Chapitre 35 : Oriana - Soldats

Au réveil, elle se sentait reposée comme jamais mais affamée. Sans réveiller Fabien qui dormait lourdement, elle partit en cuisine où elle avala encore de quoi nourrir un régiment. Son corps devait renouveler les stocks perdus pendant ces six mois de disette. Elle se promena ensuite dans le sous-marin, se courbant pour passer les portes, ses pas résonnant sur le plancher métallique, le son se répercutant dans le vide ambiant. Elle trouva des livres dans ce qui ressemblait fort à une cabine d’officier, s’y installa et se mit à lire.

- Salut, lui lança Fabien. Bien dormi ?

- Remarquablement.

- Mais pas longtemps.

- Si tu le dis. Je ne sais pas. Je n’ai pas de montre.

- Oriana, tu sais, dit-il en s’asseyant à côté d’elle, je suis heureux d’avoir fait chier le frère du roi en lui prenant son trésor mais dis-moi, pourquoi une simple humaine est-elle si importante à ses yeux ?

- J’ai réfléchi et il est possible que certains de tes enfants soient en vie, annonça Oriana.

- Comment ça ? lança Fabien en retour.

- Baptiste m’a dit que la première chose qu’il faisait avant de mettre un bébé génétiquement modifié dans le ventre d’une mère porteuse était de changer son groupe sanguin en O négatif, que c’était nécessaire. Donc, peut-être que les femmes O négatif ont mené leur grossesse à terme et mit au monde un de tes enfants. As-tu demandé leur groupe sanguin à certaines de tes conquêtes ?

- Non, admit Fabien. Je ne pensais pas ce facteur déterminant.

Oriana haussa les épaules. Finalement, il existait peut-être des soldats dormants, prêts à tuer au moindre contact. Naturellement, quand Baptiste constaterait leur existence, ils seraient traqués, récupérés, étudiés et une contre mesure serait trouvée mais en attendant, combien d’experts seraient tués ? Contre de démons ramenés en enfer ?

- Et dire que j’ai été si proche de lui, murmura Fabien. Il était presque au bout de mon bras.

- Baptiste ne t’aurait pas laissé le toucher, le contra Oriana. Il est du genre méfiant.

- Chris aussi. Malgré toutes mes tentatives, rien à faire, gronda Fabien.

Une sirène retentit.

- Que se passe-t-il ? demanda Oriana inquiète.

- Nous sommes arrivés, répondit Fabien.

- Où ça ?

- Aucune idée. La destination a été choisie aléatoirement. Le seul interdit est un site radioactif. Sinon, ça peut aussi bien être une île déserte qu’une plage bondée.

- Imprévisibilité, comprit Oriana.

Ils sortirent à la nage pour se retrouver sur des rochers d’une côte qu’ils remontèrent pour tomber sur un pont dans le lointain, à moitié perdu dans le brouillard.

- San Francisco, reconnut Fabien. Tu parles anglais ?

- Je me débrouille, répondit Oriana.

- Parfait, annonça Fabien en américain. On utilise uniquement cette langue maintenant. Fais comme tu peux. Plus tu l’utilises et plus tu apprendras vite. Je ne prononcerai plus un mot en français et je ferai comme si je ne te comprenais pas si tu l’utilises.

Il usait de la méthode de son père. Avance ou crève. Ça avait marché alors après tout, pourquoi pas. Oriana s’y plia de bonne grâce.

Ils restèrent dans les bas-fonds, Fabien utilisant son argent pour acheter des vêtements, de la nourriture et sous-louer un appartement, petit, simple mais pratique, avec une cuisine fonctionnelle, un salon confortable, une salle d’eau et deux chambres. Fabien se prit un travail au noir pendant qu’Oriana soignait la population contre des objets divers, préférant le troc à l’argent.

Elle sortait voilée, comme les musulmanes, nombreuses dans cet endroit. Ainsi, une reconnaissance faciale aurait plus de difficulté à la reconnaître.

