Déboussolés, Alistair, Edénar et Surielle rouvrirent les yeux sur un champ de bataille. Des corps jonchaient le sol où qu’ils posent leurs regards, des soldats étaient soignés dans le chaos ambiant, et surtout, surtout !
Un colosse semait la désolation sur son passage. Orhim.
Les yeux écarquillés, Edénar était saisi par l’effroi. Il se raccrocha à la paume de Surielle, rassuré de ne pas être seul face à cette situation sidérante.
Surielle balaya les alentours. Elle reconnaissait les lieux, même si elle n’y était que rarement allée. Le cœur du pouvoir de la Fédération, l’Assemblée. Les soldats avaient remplacé la plupart des Djicams, pourtant elle reconnaissait le Djicam Altaïr du Troisième Royaume, sa cousine Sidonie qui représentait le Neuvième… et à terre, le commandant Fédric de la Garde du Phénix, ses ailes encadrant un corps immobile. Surielle se figea. Son père était là, lui aussi. L’uniforme vert sapin était barré d’une large tâche sombre au niveau de son abdomen, et ses efforts pour se relever restaient vains.
L’angoisse s’empara d’elle et Surielle bondit à ses côtés, entrainant Edénar avec elle.
— Papa !
— Que fais-tu ici ? répondit Lucas, le souffle court. C’est dangereux.
Comme pour confirmer ses propos, Orhim se tourna vers eux. Un large sourire barra son visage.
— Oh. Vous êtes ici, vous ? Préparez-vous à mourir !
En quatre pas, il combla la distance qui les séparait, matérialisa une lame ébène dans sa main. Surielle dégaina en toute hâte mais Alistair fut plus rapide. Son arme en Kloris noir bloqua celle du dieu.
— Dans tes rêves ! lui retourna le jeune ailé.
— Pourquoi Iskor n’est pas avec toi ? s’inquiéta Surielle en reportant son attention sur son père.
Lequel eut un pâle sourire.
— Il est trop affaibli pour se téléporter. S’il le fait, il va mourir et je n’y survivrai pas.
— Mais tu as besoin de soins !
— Sans lui je meurs et avec lui je meurs. N’est-ce pas paradoxal ?
Il parlait de la mort avec une telle légèreté, mais Surielle avait les larmes aux yeux et le cœur serré. Son père ne pouvait pas mourir, pas maintenant, pas alors qu’elle avait tant besoin de lui !
D’un geste, Lucas caressa sa joue.
— C’est ainsi, Surielle. Ne sois pas si triste.
Edénar posa la main sur son épaule.
— Fais ce qu’il faut, Surielle. Je prendrais soin d’Alistair.
— Edénar, je ne peux pas vous abandonner ainsi, je…
— Je suis sous la protection d’Orssanc, l’interrompit le jeune homme avec douceur. Vas-y.
— Merci.
Le soulagement qu’elle afficha ravit Edénar. Il ne sursauta même pas quand elle murmura le nom d’Eraïm et disparut avec son père. Son attention était toute entière concentrée sur Alistair. Malgré ses ailes abimées, le jeune homme se défendait. Il tournoyait, virevoltait, utilisait toute sa vivacité contre l’imposante présence du dieu.
Pourtant, il restait impuissant à provoquer une faille. Edénar savait qu’Orssanc ne l’avait pas envoyé ici par hasard. Il avait été l’hôte de l’esprit d’Orhim, et même s’il n’avait que peu effleuré ses pensées, il savait comment il fonctionnait. Il comprenait l’incarnation du dieu dans son avatar, et se doutait que cette transformation avait eu lieu dans l’urgence, non dans le cadre du rituel qui aurait dû avoir lieu dans quelques jours. Il y avait forcément des failles à exploiter, et Edénar comptait bien trouver lesquelles.
— Edénar ! Attention !
Le jeune homme releva la tête en entendant Alistair crier son avertissement. Orhim s’était détourné de lui pour trouver une proie plus facile. Edénar ne savait pas se battre, et il n’avait retrouvé que récemment le contrôle de son corps. La confrontation ne pouvait que lui être fatale.
Orhim s’immobilisa à moins d’un mètre de lui.
— Mon ancien corps qui revient vers moi, susurra-t-il. J’aurais voulu te faire souffrir davantage mais je suis un peu pressé.
