Chapitre 34 : Renaissance

Marlène retrouva Lycronus dans le hall du tribunal. Les deux amoureux s’embrassèrent puis maître Beaumont et monsieur Toupin s’avancèrent.

- Bien joué, Lycronus, lança maître Beaumont. Gilain va gonfler les factures mais il ne pourra pas demander trop non plus au risque de paraître louche. Quelques millions, tout au plus, rien d’insurmontable face aux quatre milliards d’um de caution qui vont vous être rendus.

- Tu voudras bien payer les frais pour moi ? demanda Lycronus à Marlène.

Elle plissa les paupières.

- Quoi ? C’est trop cher ? s’enquit Lycronus.

Marlène ricana.

- Je produis dix millions d’um par minute, répliqua Marlène en levant les yeux au ciel.

Le hall devint brutalement silencieux, comme si une chape de plomb venait de tomber.

- Arrête de dire ce genre de chose à voix haute dans des lieux publics, soupira maître Beaumont.

- Pardon, s’excusa Marlène en se mordant la lèvre inférieure.

Elle n’y pouvait rien. C’était plus fort qu’elle. Elle trouvait toutes ces histoires tellement ridicules.

- Et si nous poursuivions cette conversation dans un lieu plus intime ? proposa maître Beaumont.

Ils se rendirent dans la voiture. À peine les portières furent-elles closes que Lycronus grondait à l’adresse de Marlène :

- Alors quoi ?

- Alors Marlène Norris refuse de donner à son petit-ami l’argent dont il a besoin pour rembourser l’accusation, indiqua la néomage.

La salive de Lycronus resta coincée dans sa gorge. Il pourrait gagner cet argent en ouvrant une boutique, mais cela lui demanderait de nombreux efforts. Il papillonnait des yeux, ne comprenant pas le refus de sa bien-aimée.

- En revanche, Marlène Stoffer accepte volontiers de soutenir financièrement son époux, termina la néomage.

Lycronus fronça les sourcils tandis que maître Beaumont riait sous cape tout en démarrant le moteur.

- D’ailleurs, Marlène Stoffer accepte aussi de devenir actionnaire majoritaire de la jeune entreprise d’ensorcellement de son mari mais j’y appose des conditions, précisa la néomage.

- Lesquelles ? requit Lycronus d’une voix tremblotante.

Autant il avait eu le temps de se préparer au procès contre Gilain, autant rien ne lui avait permis d’anticiper cela.

- Tout d’abord, une proposition de co-fondation sera envoyée à monsieur Toupin.

Marlène se tourna vers le professeur d’utilisation d’objets magiques, assis sur le siège passager avant. Il se tourna à demi vers elle.

- Vous êtes bien sûr libre de refuser. Un mi-temps me semble idéal. Moitié enseignement, moitié boutique.

Monsieur Toupin reprit en silence son observation de la route. Il ne repoussa pas l’offre. Marlène considéra cela comme une bonne nouvelle.

- Quelle est l’autre condition ? s’enquit Lycronus.

- Je ne compte pas donner l’intégralité de ma production à la boutique. J’aimerais investir dans un centre de recherche et d’éducation très prometteur.

Maître Beaumont sourit à son tour.

- Cela nécessite que les deux lieux soient à proximité, précisa Marlène.

- Nous ferons en sorte de nous mettre d’accord, promit maître Beaumont.

- À condition bien sûr que ce centre fournisse des résultats, gronda Marlène à l’adresse de maître Beaumont, tant au niveau recherche qu’éducatif. J’aimerais que tout le monde puisse s’y rendre, enfants comme adultes.

- La quantité de magie nécessaire au fonctionnement d’un endroit comme celui-là dépasse, et de beaucoup, ta capacité de création, précisa maître Beaumont. Le rendre gratuit est utopique.

- J’espère que mon exemple fera boule de neige et que les bons créateurs de magie réaliseront des dons à votre centre.

- Tu vis dans un monde de bisounours, sourit Lycronus, mais ne change pas. J’adore ta façon de me dévorer des yeux en permanence. Garde cet optimisme, ma chérie. Alors comme ça, tu veux m’épouser ? À mon tour d’apposer des conditions !

Marlène gloussa. Qu’allait donc imposer Lycronus ?

- Je ne m’associe pas avec des gens sans diplôme. Brevet et bac obligatoires, et avec mention mademoiselle !

Marlène gémit.

- Le bac ?

- Et le brevet, confirma Lycronus.

