entends votre logique, tempéra Diane. Mais que faites-vous des liens diplomatiques avec les royaumes voisins qui ne peuvent parfois être entretenus que par le seul mariage des héritiers ?
— Eh bien, il faudra trouver une autre solution. Pourquoi pas des partenariats économiques ou militaires ?
Diane eut une moue dubitative.
— Pourquoi pas, en effet.
— Et aussi… continua Garance, sa voix devenant tout à coup lointaine, presque inaudible. Ne trouvez-vous pas étrange que chacune de nos héritières – et j’insiste sur le mot « héritières » – connaisse un destin tragique ?
— Chacune, répéta Amalric dans un ricanement incrédule. N’exagérez-vous pas un peu, reine Garance ?
Garance posa des yeux insondables sur le roi de Galvin, et soudain, tout sourire disparut du visage pâle de ce dernier.
— Si vous croyez que j’exagère, citez une seule héritière assise à cette Table qui n’a pas connu une enfance ou une adolescence troublée.
— Euh…
Amalric porta son regard sur chacune des femmes assises autour de la Table des Dix, l’air infiniment concentré, le front froncé. Ses yeux s’arrêtèrent en premier sur l’Impératrice Noire.
— Eh bien… Déjà, nous ne savons rien de l’Impératrice du Nihil…
Garance acquiesça avec une certaine retenue.
— Cela, je vous le concède. Parlez-nous donc des héritières que vous connaissez, roi Amalric.
Alors, le regard bleu du roi de Galvin se posa sur Marina.
— Il est vrai que l’arrivée sur le trône de la reine Marina fut plutôt… mouvementée, mais…
— Ah ? l’interrompit cette dernière, sa voix dégoulinant de sarcasme. Vous trouvez ?
Amalric se racla la gorge dans une grimace éloquente, mais choisit de ne pas répondre pour se concentrer sur Juliette.
— La reine Juliette s’est enfuie de Percée, il est vrai…
— Vous noterez que si je n’avais pas été mariée de force, je n’aurais peut-être pas fui, répliqua l’intéressée, amère.
Amalric détourna les yeux et son regard se posa alors sur Christian.
— La reine d’Indeya n’a pas eu de passé trouble, me semble-t-il, non ?
— Mise à part son engagement dans la résistance pour renverser mon royaume et mon gouvernement, j’imagine que non, siffla Diane entre ses dents.
— Et l’idée de sa mère de l’arracher à son royaume d’enfance pour la marier à un homme qui a trois fois son âge, glissa Christian, d’un ton incroyablement neutre.
Les yeux de glace le transpercèrent de part en part.
— C’était un choix stratégique, claqua-t-elle.
— Pour l’éloigner des Panthères, sans nul doute, renchérit Marina, ignorant le regard de glace de Diane. Et vous, reine Diane, avez-vous eu un passé troublé ?
La reine des Ospales se figea, avant de tourner la tête vers la reine d’Elesther, dans une lenteur effrayante.
— Bien sûr que non. Nous n’avons pas toutes choisi le chemin de la violence pour arriver à nos fins, Madame la Présidente. Et donc, nous n’avons pas toutes des regrets et remords… brûlants.
Les braises dans les yeux mordorés de Marina s’illuminèrent, mais le ton léger d’Amalric l’empêcha de réagir à la provocation de Diane.
— Enfin, Diane… Tu ne peux pas nier que tu étais une enfant un peu agitée tout de même, au moins jusqu’à la disparition de Père…
Ce fut comme si un blizzard invisible venait de s’engouffrer dans la pièce illuminée par les rayons de l’aube. La chaleur de la matinée semblait n’avoir jamais existé. Les mains de Diane étaient cramponnées aux accoudoirs, comme si elle redoutait de tomber dans des abysses insondables, alors que ses épaules et sa tête demeuraient parfaitement droites, fières, imperméables.
Lorsqu’elle prit la parole, sa voix n’était qu’un murmure, plus coupant qu’une sentence de mort.
— Je te l’ai déjà dit, Amalric. Ne parle jamais de lui.
Amalric devint blême, et même la sorcière bleue d’ordinaire impassible à ses côtés se tortilla sur sa chaise. Marina observait la scène avec une sorte de fascination dérangeante, mais elle comprit rapidement qu’elle ne pourrait pas obtenir plus d’information, Amalric trop terrorisé pour parler, et Diane trop fermée pour répondre à la moindre question. Elle se tourna alors vers la reine des Andes.