S’il avait voulu impressionner Edénar, il en fut pour ses frais. Plus serein que jamais, le jeune homme croisa son regard.
— Vous ne pourrez plus m’utiliser. Orssanc me protège. Vous n’êtes rien. Orhim n’est rien. Votre existence ne devrait même pas être possible.
Orhim frémit de colère et d’une fureur à peine contenue.
— Petit insolent !
— Edénar !
Son attention quitta le dieu pour se reporter sur son ami qui accourait, les traits tordus par l’angoisse et l’appréhension. Edénar sourit.
— Je ne le crains pas. Ce qui n’existe pas ne peut pas te nuire, Alistair.
La lame sombre d’obsidienne le traversa de part en part, sous le regard horrifié d’Alistair réduit à l’impuissance par la distance. Mais le coup de taille aurait pu être donné avec un écran de fumée. Edénar était indemne. Alistair était tout aussi abasourdi qu’Orhim. Le regard du dieu s’étrécit.
— Quel est ce maléfice ?
— Je te l’ai dit. Orssanc me protège. Tu n’es rien, tu ne peux m’atteindre. Tu n’as aucun pouvoir sur moi.
Contre toute attente, le visage d’Orhim se para d’un sourire.
— Si je ne peux t’atteindre directement, alors j’atteindrai tes amis.
Sans même un regard pour Alistair, le géant bloqua son attaque. L’impérial jura, virevolta pour trouver un nouvel angle, para l’épée d’argent de sa lame d’ébène. Alistair grimaça sous la pression du dieu, dont le sourire s’agrandit.
— Je vais t’écraser, moucheron !
Alistair s’effaça, chercha à reprendre du champ. Il lui était difficile de ne pouvoir compter sur l’appui de ses ailes ; elles avaient toujours fait partie de lui, les utiliser en combat était un réflexe et un atout dont il ne disposait plus.
Comment lutter contre un dieu, alors qu’il ne disposait pas de toutes ses capacités ?
Tu as ma force, souffla Zéphyr.
Alistair désespérait, n’entrevoyait aucune solution. Orhim était tout simplement trop fort. Lutter contre son aura écrasante épuisait son énergie malgré l’appui de Zéphyr. Ceux qui auraient pu lui venir en aide étaient cloués au sol par l’aura du dieu, comme si une chape de plomb pesait sur leurs épaules.
Et l’inquiétude qu’il lisait sur le visage d’Edénar n’était pas pour le rassurer. Que pouvait-il faire ?
Attention !
L’avertissement de Zéphyr vint trop tard. Surpris, Alistair écarquilla les yeux quand l’épée du dieu traversa son flanc. Orhim lui sourit, presque tendrement.
— Voilà pour toi, oisillon arrogant. Essaie de piailler, maintenant.
Alistair tituba, chercha en vain un point d’appui. Tout avait été détruit ; il n’y avait rien, que des débris prêts à le faire chuter. Il s’écroula, la main pressée sur la déchirure de son ventre, croisa le regard effrayé d’Edénar. Il y avait bien trop de sang. Pouvait-il survivre à ça ? Pouvait-il combattre dans cet état ? La douleur était un feu brûlant qui le consumait, l’empêchait de réfléchir correctement.
J’espère bien que oui ! Ne me fais pas défaut maintenant, alors que tu es tout proche de ton but !
Mes forces m’abandonnent, Zéphyr. Je n’y arrive pas.
Sa vision devenait floue. Une brume rouge recouvrait son champ de vision ; non, pas une brume… des ailes ?
Alistair secoua la tête. Il était en train de mourir et son cerveau lui transmettrait des visions réconfortantes. Le jeune impérial cligna des yeux pour tenter d’affiner ses sens.
Et se retrouva dans un paysage brumeux.
— Alistair ? Que fais-tu là ?
Sonné, Alistair releva les yeux sur la voix si familière. Rayad.
Il accepta sa main tendue et se releva, interloqué.
— Mais… mais… tu es…
— Je suis mort, oui, confirma Rayad. Et si je te vois là, c’est que tu n’es pas loin de l’être.
— Je suis tellement désolé…
— Ne le sois pas, sourit Rayad. Tu as fait de ton mieux, comme toujours.
— Mais cela n’a pas été suffisant, rétorqua Alistair, amer. Et Orhim est trop fort.