- Parce que tu l’as, toi, peut-être ? accusa Marlène.

- Oui, les deux, avec mention très bien et félicitations du jury pour le bac scientifique.

- Tu as réussi à les passer tout en apprenant au Mistral ?

- Non, je les ai passés après.

- Tu étais en cavale !

- Le CIM ne surveille pas les examens non magiques. Ils n’ont pas imaginé un seul instant que je m’y rendrai. Personne ne m’a reconnu et mon nom n’a éveillé aucun soupçon. À croire que les non magiciens se fichent des informations concernant un voleur de magie.

Marlène rit nerveusement. Elle n’en revenait pas.

- D’ailleurs, une licence en comptabilité me serait profitable. Je n’y connais rien et les déclarations d’impôts vont vite me rendre chèvre. J’aimerais autant me concentrer sur l’ensorcellement et laisser ces tâches-là à d’autres. Je pourrais engager un comptable mais il me plairait que ça soit toi.

Les épaules de Marlène se détendirent et ses lèvres s’étirèrent. Comme toujours, Lycronus la poussait vers le haut.

- Nous aurons besoin d’un community manager, quelqu’un qui gère notre image, fasse de la publicité et suive notre réputation sur les réseaux sociaux, intervint monsieur Toupin.

Marlène se tourna vers le professeur d’utilisation des objets magiques. Il venait de dire « nous ». Il s’incluait dans l’histoire. Il n’avait pas encore accepté mais Marlène sut que le consentement s’approchait à grands pas.

- Donne-moi ton téléphone, ordonna-t-il.

Marlène le lui tendit, surprise d’une telle demande. Lycronus le prit avant de le rendre à sa compagne qui le débloqua. Lycronus parcourut la liste des contacts, choisit un nom, cliqua, mit le haut parleur, puis attendit.

- Marlène ? s’exclama Amanda. J’ai vu le procès de monsieur Stoffer à la télévision. Vous avez…

- Bonjour, madame Monty, dit Lycronus.

- Monsieur Stoffer ?

Marlène entendit la voix de son amie s’étouffer.

- Toujours partante pour travailler avec moi ?

Amanda voulait travailler avec Lycronus ? pensa Marlène. Elle ne lui en avait jamais fait part. C’était pour ça qu’Amanda n’avait de cesse d’appeler Lycronus « monsieur Stoffer ». Il s’agissait d’une marque de respect envers celui qu’elle espérait un jour devenir son patron. Se sachant à jamais condamnée par sa faible création de magie, mais désirant plus que tout obtenir un jour son DM10, elle avait pris les devants et s’était assurée un avenir en se proposant à un ensorceleur encore en formation mais dont elle avait reconnu le potentiel. Marlène n’en revenait pas de son audace.

- Bien sûr, monsieur Stoffer.

- Les conditions sont-elles remplies de votre côté ? demanda-t-il.

- Oui, monsieur. J’ai mon brevet avec mention très bien et mon BAC avec les félicitations du jury.

Heureusement que Marlène fut assise sinon elle serait tombée.

- Vous voyez, monsieur Toupin, nous disposons d’un community manager. Amanda Monty est tout à fait capable de gérer notre réputation.

- Ça, je n’en doute pas, confirma monsieur Toupin.

Amanda était, sans nul doute, la reine quant il s’agissait de faire de la publicité, de lancer des rumeurs, d’en étouffer certaines, d’accentuer les autres.

- Monsieur Toupin sera de la fête ? s’enthousiasma Amanda.

- Je n’ai pas encore accepté, gronda monsieur Toupin.

- Je serais honorée de travailler avec vous, monsieur Toupin.

Le professeur grogna avant de reprendre sa contemplation de la route droite entre les immeubles américains. Le véhicule pénétra dans un souterrain, parking du campement américain de PBM.

- Merci, madame Monty, termina Lycronus. Je vous recontacterai dès que j’aurai davantage de détails. Apparemment, pour obtenir l’argent nécessaire au financement de départ, je dois d’abord épouser Marlène.

Amanda poussa un cri strident qui résonna dans la voiture.

- Bonne fin de journée, madame Monty, lança Lycronus avant de raccrocher.

- Dans quelles circonstances vous êtes-vous rencontrés Amanda et toi ? interrogea Marlène. Je demande vu qu’aucun de vous deux n’a jamais daigné m’en parler.

- C’était début octobre, commença-t-il à raconter. J’étais dans la bibliothèque sous couvert de ma première cape d’invisibilité.

