Chapitre 33 : Comparution

Marlène sortit son téléphone de sa poche.

- Quelqu’un t’appelle ? interrogea Lycronus, à ses côtés à l’arrière de la voiture les menant au tribunal.

Maitre Beaumont conduisait la voiture prêtée par l’entraîneur américain. Monsieur Toupin occupait la place du mort.

- Un message d’Amanda. Elle t’envoie son soutien.

D’un geste, il demanda à Marlène de lui donner son téléphone. Elle le fit volontiers. Lycronus tapota puis rendit son bien à sa petite-amie. Marlène lut « Merci, madame Monty ».

Marlène sourit. Que ces deux-là s’appellent par leurs noms de famille l’amusait beaucoup.

- Il va y avoir des journalistes, prévint maître Beaumont.

Marlène n’en avait cure.

- Affichez-vous en tant que couple et vous ferez la une, poursuivit maître Beaumont.

Marlène envoya un regard interrogatif à son petit-ami auquel il répondit positivement. Les appareils photo purent immortaliser un baiser en public. Des agents du CIM emmenèrent Lycronus dans un couloir interdit aux visiteurs. Marlène le regarda s’éloigna, anxieuse. Et si Gilain gagnait ? Et si Lycronus se retrouvait en prison ? Être éloignée de lui lui pesait tant !

La néomage entra dans la salle d’audience, blindée de monde. L’avocat de la défense lui fit signe de s’approcher. Il lui avait réservé un siège au premier rang.

- Je suis maître Mac Fish, se présenta-t-il. Monsieur Stoffer et moi avons longuement discuté avant sa libération. Ne vous inquiétez pas. Ça se passera bien.

Marlène s’assit surprise. Lycronus ne lui avait rien dit à ce sujet. Le tribunal se remplit, Lycronus se retrouvant dans un box sur la droite, et le silence se fit à l’entrée du juge, un homme tranquille et calme à l’air strict mais pas antipathique. Il ne s’agissait pas du même que celui du procès de Marlène. Bonne ou mauvaise nouvelle ? Marlène n’aurait su le dire. Les membres de la cour furent présentés puis le juge prit la parole.

- Deux chefs d’accusation portent sur monsieur Lycronus Stoffer. Nous discuterons de ces points un par un. Premier chef d’accusation : refus d’obtempérer. Je rappelle les faits : le 5 avril il y a trois ans, monsieur Gilain, directeur de l’école du Mistral, appelle le CIM pour lui faire part qu’un de ses élèves vient de commettre un acte illégal. Lorsque la police arrive sur place, monsieur Stoffer s’est enfui. Il passera les trois années suivantes à fuir le CIM. Maître Mac Fish, que plaide l’accusé ?

- Coupable, votre honneur. Monsieur Stoffer reconnaît entièrement ses torts.

- Prenant en compte le fait que monsieur Stoffer s’est rendu à la police de son propre gré et sans qu’il ne fut, à ce moment-là, en danger ou proche d’être découvert, la peine requise est de six mois d’enfermement avec sursis.

Marlène soupira d’aise. Pas de prison ferme. Le juge avait été clément. Il avait pris en compte la situation dans son ensemble. Ce chef d’accusation étant à l’encontre de l’État, aucun remboursement ne fut requis. Restait maintenant la partie la plus difficile : l’accusation de maître Gilain. Pas étonnant que le juge l’ait gardée pour la fin.

- Deuxième chef d’accusation, continua le juge. Suspicion de vol de magie.

L’ambiance se fit tendue. Marlène se crispa.

- Maître François Gilain accuse Lycronus Stoffer d’avoir volé la magie de son école dans un cadre personnel, annonça le juge. Que plaide l’accusé ?

- Coupable, votre honneur.

Marlène écarquilla les yeux. Coupable ? À quoi jouait Lycronus ? Maître Mac Fish précisa :

- Monsieur Stoffer, magicien de fortune, ne pensait pas à mal agir. Il désirait passer son diplôme d’ensorceleur niveau 3 en insérant une pile dans sa dernière création afin d’en vérifier le fonctionnement. Il ignorait les subtilités inhérentes à cette situation.

- Nul n’est censé ignorer la loi, répliqua le juge.

- Et refus d’obtempérer ? lança maître Williams. Cela aussi votre client ignorait que cela fut interdit ?

- Non, maître. Nous avons plaidé coupable, il me semble.