— Mais dites-nous, reine Garance, qu’en est-il de vous ?
Un léger sourire mélancolique vint orner les lèvres sombres de Garance.
— J’étais une simple domestique immigrée, employée à la cour des Andes avant d’être remarquée par les souverains. Tous deux étaient très curieux du Continent Inconnu et des Îles Taravané, ils croyaient dur comme fer en les notions de mérite et de travail, et très peu en les vertus de l’hérédité. Je suppose qu’ils m’ont utilisée comme une sorte de porte vers l’inconnu ? tenta-t-elle, mais son sarcasme ne suffisait pas à dissimuler la tendresse de son ton. Ils m’appréciaient tant qu’ils ont décidé de m’instruire comme si j’étais leur fille. La reine ne pouvait pas avoir d’enfant. Boris était leur fils adoptif, que je considérais comme mon frère. Nous avons été mariés alors que j’avais quatorze ans et lui dix-sept.
Un silence de plomb s’imposa de nouveau dans la salle dorée.
— Mais malgré cette situation relativement étrange, mon enfance a été plutôt heureuse. En revanche…
Elle marqua une pause, son souffle se fit court et Boris posa une main apaisante sur son bras. Elle lui offrit un sourire reconnaissant, avant de reprendre d’une voix plus assurée.
— Notre fille n’a pas eu cette chance. Voyez-vous, la princesse Helena est victime d’une malédiction depuis sa naissance. La légende sur la princesse-papillon est vraie, ajouta-t-elle, adressant un regard désolé à la reine Diane qui la fixait avec une étrange intensité. Des ailes immenses de papillon poussaient dans son dos les soirs de clair de lune. Cela semblait la faire souffrir énormément. Nous ne l’avons jamais su – elle a par je ne sais quel miracle réussi à nous le cacher – jusqu’à ce qu’elle révèle sa vraie nature lors d’un banquet… juste avant de s’enfuir.
— Et elle n’est jamais revenue, finit Juliette dans un souffle.
Garance hocha simplement la tête, vaincue.
— Ma sœur aînée… Adélaïde a disparu du jour au lendemain également, déclara Eléanor, la voix vide. Elle devait hériter du trône de Crystallide, mais… Elle n’a jamais été retrouvée. Une légende dit qu’elle aurait été maudite par une sorcière… Et qu’elle aurait fui pour ne pas subir l’humiliation. J’y crois peu, mais… Nous ne l’avons jamais retrouvé, conclut-elle, abattue, avant de relever la tête en direction de la reine des Andes. Et vous, n’avez-vous jamais réussi à retrouver la trace de votre fille ?
Garance hocha la tête négativement cette fois-ci, et la reine de Percée baissa la tête, comme supportant le poids des regrets de la reine des Andes.
— À ce jour, nous ne savons toujours pas à quoi est due cette mystérieuse, horrible malédiction.
Soudain, Eléanor prit un air pensif, érudit, tapotant son menton d’un air pensif.
— Cela est évidemment l’œuvre d’une magie de l’Air.
— Vous croyez ? demanda soudain Garance, une étincelle d’espoir brillant au fond de ses yeux. Pensez-vous que nous pourrions retrouver la source de la malédiction ainsi ?
— Je ne sais pas, nuança Eléanor, secouant la tête. Cela peut provenir de tout être dont la Source de magie est l’Air. Une Faille, ou bien un dieu, une déesse…
— Peut-être bien, concéda Garance dans un soupir. Mais peu importe la source de son mal-être, nous avons échoué à déceler sa douleur, en tant que parents. Et aujourd’hui, nous avons perdu notre héritière… Et notre fille.
La main de Boris se serra sur l’avant-bras de Garance, et celle-ci déposa sa main par-dessus la sienne.
— Vous voulez que nous vous aidions à retrouver votre fille, n’est-ce pas ? demanda Marina, sa voix aussi tranchante que l’acier.
Garance secoua la tête.
— Pas exactement. Je ne suis pas sûre qu’il demeure un espoir de retrouver ma fille un jour. Mais nous pouvons faire en sorte que les filles de nos filles ne subissent pas le même sort. Je veux simplement vous demander votre aide, afin que nous changions notre politique à tous. Envers nos héritiers, et en particulier nos héritières. Il semble évident que le sort que nous avons réservé à nos filles n’a fait que les desservir, les asservir. Jusqu’à les rendre inaptes à régner. Parce que nous avons affaibli celles qui doivent reprendre le flambeau, nous avons placé nos royaumes dans une instabilité insupportable. Pour une raison que nous ignorons, nous mettons de plus en plus d’héritières au monde, et paradoxalement, nous ne leur donnons pas les armes dont elles ont besoin. Il faut agir.