— Shaniel compte sur toi. Surielle aussi. Comme Edénar. Tu en es capable, Alistair.
— J’en doute, Rayad, soupira l’ailé. Sans toi… ce n’est plus pareil. Je n’ai plus la force.
Rayad s’empara de ses mains.
— Tu peux le faire, répéta-t-il. Tu as réussi à amadouer Shaniel. Edénar te vénère presqu’autant qu’Orssanc.
— J’aimerai tellement…
La silhouette d’Alistair vacilla. Rayad sourit face à son inquiétude.
— Je crois que tu as plus d’alliés que tu ne le crois. Retournes-y. Détruis Orhim, pour le bien de l’Empire. Tu as ma bénédiction, Alistair.
— Non. Attends !
Alistair cligna des yeux et se trouva face au visage inquiet d’Edénar.
— J’ai cru t’avoir perdu un instant, avoua le jeune homme. Comment tu te sens ?
Alistair porta la main à son front, troublé.
— Mieux que je ne devrais l’être.
Avait-il rêvé, confondu Edénar et Rayad ?
— Alors relève-toi.
— Je suis blessé, rappela Alistair, je ne peux…
Edénar secoua la tête.
— Tu sous-estimes le pouvoir d’Orssanc, mon ami.
Alistair fronça les sourcils.
— Je ne comprends pas…
— Je lui ai consacré ton sang et je lui ai demandé de te guérir. Je suis son élu, quoique tu en penses.
Incrédule, Alistair passa sa main dans la large déchirure de sa tunique, tâta une chair lisse et l’absence de blessure. La douleur aussi avait disparu, et s’il n’avait pas été autant désorienté, il s’en serait aperçu plus tôt. Par Orssanc, Edénar disait vrai !
Accepte les choses, Alistair, cesse de lutter !
— Très bien, céda Alistair. Mais je ne comprends pas pourquoi vous semblez tous croire que je vais réussir maintenant alors que je n’ai pas réussi ne serait-ce qu’à l’effleurer jusqu’à maintenant.
Edénar secoua la tête.
— Orssanc croit en toi. Cette force te portera, si tu l’acceptes.
Alistair s’assombrit. Croire en une déesse qui lui avait pris Rayad ? Comment le pourrait-il ?
Tu es plus têtu d’une pierre ! Qu’est-ce qu’il te faut de plus ?
Une preuve.
Alors que tu fais partie des rares l’ayant vue ? s’étonna Zéphyr. La voilà, ta preuve !
Ce n’était qu’une façon pour mon cerveau d’appréhender une réalité différente.
Tu es désespérant, Alistair.
Merci de ton soutien, railla le jeune ailé.
— Vous n’êtes pas encore morts, tous les deux ?
La voix tonnante d’Orhim les ramena brutalement à la réalité. Alistair tâtonna à la recherche de son épée, referma sa main sur la poignée alors que le dieu des Stolisters se dirigeait vers eux à grandes enjambées. Edénar lui tendit la main et l’aida à se remettre sur pieds.
Le jeune homme prit plusieurs courtes inspirations, braqua son regard gris sur le colosse qui s’avançait. Combattre était son métier ; venger Rayad serait sa motivation. Jamais plus il ne laisserait une telle horreur arriver.
Orhim esquiva sa première attaque avec un sourire, lui renvoya un coup de pied dans l’estomac qui l’envoya au loin. Le souffle coupé, Alistair lutta pour se relever, des points noirs tourbillonnant dans son champ de vision.
— Tu es trop lent, l’oisillon, fit Orhim avec un sourire de prédateur.
Il leva son arme ; Edénar croisa le regard d’Alistair, qui horrifié, se précipita dans sa direction.
— Edénar !
L’épée d’argent cueillit Edénar sous les côtes ; le jeune homme s’effondra dans les bras d’Alistair, un sourire sur les lèvres.
— La bénédiction d’Orssanc t’accompagne, Alistair, souffla-t-il.
Ses doigts ensanglantés tracèrent deux lignes sur son front.
Avec un hurlement de rage, Alistair se propulsa au contact d’Orhim. La fureur embrasait son esprit, le rendait insensible aux blessures légères qui émaillaient son corps. Rien d’autre ne comptait que sa détermination aveugle ; il allait mettre un terme à l’existence du Dieu maintenant, avant qu’il ne lui prenne une autre personne chère. Savoir qu’Edénar avait payé pour lui était intolérable.
