Lucas cligna des yeux, distingua les traits fatigués d’un Guérisseur Soctorisien, la voix inquiète de Sidonie.
— Mon oncle, ça va ?
Je suis désolé.
L’accablement d’Iskor. Il était en vie. Le soulagement l’envahit en même temps qu’une sourde colère.
Ne me refais plus jamais ça !
La fureur de Lucas embrasa leur lien.
Par Eraïm, tu as manqué me tuer !
Je sais, fut la réponse piteuse du phénix. J’ai cru que je pouvais réussir. Mon corps s’est désintégré.
Les phénix renaissaient de leurs cendres, de façon plus ou moins rapide, mais le laps de temps qu’Iskor avait passé « mort » avait manqué de rompre leur lien. Un lien si fort qu’il ne se brisait que dans la mort.
— Je suis vivant, dit Lucas en avisant l’air inquiet des proches autour de lui. Merci.
Il saisit la main de Jodörm pour se remettre sur pieds. Par Eraïm, comment allait-il tenir ? Il avait l’impression que son corps avait été broyé sous le poids d’une montagne, démantelé et reconstitué. Et pour avoir ainsi épuisé un Guérisseur Initié… Lucas frissonna. Cette fois, il avait eu de la chance d’en réchapper.
Je suis désolé, répéta Iskor, abattu. J’ai vraiment cru que j’y arriverai.
— Qu’est-ce qu’on fait contre… lui ? questionna Jodörm.
Le Veilleur réalisa que le dieu n’avait pas bougé. Une moue méprisante barrait son visage ; comme si les mortels en face de lui n’avaient aucune chance. Distraitement, Lucas se demanda combien de temps s’était écoulé. La douleur lui avait paru durer des heures, mais il savait d’expérience que le temps se distordait dans ces moments-là.
Quelques secondes. Peut-être une minute ?
Pour la première fois depuis qu’il avait prêté serment en devenant membre des Veilleurs, vingt ans plus tôt, Lucas regretta l’absence d’arme à sa ceinture. Cet adversaire-là ne se vaincrait pas par de simples paroles. Aucune de ses techniques ne pouvait s’appliquer à la puissance d’un dieu. Pourquoi Eraïm n’était pas resté les épauler ?
— Parce qu’Eraïm sait que nous pouvons le vaincre seuls, répondit la Djicam de Mayar. Il a confiance en son peuple.
Lucas réalisa qu’il avait formulé sa question à voix haute. Autour de lui, ils étaient tout aussi dubitatifs. Il n’y avait qu’à considérer l’aura écrasante qui entourait le dieu.
Une idée ?
Nous sommes trop éparpillés et épuisés pour t’aider, répondit Iskor, frustré.
Lucas puisa dans ses dernières ressources pour se relever. Il lui fallut un effort de volonté pour empêcher ses jambes de trembler.
— Je peux vous gagner un peu de temps, proposa-t-il.
— Nous ne pouvons lutter contre un dieu, protesta Jodörm.
— Très juste, susurra Orhim, et sa voix éclata comme le tonnerre au sein de l’Assemblée. Mais vous avez contrecarré mes plans. Vous avez libéré celui qui aurait dû être mien ! Par votre faute, je dois me contenter d’un corps d’emprunt, inadapté, faible. Vous allez donc mourir.
Une épée d’argent se matérialisa dans sa main.
Il était rapide, songea Lucas comme il s’attaquait aux soldats survivants de la garde du Phénix. Sidonie avait pâli, les mains crispées sur son épée. Altaïr décocha une volée de flèches ; d’un geste négligent le dieu les brisa en copeaux de bois.
Aide-moi, Iskor. Prête-moi ton énergie.
Je n’ai pas grand-chose en réserve, prévint le phénix. Sois prudent.
Lucas ricana. Prudent ? Face à un dieu ?
Transmets mes sentiments à Satia.
Tu le feras toi-même, rétorqua le phénix.
Le Veilleur s’avança, braqua son regard bleu-acier sur Orhim.
— Tu n’as donc pas peur de moi ? s’étonna le dieu avec un sourire. C’est une erreur.
Il n’était pas sa cible, réalisa Lucas avec horreur. Le Durckma Jodörm, l’incarnation du futur de la Fédération, l’était. D’un battement d’ailes, Lucas se propulsa vers lui, pria Eraïm de ne pas arriver trop tard.
Un trait de feu perça son flanc. Lucas hoqueta sous la douleur.
— Bien, susurra Orhim en retirant sa lame rouge de sang. Agonise, et contemple la profondeur de ton échec, alors que ton monde s’effondre.
*****
La courte réunion n’avait eu que pour but de faire patienter Satia et ses conseillers. Bientôt, elle fut invitée à rejoindre un autre espace, bien plus grand. Rectangulaire, la salle aurait pu être une boite tout confort posée sur le sol, et avec ce qu’elle connaissait de la technologie impériale , c’était certainement le cas. Plus surprenant, Shaniel était là, une couronne d’or et de rubis brillant sur sa chevelure ébène. Les tresses étaient parées d’or et d’écarlate, les couleurs impériales, rassemblées dans une coiffure sophistiquée. Les lèvres ourlées de rouge, les yeux poudrés d’or, un trait de noir soulignant son regard de braise, Shaniel n’était plus la jeune princesse impériale qu’elle avait rencontrée quelques jours plus tôt. Certes, elle ne portait pas la couronne de son père - Satia en percevait les différences - mais elle essayait de donner le change et d’après Satia, elle y arrivait plutôt bien.
Autour d’elle, une cohorte de Seigneurs et de domestiques s’activaient. Les Seigneurs prirent place autour de la grande table, accompagnés de leurs aides et de leurs servants personnels, dans un tourbillon de couleur. Tandis qu’ils s’asseyaient, dans le brouhaha de conversations étouffées et le raclement de chaises, Shaniel restait là, debout, immobile, s’efforçant de propager une image de calme et de contrôle. L’image d’une Impératrice sûre d’elle, nota Satia. La situation devait être bien plus grave qu’elle ne le pensait, si la jeune femme s’était ainsi proclamée. Elle savait les impériaux très attachés au protocole, et si Eraïm ne les avait pas envoyés sur Druus, c’était sûrement parce que la capitale était toujours aux mains des Stolisters, donc que le couronnement n’avait pu avoir lu dans l’enceinte du Palais.