— Bien, et que proposez-vous donc pour sauver nos héritières ? grinça Diane, les bras croisés sur sa poitrine.
— On pourrait interdire les mariages forcés, suggéra Juliette, un sourire au coin de ses lèvres.
— Par exemple, oui, reconnut Garance.
— Et laisser le choix à l’héritier de monter sur le trône… ou pas ? tenta Amalric d’une voix faible, le visage dissimulé sous sa mèche rebelle, comme honteux.
Les yeux de Diane percèrent l’air jusqu’à atterrir sur son frère, illuminés d’un éclat polaire.
— J’ose espérer que c’est une mauvaise plaisanterie, cher frère.
— Euh… Non, bégaya ce dernier, n’osant pas soutenir le regard de la reine des Ospales. Je pense qu’un roi ou une reine qui ne veut pas régner a plus de chance de régner, eh bien… mal.
— Je suis d’accord avec vous, cher oncle, le soutint Marina. Offrir une possibilité de déléguer ce fardeau à quelqu’un que l’on estime plus compétent ou plus apte peut être une solution souhaitable, aussi bien pour le souverain que pour le royaume.
— Mais alors… on pourrait… abdiquer le trône… au profit de… n’importe qui ?
Marina posa son regard d’ambre sur la reine de Percée, qui la fixait de ses yeux hagards. À côté d’elle, Valmec semblait avoir retrouvé toute la force de sa mesquinerie, ses iris violets animés d’une étincelle inquiétante. La Présidente de la Table hocha les épaules avec une nonchalance sincère.
— Pourquoi pas ? Le souverain a tous les pouvoirs, après tout.
Un court silence s’imposa, avant qu’une phrase mélodieuse, prononcée d’une voix chaude et douce interrompe le calme réflexif.
— Er… « héritier » erok sevaeran dono ?
Tous les yeux convergèrent vers la cheffe des Îles Taravané qui avait quelque peu hésité avant de poser sa question, le regard perdu dans le vague et sa main s’entortillant autour de l’une des plumes de ses cheveux. Elle avait prononcé le mot héritier tel quel, avec son accent roucoulant, comme s’il s’agissait à ses yeux d’un mystère parfait. Puis l’attention se porta vers le roi Boris qui écoutait avec attention la traduction de l’interprète Attendant de Taravahë.
— Ah, Taravahë nous demande, euh… ah, drôle de question, rit-il. « Pourquoi avons-nous un héritier » ?
L’air sembla s’immobiliser, se cristalliser dans l’espace. Tous les souverains échangèrent des regards ahuris, impuissants, avant de tous revenir vers les yeux sombres, brillants d’interrogation de Taravahë. Puis, Diane prit la parole d’un ton indifférent.
— Car nos ancêtres ont décidé que le pouvoir se transmettait aux enfants des souverains. Il en est ainsi depuis des siècles, de génération en génération, de parent à enfant. Cependant…
Elle s’interrompit soudain, attirée par la fenêtre grande ouverte sur la mer. Puis elle se détourna de cette vue qui paraissait la perturber, et reprit d’un ton cassant.
— Il s’agit sans doute là de la racine de notre malédiction. Mais il est trop tard pour en décider autrement. Cela fait des décennies que nous enfantons dans l’unique but de voir une tête qui nous ressemble nous remplacer un jour sur le trône. Nos royaumes sont faits pour être transmis à notre descendance, et nos cédés à des inconnus.
— En effet, acquiesça Garance. Bien que l’idée de céder le pouvoir à des personnes méritantes qui ne seraient pas de sang royal demeure attirante… Mais changer notre mode de transmission du pouvoir n’est pas ce que j’avais en tête. Je pensais plutôt à un changement qui laisserait la liberté à nos héritiers. La liberté de régner seul…
— Ou la liberté de ne pas régner, compléta Marina.
Garance lui offrit un sourire radieux, et hocha la tête avec conviction. La plupart des souverains suivirent son exemple, et la Présidente de la Table fit signe au Dévoué Daryn et au Penseur Perrault d’approcher avec le matériel de vote. Elle prit la plume pour noter la proposition d’amendement.