Elle fut rapidement connue et appréciée. Ses soins contre des œufs, un tajine ou du couscous la rendirent célèbre. Elle fut souvent invitée à boire le thé et à déguster des petits gâteaux, ces gens pauvres partageant volontiers le peu qu’ils avaient.

Oriana se promenait dans une rue marchande, entre babouches et épices odorantes. Elle attendait Fabien. Il était censé la rejoindre pour l’aider à porter le nouveau canapé. Elle se douta qu’il avait été retardé. Elle observait un plat en métal ciselé lorsque la sensation inimitable du canon d’une arme sur ses reins la fit se figer.

- Il est où ton pote ? demanda une voix masculine au creux de son oreille.

L’inconnu se colla contre son dos.

- De qui parlez-vous ? trembla Oriana sans oser se tourner vers son agresseur.

- Le mec qui a osé braver Baptiste, gronda la voix.

Ils l’avaient retrouvée. Ils n’avaient pas mis longtemps ! Le voile ne suffisait pas. Le changement de langue, de nom et la vie dans un quartier ultra-pauvre non plus. Ils avaient vraiment des ouvertures partout !

- Je ne comprends pas, mentit Oriana qui frémissait de terreur en regardant autour d’elle.

La foule était nombreuse mais nul, pas même le propriétaire du stand de bibelots, ne semblaient se rendre compte du drame en cours.

- Je sais qui tu es, Oriana et ta capture va me rapporter un sacré pognon ! Qu’est-ce que ?

L’arme s’éloigna. Oriana se retourna pour voir Fabien, la main sur l’épaule de l’homme, toujours vivant. Oriana ouvrit de grands yeux, exact miroir de son compagnon.

L’agresseur était un humain. Sans attendre, il dirigea son arme vers Fabien. D’instinct, Oriana s’interposa et se prit la balle. Le coup de feu fit réagir la foule. Des cris résonnèrent un peu partout. Une bulle entoura les trois concernés.

L’agresseur, constatant qu’il avait blessé la mauvaise personne, perdit complètement pied et s’enfuit, terrorisé. La foule s’écarta pour le laisser passer. Nul n’avait envie de se prendre une balle perdue. Les gens tentaient de saisir ce qu’il venait de se produire, déterminant s’il valait mieux intervenir ou faire croire de n’avoir rien vu. Dans ces bas-fonds, être aveugle sauvait bien des vies.

Oriana s’écroula, le ventre douloureux.

- Oriana ! hurla Fabien en la prenant dans ses bras.

La chirurgienne évalua la situation. La balle avait explosé le pancréas, ce qui n’était pas grave. Il repousserait, Oriana le savait. Le problème principal était qu’elle se trouvait toujours à l’intérieur. Il fallait la retirer sans quoi son corps ne pourrait pas se soigner correctement et il s’agissait d’agir rapidement.

- Ce n’est rien, assura Oriana en sortant son matériel de chirurgie.

Une partie de la foule vaqua à ses occupations. Quelques passants reconnurent Oriana et s’approchèrent, se demandant visiblement comme aider. Oriana se désintéressa d’eux. Attrapant une pince, elle l’enfonça dans son ventre à la recherche de la balle. Pas de stérilisation. Elle s’en fichait. Son corps amélioré par Baptiste tiendrait le choc sans difficulté.

Elle trouva l’intruse, l’attrapa et la retira en soupirant d’aise. Le bout de métal tomba sur le sol. Oriana posa sa main sur sa blessure, davantage pour la cacher que pour empêcher le saignement. En effet, le trou se refermait déjà.

- Tu as besoin de soin ! Je ne peux pas t’amener à l’hôpital ! gémit Fabien, affolé.

- Ça ne sera pas nécessaire, assura Oriana en retirant sa main.

La blessure ne saignait plus. Oriana se leva en grimaçant.

