Dans le creux d’un tronc, deux corps se débattent, leurs vies sur le fil du rasoir. Étranglée, l’idée que son amant soit mort, qu’on lui ait menti, révolte la jeune femme. Sa résistance ébranle ce qu’il reste de l’arme, brisée, puis fissurée du garde. Son emprise faiblit, l’arme se tord, s’émiette, des morceaux de métal éclatent, et lacèrent leurs chairs. Sans halter sa première inspiration, la jeune femme hurle de toutes ses forces, expulse un sifflet strident, puisant dans l’énergie du désespoir, elle déstabilise le garde, se délie, fuie. Cependant, un corps frêle ne rivalise pas sur la longueur, titubante au milieu des ronces, ses jambes s’alourdissent, le cou dégoulinant, elle prie que son prédateur ait eu pitié d’elle, ou l’achève instantanément.
En résonance au hurlement, des bruits de craquement de bois se font entendre, se rapprochent. Les effluves du sang du garde semble avoir mis une créature au parfum.
À bout de souffle, le cou enflé et bleuet, la jeune femme abandonne la distance, et tente de brouiller son assaillant en tournant autour des troncs. Elle tente de hurler à nouveau, mais se retrouve au bord de la perte de connaissance à chaque effort.
« Si seulement, on m’avait pas interdit de toucher à ton visage, chuchote le garde. Un bon coup aurait fait l’affaire. »
Le garde est à ses pieds, et elle à sa merci. Ses dernières forces s’envolent, et elle tombe sur ses genoux, mais n’est pas sans répit, car, soudainement, confrontée à la vision d’une présence occulte, d’une forme tellement écœurante que son reflet transmet l’effroi, elle perd immédiatement connaissance.
Le garde sidéré, pensant être accueilli par une créature, se retourne pour faire face à ses derniers moments, mais ne constate rien. Il se reconcentre le corps de sa victime, tandis qu’une silhouette se dessine au-dessus de lui.
Camouflé par les remous des nuages sombres s’écoulant des têtes des arbres. Meos est accroupi sur une branche. De part et d’autre de son voile, des bras arachnoïdes s’étendent, bourgeonné de mains aux phalanges diverses, lui permettent de se déplacer voluptueusement. Il domine la scène.
Les bruits de bois brisé s’écourtent, quand subitement un son clinquant de métal fait écho.
« Foutus Aventuriers, ils ont vraiment pris leur temps », marmonne le garde.
Il soulève le corps inconscient de sa victime, pour l’amener à côté d’un tronc particulier, desséché, fondu dans son environnement, et pourtant ironiquement entouré d’empreintes grossière de pied.
Il saisit une lanière et l’ouvre comme une trappe. Un tunnel obscur se révèle, creusé dans la terre, avec une corde latérale comme guide, tenu par des crochets de ferraille à l’improviste.
Meos chute des branches comme un pantin, sans un bruit, mais entravant brièvement la brise fraîche, hérissant les poils de la nuque du garde. Il se retourne et, sans sommation, se prépare à frapper mortellement avec le reste de son arme. Mais dans le reflet de sa pupille, en réflexe à l’agression, se déploya une créature chimérique issue des pires cauchemars. Il n’eut pas le temps de crier, que ses paupières tombèrent, puis chacun des membres de son corps avec la même placidité, baptisant la femme inconsciente d’une éruption sanglante.
Meos reprend sa forme, pose les pieds au sol, reproduit l’imitation de son voile. Il s’approche de la jeune femme avec désir cependant, du tunnel s’échappent des parfums inconnus, éveillent sa curiosité.
Après quelques pas dans l’obscurité, guidé par ses caresses sur la corde, un premier filet de lumière apparaît du plafond. Il y fait glisser des yeux, et entre des dalles de métal, se trouve à l’intérieur de la tente nomade, la salle d’opération dans laquelle il ausculta avec Sage deux corps décapités.
Cependant, le tunnel et sa corde continuent dans l’obscurité avec ses parfums ostentatoires.