- Et voler de la magie à de pauvres innocents ? insista maître Williams.

- Nul ne voit à quoi vous faites référence, répliqua maître Mac Fish.

Marlène trouva Lycronus serein, beaucoup trop serein. Elle dut reconnaître qu’il s’était trouvé un avocat de talent. Maître Mac Fish tenait son rôle à merveille, permettant à Lycronus de rester silencieux. Marlène grimaça. Peut-être que si elle avait davantage accordée sa confiance à son avocate, son procès aurait été moins stressant. Marlène évacua cette pensée. Elle avait gagné. L’essentiel était là. Se concentrer sur le présent importait plus.

- Le jour de son arrestation… commença maître Williams.

- Le jour où mon client s’est rendu, le corrigea maître Mac Fish.

- Maître ! Veuillez laisser parler votre confrère ! gronda le juge et Mac Fish leva les mains en signe d’excuse.

- Lors de son arrestation, reprit maître Williams, Lycronus Stoffer a été trouvé en possession de deux bras d’archer, des objets magiques enveloppants non spécifiques. Après vérification, ils se sont avérés être des capes d’invisibilité totale.

Ce disant, il désigna les deux objets, posés sur le bureau du juge. Une petite étiquette blanche entourait chacun d’eux.

- Mon client n’a jamais caché être en possession de ces objets, intervint maître Mac Fish. Il s’en servait au Mistral afin de se cacher de ses camarades qui le harcelaient, faits dont maître Gilain était au courant sans jamais chercher à y mettre un terme.

L’assemblée s’énerva. Le juge tenta de mettre fin à l’agitation. Une femme murmura quelques mots à son oreille. Le juge frappa avec son marteau et le silence revint.

- De nombreuses personnes requièrent une explication quant à la cape d’invisibilité totale. Monsieur Stratsky ?

Dans l’assistance, un grand homme blond se leva. Vêtu de vêtements sombres, il posait ses yeux gris sur le monde avec naturel et assurance. Marlène dut se retourner pour le voir, se trouvant dans son dos à gauche.

- Vous êtes ensorceleur niveau 3, proposa le juge et l’homme acquiesça.

Marlène se souvint où elle l’avait vu : dans la cave sombre où elle avait été retenue prisonnière. Cet homme lui avait retiré son cheval de Troie et le collier de souffrance.

- Pourriez-vous expliquer le fonctionnement de ces bras d’archer dans des termes simples ? s’enquit le juge. L’assemblée ne comprend pas.

- Une cape d’invisibilité, une fois active, rend son porteur invisible. Celle-ci est dite « totale » car aucun sens, magique ou non, ne peut trahir sa présence. La vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat, le goût mais également la gnosie ou les ondes, sonores, wi-fi. Cet objet confère une invisibilité totale.

- Pourquoi monsieur Stoffer en possédait-il deux ? demanda maître Williams.

- Parce que ces objets sont instables, indiqua l’ensorceleur. Ils sont d’une qualité exceptionnelle et remarquablement bien faits, mais même le meilleur ensorceleur au monde ne peut pas forcer un assemblage à conserver cette forme très longtemps.

- Cet objet a une durée de vie courte, en conclut maître Williams. À combien estimez-vous son espérance de vie ?

- Utilisé en permanence ? Un mois, grand maximum, annonça l’ensorceleur. Après, il faut le ré-harmoniser pour s’en servir de nouveau.

- Ré-harmoniser ? répéta le juge et il n’était clairement pas le seul à n’avoir jamais entendu ce terme.

- Un ensorceleur peut lui rendre sa fonctionnalité, assura Stratsky.

- Raison pour laquelle monsieur Stoffer en possédait deux, continua maître Williams. Dès que l’un d’eux tombait en panne, il activait le suivant et ré-harmonisait le premier.

- Je suppose, oui, dit Stratsky.

- Monsieur Stoffer, vous confirmez ? demanda maître Williams.

- Je confirme, maître, répondit Lycronus.

Maître Gilain sourit. Marlène comprit qu’il amenait Lycronus exactement où il voulait. Marlène ne parvenait pas à saisir le finalité de ce chemin.

- Monsieur Stratsky, vous êtes ensorceleur niveau 3 reconnu mondialement, continua maître Williams. Vous exercez depuis plus d’un siècle. Si vous deviez ré-harmoniser l’un de ces objets, combien d’énergie cela vous demanderait-il ?