Même la présence de Zéphyr se faisait tenue dans son esprit alors que sa vision se voilait d’écarlate.
Il n’y avait plus qu’eux.
Orhim et Alistair.
L’épée d’argent contre la lame en cristal Kloris noir.
Jamais le jeune ailé n’aurait dû pouvoir résister au pouvoir d’Orhim ; pourtant il ne cédait pas un pouce de terrain alors que leurs épées étaient entrecroisées.
Le visage d’Orhim se plissait sous l’effort : un simple mortel aurait dû être écrasé par le poids de sa seule aura, qui à elle seule empêchait les blessés de se relever, cantonnait les autres à un simple rôle de spectateur.
Alistair brisa l’engagement, recula d’un pas et sauta dans les airs. Un instant, Orhim crut apercevoir des ailes pourpres dans son dos.
Mais c’était impossible, non ? Il était aussi déplumé qu’un nouveau-né.
Pourtant, il s’était élevé bien plus haut qu’un simple saut n’aurait dû le lui permettre.
Pendant quelques secondes, le temps parut figé : Alistair dans les airs, les traits déformés par la rage ; Orhim, colosse campé sur ses pieds, prêt à encaisser l’attaque ; Edénar, le regard fixé sur son ami, en train de murmurer ; les guérisseurs qui luttaient pour s’approcher des blessés.
Alistair était concentré tout entier sur son but ; son corps, son esprit, son arme. Tout se focalisait sur sa cible.
Il allait venger Rayad, sauver Edénar, donner à Shaniel un Empire en sécurité.
Avec un rugissement, la lame noire plongea droit dans le cœur d’Orhim, sidéré. Un mortel l’avait touché ? Non !
Interloqué, son regard croisa celui d’Edénar, qui lui sourit malgré ses blessures.
— La force d’Orssanc coule en Alistair, Orhim. C’est fini pour toi.
Les paroles du jeune homme furent comme un déclic. Le colosse tituba, sa bouche s’ouvrit sur un flot de sang noir, ses yeux se révulsèrent. Il tomba sur le sol, fracassant le plancher, faisant trembler l’édifice.
Il était mort.
Alistair ne lui accorda pas un regard, se jeta à genoux près de son ami, prit sa main dans les siennes.
— Reste avec moi, Edénar, implora-t-il.
— Ne t’inquiète pas tant, Alistair, souffla ce dernier. Aie foi en Orssanc. Ce sera la clé de ton retour.
Ses yeux se fermèrent doucement alors qu’une aura dorée nimbait son corps. Incrédule, Alistair le vit se dissoudre dans un rai de lumière ; les larmes dévalèrent ses joues. Tous ses amis étaient-ils donc condamnés à mourir ? Après tout ce qu’Edénar avait fait pour lui, il n’avait pu le sauver ?
Une main effleura son épaule. Alistair se tourna pour découvrir Sidonie. L’uniforme gris de l’Émissaire était tâché de sang et elle tenait son bras droit serré contre elle.
— Tout va bien ? s’inquiéta-t-elle.
— Je ne sais pas, avoua le jeune ailé. Orhim est mort, et pourtant… pourtant je ne ressens rien d’autre qu’un grand vide.
Fais confiance à Edénar, intervint Zéphyr. Aie foi en Orssanc.
La foi. Qu’avaient-ils tous avec ça ? Certes, il avait vu Orssanc de ses yeux, il avait senti son pouvoir à travers Edénar, mais…
Mais tu ne crois pas.
Alistair ne pouvait qu’être d’accord avec son griffon. Il avait grandi au sein de l’Empire, il s’était habitué à fonder ses certitudes sur des preuves, sur des démonstrations, sur une logique.
Et aucune croyance n’avait de fondement scientifique.
Comment expliques-tu notre Lien ? fit Zéphyr, moqueur.
Alistair pinça les lèvres, essuya ses joues.
— Tu es blessée ? s’enquit-il.
— C’est douloureux mais je ne crois pas que ça soit grave, admit Sidonie. Il y a plus urgent.
La plaie méritait d’être recousue, constata-t-il. Mais cela pouvait attendre. Sidonie se défit de sa veste avec une grimace, et Alistair coupa l’une des manches pour la nouer autour de son bras.