Quelques pas plus tard, il arrive devant des rideaux dont le sang séché essuyé sur ceux-ci occlut la lumière diffuse de la pièce. Des empreintes qui peuvent paraître comme une mise en garde, mais aussi un appel à l’aide. Un pas de plus, et Meos se retrouvent dans une immense salle d’opération ovale. Murée de bocaux jaunissant, contenant restes de créatures, villageois, aventuriers, et infectés. Sur des tables sont éparpillés des récipients aux liquides, et pâtes de couleur funeste. La source de la lumière s’écoule d’une trappe quadrillée au plafond, desservie par une échelle.
Meos s’approche du plan d’opération, et admire une tunique étendue, de couleur blanche et teinte rouge, semblable à celle du rêve de Sage. C’est la tunique de l’ancien ordre des Médecins. À côté, il observe une multitude de pots de crème, d’une teinte progressive, vers un bronzé artificiel, évoquant le visage de Mer. Au tour de ces expériences s’amoncellent croquis que Meos ne tarde pas à absorber, avant de tomber sur trois bocaux, plus récents que les autres, dont un particulièrement éclatant. Le visage d’un jeune homme, une vielle femme, et une jeune adolescente y flottent. Scalpés avec précision, seules leur rides et pilosités permettent leur distinction. Au pied du bocal de la jeune adolescente, un médaillon d’apprenti architecte plié repose comme dernière distinction, Sani.
« Comment ça, Meos a disparu dans la forêt ! résonne d’en haut, la voix de Mer siégeant confortablement dans la bâtisse du Chef. Rappelé le nouveau. Vite !
— Je vous avais prévenu, que… tente de désamorcer Sesa.
— Je me contre-fous de ce que vous pensez. Obéissez ! »
Les bruits de pas nerveux de Mer vont jusqu’à faire trembler la trappe, dont les filets de lumières se déplacent sur une lanterne de cristal, aux teintes iridescentes. L’éclat électrifie les corps de créatures enfermés dans les bocaux, ils gémissent comme pris d’un relent, torturé même dans la mort. Une autre vibration des pas de Mer décale à nouveau la lumière, et les libèrent.
La fascination prend Meos, il ne sait pas où donner de l’œil, il s’immerge dans la pièce, mais le temps court. Loin d’ici son absence se fait ressentir, se fait attendre, d’un faux pas la mascarade peut se révéler fatale.
***
À la lisière de la forêt, une partie du village s’était rassemblé, la rumeur s’était propagée. Le garde avait été rejoint pas ses confrères, et ils endiguaient les curieux qui voulait trop se rapprocher, tandis que Sage, Gale et d’autre Aventuriers patientent solennellement.
Dans la forêt, Gol, Garo, et Galgot recoupent tronc par tronc, cherchent méticuleusement, à la recherche de Meos. Ils évitent de crier son nom pour ne pas titiller les oreilles pointues des villageois. Dans leurs sentiers, victime de leur assaut joint, gît, morcelée, décharnée, oblitérée, ce qui composait à une créature.
Non annoncé, une silhouette s’approche d’eux. Gol et Galgot s’exclament de stupéfaction puis de joie, tandis que Garo reste pétrifié, maudissant la scène du regard.
Guidés par Gol, ils quittent la forêt devant le silence des villageois, qui explose en acclamation à la vue de Meos, épaulant une jeune femme tachée de sang.
Sage et Gale accourent à son aide pour l’allonger. Dans le mouvement la jeune femme agrippe le voile de Meos avant de le relâcher par manque de force. Elle concentre son énergie pour le remercier, mais en vain, uniquement des larmes de joie s’écoulent de son visage, sillonnant le sang séché de ses joues. Finalement, elle replonge dans l’inconscient, cristallisant l’image de son sauveur.
Garo rejoint le garde mesuré, cherchant un allié pour conjuré ses pensées, et lui murmure discrètement :
« Un miracle… c’est impensable. Impossible qu’il ait pu protéger la jeune femme, et qu’est-ce qu’elle faisait là ? »
Le visage du garde est livide. Il ne s’était pas trompé sur la voix de la jeune femme, et sa survie est une condamnation pour Mer, et… lui.
« Meos doit mourir », tremble le garde, partagé entre la peur et la haine, troublé par l’imminente disparition de ses rêves. Alimenter un monde peu clément le confortait, car jamais il ne s’était imaginé accusé, condamné, chassé.
Les cloches de la bâtisse du chef du village sonnent la fin du cycle, lentement détrônée par les acclamations des villageois, infectés ou pas.