L’ensorceleur se tourna vers les bras d’archer posés sur la table près de lui. Il prit son temps.

- C’est vraiment de l’excellent travail, dit-il.

- Cela les rend plus difficiles à ré-harmoniser ?

- Non, plus faciles, précisa l’ensorceleur. Lorsque le montage est bâclé, la faculté de réparation est altérée. Je dirais… 2000 um. Cependant, continua-t-il, cet objet a été crée par monsieur Stoffer et il est toujours plus facile de ré-harmoniser ses propres créations alors il en aurait probablement pour 1700 ou 1800 um.

Marlène comprit enfin ce que la partie adverse voulait prouver. Marlène sourit. Ils n’avaient toujours pas compris. Tant mieux. Qu’ils continuent à nager dans leur ignorance.

- Je vous remercie, monsieur Stratsky, dit maître Williams.

L’avocat se tourna vers le juge et continua :

- Monsieur Stoffer est un magicien de fortune non coté. Selon l’échelle de Beaumont, il est capable de produire…

- L’échelle de Beaumont ne vaut rien, le coupa maître Mac Fish et l’assemblée siffla. Cela n’a-t-il pas déjà été prouvé ?

Le juge tiqua mais ne put qu’admettre.

- Validité du document rejetée.

Mais pourquoi maître Gilain n’en souriait-il que davantage ? Marlène lui aurait volontiers arraché la tête.

- Soit, admit maître Williams. Nous ne pouvons pas nous baser sur l’échelle de Beaumont. Nous allons devoir travailler à l’ancienne afin de déterminer si oui ou non, Lycronus Stoffer était capable de fournir 1800 um par mois. En considérant des mois de trente jours, cela fait 60 um par semaine, soit un peu plus de 8 um par jour. Un cheval de Troie porté durant les prochaines vingt-quatre heures permettra de déterminer si la création de magie de monsieur Stoffer est à ce niveau.

Marlène tremblait de partout. Comment osaient-ils proposer une action aussi monstrueuse ?

- Cela ne sera pas nécessaire, intervint maître Mac Fish. Mon client produit avec peine 3 um par semaine.

- La conclusion est évidente, poursuivit maître Williams. Si monsieur Stoffer avait besoin de 60 um par semaine et qu’il en produisait 3, alors il a forcément volé le différentiel.

- Moi, j’en confluerai plutôt que votre prémisse est fausse, répliqua maître Mac Fish.

- Pardon ? grogna la partie adverse.

- Monsieur Stratsky, lança maître Mac Fish en se tournant vers l’ensorceleur toujours debout au milieu de l’assemblée, l’un des deux bras d’archer est-il désharmonisé ? Je demande parce que j’ai beau m’y connaître un peu en objet magique, je ne vois aucune différence entre ces deux objets.

- Moi non plus, assura le juge.

- Celui de gauche n’est pas fonctionnel, indiqua monsieur Stratsky.

- Monsieur le juge, pourriez-vous vérifier qu’il ne se passe effectivement rien quand vous l’activez ? requit maître Mac Fish.

Le juge enfila le bras d’archer avant d’annoncer :

- Il refuse de s’activer. C’est désagréable. Je n’ai jamais rencontré ce problème.

- La plupart des objets sont très simples, précisa monsieur Stratsky. Ils mettront des millénaires à se désharmoniser. Plus l’objet est complexe et plus il y a un risque que cela se produise. Seuls les plus riches peuvent se payer ce genre d’objets et on les met toujours en garde par rapport à cet inconvénient.

Le juge retira le bras d’archer en grimaçant. L’expérience lui avait visiblement déplu.

- Monsieur Stoffer, lança maître Mac Fish, combien d’um dépenseriez-vous pour ré-harmoniser ce bras d’archer ?

Lycronus observa l’objet posé devant le juge et annonça :

- 4 um.

Marlène comprit que Lycronus avait prévu cet angle d’attaque. Cet échange avait été répété avec son avocat. Gilain croyait avoir une longueur d’avance mais Lycronus le devançait. Marlène transperça son petit ami des yeux, plus amoureuse que jamais.

- Il est moins doué que je ne le pensais, lança monsieur Stratsky.

- Vous avez dû mal comprendre, monsieur Stratsky, le contra maître Max Fish. Monsieur Stoffer vient d’annoncer quatre unités magiques, pas quatre mille.

Monsieur Stratsky ricana avant de perdre tout sourire.