Alors que Perrault distribuait les pièces qui serviraient au vote, un vent fou pénétra par les portes-fenêtres qui claquèrent, comme sous l’emprise d’une tornade. Quelques exclamations s’échappèrent de la bouche des souverains, tandis que les autres demeuraient bouche bée, concentrés sur les fenêtres qui ne cessaient de s’ouvrir et se fermer. Soudain, la lumière fut comme aspirée, et la pièce fut plongée dans un noir irréel, comme au plus profond des abysses. Comme si le soleil et la lune avaient abandonné.
— Le Néant.
La voix caverneuse de Ren emplit le silence pesant, seulement entrecoupé des rafales de vent. Puis, un raie de lumière transperça les ténèbres. En son centre, une haute, fine figure vêtue d’une longue robe blanche en lambeaux. Mais ce qui suscita les cris et les hoquets de stupeur ne furent ni l’accoutrement délabré de la silhouette, ni ses cheveux noirs aux courbes informes qui flottaient dans l’air comme prisonniers d’une mer gelée. Ce fut la paire d’ailes bleu minuit, tachetées de points d’or ici et là, qui lui donnait l’apparence d’un papillon de nuit. Une créature inconnue, attirante… dangereuse.
La lumière emplit de nouveau la pièce, et toute l’assemblée ressentit le besoin de se couvrir les yeux, éblouie par cette blancheur surnaturelle. Seule Garance ne bougea pas, exceptée pour se lever, dans une lenteur anormale, les yeux fixés sur l’apparition comme si elle se trouvait face à un spectre.
Des iris bleu nuit lui rendaient son regard, mais quand ceux de la reine des Andes scintillaient d’émotion, ceux de la femme aux cheveux d’ébène étaient aussi inexpressifs que la surface d’un lac noir. Puis, la femme ouvrit la bouche. Sa voix était éraillée, déchiquetée par des milliers de hurlements passés et oubliés, jamais entendus. Elle était lourde, résonnante, et semblait à jamais bloquée hors du temps et de l’espace.
— Il est un peu tard pour sauver les damnées, Mère.
Chapitre très cool qui met en scènes des discussions très intéressantes. Globalement ton œuvre c'est avant tout de la politique et non des combats magiques et etc... Ce qui fait que tu gères bien les dialogues car, eh bien, c'est un peu ton pilier. Quoiqu'il arrive toutes les discussions seront intéressantes donc de ce principe, je ne le relèverai plus~
J'ai pas trop de truc à dire sur ce chapitre, c'était fluide donc j'ai juste lu tranquillement du début à la fin sans que rien ne me fasse plus d'effets que d'autres (sauf la seule mention de Valmec qui m'a fait sourire car je me suis demandé si je devais la reléver dans mon commentaire pour la blague -- du coup c'est ce que je viens de faire quoi). -- Ah et si, je confonds souvent Mélinda, Garance et d'autres, je sais plus, car elles sont pas trop étayées je crois (ou alors ça fait juste très longtemps qu'on les a pas vu singulièrement donc on a perdu ce qui les différencient toutes.
Bon la fin bien sûr c'est la fameuse petite surprise donc naturellement, pas d'infos, j'attendrais le prochain chapitre pour en parler, heh~
Contente que l'absence de Jade ne fasse pas trop vide, ça montre que les autres persos sont assez "forts" pour occuper l'attention du lecteur tout seuls ahah Mais elle va vite revenir bien sûr !
Je suis vraiment contente que tu trouves que je gère bien mes dialogues, c'est vrai qu'ils me sont chers ^^ Et contente aussi si c'est intéressant, si c'est pas barbant et ennuyant ! Normalement le plus intéressant reste à venir mais si tu t'es pas ennuyé jusqu'à maintenant je suis rassurée xD
Vraiment ta fascination pour Valmec m'amuse beaucoup, je me doute bien que ça t'amuse aussi de me le dire à chaque fois je le vois bien xD Mais écoute si juste ta mention te fait plaisir alors tant mieux :P
Alors il n'y a pas de Mélinda, mais je pense que tu parlais de Marina ^^ Mais effectivement elle et Garance ne sont pas toujours sur le devant de la scène, parce que ce ne sont pas des femmes qui parlent beaucoup ni interviennent souvent. Mais elles vont revenir sur le devant de la scène et elles auront leur petit moment de gloire chacune leur tour ;) Marina a eu quelques scènes dédiées déjà mais ça remonte c'est vrai x)
Merci pour ton commentaire comme toujours, j'espère que tu apprécieras le prochain chapitre (qui est à revoir je l'ai prévu) néanmoins ;)
A bientôt et au plaisir !
