Chapitre 38

Les couloirs de l’hôpital étaient dénués de couleurs. Gabriel garda les yeux rivés sur sa paire de chaussures. Les marques de boue qui recouvraient ses semelles montraient le chemin qu’il avait parcouru jusqu’à maintenant. Il était retourné à l’école, il avait rencontré des nouvelles personnes. Le jeune homme avait avancé. Enfin.

Il tritura machinalement les doigts dans la poche de son sweat en attendant des nouvelles de son frère. Ce dernier était entré en compagnie de ses parents, laissant le plus jeune à l’extérieur de la chambre. Il n’était pas directement concerné par cette affaire après tout.

L’odeur du désinfectant lui titillait le nez. Il essayait désormais d’effacer les souvenirs que lui procurait cette sensation particulière. Le gringalet n’aimait pas du tout cette odeur. Il avait déjà subi l’atmosphère hospitalière à plusieurs reprises et autant dire qu’elle ne lui avait pas manqué la moins du monde. 

Gabriel prit son smartphone en main, sur le point de débuter une nouvelle partie de Candy crush, quand une fenêtre de notification apparut sur l’écran. Les lèvres vermeilles de la jolie brune finirent d’augmenter le rythme cardiaque du balafré. L'anxiété et l’impatience se livraient bataille. Son pouce survola quelques secondes la bulle de conversation avant de craquer. Souffrir dans l’instant ou souffrir dans l’attente ? La réponse était vite trouvée.

“T’es beaucoup trop gentil, Gabriel le zombie. Tu peux t’énerver, je ne t’en voudrais pas 😉”

Elle ne le renvoyait pas comme un malpropre, c’était déjà ça. Mais lui, que pouvait-il lui répondre ? Il n’était pas en colère. L’un comme l’autre, ils n’y étaient pour rien. Ce moment “intime” leur avait été volé mais maudire le monde entier n’y changerait pas grand chose. Gabriel avait retenu la leçon. Il n’allait plus laisser quiconque lui gâcher la vie. Fort de cette résolution, il écrivit : 

“Tu n’es pas celle qui a pris la photo puis de nous deux, je crois que tu es celle qui est le plus en droit d’être énervée.”

Clara était une célébrité en devenir. Lui n’était rien à côté.

“Ne dis pas n’importe quoi. J’ai l’habitude d’être prise en photo alors je peux comprendre que ce soit difficile pour toi..”

“D’ailleurs, je t’invite à la pizzeria pour m’excuser.”

A court de réponse, Gabriel resta quelques instants béat, les yeux rivés devant lui. La jolie brune l’invitait à manger une pizza. Dehors. A la vue des autres. Le simple fait de l’imaginer lui refila le bourdon.

“Je ne peux pas. Désolé.”

L’école était une étape. Les sorties en public en étaient une autre. Ils ne seraient rien que tous les deux, dans un lieu inconnu, entouré d’inconnus. Il n’était définitivement pas prêt à ça.

“Je peux commander une pizza et on la mangera tous les 3 avec Charlotte.”

Cette nouvelle proposition relevait du possible. Il accepta. La perspective d’être entre des murs connus et solides le réconfortait. Ils ne seraient que tous les trois. Il n’y avait aucune chance qu’une personne dangereuse apparaisse de nulle part. Il serait en sécurité.

Le balafré ouvrit l’application Candy crush et s’évertua à oublier son environnement. Il ne lui restait plus qu’à attendre sa famille qui affrontait un problème d’une toute autre ampleur.

 

Raphaël peinait à garder son calme de l’autre côté du mur. Cette fille se reposait sagement dans son lit pendant que sa mère menait le combat à sa place. La mégère ne cessait de l’accabler de tous les maux. Comme s’il était responsable de sa tentative de suicide. Il ne lui avait pas non plus servi un couteau sur un plateau d’argent. Le jeune homme serra les poings en entendant une énième accusation :

– Ce petit merdeux est responsable de ma fille. Elle ne s’est pas faite ça toute seule !

– Le “petit merdeux” comme vous dîtes, s’appelle Raphaël et je ne vous permets pas de lui parler sur ce ton ! vociféra Gloria, le regard fier.

– Si mon fils est responsable, votre fille l’est d’autant plus.