Sidonie s’agenouilla devant chaque corps, cherchant un signe de vie, Alistair dans son sillage. Les soldats de la Garde du Phénix avaient payé un lourd tribut. La jeune ailé ferma les yeux du Commandant Fédric avec un soupir.
— Il a tout donné, mais ce n’était pas assez.
Avec la mort d’Orhim, la chape de plomb qui pesait sur les combattants s’était évaporée. Un peu partout, ils se relevaient, en grimaçant pour la plupart. Les guérisseurs de Soctoris se précipitaient au chevet des cas les plus graves.
Les gémissements des blessés formaient un brouhaha déchirant. Alistair serra les poings. Si seulement…
— Tu as fait de ton mieux, assura Sidonie. Merci.
— Cette victoire a un goût amer.
— Comme la plupart des victoires, oui, intervint le Djicam Altaïr.
Ses longs cheveux blonds étaient regroupés en de multiples petites tresses sous le cerceau d’argent qui marquait son rang. Il arborait les oreilles pointues et la peau vert clair de son peuple. Sa veste d’un vert sapin dessinait des épaules musclées, un corps rompu à l’exercice. Au milieu des gravats, il était bien loin des forêts centenaires de sa planète natale et comme tous les combattants, sa tenue était émaillée de déchirures et de traces de sang.
Surpris, les deux jeunes gens saluèrent aussitôt.
— Ne vous donnez pas cette peine. Il y a bien plus important.
Le carquois qui pendait à sa hanche était vide, son arc rangé à l’épaule.
— Venez avec moi, poursuivit-il.
Petit à petit, les lieux se remplissaient. Comme s’ils réagissaient à un signal, réalisa Alistair.
Évidemment. Les Mecers sont liés, ils peuvent prévenir que la bataille est terminée.
C’était presque aussi bien que leur réseau de communication, songea Alistair. Même si c’était réservé aux seuls Liés. En quelques pas, ils rejoignirent le Durckma Jodörm, assis à même le sol. Une guérisseuse avait les mains posées sur son épaule tuméfiée. Sous les yeux d’Alistair, la déformation se résorba. Comment les citoyens de la Fédération réussissaient ce tour de force ?
Ce n’est pas de la magie, Alistair. Juste une maitrise des flux d’énergie.
Pourquoi je ne les perçois pas ?
Parce que tu n’y es pas sensible. Dois-tu le voir, pour y croire ?
Je préfère, oui.
Tu vas vu Orssanc, et tu n’y crois toujours pas, se moqua le griffon.
Alistair se rembrunit.
Ce n’est pas pareil.
Vraiment ?
Le Durckma leva les yeux vers lui. Alistair se raidit inconsciemment. C’était lui qui succéderait à la Souveraine Satia, quand elle le jugerait prêt. Serait-il aussi doué qu’elle ?
— Je vous remercie, jeune homme, dit doucement Jodörm. La Fédération vous remercie. Vous nous avez tous sauvés.
L’attention se braqua sur lui. Alistair déglutit. Il percevait la tension invisible des lieux. Leurs peuples avaient été ennemis si longtemps, leur paix fragile… et sa famille bien trop impliquée dans tous ces évènements à son goût.
Mais savent-ils qui tu es, sans tes plumes ?
Il m’en reste suffisamment, répliqua sèchement Alistair.
Moins visibles.
Certes.
Sous le poids des regards qui s’attardaient sur l’état de ses ailes, Alistair aurait donné n’importe quoi pour mettre la main sur une cape. Jusque-là, il ne s’était pas confronté à un miroir, mais le seul aperçu de son reflet sur les vitres, lors de leur fuite, l’avait glacé.
— Nous sommes alliés, répondit enfin Alistair, choisissant ses mots avec soin. Vous auriez fait la même chose.
— Y’a-t-il quelque chose que nous pourrions faire ? Vous êtes blessé ? demanda Jodörm.
— Je vais bien, merci, répondit poliment Alistair. J’aimerai pouvoir rentrer chez moi, et je crains que vous ne pouviez m’aider.
La frustration d’être inutile s’ajoutait au chagrin d’avoir perdu Edénar, à la douleur d’être loin de ses proches. La compassion de Zéphyr l’enveloppait, adoucissait sa colère, échouait à tempérer son amertume.
— Surielle viendra te chercher dès qu’elle le pourra, lui assura Sidonie.