Et ouais je continuerai de faire de Valmec mon plus grand running gag
Garance est de toute façon un personnage secondaire donc ouais, elle a ses moments mais voilà ^^
Et je vois ça, et je dois avouer que ça me fait beaucoup rire xD
Une petite surprise, oui, on peut dire ça comme ça xD Superbe chute, qui fait directement suite au chapitre, c'est très intéressant ! J'ai hâte de mieux découvrir Helena (je vais devoir lutter pour pas lire le prochain chapitre tout de suite ahah).
Ceci dit, j'ai un petit commentaire un peu plus général, que ce chapitre me donne envie de faire. Je ne sais pas si je vais réussir à faire comprendre ce que je pense, mais je vais essayer ^^ En fait, je trouve que certains personnages sont assez "semblables" dans leur parcours de vie, caractère etc... C'est encore mis davantage en lumière avec ce chapitre (qui parmi nous n'a pas eu une enfance compliquée, nous avons tous marié nos héritières...). Je n'irai pas jusqu'à suggérer d'en fusionner, mais peut-être qu'un peu plus de différenciation pourrait être intéressante ? Je dirai que là, y a vraiment Eleanor, Diane, Jade, Juliette et Boris qui ressortent et son facilement différenciables, les autres un peu moins (je les confondais d'ailleurs souvent en début de lecture).
Pour continuer sur les petites réserves, je trouve les souverains du Continent Inconnu très en retrait depuis plusieurs chapitres, je m'interroge sur leur véritable intérêt. Est-ce qu'il vaudrait mieux ne pas les faire arriver plus tard, au moment où tu auras besoin d'eux ? Je sais qu'on perd un peu la beauté du discours "Notre Monde" mais il y a peut-être moyen de tourner la chose autrement.
J'ai beaucoup aimé lire les discussions de ce chapitre. Quitter Jade est à la fois très frustrant et en même temps ça permet de souffler après ces derniers chapitres très éprouvants.
Sinon, j'ai moyennement apprécié que le dénommé Edouard se fasse tailler pendant tout le chapitre. Que des médisances ! Je suis sûr que c'était quelqu'un de très compétent, comme tous les Edouard !
J'apprécie la diversité des propositions autour de la table, on touche à pleins de sujets différents, ça apporte de la profondeur et une vraie richesse à ton histoire !
J'ai adoré la punchline de Christian contre Diane, elle était savoureuse.
En dépit de mes pavés un peu relous, j'adore vraiment la lecture ! C'est littéralement trop bien depuis le début de la deuxième partie xD
Un plaisir,
A bientôt !
Ahah, contente que tu aies apprécié la chute, mais oui essaie de lutter quand même, si tu continues tu vas arriver aux derniers chapitres publiés en 2 jours voyons xD (en vrai je rigole mais ça me fait plaisir que tu accroches autant ahah)
Je comprends ton ressenti sur la similitude des vécus de toutes les héritières, et en réalité, c'est un peu voulu ^^ Enfin l'idée c'est justement qu'elles ont toutes vécu la même chose et c'est ça qui fait que le changement peut être fait, parce qu'il y a beaucoup de femmes qui ont vécu la même chose et désirent la même chose ^^ Mais je vais essayer de voir pour que les caractères et les manières d'être s'éloignent peut-être un peu plus. Parce que c'est vrai que comme j'entre pas dans les détails sur leur vécu, en fait le lecteur ne connait pas toutes les différences, mais en réalité elles ont toutes soufferts un peu des mêmes causes mais différemment ^^ Mais c'est vrai que c'est pas évident à voir à ce stade, donc je vais voir comment rendre ça plus clair :) Enfin pour les différencier plus et plus rapidement, peut-être ! Parce que par la suite un autre chapitre qui va détailler plus les différents vécus arrive ^^
Sur les souverains du Continent Inconnu, ils interviennent quand même un peu mais rarement c'est vrai ! Après, s'ils se pointent à la Table c'est parce qu'ils ont eu vent qu'elle se tenait, et s'ils arrivaient pour les deux derniers jours ce serait quand même un peu con de leur part xD Et je comprends que ça fasse un peu lourd du coup avec tous ces personnages et ceux-là qui n'interviennent pas trop, mais ça va venir, certains vont passer sur le devant de la scène par la suite :) Entre temps, c'est vrai que leurs interventions sont limitées et servent plus à apporter de la contradiction et de la réflexion aux autres souverains ^^
Ahah, désolée pour Edouard, mais c'est vrai que lui il est pas top top :P Mais ne t'en fais pas, c'est évident que personne n'est défini par son prénom, voyons !
