Chapitre 37 - Iro - Chef des Architectes ?

Au rebord du balcon de cristal, des oiseaux pavanent leurs régimes écarlates. Hâtifs, le bruit des battements de leurs ailes extirpent doucement Iro de sa torpeur. Bordée dans un lit, elle gigote avant qu’un mouvement d’inconfort la fait gémir de douleur.

 

Ses bras sont restreints, et son front perlant de sueur se fait délicatement éponger d’une main appliquée. Elle tente d’ouvrir les yeux, à plusieurs reprises, alors que le craquellement de sa chassie se fait souffler tendrement. Au premier regard vers l’inconnu, la lumière l’éblouie, trouble sa vision, révèle la perception de Meos à son chevet, grand, souriant et son regard éternellement bien veillant. Elle hallucine à son appel. La joie l’emporte. Elle tente de se lever, mais une violente douleur serpente le long de son corps et la maintient alitée. Ses dents grincent, émiettent l’illusion, et là, se révèle une autre silhouette, amicale.

 

Raivo est assis à son chevet, seul dans sa chambre rangée aux petits soins. La pièce semble aussi neuve que lorsqu’on lui en a remis la propriété. Seules ses affaires pliées en quatre, et les rayures familières sur le mobilier l’ancre dans la réalité. Une inédite longue cape aux motifs cristallins est déposée sur le rebord du balcon, dansante voluptueusement avec la brise, où des oiseaux intrigués par ses reflets cherchent à la soulever.

 

Plusieurs questions surgissent dans l’esprit d’Iro, ses souvenirs cafouillent, son expression faciale tourne de manière imprédictible. De peur qu’elle crie, Raivo couvre subitement sa bouche avec l’éponge de sueur, mais par inadvertance, d’une poigne maladroite, il en presse quelques gouttes dans le gosier d’Iro. Sous silence, à mi-chemin de la noyade par gaffe, Iro envoie des injures oculaires particulièrement explicites.

 

Raivo bondit en arrière, s’excuse avec mutisme, s’accroupit pour plaider qu’elle garde le silence.

 

« Tu as entendu un bruit ? questionne la voix suspicieuse d’un garde, derrière le rideau d’entrée de la chambre. Attends, je vais… Euh ! Pourquoi tu me frappes ?

– Je te sauve la vie, idiot, réponds son pair. Tu ne vas pas rentrer la chambre d’une jeune fille, et encore moins sous la protection d’Avos. »

 

Iro toussote ses dernières gouttes, tandis que Raivo l’aide prestement à se redresser, après s’être désarmé de l’éponge suite à son regard condamnant. Il ôte les bandages aux bras d’Iro, révélant des striures tout leur long, conséquences de sa tentative à parier la détonation du, feu, marteau expérimental d’Orus. Heureusement, la taille n’est pas profonde et le motif chaotique des lacérations cautérisés, donne un aspect hypnotisant, gênant mais pas criant, s’estompant à l’œil inverti. Une fois retirés, il jette les bandages sur le côté, et saisit une soucoupe de pommade qu’il applique.

 

Iro reste muette, occupée dans le tri de ses souvenirs afin d’aboutir à la situation actuelle. La sensation froide de la pommade sur sa peau, lui hérisse les poils avant de l’investir d’une chaleur réconfortante. Miraculeusement, ses bras deviennent légers, elle les bouge avec aise, les lance, alors que Raivo tente de les rabattre pour éviter de se prendre un coup de poing.

 

« La douleur passera, mais il faut leur donner le temps de guérir totalement », chuchote-t-il en recouvrant les bras de nouveaux bandages, avec cette fois-ci, suffisamment d’espace au niveau de ses coudes pour assurer sa mobilité.

 

Iro cherche toujours ses mots, mais est prise soudainement d’une fatigue intense, comme si elle fusionnait avec son lit, s’assoupit.

 

« Raivo… »

 

***

 

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, il était encore là, finissant de changer ses bandages, elle était encore alitée, mais la pièce avait clairement été réarrangée, et au rebord, la cape cristalline posée. Un moment s’était écoulé. Un cycle ? Dix cycles ? De la fenêtre, elle entend le brouhaha perpétuel venant de la Couronne, elle observe la lumière perpétuelle de l’incise du Croc. La notion du temps lui a échappé, mais en voyant l’état des vivres sur le comptoir, qu’elle a laissé avant de s’aventurer avec Wazo dans la Couronne, pour finir dans les Forges, elle devine que sa récupération est… étonnamment rapide, que ses esprits sont revenus, ainsi que son fidèle appétit.

 

Suivant son attention perplexe, Raivo se dirige vers le comptoir et saisit un des vivres, puis le lui lance. Iro l’attrape en plein vol, et le gobe net tant sa mastication couvre les grognements de son ventre. Un second. Un troisième. Sur le quatrième, Raivo devient joueur et lui donne un effet fourbe, une trajectoire qui se courbe. Le vivre atterrit sur le front d’Iro, cogne d’un son creux. Abasourdie, elle se tient rigide tandis que le vivre amoché roule en boule dans sa main, ne demandant qu’à être relancé, à être vengé. D’un mélange de colère et de fourberie, le sourire frétillant aux coins lèvres, elle propulse la boule. Cependant, pas totalement rétablie, son bras faillit à assumer la trajectoire jusqu’au bout, et la boule dévie en direction du rideau de l’entrée. Le visage de Raivo transitionne rapidement d’une émotion à l’autre. Il saisit la rapière de Meos et plante de justesse la boule en plein air, sous l’oreille des gardes.

 

Raivo cache clairement quelque chose, à la fois sur ses aptitudes et ses intentions, mais sur le moment, Iro ne put que rire en son for intérieur, et ça lui fit du bien. Un bien qu’elle aurait aimé partager, mais Wazo n’était pas là. L’idée de demander de ses nouvelles à Raivo la démange, mais plus que tout elle s’y refuse, car elle souhaite l’écouter, de sa propre voix.

 

De retour à son chevet, Raivo tend la rapière de Meos à Iro, indéniablement entretenu si l’on ignore le vivre empalé qui y glisse, puis il prend du recul. Les émotions la submergent, mais elle les accepte sans broncher. Elle croque un dernier morceau du vivre, et repue, envoie le reste à Raivo.

 

« Je vais devenir le Chef des Architectes », prononce-t-elle niaise, mais avec une détermination pétillante à la surface de ses pupilles.

 

Raivo croque un moreau à son tour, amusé.

 

« Ne te fatigue pas ! Le Chef des Architectes… ça sera moi », répond-il avec une assurance impérieuse, avant de balancer le reste du vivre dégoulinant sur un des coins du lit, le plus éloigné d’Iro.

 

Restreinte dans ses mouvements, l’idée de devoir partager son lit avec une boule pourrissant sur ses draps l’alarme. Elle se plie de tout son corps, se donner l’allonge nécessaire pour atteindre de la pointe de la rapière la trajectoire de la boule dégoulinante. La pointe touche juste, elle sauve son confort, mais de son inattention, Raivo s’est volatilisé ainsi que la cape cristalline qui était pendue sur le rebord du balcon.

 

Il n’a quand même pas escaladé jusqu’ici… il est juste… malade. C’est plutôt lui qui devrait se soigner. Chef des Architectes ? lui aussi ? Il n’a aucune chance contre moi.

 

Iro ricane stupidement avant de gober le reste de la boule, narguant les prétentions de Raivo bien que le sentiment rivalité l’emplit de joie, lui rappelle les petits duels qu’elle avait avec Meos.

 

Finalement elle s’assoupit avec moins de question, mais plus de détermination.

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