Tu es conscient qu’Edénar t’a donné le moyen de rentrer ?
Comment ça ? sourcilla Alistair.
La foi est la clé, rappela Zéphyr. Dis-le.
Le jeune homme se rembrunit, et Sidonie s’en aperçut.
— Un problème ?
— Zéphyr m’a expliqué comment rentrer…
— Ce devrait être une bonne nouvelle, or au vu de ta tête…
Alistair soupira.
— Il me suffirait de dire que je… je… je ne peux pas. Je m’y refuse.
— Tu as beau être impérial, tu es un ailé, réfléchit Sidonie. Tu ne peux prononcer que des paroles que tu juges vraies.
— C’est ça. Et les mots que je refuse de prononcer sont la clé de mon retour.
Le jeune ailé serra les poings.
— Ça ne m’étonne pas de sa part.
— De qui parles-tu donc ? s’enquit Sidonie, curieuse.
— D’Orssanc, cracha Alistair.
— Tu ne crois pas en elle ? s’étonna sa cousine.
— Savoir qu’elle existe me rend suffisamment malade, répondit Alistair. Je n’ai jamais fait partie des croyants. Elle ne m’y contraindra pas.
— La foi n’est pas que synonyme de malheurs, intervint Xiao.
Resté en retrait, il était vêtu de la toge blanche des Prêtres d’Eraïm. Le phénix doré étincelait sur sa poitrine, tranchant avec les tâches rougeâtres qui parsemaient son vêtement. Les cheveux grisonnants, les yeux violets, il respirait la maturité. Xiao adressa quelques mots au soldat dont il s’occupait, puis se releva.
— La foi conduit également à de grandes œuvres, poursuivit-il. Qu’ils s’appellent Eraïm, Orssanc… leur présence nous aide au quotidien. Croire en quelque chose de supérieur nous pousse à nous dépasser.
— Alors pourquoi n’a-t-elle rien fait pour sauver Rayad ? rétorqua Alistair.
— Les dieux n’ont pas vocation à aller contre le cours des choses… le destin peut être choisi, peut être modifié, mais la finalité reste la même. Nous sommes mortels, nous sommes voués à mourir.
— Il n’était pas n’importe qui. Et il avait choisi de modifier ses plans pour trouver l’Éveillé, pour trouver celui capable de la sauver ! Quel beau remerciement, commenta Alistair, sarcastique.
— La foi ne fait pas tout, plaida Xiao. Elle est une inspiration, un soutien dans les heures sombres. La main tendue quand tu es dans le chagrin. Mais elle n’accomplira jamais rien à ta place.
Xiao soupira, parcourut la salle du regard… fit un signe de la main.
— Peut-être que Aithen trouvera mieux les mots. C’est un soldat, comme toi.
— Que me veux-tu, mon ami ? salua le nouveau venu.
Son regard s’attarda un instant sur les ailes abimées d’Alistair, avant qu’il ne reporte son attention sur Xiao.
— Il ne conçoit pas qu’on puisse croire en un dieu, expliqua le Prêtre. Alors qu’il a reçu la bénédiction de sa déesse.
— Comment le savez-vous ? fit Alistair, surpris.
— Je vois une aura pourpre, autour de toi. Je vois que tu luttes, que tu résistes à l’accepter.
— Je n’ai jamais eu besoin d’une déesse, et ce n’est pas prêt de changer !
— Tu es un guerrier, pourtant, intervint le Messager Aithen. Tu te caches derrière ta fierté et ton arrogance pour refuser l’inévitable.
Alistair serra les dents.
Il a tapé juste, n’est-ce pas ?
La ferme, Zéphyr.
— C’est pourtant la même chose dans un combat, reprit Aithen. Face à un adversaire plus fort que toi, opposer une force similaire ne sert à rien. Par contre… quand tu reconnais sa force, quand tu t’effaces devant elle… il ne peut plus l’utiliser pour te contraindre. Comprends-tu ?
Lentement, Alistair acquiesça. C’était la base même de son entrainement. Ne pas lutter en vain, mais détourner les points forts de l’adversaire pour ne pas lui laisser de prise.
Cesse donc de lutter, martela Zéphyr. Accepte-le.
— Tu peux voir la foi comme ton épée, si tu préfères.
— Comment ça ? demanda Alistair, intrigué.