Contente que tu apprécies la diversité des discussions et des sujets abordés, c'était assez difficile de trouver un équilibre et de rendre les choses pas trop ennuyantes aussi, pour un lecteur qui ne serait pas passionné par ce genre de sujets ^^
Ahah, ne t'en fais pas tu n'es pas relou, tu me proposes des axes d'amélioration et c'est très cool, et je t'en remercie ;)
Je suis vraiment très heureuse que tu aimes autant cette seconde partie, et j'espère que tu apprécieras la suite également ^^
Merci infiniment pour tes retours si détaillés et constructifs comme toujours !
À bientôt ;)
En vrai c'est bête : l'écriture de l'histoire est terminée, mais ma publication est quand même irrégulière j'oublie tout le temps de poster, oops xD
"— À l’évidence, la manière dont nous traitons nos héritiers aujourd’hui, et en particulier nos héritières, pose problème. Il suffit de faire un tour de table pour se rendre compte que la plupart des souverains ici présents n’ont pas d’héritier ou alors, s’en sont débarrassés de telle sorte qu’ils ne leur succèderont pas. Nous avons tous placé nos royaumes dans une situation instable et inextricable. Je crois que nous devons mieux protéger notre descendance." C'était un sujet à posé sur la table effectivement. Elle a bien fait.
"— Euh…" Ah bah oui, là, d'un coup, ça t'apparaît.
"— Et l’idée de sa mère de l’arracher à son royaume d’enfance pour la marier à un homme qui a trois fois son âge, glissa Christian, d’un ton incroyablement neutre." Ahah youpla ! Ça, c'est dit 8D
"— Notre fille n’a pas eu cette chance. Voyez-vous, la princesse Helena est victime d’une malédiction depuis sa naissance. La légende sur la princesse-papillon est vraie, ajouta-t-elle, adressant un regard désolé à la reine Diane qui la fixait avec une étrange intensité. Des ailes immenses de papillon poussaient dans son dos les soirs de clair de lune. Cela semblait la faire souffrir énormément. Nous ne l’avons jamais su – elle a par je ne sais quel miracle réussi à nous le cacher – jusqu’à ce qu’elle révèle sa vraie nature lors d’un banquet… juste avant de s’enfuir.
— Et elle n’est jamais revenue, finit Juliette dans un souffle." Si triste ;-;
"— Euh… Non, bégaya ce dernier, n’osant pas soutenir le regard de la reine des Ospales. Je pense qu’un roi ou une reine qui ne veut pas régner a plus de chance de régner, eh bien… mal." Ahah, ça, c'est dit. Il ose enfin s'opposer à elle et c'est assez satisfaisant à lire :D
"Nos royaumes sont faits pour être transmis à notre descendance, et nos cédés à des inconnus." Et non cédés à des inconnus, non ?
"— Le Néant." Owi ! Oui, je me réjouis de ça xD
"— Il est un peu tard pour sauver les damnées, Mère." Vouiiiiiiiiii, j'adore ce genre de chapitre frustrante qui ne donne envie que d'une chose : lire la suite.
Un chapitre calme qui se termine par une pointe loin d'être calme mouahaha. Je trouve génial tout ce que tu as décidé d'aborder au sein de la table des dix comme discussions. J'ai vraiment apprécié lire ce chapitre ( comme les autres ) <3
Ahah, Christian qui clashe Diane on adore xD Comme quoi, malgré tout il continue de défendre Jade :P
Et t'as raison, le passé d'Helena est vraiment triste, comme t'as dû le voir avec le chapitre d'après d'ailleurs ^^
Ouais, pour une fois Amalric ose s'opposer à sa sœur, on voit que c'est un sujet qui le touche particulièrement, d'où son courage sur ce coup-là peut-être ;)
Contente que t'aies apprécié le chapitre et sa chute, j'avoue c'était clairement calculé pour donner envie de lire la suite, donc contente que ça ait fonctionné héhé :P Et je suis vraiment heureuse que le sujet abordé à la table (qui était nécessaire comme tu l'as remarqué) t'ait plu ! J'ai toujours peur que mes débats ennuient mais je vois que dans les faits ça a l'air d'aller donc ça me réjouit ahah ^^
Et merci pour la coquille ahah, effectivement c'était une erreur ^^
Merci pour ton commentaire comme toujours <3