Satia avait hâte d’en savoir davantage. En attendant, elle s’installa dans l’espace qu’on leur avait aménagés. Pour de l’improvisation, ils s’en tiraient bien, décida-t-elle. Elle était en face de Shaniel, lui accorda un hochement de tête avant de s’asseoir. La jeune Impératrice lui retourna son salut, un geste qui ne passa pas inaperçu. Aioros s’installa à sa droite et Sanae à sa gauche. Le Messager Grafel resta debout derrière eux, signifiant clairement qu’il était là pour les protéger. Elésyne était restée avec son escouade, et Satia savait que son père lui transmettrait directement ce qu’elle aurait besoin de savoir. Communiquer par le Wild était un atout précieux.
— Merci à tous d’être là, commença Shaniel, d’une voix suffisamment forte pour faire taire les derniers murmures. Merci à nos alliés d’avoir fait le déplacement. Aujourd’hui, nous allons faire un dernier point sur la situation, avant de déterminer la meilleure stratégie pour nous débarrasser des Stolisters. Commençons donc par le premier Monde, Druus.
L’écran derrière elle s’alluma, projeta la capitale impériale. Shaniel se décala légèrement, de façon à ce que tous puissent voir l’image.
— Varyl y est présent, d’après nos derniers renseignements, et se sent suffisamment menacé pour avoir renforcé ses troupes. Il s’attend à ce que nous venions à lui, et il a tout prévu en conséquence.
Plusieurs informations s’ajoutèrent à l’image. Leur technologie était performante, bien plus pratique que leurs schémas papiers. Le nombre de vaisseaux en orbite et l’importance des troupes s’affichèrent. Plusieurs Seigneurs s’agitèrent, mal à l’aise. Satia les comprenait ; même pour elle, c’était impressionnant.
— Dans l’état actuel de la situation, reprendre Druus est impossible. Passons au deuxième Monde, Anwa.
Sur l’écran, la capitale impériale rétrécit tandis qu’une sphère jaunâtre emplissait l’image. C’était un monde désertique, se souvint Satia. Ils y avaient créer un refuge pour les phénix, après le Traité de Paix.
— La planète a subi un lourd bombardement orbital lors de la prise de pouvoir des Stolisters, reprit Shaniel. Néanmoins, ce matin, nous avons reçu une communication surprenante. Le Seigneur Gelmir d’Anwa, secoué, nous a parlé d’une intervention divine - apparemment, il aurait rencontré la déesse Orssanc en personne - et nous a proclamé allégeance. Il nous envoie dix navettes de combat et ses meilleures troupes.
Des murmures à la fois appréciateurs et dubitatifs parcoururent l’assemblée, et Satia laissa un sourire s’afficher sur ses lèvres. C’était une bonne nouvelle, même si les impériaux resteraient frileux sur la réalité de leur déesse. Et si elle était réellement apparue au vieil homme…
Elle a été libérée, intervint Séliak.
Pourquoi ne m’as-tu pas prévenue plus tôt ?
Eraïm ne le souhaitait pas. Orssanc est encore faible.
Surielle a joué un rôle là-dedans, n’est-ce pas ?
Ta fille est en vie, rassura Séliak. Mais pas encore hors de danger.
Bon, Satia devrait se contenter de cette information. Elle reporta son attention sur Shaniel, qui passait au troisième Monde, Meren.
— Des camps Stolisters ont été vus sur Meren, dit Shaniel. Le Seigneur Kolgulir de Meren n’a pas été vu depuis longtemps… nos agents envoyés sur place n’ont pas réussi à nous communiquer de nouvelles récentes. Soit la planète subit un brouillage, soit ils ont été capturés.
L’air soucieux, le Seigneur Jahyr acquiesça.
— Nous ne pouvons donc compter sur eux pour le moment.
— Ils ont peut-être été bombardés également ? hasarda le Seigneur Emyr.
Satia ne le connaissait pas, devina qu’il était issu du sixième Monde de part le A stylisé brodé sur la cape marron. A son air nerveux, il ne devait pas être habitué à s’adresser ainsi aux Seigneurs plus hauts placés que lui.
Shaniel pinça les lèvres.
— Le Seigneur Kolgulir nous a assuré de sa loyauté. Nous n’avons reçu aucune troupe ni information significative. Je ne prendrai pas ce risque.
Plusieurs Seigneurs approuvèrent, et Satia comprenait leur position. La possibilité de traitres n’étant jamais à exclure, un Seigneur non fiable ne valait pas le risque. Traitre ou mort, le cas de Meren semblait scellé.
— Le quatrième Monde, Ciryatan. Nous savons que la Famille qui le dirigeait a été tuée par les Stolisters, lesquels sont implantés sur quatre campements sur la planète. Apparemment deux garnisons et deux campements de prisonniers, dont le complexe non loin de nous. Leurs défenses planétaires ont été détruites grâce aux dragons du Seigneur Éric, mais ils ont eu le temps d’envoyer un signal de détresse. Il y a donc fort à parier que des renforts sont en route. Nous devrons donc agir au plus vite, même s’ils sont sur le qui vive.
L’image de Ciryatan disparut, et le cinquième Monde, Bereth, prit sa place.
— Dame Anko nous a assuré de son soutien, elle aussi, et nous a envoyé Kota sy Reysuri en gage de sa bonne volonté. Dites-nous tout, Kota.
Le représentant de Bereth, dans sa cape bleue, s’inclina profondément devant Shaniel, puis parcourut l’assemblée du regard. Malgré son jeune âge, il paraissait sûr de lui. Satia croisa les doigts sous son menton, curieuse. Sa position était délicate ; comment allait-il s’en tirer ?
— Bereth est loyale à l’Empire, affirma Kota. Les Stolisters ont rapidement imposé un blocus à la planète. Dame Anko avait l’exemple d’Arian et d’Anwa sous les yeux. Elle ne pouvait pas décemment leur opposer un refus sans subir l’annihilation de sa population. Les Stolisters ont trois bases sur la planète, et malgré leurs dénégations, Dame Anko sait qu’ils espionnent ses communications. Grâce à l’accord qu’elle a passé avec eux, il n’y a plus que trois vaisseaux de guerre en orbite de Bereth.
— Seulement trois, mais qui l’empêchent de faire décoller ses navettes, observa Jahyr.