Qu’il en ait déjà eu besoin en octobre dégoûta Marlène.

- Nous sommes désolés, Lycronus, intervint maître Beaumont qui garait la voiture. Maître Gilain nous interdisait d’intervenir, répétant qu’il voulait gérer lui-même celui qu’il appelait « le jeune magicien de fortune ». Je n’y ai jamais vu qu’un terme affectueux, comme s’il voulait te prendre sous son aile. Je n’ai pas songé un seul instant qu’il puisse être jaloux ou voir en toi un adversaire. Je suis vraiment navré.

Les quatre occupants du véhicule en sortirent. Lycronus poursuivit sa narration vers Marlène, ignorant le professeur contrit.

- Tu avais crée un objet magique dès octobre ? lança Marlène, admirative.

- Très simple, précisa l’ensorceleur. La cape ne touchait que la vue.

- À quoi bon dans une école pleine de magiciens utilisant leur gnosie ?

- Marlène, imagine qu’une image apparaisse dans ta gnosie mais que tes yeux ne voient rien. Qu’en conclus-tu ?

- Que c’est une illusion, répondit Marlène avant de comprendre. Oh la vache ! Tu veux dire que ma gnosie m’enverrait la réalité et mes yeux quelque chose de faux. Je n’avais jamais imaginé cette possibilité !

- Les élèves du Mistral non plus. De ce fait, j’avais la paix. Sauf ce jour-là, un peu après déjeuner. Une élève est venue se planter devant moi. J’ai pensé « Hé merde. Je suis repéré. Il va falloir que j’améliore ma cape ». Cela ne me dérangeait pas, bien au contraire. Le défi me plaisait beaucoup. En attendant, comment me débarrasser de l’importune ? Elle m’a regardé droit dans les yeux, prouvant qu’elle maniait très bien sa gnosie, et m’a dit « Monsieur Stoffer, je m’appelle Amanda Monty. Le jour où vous ouvrirez une boutique d’objets magiques, sachez que je serai honorée de travailler pour vous ». Après quoi elle m’a tendu un bout de papier avec son nom et son prénom. Je l’ai pris et elle a commencé à s’éloigner.

Marlène fut épatée par l’audace de son amie mais également sa perspicacité. Elle avait su comprendre très tôt que Lycronus Stoffer ferait de grandes choses.

- Je lui ai dit « Madame Monty, je me fiche de vos diplômes magiques. En revanche, je n’embauche que des employés ayant leur brevet et leur BAC avec mention, peu importe laquelle et peu importe la filière. » Déjà arrivée au bout du rayon, elle s’est à demi tournée vers moi, a hoché la tête puis elle a disparu.

- Elle ne m’en a jamais parlé. Elle a dû être surprise lorsque je lui ai parlé de toi au téléphone après son retour dans son collège classique. Pourquoi as-tu accepté sa demande d’embauche ? demanda Marlène.

- Parce qu’elle s’est proposée, répondit-il. Elle a du flair. Elle ne m’a jamais emmerdé et ce bien qu’elle fut totalement consciente de mes compétences. Elle ne m’a montré que du respect. Elle a essayé, à son faible niveau, d’empêcher certains mauvais gestes envers moi. J’apprécie.

Marlène n’avait rien fait. Sa seule réaction avait été de fermer les yeux, de bannir les mots « Lycronus Stoffer » de son vocabulaire. Une honte intersidérale l’emplissait. Au bout milieu de l’escalier, maître Beaumont s’arrêta, Marlène évitant tout juste de lui rentrer dedans. Les yeux rivés sur son téléphone, il fronçait les sourcils.

- De mauvaises nouvelles ? demanda Marlène.

- Amel me prévient qu’elle a posé sa démission et que tous les collègues l’ont suivie. Les élèves du Mistral sont rentrés chez eux.

- Amel ? répéta Marlène.

- Maître Gourdon, indiqua monsieur Toupin. Maître Beaumont et elle sont mariés.

- Je l’ignorais, assura Marlène qui n’avait jamais constaté le moindre indice allant en ce sens.

- Gilain se retrouve seul, comprit Lycronus. C’est une excellente nouvelle !

- Non, dit maître Beaumont. Vous ne comprenez pas. Un homme acculé peut devenir dangereux.

- Je ne comprends pas, admit Marlène en plissant les paupières.

- Combattre le temps qui passe demande plus d’énergie à chaque seconde. Les excellents magiciens dépassent parfois les deux cents ans, guère plus.