- N’importe quoi ! Personne ne peut faire une telle chose !

- Personne ne peut créer plus de 10 kum par minute, grommela Marlène en levant les yeux au ciel devant une salle médusée.

Elle avait murmuré ses propos mais dans la gnosie et la salle silencieuse, tous l’entendirent. Maître Beaumont ricana.

- Monsieur Stoffer, acceptez-vous de réaliser cette ré-harmonisation ici-même, devant nous ? demanda maître Mac Fish.

- Bien sûr, répondit Lycronus.

- Commandant ? Disposez-vous un collier de contrôle ? lança le juge en se tournant vers un policier.

- Oui, monsieur, répondit le commandant.

Qu’il ait un tel objet magique sur lui relevait de l’impossible. Cela confirma que l’échange avait été prévu. Lycronus prouvait une fois de plus sa supériorité d’anticipation sur maître Gilain. Échec. François Gilain parviendrait-il à contrer ça ?

- Monsieur Stoffer ? Acceptez-vous de vous soumettre au collier de contrôle ? demanda le juge.

- Oui, monsieur le juge, souffla Lycronus, posant un regard serein sur Marlène.

Marlène en frémit. Ça aurait été elle, elle aurait refusé. Le commandant s’avança, détachant un collier en acier de sa ceinture. Le juge expliqua.

- Ce collier va empêcher monsieur Stoffer d’accéder à ses réserves de magie. Elles ne lui seront pas volées. Aucun dommage ne sera fait à son esprit. Il s’agit juste de le priver de ses réserves personnelles. Nous allons mettre à sa disposition une pile de grès contenant 4 um.

Pendant que le juge parlait, Lycronus vit son cou alourdi et Marlène le vit trembler. Il venait de perdre sa gnosie et toutes ses facultés magiques. Heureusement, il pouvait toujours la ressentir, en lui, mais pas y accéder. La pile fut posée devant l’accusé, le bras d’archer à côté.

Lycronus leva les yeux sur Marlène et lui murmura un mot. Bien qu’il fut prononcé en anglais, Marlène reconnut un « Thank you ». Il y a trois ans, via la messagère, elle lui avait annoncé que le classement automatique ne l’était pas, lui offrant la possibilité de remettre de l’ordre dans son chaos. Grâce à cela, il allait être en mesure de ré-harmoniser une cape d’invisibilité totale en s’appuyant seulement sur 4 um là où son confrère en consommerait quatre cents fois plus.

Monsieur Stratsky secouait la tête en soupirant bruyamment tant tout ceci n’était, à ses yeux, qu’une immense perte de temps.

- Monsieur Stoffer, quand vous voulez, dit le juge.

Lycronus se concentra, passa sa main au dessus du bras d’archer comme un prestidigitateur le fait avant qu’un lapin ne surgisse de son chapeau. Marlène savait ce geste totalement inutile. Lycronus faisait son show. Monsieur Stratsky devint brutalement silencieux.

- C’est fait, dit Lycronus.

- C’est fait ? répéta le juge.

Il fit signe qu’on lui passe le bras d’archer. Il glissa son bras à l’intérieur et soudain, il disparut, faisant sursauter toute l’assemblée. Le juge reparut la seconde suivante. Maître Mac Fish lança :

- Preuve est faite : 3 um par semaine sont suffisantes pour ré-harmoniser mensuellement une cape d’invisibilité cassée.

Le commandant retira le collier de contrôle du cou de Lycronus.

- Maître Williams, avez-vous d’autres éléments à apporter au dossier ? demanda le juge.

L’avocat de maître Gilain secoua négativement la tête. Il était dépité. Les joues de Gilain tremblait convulsivement.

- Monsieur Lycronus Stoffer est coupable de vol d’un um dans les réserves magiques du Mistral. Il est condamné à rembourser les sommes volées ainsi qu’à un dédommagement de deux um supplémentaires pour le désagrément occasionné à maître François Gilain. J’y ajoute une peine de trois mois de prison avec sursis.

Marlène soupira d’aise. Sursis. Lycronus ne lui serait pas arraché. Elle lui sourit.

- Le prévenu devra également rembourser les frais engagés par maître Gilain dans ce procès. Charge à lui d’en fournir les factures au plus vite.

Maître Williams acquiesça tandis que Gilain serrait les poings. La main de son avocat sur son épaule ne le calma pas. Le juge mit fin à la séance.

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