— Exact. Elle a rappelé une compagnie pour défendre la capitale, sous le prétexte de faire respecter un couvre-feu dans les rues. Le peuple est contre la présence des Stolisters sur le sol de Bereth. Quant aux autres régiments, ils ont été envoyés en exercice, loin des camps Stolisters. Dès que l’accès aux cieux sera permis, ils vous rejoindront, soyez-en sûre.
Shaniel inclina gracieusement la tête.
— Merci, Kota. Nous tiendrons compte de vos propos dans notre décision. Bereth sera certainement notre prochaine cible, et je compte sur la réactivité des troupes de Bereth pour nous aider à repousser les Stolisters.
— Alors Aranel passera encore en dernier ? s’insurgea son représentant.
— Non, Yuri, contra posément Shaniel.
Sur un geste discret de sa part, la sixième planète grossit sur l’écran, jusqu’à emplir tout l’espace.
— Aranel est essentielle à l’Empire, reprit Shaniel.
— Alors pourquoi n’avez-vous rien fait jusqu’à présent ? contra Yuri, bras croisés.
Un pli furieux barrait son front, et le A stylisé de son Monde s’affichait en gros sur le tissu marron de sa veste. Le Seigneur qui était déjà intervenu, Emyr, approuvait frénétiquement son supérieur dans son ombre.
— Nous avons infiltré beaucoup d’agents et recueilli de nombreuses informations. N’est-ce pas, Seigneur Jahyr ?
— Tout à fait, majesté, répondit Jahyr.
— Je sais que notre peuple souffre, ajouta Shaniel. Je sais qu’ils ont été nombreux à avoir été enfermés dans les camps des Stolisters, et je sais que leurs conditions de vie y sont plus que difficiles. Je veux porter une attaque simultanée sur Bereth et Aranel.
La déclaration provoqua des murmures réprobateurs et Satia pinça les lèvres. C’était ambitieux, surtout avec leurs faibles moyens aériens et les blocus imposés à chaque planète.
— S’ils ont les moyens de leurs ambitions, commenta doucement Aioros à côté d’elle, ont-ils vraiment besoin de nous ?
— Eraïm nous a dit qu’ils auront besoin d’aide, lui retourna Satia sur le même ton.
— Et il ne parlait peut-être pas de nos troupes, ajouta Sanae.
Satia acquiesça. Elle doutait que Shaniel leur propose d’embarquer les troupes de la Fédération dans l’un de leurs vaisseaux. Autant les réserver pour les soldats habitués à ce mode de transport.
— Et que faites-vous des autres mondes ? osa demander un jeune Seigneur.
Satia fronça les sourcils. Elle ne le connaissait pas, ce qui n’avait rien d’anormal en soi s’il s’agissait comme elle le pressentait d’un petit Seigneur de province, mais on ne s’adressait pas ainsi à l’Impératrice.
D’ailleurs, d’un simple geste de la main, Shaniel avait ordonné à sa garde du corps de rengainer.
— Seigneur Ewi, dit-elle posément. Le Seigneur Éric d’Iwar s’est personnellement occupé de détruire les vaisseaux qui organisaient un blocus de sa planète, tout en ralliant les restes des troupes loyales à l’Empire. Quant à Nienna, Dame Yssa a la situation bien en main. Les Stolisters qui ont cru débarquer en toute impunité sur la planète l’ont découvert à leurs dépens. N’est-il pas juste que je vienne à la rescousse de mes sujets les plus vulnérables ?
A côté d’elle, Aioros eut un demi-sourire.
— Elle a le talent pour faire une grande Impératrice, souffla-t-il.
Satia était parfaitement d’accord. La jeune femme s’était glissé avec aisance dans ce rôle. La mort de son frère avait dû agir comme un électrochoc, la poussant à décider de prendre son destin en mains, au lieu de le subir. Dommage qu’il ait fallu de si tragiques circonstances…
Elle espéra que Jodörm et Lucas réussissent à protéger la Fédération de leur mieux. Non, elle faisait mieux que l’espérer : elle savait la Fédération entre de bonnes mains. Tout ce qu’elle souhaitait maintenant, c’était connaitre les plans de Shaniel concernant la libération de sa fille. Et même si le Commandeur se tenait aux côtés des autres Seigneurs, impassible en apparence, elle savait qu’il brûlait de voler au secours de son fils. Évidemment, ramener le sujet maintenant serait contre-productif. Puis Satia fronça les sourcils. Tous les Seigneurs étaient accompagnés de leur épouse et de leur suite. Tous, sauf Éric. Y’avait-il là matière à creuser ?
Un serviteur vint leur proposer des rafraichissements que Satia accepta avec un remerciement tandis que Shaniel exposait son plan d’action. Sur l’écran, les images se succédaient aux images. Des représentations précises qui était un atout. A l’air patient qu’arboraient Éric et Jahyr, Satia songea qu’ils avaient déjà été mis au courant. Il était logique qu’un petit cercle conseille la jeune Impératrice, et ces deux Seigneurs avaient toujours mis l’Empire en premier dans leurs agissements. Le Djicam Aioros écoutait avec intérêt ; elle n’en était pas étonnée. Féru de stratégie, il se montrait curieux de leurs alliés. Une chance, car elle avait hésité à lui opposer un refus quand il s’était proposé de les accompagner.
Il ne fera rien qui contrevienne à l’honneur de la Fédération, tu devrais le savoir, protesta Séliak.
Vingt ans, Séliak. Vingt ans que nous sommes en paix et seulement maintenant qu’il manifeste un intérêt ?
Je comprends ta méfiance… mais fais-lui confiance.
S’il y avait bien une phrase que les phénix lui repassaient en boucle, c’était celle-ci. Satia s’efforça de masquer sa contrariété. Ils iraient secourir Surielle et Alistair, ainsi que d’éventuels autres survivants, et même si elle brûlait d’y aller, elle savait qu’il y avait des contraintes à respecter. Se précipiter n’amènerait rien de bon s’ils finissaient pris en otage.
Concentrer les troupes impériales sur Bereth et Aranel semblait être le plan de Shaniel. Même si elle délaissait la capitale, Druus, Varyl se devait de la garder protégée. Méfiant, il s’imaginerait que les autres attaques seraient des diversions. Shaniel comptait pourtant mobiliser la grande partie des Maagoïs disponibles sur Aranel. Pour Bereth, il était prévu de plus petits groupes, mobiles, pour porter des attaques éclairs. Shaniel comptait sur la bonne volonté de Dame Anko ; une stratégie risquée si celle-ci venait à lui faire défaut, mais avec un minimum de pertes si elle se retournait effectivement contre eux.