Marcus déplia le papier en sa possession pour montrer à cette femme l’étendue de sa bêtise. Sur l’imprimé, on pouvait y voir le harcèlement auquel son fils aîné avait dû faire face.

– Et ce n’est qu’une petite partie de ce qu’elle a pu lui envoyer. 

– Les jeunes d’aujourd’hui s’envoient tout le temps des messages.

En bon avocat, le père reprit la pièce à conviction pour énumérer : 

– “8h21 : Tu me manques, mon coeur.

– 8h21 : Quand est-ce que tu me réponds ?

– 8h23 : Tu dors encore ?

– 8h25 : Réveille-toi la marmotte.

– 8h31 : Tu vas vraiment pas me répondre ?

– 8h33 : T’es vraiment qu’un sale enfoiré !”

– Est-ce que je continue ? 

– Cela ne prouve rien--

–Votre fille, commença Marcus en désignant l’incriminée du doigt, a harcelé mon fils sur différents réseaux. Ce genre de preuve, il y en a plein à la maison, continua-t-il en montrant le bout de papier. A votre place, je me ferais toute petite.

– Comment OSEZ-VOUS… hurla la quarantenaire, rouge de colère. Ma fille est à l’hôpital ! Elle a essayé de se prendre la vie et vous êtes ici pour l’accuser au lieu de vous excuser !

– JE N’Y SUIS POUR RIEN ! cracha Raphaël. Cette tarée m’envoyait des messages jour et nuit alors que je ne lui répondais même pas. Je ne serais même pas étonné qu’elle ait organisé son suicide pour que je vienne ici !

– Tu as une haute opinion de toi, mon garçon ! Je l’ai découverte recouverte de sang dans sa chambre ! 

– Et ELLE VA BIEN. Elle est suffisamment éveillée pour exposer sa laideur au reste du monde d’ailleurs.

La mère de son ex fonça vers le jeune homme, prête à lui asséner une gifle retentissante, pour être finalement arrêtée par la voix de sa fille.

– Arrête maman. C’est bon. J’ai légèrement dépassé les bords…

– Manon…

– Je suis désolée, Raph.

– Raphaël, rectifia-t-il le regard noir.

L’étudiant ne parvenait pas à garder son calme. Voir le visage de son ex ravivait toute sa rancœur. Le contexte et la blouse d’hôpital n’y changeaient rien. Il voyait toujours cette folle qui avait tenté de le rendre fou à son tour. Et elle y était peut-être parvenue cette garce…

Les braises de sa colère furent d’autant plus alimentées à la vue d’une photo, ou d’une échographie pour être tout à fait précis. Elle recommençait. Il souffla et serra la mâchoire.

– Je suis enceinte. Et t’es le père.

– Pfff… Tu ne peux pas faire plus cliché. Dans quelle série télé t’es allée chercher ça…

Marcus s’avança pour prendre une feuille où un bilan médical reposait. Les résultats ne mentaient pas. La jeune fille était enceinte. Le père jeta un œil au visage livide du garçon. Il ne dirait rien pour cette fois.

– Qu’est-ce qui prouve que Raphaël est le père ?

– Il a été le seul, monsieur, répondit la jeune fille, rouge écarlate.

Le cinquantenaire souffla, désabusé. De légers maux de tête l’enjoignirent à partir. Il rendit les résultats à la mère et demanda les coordonnées de cette dernière afin de rester en contact :

– Je ne veux plus que votre fille contacte mon fils. Et je demanderais un test adn à la naissance du bébé. Raphaël prendra ses responsabilités au moment venu, pas vrai fiston ?

Le silence fut sa seule réponse. 

Ils rejoignirent le benjamin de la famille dans le calme le plus total. Gabriel ne dit mot de peur de se prendre l’explosion en pleine face. La moindre étincelle embraserait les mèches d’un conflit familial, et il préférait éviter de se retrouver au milieu de tout ça. 

Il joua nerveusement avec le bas de son sweat en voyant le visage fermé de Raphaël. La visite s’était mal passée. Un euphémisme. Leur père serrait si fort le volant de la voiture que les veines de ses mains semblaient s’en détacher. Le balafré n’avait jamais vu Marcus si furieux.

Mais qu’est-ce qu’il avait bien pu se passer dans cette chambre d’hôpital ?

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