— C’est une belle épée que tu as là. À quoi te sert-elle ?
— À tuer des gens ? répondit prudemment Alistair.
— Peut-elle le faire seule ?
— Non, reconnut-il.
— Elle dépend donc de toi. De ta volonté. De tes choix. Eh bien, quelque part, c’est pareil pour un croyant.
À ses côtés, le Prêtre hocha la tête.
— Croire en ta déesse ne va pas ôter par miracle tous les obstacles sur ta route. C’est un soutien pour t’aider à affronter l’adversité. Un moyen comme un autre de puiser ta force.
— Mon soutien s’appelle Zéphyr, rétorqua Alistair. Je ne veux rien d’elle.
— C’est à ce point difficile, pour toi ? demanda doucement sa cousine.
— Oui, avoua le jeune impérial, tandis que ses ailes s’agitaient malgré lui. Parce qu’on ne me laisse pas le choix. Parce que l’accepter, c’est le perdre une nouvelle fois.
— Le choix t’appartiendra toujours, dit le Prêtre.
— Aucun choix n’est facile, poursuivit Aithen. Que demande ton honneur ?
Alistair retint son souffle. Le Messager s’était adressé à lui comme s’il était un Massilien… et présenté de cette façon-là… Son père le lui avait suffisamment martelé : l’honneur était plus important que tout. Alistair avait toujours brandi son honneur avec fierté.
Il avait survécu à la perte de ses plumes, avait supporté l’humiliation des regards portés sur lui. Il lui fallait abandonner maintenant la dernière chose à laquelle il s’accrochait. Sa culpabilité liée à la mort de Rayad.
Je suis avec toi. Toujours.
La présence de Zéphyr était réconfortante. Sans lui, il aurait tout abandonné.
Je te suis éternellement redevable, mon ami.
Nous sommes Liés. L’éternité n’est rien.
Alistair déglutit, croisa le regard serein du Messager. Serait-il aussi sûr de lui, un jour ? Aussi confiant dans sa propre force, débarrassé de ses doutes et de ses angoisses ?
— L’honneur me commande de rentrer les aider, souffla-t-il.
Sidonie pressa sa main, lui sourit.
— Tu peux le faire. Ils t’attendent.
Je crois en toi.
Alistair rassembla son courage, serra la main de sa cousine, prit une grande inspiration.
Je la déteste, je la déteste, je la déteste !
Tu sais qu’elle peut t’entendre, hein ?
— J’ai foi en Orssanc, lâcha-t-il.
Il fronça les sourcils devant le sourire du Prêtre.
— Ça marche, confirma Xiao. Que la bénédiction d’Eraïm t’accompagne.
Alistair eut le temps de percevoir un salut de sa cousine et du Messager, et alors qu’il allait leur répondre, son corps s’auréola de pourpre et se fragmenta pour disparaitre.
Si je ne peux t’atteindre directement, alors j’atteindrai tes amis.
→ Je ne trouve pas cette phrase assez « belle » pour un dieu. La répétition de « atteindre » y est peut-être pour quelque chose. En tout cas, je te conseille de la retravailler.
il allait mettre un terme à l’existence du Dieu maintenant, avant qu’il ne lui prenne une autre personne chère.
→ dieu
Croire en quelque chose de supérieur nous pousse à nous dépasser.
→ Je modifierai en « Croire en quelque chose de supérieur peut nous pousse à nous dépasser. » car après tout, tous les croyants ne se dépassent pas. Mais je pense que c’est vrai qu’une religion n’est mauvaise si elle nous permet de nous dépasser.
Je trouve ça dommage qu’Alistair ait besoin de dire sa foi à voix haute. De plus, j’aurais voulu un ressenti plus intérieur à Alistair (une chaleur peut-être, un sentiment de bien-être, le poids sur ses épaules qui disparaît, une poitrine moins compressé, un souffle de soulagement, quelque chose, n’importe quoi en fait).
Merci pour tes remarques. Oui je vais retravailler cette phrase, y'a moyen d'en faire un truc percutant.
Il manque possiblement un truc pour Alistair aussi, en effet, les émotions j'ai encore du mal avec. Effectivement il n'a pas à dire la phrase à haute voix mais ce n'est peut-être pas très clair. C'est une façon pour lui de le reconnaitre au lieu de se voiler la face aussi ^^