Les Seigneurs se rangèrent peu à peu à son point de vue. De toute façon, songea Satia, la jeune femme n’aurait pas cédé. Et elle supposait que les Seigneurs commençaient à le comprendre. L’Empire se gouvernait d’une main de fer, et ce n’était pas parce qu’elle était une femme que la poigne serait plus souple.
Une fois les derniers détails réglés, les Seigneurs commencèrent à se retirer. Ils avaient affiché leur soutien à l’Impératrice, maintenant, il était temps de respecter leurs engagements. Ils avaient des ordres à donner. Shaniel s’approcha de la Souveraine.
— Le Seigneur Éric et le Seigneur Evan resteront sur Ciryatan pour voir avec vous comment s’organiser. Cela vous convient-il ?
Une pointe d’appréhension se notait dans sa voix ; Satia le comprenait. Après tout, elle leur demandait quand même de s’allier avec un ancien traitre. Mais Satia savait que le Commandeur ne se retirerait pas, pour la même raison qu’elle. Leurs enfants étaient retenus prisonniers ici.
Pourtant, Satia prit le temps de consulter Aioros et Sanae du regard. Les deux acquiescèrent, et même chez le Messager Grafel avec eux, elle ne lut qu’acceptation.
Si tout se passe bien, nous ferons un grand pas en avant dans nos relations.
Vivre dans le passé n’est pas une solution, approuva Séliak.
— Ce sera parfait, répondit Satia.
Shaniel leur offrit un dernier sourire avant de s’en retourner, glissant ça et là un mot à l’oreille des Seigneurs et Dames présents.
Le Seigneur Evan s’approcha les saluer. Il fournirait des potions aux troupes impériales, mais ne participerait pas directement aux assauts.
— J’ai demandé à Sital de nous apporter une carte des lieux, annonça-t-il. Ce sera plus pratique.
Satia arqua un sourcil.
— Douteriez-vous de notre compétence à nous adapter à vos cartes virtuelles ?
— N’y voyez nulle offense, altesse, intervint Éric. Il est plus rapide de changer la disposition des troupes sur le papier.
— Et qu’avez-vous déjà prévu, au juste ? Car j’imagine que vous ne nous avez pas attendus pour préparer un plan.
— Vos troupes vont changer la donne. Le prêtre Créos nous a conseillé de nous occuper d’abord du camp à l’Est… pour éviter que leurs renforts viennent nous gêner.
Sital se glissa dans la pièce, un rouleau de papier sous le bras.
— J’ai fait imprimer un large périmètre, par précaution, commença-t-il.
Il s’interrompit en découvrant Satia, mais c’est sur les Massiliens que son regard s’égara. Surpris par le silence, Evan considéra la situation. Sital était un ancien esclave, et même s’il avait été libéré lors du Traité de Paix, il avait choisi de rester sur le sol impérial, ne supportant pas la honte qui retomberait sur lui s’il rentrait. Un Messager n’avait pas à être capturé, après tout. Aujourd’hui, ses cheveux étaient aussi gris que ses ailes, mais apparemment, il était rattrapé par un passé qu’il avait cru oublié.
— Myonos, murmura le Messager derrière Satia.
Il était clairement secoué, comme s’il venait de voir un fantôme. Les quelques secondes avaient permis à Sital de se ressaisir. L’ailé se redressa.
— Myonos est mort à Orein, dit-il sèchement. Il n’y a plus que Sital ici.
Il respira un grand coup, puis poursuivit :
— Quand j’ai appris que la Fédération nous envoyait des troupes… je m’attendais à la présence de la Souveraine, mais je n’ai pensé qu’à un seul Massilien à ses côtés. Je ne m’attendais pas à vous voir ici, Djicam.
Derrière eux, le Messager s’était repris. Pourtant, ses poings tremblaient encore. De regret ou de fureur, Satia n’aurait su le dire.
Aioros te fait dire que Grafel était son Envoyé, à l’époque.
Satia comprenait mieux son choc. Mais il était un Messager, maintenant, et elle espérait qu’il sache se comporter en tant que tel.
Aioros s’en occupe. Ne t’inquiète pas.
Merci.
Le lien était clairement un atout, même si elle devinait que les impériaux comprenaient qu’ils discutaient entre eux. Était-ce impoli, du coup ?
— Nous avons soixante Mecers, dit Aioros, brisant la tension. Quelles sont les forces aériennes de l’ennemi ?
— Ils disposent de moins d’une dizaine de petits transporteurs, répondit Éric. Essentiellement stationnés là. Deux vaisseaux sont en orbite, mais les dragons s’en occuperont.
— Nous pourrions placer un bataillon d’archers sur le dos de l’un d’entre eux, réfléchit Aioros. Leurs arcs longs ont une très longue portée.
— Capables de transpercer leur armure ?
Aioros haussa les épaules.
— A l’époque, ils l’étaient. Si vous avez un prisonnier, nous pouvons procéder à un test.
— Sur un mannequin, j’espère ? intervint Satia, sourcils froncés.
Éric ricana, puis s’assombrit.
— Nous n’avons malheureusement pas pu faire de prisonniers. Vivants, en tout cas. Les Stolisters sont des fanatiques. Ils combattent jusqu’au bout, et voient la mort comme une délivrance.
— N’oublions pas les interventions de leur dieu, ajouta Sital.
A ses côtés, Evan hocha la tête, soucieux.
— Je doute que Varyl maitrise cet Orhim aussi bien qu’il le croit. Je ne suis toujours pas convaincu de son aspect divin, mais qu’il s’agisse d’une illusion ou d’une arme, les dégâts sont eux bien réels.
— Espérons que les attaques sur Bereth et Aranel soient une diversion suffisante, alors, nota Aioros.
— L’Impératrice Shaniel, Orssanc lui prête sa force, reste ici au camp provisoire pour superviser les opérations, annonça Éric. Plusieurs doublures seront envoyées avec les troupes pour limiter les risques. Pour Orhim… il ne sert à rien de prévoir le pire. S’il se montre, nous aviserons. Une fois ce camp détruit, nous pourrons nous attaquer au complexe qui retient Surielle et Alistair en toute sécurité. Est-ce que cela vous convient ?