- Oriana, tu vas bien ? demanda Homer, un homme dont elle avait soigné la femme la veille.

Il était le seul à avoir osé s’approcher assez pour lui parler.

- La balle m’a juste effleurée, mentit Oriana en cachant la plaie sous sa veste. Je vais bien.

- Qui était ce malade ? demanda Homer.

- Il voulait de l’argent, indiqua Oriana.

- De l’argent ? Personne n’en a ici. C’est ridicule ! gronda Homer. On va attraper ce salopard et le lyncher ! Tu nous soignes presque gratuitement et il s’en prend à toi ? C’est un lâche !

- Merci, Homer.

- Tu es sûre que ça va ? insista Homer.

- La blessure est minime.

Homer s’éloigna en fronçant les sourcils. Plusieurs personnes se dispersèrent à la recherche du tireur tandis que la foule reprenait sa vie habituelle, oubliant déjà cet incident somme toute mineur.

- Ils utilisent toutes leurs ressources, murmura Fabien. Il s’agissait peut-être d’un sherva, ou d’un initié, ou d’un mercenaire.

- Nous devons même craindre les nôtres ?

- La population nous protégera, assura Fabien. Maintenant qu’ils nous savent en danger, ils ouvriront leurs yeux.

Oriana n’y croyait qu’à moitié. La foule avait tendance à fermer les yeux dans le coin.

En parlant, Fabien avait amené Oriana à l’écart. Dans l’ombre d’une ruelle, derrière une poubelle, il la plaqua contre un mur et écarta le pan gauche de sa veste pour observer la blessure. Il n’y avait plus rien. La peau était nette.

- Comment est-ce possible ? chuchota Fabien en passant son doigt dans le trou du tee-shirt ensanglanté.

Oriana grimaça. Si elle lui révélait sa modification génétique, la donnerait-il en pâture aux scientifiques des tueurs de Vampires ?

- Oriana ! s’exclama Fabien tout en chuchotant.

Elle secoua la tête. Elle n’avait pas confiance en lui.

- Putain ! T’as pas besoin de respirer. Tu te soignes en deux minutes d’une balle dans le ventre et tu bouffes comme dix. Tu es une création de Baptiste ?

- Non ! cracha Oriana, insultée et apeurée. Je suis née de l’amour entre mon père et ma mère, deux personnes parfaitement normales. Je n’ai pas été façonnée dans une éprouvette.

Sous-entendu : contrairement à toi. Fabien lui envoya un regard noir.

- Tu as connu une modification naturelle t’offrant ces caractéristiques ? C’est pour ça que Baptiste te cherche ? Si nos scientifiques pouvaient…

Oriana attrapa Fabien, le plaqua contre le mur et lui mit son scalpel sous la gorge. Il se figea, le souffle court.

- Tu veux qu’ils me torturent comme la pauvre fille qui a permis ta naissance ? Je préfère Baptiste aux scientifiques humains. Lui, au moins, fait preuve de respect et de bienveillance. Il prend soin de ses patients.

- Les Vampires étaient à leurs trousses, se défendit Fabien. Ils devaient agir vite. Ils n’avaient pas le temps de…

- Parce que les Vampires ne sont pas à notre recherche, peut-être ? répliqua Oriana.

Fabien grimaça. Le scalpel toujours sur sa trachée, il hocha prudemment la tête.

- Je suis désolé, dit-il. Je n’aurais pas dû insinuer une telle proposition. Je ne te dénoncerai jamais. Tu ne tomberas entre les mains d’aucun scientifique, humain ou immortel. Oriana, je ne t’ai pas sauvée des griffes d’un mal pour t’amener entre des mains cruelles. Je te le jure. Pardonne-moi. Je n’ai pas réfléchi. Pardon.

Pour toute réponse, Oriana retira son scalpel et embrassa le russe. Dans cette ruelle, personne ne vint les déranger pendant qu’ils consommaient un désir brûlant.

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