- Gilain a plus de quatre cents ans, se rappela Marlène.

- Chaque seconde de vie supplémentaire lui coûte une énergie folle, peut-être des millions d’um. Vous venez de lui couper les vivres.

- Il va devoir finir sa vie normalement. Quel malheur ! ironisa Marlène.

- Tu ne comprends toujours pas, Marlène, insista maître Beaumont. Le temps va le rattraper ! Il a des réserves mais j’estime qu’elles lui permettront de survivre un mois, peut-être deux.

- Après quoi il mourra, confirma monsieur Toupin.

- Tant mieux ! Qu’il crève ! s’exclama Marlène.

- Il sait qu’il va mourir, chuchota Lycronus d’une voix éraillée que Marlène ne l’avait jamais entendue. Il va chercher à se venger !

- Je vous téléporte au commissariat magique le plus proche, dit maître Beaumont en leur tendant ses deux mains.

- Pourquoi ? interrogea Marlène qui ne comprenait pas.

- Fais ce qu’il te demande ! commanda Lycronus.

Marlène prit la main tendue. L’instant d’après, ils étaient sur le porche du centre du CIM de New-York. Lycronus entraîna Marlène à l’intérieur. Ils s’arrêtèrent devant un agent d’accueil.

- Nous avons besoin d’enclencher une procédure de protection, de toute urgence ! annonça Lycronus.

- Vous êtes en danger ? s’enquit l’homme métis aux longs cheveux nattés.

- Nous non. Nos parents, oui. Ils ne sont pas magiciens et un magicien risque de s’en prendre à eux. Je vous en prie ! Mickaël et Sarah Stoffer.

Lycronus annonça ensuite une adresse à New York avant de se tourner vers Marlène.

- Euh… Didier et Henriette Norris.

Blême, elle transmit ensuite leur adresse aux Mureaux. Ses parents ? Gilain allait se venger sur eux ? L’estomac de Marlène se retourna. Elle ne pouvait y croire. Un agent du CIM en uniforme apparut devant le couple.

- Nous avons envoyé deux patrouilles. Maître François Gilain a été intercepté alors qu’il tentait d’entrer de force dans le domicile de Mickaël et Sarah Stoffer.

Lycronus devint blanc comme neige. Le policier poursuivit :

- L’individu utilisant la magie pour se défendre, une mesure de disruption a été validée par la hiérarchie.

- Disruption ? demanda Marlène.

- On empêche le magicien d’accéder à la magie, expliqua Lycronus. C’est ce qui m’a été fait lors de mon arrestation, précaution inutile vu l’inexistence de mes réserves, mais passons.

- Maître François Gilain s’est immédiatement écroulé, mort, termina l’agent.

- De vieillesse, comprit Marlène. Le temps l’a rattrapé.

- Sans magie pour le soutenir, son décès était inévitable, confirma Lycronus.

- Les patrouilles indiquent que vos parents, monsieur Stoffer, ainsi que les vôtres, madame Norris, se portent bien, lança l’agent du CIM.

- Merci, souffla Lycronus en soupirant d’aise. Merci de la rapidité de votre réactivité.

- Je vous en prie, répondit le policier.

Les deux amoureux s’enlacèrent, se rassurant l’un l’autre. Tout allait bien. Il était mort sans parvenir à aller au bout de sa vengeance.

Lycronus accepta d’épouser Marlène avant qu’elle n’obtienne ses diplômes, avec la promesse de cette dernière de tout faire pour les obtenir au plus vite. Les deux familles se rencontrèrent à cette occasion, la magie aidant aux traductions.

Dès sa licence de comptabilité en poche, Marlène devint la comptable officielle de la boutique, basée en Italie, proche du Mistral, centre de recherche et d’éducation désormais dirigé par une équipe d’enseignants-chercheurs révolutionnant la magie. Tous les adultes magiciens reçurent de l’aide du Mistral pour ranger leur chambre des connaissances et les enseignants révolutionnèrent la magie.

Amanda réalisa un travail fantastique si bien que la boutique d’ensorcellement S&T ne désemplit pas. La magicienne épousa Miraël Fawzi et l’année suivante, les Lucioles remportèrent, à la surprise générale, la coupe du monde de PBM.

Plus jamais Marlène ne joua au PBM. Devant un écran ou depuis les gradins, elle encouragea les Tuniques rouges sous le regard amusé de Lycronus qui préférait nettement s’occuper des enfants pendant ce temps.

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