Satia donna son accord. Enfin ils passaient à l’action. Séliak l’avait informée que les combats avaient commencé sur le sol de la Fédération. Les Stolisters mordraient la poussière sous leurs forces conjuguées, elle en était persuadée.
*****
Satia avait rongé son frein tout le temps de l’attaque. Elle savait que détruire ce centre était essentiel, les aiderait à mieux cerner le complexe où étaient retenus Surielle et Alistair, mais qu’Eraïm lui vienne en aide, elle aurait préféré libérer Surielle immédiatement.
Au moins, cette attaque avait permis aux Impériaux et aux troupes de la Fédération d’apprendre à combattre côte à côte. Teldreï, le dragon d’Eric, avait tournoyé au-dessus de la mêlée, détruisant les rares vaisseaux Stolisters venus en renfort, permettant aux Mecers d’avoir la maitrise des cieux. De là-haut, ils avaient pu informer en temps réel les troupes au sol. Un avantage certain.
Les Stolisters avaient combattu avec hargne. Des fanatiques, avait dit Éric, et il n’avait pas eu tort. Jamais ils n’avaient cherché à se rendre, préférant des charges suicidaires lorsqu’ils entrevoyaient une issue inéluctable. Satia avait tenu à se rapprocher des combats, malgré les réticences d’Aioros et Sinoros. Le second du commandant Fédric prenait très à coeur son rôle de protecteur et même si Satia lui en était gré, elle savait aussi qu’elle avait besoin de se rendre compte par elle-même de la nature de leur ennemi. Au final, elle avait été glacée par leur détermination sans bornes, par la lueur de démence entrevue au fond de leurs yeux. Manipulés par Varyl, le chef des Stolisters, l’usurpateur du trône impérial, ou par leur dieu Orhim ? Satia se demanda qui tirait réellement les ficelles. Varyl était peut-être une figure de proue pour Orhim, à moins que le dieu ne se serve de son représentant qui lui avait offert ces mondes. Elle imaginait mal un dieu rester contraint à servir un humain. Il y avait sûrement autre chose.
Avec effort, elle s’obligea à se reconcentrer. Le camp avait été fouillé de fond en comble, puis détruit. Satia avait même aidé à démarrer l’incendie qui en avait eu raison ; une épaisse colonne de fumée noire s’élevait encore dans le ciel. Elle aurait voulu croire que les Stolisters présents dans le complexe qui retenait Alistair et Surielle ne l’avaient pas vu, mais c’était illusoire. Cette fois, ils seraient prêts. Satia frissonna. Si leur assaut devait coûter la vie à sa fille, elle ne se le pardonnerait jamais.
— Si je m’approche avec Teldrei, dit Éric en pointant la carte, ils…
Le Commandeur s’interrompit, se redressa. Un bref instant, le soulagement marqua ses traits.
— Apparemment, ils n’auront pas besoin de notre aide.
— Comment ça ?
— Ils arrivent.
Avant que Satia ne puisse l’interroger davantage, il avait gagné l’extérieur. Satia jura entre ses dents et s’empressa de le suivre. Aioros ne la laisserait pas seule avec le Commandeur, c’était une certitude, et Sanae voudrait s’assurer qu’ils soient en bonne santé. Eraïm fasse que Surielle aille bien !
A l’extérieur, le camp bruissait d’activité et des murmures couraient entre les rangs, de plus en plus intenses au fur et à mesure qu’ils approchaient de la lisière du camp. De l’anticipation plutôt que de la peur, nota Satia. Les impériaux étaient prêts à combattre, un point qui la rassurait.
Autour d’elle, Aioros avait rassemblé quelques soldats des Douze Royaumes ; Sinoros, deux archers, deux centaures, un Messager et Elésyne. Satia ne protesta pas ; son rang lui donnait droit à une escorte, et même si le Commandeur Éric se montrait confiant, un accident était vite arrivé. Les Stolisters étaient proches, après tout.
Imitant le Commandeur, Satia plissa les yeux, chercha à distinguer quelque chose dans le ciel où dérivaient quelques nuages effilochés. Un point noir, là-bas, qui grossissait. Bientôt, elle distingua une créature volante - un griffon peut-être ? - et à ses côtés, une ailée aux ailes flamboyantes. Son coeur bondit dans sa poitrine, chassant une tension dont elle n’avait pas eu conscience. Surielle était là. Vivante. Un soulagement incommensurable s’empara d’elle.
D’un geste, Éric fit baisser les armes braquées sur eux.
— Ce sont les nôtres.
Une première silhouette descendit du griffon qui s’était posé à quelques mètres d’eux, mais Satia n’avait d’yeux que pour sa fille.
Surielle discerna sa mère, se jeta dans ses bras. Sa stupéfaction n’était rien face à la joie indescriptible qui l’envahissait. Elle avait tant rêvé de ce moment !
— Maman ! Que fais-tu là ?
Elle avisa alors derrière elle le régiment déorisien, l’escouade de Mecers dirigée par Taka – qui lui offrit un sourire et un signe de main – son oncle Aioros, la Guérisseuse Sanae… toute une force hétéroclite clairement non impériale.
— Que font-ils ici ? s’étonna Surielle.
— Eraïm en personne est venu nous mettre en garde contre Orhim, expliqua Satia. Nous venons en aide à nos alliés. À menace commune, résistance commune. Qui est ce jeune homme, derrière toi ?
— Oh. C’est Edénar. Il a réveillé Orssanc.
Le jeune homme salua gauchement, intimidé.
— Un plaisir de te rencontrer, sourit Satia.
— Nous n’y serions jamais arrivés sans Alistair, souligna Edénar.
— Oui, d’ailleurs, il…
Surielle se retourna, se figea.
Son cousin avait mis pied à terre. Il était si différent, avec cette cape drapée sur ses épaules qui camouflait ses ailes abimées. Rien à voir avec l’assurance avec laquelle il arborait ses plumes écarlates. Le cœur de Surielle se serra. Alistair avait souffert. Mais il avait eu le devoir de protéger Rayad, et Rayad était mort.
Elle n’imaginait pas le Commandeur aussi magnanime que ses parents.
Surielle ravala sa salive. Le Commandeur n’avait pas bougé, adossé à l’une des griffes de son dragon de pierre.
Bras croisés, immobile, il attendait.
Comme un automate, Alistair avança, s’immobilisa à un mètre de son père.
Une grande inspiration.
Les poings serrés, il ouvrit la bouche.
— Je… Je suis désolé.
Envolées toutes les phrases bien tournées qu’il avait préparé. Rien d’autre ne lui venait. Alistair aurait préféré confronter son père seul, loin des regards qu’il devinait posés sur eux. Mais peut-être méritait-il cette humiliation supplémentaire.
Tu ne « mérites » rien de tel ! s’indigna Zéphyr.
Laisse-moi régler ça. S’il te plait.
— Montre-moi.
Le ton impersonnel le fit frémir. Alistair déglutit, ferma les yeux avant d’ôter sa cape. Impossible de soutenir le regard de son père dans ces conditions.
Il perçut très bien les murmures étouffés des ailés non loin d’eux, l’inspiration brève tout près de lui. Alistair serra les poings, les ongles s’enfonçant dans ses paumes à en marquer la chair, puis osa croiser le regard gris de son père.
Lequel ouvrit ses bras.
— Tu as beaucoup souffert, mon fils. Je suis heureux de te revoir en vie.
Alistair se précipita dans son étreinte, à peine conscient des immenses ailes rouges qui les entouraient pour leur donner un peu d’intimité, secoué de sanglots.
— Je n’ai pas réussi… il est mort devant moi… j’ai été impuissant… c’est si dur…
— Je sais.
Il s’écoula de longues secondes avant qu’Alistair ne se ressaisisse.
— Je suis désolé, renifla-t-il en essuyant ses larmes. J’aurais dû…
— L’honneur ne commande pas de s’ôter la vie à chaque échec, coupa le Commandeur. Tu devras en tirer les leçons, et vivre avec. Et quand tu te sentiras mieux… elle t’attend.
Le jeune ailé suivit son regard. Juchée sur son griffon blanc tacheté de gris qui partageait ses yeux rouges, le front ceint d’or et de rubis, drapée d’une étoffe aussi écarlate que le sang, Shaniel était impériale jusqu’au bout des ongles.
Alistair pâlit. Les nouvelles allaient plus vite qu’il ne l’avait prévu. Il s’était préparé à son père, non à confronter son amante. La propre sœur de Rayad. Par Orssanc, elle allait le tuer, et lentement.
— Avant que tu ne poses la question, reprit Éric. Oui, elle s’est couronnée Impératrice après la mort de son frère, Orssanc garde son âme, refusant d’attendre le bon vouloir des Familles, disant, je cite, « si je dois mourir, autant qu’ils aient conscience de mon rang ».
— Cela ne m’étonne pas d’elle, murmura Alistair.
Il rajusta inconsciemment sa tenue ; elle était inconvenante pour saluer sa souveraine, mais il n’avait rien d’autre. Il ramassa sa cape, la drapa de nouveau sur ses épaules. Tant que ses plumes n’auraient pas repoussé, hors de question de s’humilier davantage.
D’une pression sur l’épaule, son père lui donna l’impulsion et le courage d’y aller.
Il se dirigea vers elle d’un pas rapide, s’immobilisa à cinq pas comme l’exigeait le protocole et plongea dans un profond salut. Au Palais, il se serait prosterné ; à l’extérieur, s’en abstenir était toléré.
— Relève-toi, Alistair.
Le cœur de Shaniel se serra quand elle croisa son regard hanté par le désespoir. Elle pinça les lèvres. Par Orssanc, s’ils avaient été seuls…
Néanmoins, certains faits ne pouvaient être tenus sous silence. Son escorte était quelques pas derrière elle et plusieurs Seigneurs de province étaient présents pour témoigner de leur soutien et de leur fidélité. Certains accompagnaient leurs forces vers Bereth et Aranel, d’autres l’aidaient à coordonner les assauts simultanés. Depuis qu’elle avait posé cette couronne sur sa tête, elle n’était plus seulement Shaniel.
Elle était l’Empire.
Elle représentait les neuf Mondes.
Tous attendraient d’elle des actes forts pour redorer le blason impérial.
Elle devait leur faire oublier son père, oublier son frère, oublier son chagrin et sa douleur.
Par Orssanc, ils lui manquaient tant !
— As-tu rempli ta mission et trouvé l’Eveillé, lieutenant Alistair d’Iwar ?
Le jeune ailé déglutit. Ce n’était pas la question à laquelle il s’attendait, et le ton si formel lui porta un coup au coeur. Shaniel s’était glissée dans son rôle d’Impératrice avec son aisance habituelle, et il n’aurait aucune compassion à attendre d’elle. L’Empire se dirigeait d’une main de fer.
— Nous avons ramené l’Eveillé, majesté. Edénar Vezerin a réveillé la déesse Orssanc.
— Avec quelles conséquences ?
Alistair ravala sa salive. Allait-on le croire ? Lui-même aurait douté s’il n’en avait pas été témoin.
— Orssanc a ramené le huitième monde, Arian, et a annulé la tuerie qui avait eu lieu sur Anwa, majesté.
Un brouhaha de stupéfaction s’éleva, comme il l’avait prévu. Alistair serra les poings. Le plus dur allait venir, pourtant. Shaniel se devait de poser la question, et lui d’accepter son châtiment. La chaleur qui émanait de Zéphyr était tout ce qui l’empêchait de s’effondrer.
— Vous êtes quatre à revenir. Et le prince Rayad ne fait pas partie des survivants. Comment l’expliques-tu ?
Alistair aurait voulu disparaitre sous terre. Il s’obligea à l’immobilité, contrôla sa voix.
— Nous sommes tombés dans une embuscade. Les Stolisters savaient que nous étions là.
— Je croyais que toutes les précautions avaient été prises ? siffla Shaniel.
Son visage ne trahissait aucune expression, mais une colère glacée s’entendait dans ses paroles.
— Je…
— C’est ma faute, votre majesté, l’interrompit Wakao.
Surpris, Alistair réalisa qu’il n’avait pas entendu son compatriote approcher. Malgré ses blessures et son bras en écharpe, il avait mis genou à terre, et son regard restait rivé au sol. Il était peut-être capitaine au sein des armées régulières, mais se trouvait trop bas dans les rangs de la noblesse pour se relever sans en recevoir l’ordre.
— Capitaine Wakao so Kiya… de Bereth. Vous commandiez la garde du représentant Kota sy Reysuri, envoyé par Dame Anko de Bereth.
— C’est exact, votre majesté.
Il s’éclaircit la voix, jeta un regard à Alistair, puis poursuivit :
— Mes hommes et moi-même avons été choisis par le colonel Ced so Drak parce que nous étions originaires de Meren, votre Majesté.
Shaniel arqua un sourcil parfaitement dessiné.
— Qu’es-tu en train de sous-entendre, capitaine ?
Plus nerveux que jamais, Wakao avait pâli.
— Nous avions reçu des ordres… j’ai refusé qu’on les exécute, je le jure ! Mais nous étions surveillés, j’en suis persuadé… pas par l’un des Maagoïs, ajouta-t-il après un coup d’oeil furtif vers Alistair. Quand nous avons su, pour l’embuscade, nous avons tout fait pour protéger le prince. Les ordres initiaux étant de le capturer, pas de le tuer, comment aurions-nous pu savoir qu’ils ne le reconnaitraient pas ?
Shaniel pinça les lèvres.
— Tu portes de graves accusations, capitaine Wakao. Si le Seigneur Kolgulir de Meren nous a trahi…
— Kolgulir est bien jeune, fit pensivement le Seigneur Jahyr en s’approchant. Et leur histoire est émaillée de conflits avec l’autorité impériale…
— Je veux une enquête approfondie, coupa Shaniel. Meren se défile dès que nous avons besoin d’eux. Kota !
Le représentant de Bereth s’avança à son tour, pour plonger dans un profond salut.
— Dis à Dame Anko que nous ne pouvons plus attendre. Soit elle nous soutient, soit elle est notre prochaine cible.
— Je lui transmettrai votre… ultimatum, répondit Kota.
Malgré une assurance de façade, sa machoire était crispée, nota Alistair. Il n’appréciait pas qu’on lui force la main.
— Ce n’est pas un ultimatum. Je souhaite juste que sa position soit claire. Rappelle-lui que nos alliés de la Fédération nous soutiennent, au passage. Tu peux te retirer, lieutenant Alistair. Merci pour ton témoignage.
Alistair s’inclina tout en murmurant les phrases de politesse requises. Il s’en tirait à trop bon compte ; les reproches pleuvaient sur Wakao mais c’était lui qui avait reçu le commandement de la mission. Shaniel aurait sa tête si ça lui permettait d’apaiser les Familles. Pour le moment, elle semblait s’intéresser au capitaine. Ils avaient eu une longue discussion, sur le chemin qui les avait amené au campement, et Wakao les avait aidés tout en connaissant le destin qui l’attendait : il aurait mieux valu pour lui qu’il ne revienne pas.
*****
Bien loin des tumultes qui secouaient les impériaux, Surielle savourait la joie de revoir sa mère. Après les tortures des derniers jours, elle avait besoin de ce réconfort. Elle n’était plus une enfant, mais retrouver un semblant de normalité était agréable. Seule ombre à ce tableau, l’absence de Rayad. Pour le moment, elle s’efforçait de ne pas y songer. Elle n’avait pas le temps de se morfondre ; Orssanc était certes libérée, mais la partie n’était pas encore terminée, loin de là. Le prochain objectif de Shaniel serait de libérer la capitale, Draakam, sur Druus, elle en était persuadée.
— Et papa ? s’enquit Surielle. Il n’est pas là ?
— Je lui ai confié la défense de la Fédération, répondit Satia. Eraïm est venu nous prévenir qu’un danger nous menaçait et que l’Empire pourrait avoir besoin de notre aide.
— Nous avons réveillé Orssanc, pourtant, dit Surielle. Orhim ne fera pas le poids face à la déesse impériale.
— Orhim ? répéta Satia, troublée. Je crois qu’ils l’affrontent en ce moment même.
Surielle pâlit.
— C’est une folie ! C’est un dieu, ils n’ont aucune chance !
— S’il est là-bas, nous devons y aller, décida Edénar.
— Tu es sûr ? Tu n’es pas en grande forme…
— Toi non plus, lui retourna-t-il avec un sourire.
— Très bien. Dans ce cas…
— Attendez-moi !
Surprise, Surielle s’aperçut qu’Alistair courait vers eux. Malgré l’urgence, il s’inclina devant Satia, et après une brève hésitation, devant le Djicam Aioros à ses côtés. Elésyne lui accorda un clin d’œil dans le dos de son père. Surielle fronça les sourcils. Depuis quand Taka trouvait-elle leur cousin sympathique ?
— Permets que je vous accompagne, Surielle, demanda Alistair en braquant son regard gris sur elle.
— Pourquoi te ferais-je cet honneur ? rétorqua-t-elle en croisant les bras.
— J’ai un compte à régler avec cet… Orhim.
— Et tu nous crois incapables de nous en charger ?
Alistair fronça les sourcils.
— Edénar tient à peine debout, persiffla-t-il, et si tu te débrouilles avec une épée, je te suis largement supérieur. Crois-tu qu’Orhim se laissera complaisamment abattre ? On parle d’un dieu, Surielle. Pas d’un vulgaire amateur.
Surielle pinça les lèvres. Il avait raison sur toute la ligne, mais qu’Era… qu’on la brûle pour qu’elle admette ce fait devant lui.
Avec douceur, Edénar toucha son bras.
— Il a raison, Surielle. Nous ne nous en serions pas sortis sans lui. Accepte son aide, s’il te plait.
— Très bien.
Le soulagement qu’elle perçut chez Alistair lui fit presque reconsidérer son opinion. Était-ce réellement si important pour lui ? Elle ne devait pas oublier que Rayad avait été son ami, et que les deux hommes avaient été aussi proches que des frères. La voie de la vengeance était honorable, mais avait ses limites. Rien de ce qu’ils entreprendraient ne ramènerait Rayad à la vie. Son cœur trouvait cela injuste, sa raison savait que la vie était ainsi faite.
La seule évocation de son souvenir faisait monter les larmes à ses paupières. Surielle ferma les yeux, chassa résolument Rayad de son esprit. Ce n’était pas le moment du deuil.
— Merci.
Il y avait un tel mélange de soulagement et de douleur dans sa voix que Surielle ne pouvait rester insensible. Alistair serait un atout précieux, elle ne pouvait le nier. Ses talents au combat étaient exceptionnels. Même là, même privé de ses ailes, il leur avait dégagé un chemin au travers des serviteurs d’Orhim. Edénar avait raison. Sans lui, elle doutait qu’ils s’en soient sortis.
Elle n’était pas encore prête à le lui avouer.
— Allons-y, alors.
— Soyez prudents, intervint Satia.
Surielle se contenta de hocher la tête. Sa mère était inquiète, elle le devinait, pourtant elle les autorisait à partir au-devant du danger. Cette preuve de confiance la toucha. Elésyne lui sourit. Elle brûlait de les accompagner, mais accomplirait son devoir ici. Il y avait tant à faire, encore.
La main d’Edénar se glissa dans la sienne, elle puisa de la force à son contact. Surielle tendit la main à son cousin ; Alistair la saisit avec détermination.
Surielle ferma les yeux, se concentra, repoussa sa fatigue. Elle l’avait déjà fait, elle pouvait le refaire.
Eraïm !
Surielle rouvrit les yeux en titubant. Elle nota l’inquiétude d’Edénar et Alistair comme ils la soutenaient, mais elle souriait. Elle avait réussi, ils étaient dans le domaine d’Eraïm.
— Te revoilà encore ?
Le visage souriant du dieu les accueillit. À son habitude, il était vêtu d’une longue toge plissée, d’un bleu délavé cette fois, ses cheveux longs retenus par un simple lien de cuir. Une palette de couleurs en main droite, un pinceau en main gauche, une toile à peine esquissée devant lui. Surielle se demanda comment il pouvait bien trouver un intérêt à la peinture dans ce monde cotonneux, ouateux, où les seules couleurs étaient le mauve du ciel et le blanc cassé du décor. Peut-être se fiait-il à ses souvenirs ?
Surielle secoua la tête, rassembla ses pensées. Ne pas se laisser distraire.
— Je sollicite encore une faveur.
— Laquelle ?
— Revenir sur le sol de la Fédération des douze Royaumes. Il parait qu’ils affrontent Orhim ?
Eraïm acquiesça.
— Oui, Orhim s’est incarné dans l’un de ses avatars.
— Parfait, répondit Alistair en croisant les bras. Allons le détruire.
— Ce ne sera pas si facile, fils d’Orssanc.
— Mais ce n’est pas impossible, non ? contra Alistair. Je le ferai.
Eraïm l’étudia pensivement.
— Tu es déterminé, et même si la vengeance motive ton bras, elle n’est pas ton seul moteur. Bien. Dans ce cas, je veux bien vous y transporter.
Alistair fronça les sourcils. Comment ça, la vengeance n’était pas sa seule motivation ? C’était son souhait le plus cher. Venger Rayad.
En es-tu si sûr ? fit Zéphyr dans son esprit.
Je sais que la vengeance ne le ramènera pas.
C’est bien pour ça que ce n’est pas la seule source de ta motivation.
Je ne comprends pas…
Tu le découvriras par toi-même, alors.
— Ça ne va pas trop fatiguer Surielle ? s’inquiéta Edénar.
— Non, sourit Eraïm. Je vous transporterai. Vous êtes prêts ?
Surielle acquiesça.
— Tout ira bien, Edénar.
Le dieu posa deux doigts sur son front, et le regard qu’il posa sur elle était grave.
— Je ne peux pas intervenir là-bas à votre place, rappela-t-il. Et ma protection ne vous rend pas invulnérables. Ne l’oubliez pas.
La bouche sèche, Surielle hocha la tête. La pression sur son front s’accentua, et ils basculèrent dans le monde réel.
J’ai vraiment cru que j’y arriverai.
→ arriverais
— Je peux vous gagner un peu de temps, proposa-t-il.
— Nous ne pouvons lutter contre un dieu, protesta Jodörm.
→ Répétition de « protester »
Une épée d’argent se matérialisa dans sa main.
→ faible au point de préférer une épée à ses pouvoirs de dieu. Et puis « Vous allez donc mourir. », à qui se rapporte ce « vous » ? Aux habitants de douze royaumes ? Il va tous les tuer un à un avec une épée ?
donc que le couronnement n’avait pu avoir lu dans l’enceinte du Palais.
→ n’avait PAS pu avoir LIEU dans
En attendant, elle s’installa dans l’espace qu’on leur avait aménagés.
→ aménagé
Ils y avaient créer un refuge pour les phénix, après le Traité de Paix.
→ crée
lesquels sont implantés sur quatre campements sur la planète.
→ 4 campements sur une planète toute entière ? Ce n’est pas un peu ridicule en fait ?
La jeune femme s’était glissé avec aisance dans ce rôle.
→ glissée
Tant que ses plumes n’auraient pas repoussé,
→ parce que ça repousse ?
Si le Seigneur Kolgulir de Meren nous a trahi…
→ trahis
Ils avaient eu une longue discussion, sur le chemin qui les avait amené au campement,
→ amenés
Merci pour les fautes.
Oui, le dieu avec une épée... c'est inutile ^^ (en plus je crois que son épée change de couleur dans les chapitres suivants....).
La planète est peu peuplée donc 4 campements sur des points stratégiques ça peut le faire (encore faut-il que je précise que ce sont des points stratégiques parce que ce n'était même pas le cas). Clairement on sent le fait que je devais avancer (avec la pression du Nanowrimo) mais que je n'avais pas réfléchi à tout le background sur certains points encore non développés.
Et oui normalement les plumes repoussent (même si c'est assez long), les oiseaux muent mais sans faire toutes les plumes en même temps sinon ils ne peuvent plus voler. Après si c'est trop fréquemment arraché et que le bourgeon est endommagé, là ça ne repousse plus. Je n'ai pas voulu être aussi sadique pour lui ^^ mais je pourrais insister sur ses doutes à ce sujet.
Merci pour ton passage !
Ça fait plaisir de retrouver Satia et Lucas dans les points de vues. D'ailleurs, j'aime beaucoup la façon dont tu réexploites les personnages du premier tome sans délaisser Surielle et son groupe. J'aime décidément Edenar et Alistair aussi !
Même si Orhim est puissant, il semble toujours être affaibli pour se matérialiser via des avatars. Va-t-il profiter de l'arrivée de Edenar pour tenter de récupérer son corps ? Quelles sont les capacités du jeune Éveillé d'ailleurs ? J'attends la suite avec impatience !
J'aime beaucoup tes questionnements, ça me permet de voir si le lecteur voit des trucs différents ou s'il tombe ou pas dans les pièges ;) A bientôt !