Plus Taïe avançait, plus la peur lui serrait le ventre. Elle n’avait pas encore atteint la Brume, mais il lui semblait déjà sentir les tentacules qui se pressaient contre sa peau et tiraient sur sa chair. Elle ferma les yeux au moment de passer la lisière de la Forêt puis… rien. Elle desserra ses paupières, sidérée, et son regard se posa sur Ouvrier. Le rebelle avançait tranquillement parmi les bandes de Brume, les caressant même au passage. Il semblait leur murmurer quelque chose, et un cercle totalement dénué de brouillard se formait autour de lui. Tout le groupe pouvait y avancer sans crainte. Taïe croisa le regard d’Elyie, tout aussi étonnée qu’elle. Les deux se souvenaient bien de la torture qu’elles avaient endurée à leur départ de la Forêt Oubliée. Ce n’était en rien comparable à ce qui se passait actuellement.
Cette traversée n’était pas du tout comme Taïe l’avait imaginée. elle s’était figurée des complications sans fin, une absence de sommeil, un manque de rationalité… Mais ils avaient même pu dresser un camp et dormir. Tenir la Brume à distance ne semblait pas fatiguer Ouvrier, qui arborait constamment un sourire béat. Lui, contrairement aux autres membres du groupe, n’était plus très cohérent. Il parlait tout seul, et passait des heures à caresser la Brume. Taïe en venait à e demander si ce n’était pas pour cela qui Saziel avait interdit le passage aux Radvenhengs. Peut-être que la Brume les rendait fous.
Au bout de quelques jours, ils avaient atteint le pied des Montagnes Laires. Ils cheminaient vers l’ouest, les montagnes titanesques à leur gauche, s’étendant vers le sud. Et au bout, il y a la Forêt Oubliée. Elle tenta de ne pas y penser. Étrangement, quitter Oedoria lui faisait ressentir plus de regrets que lorsqu’elle avait laissé sa Tribu. Oedoria était sa maison, à présent. Elle en connaissait les peuples, les villes. En Helere… Cette contrée lui faisait peur. On la disait rude, emplie de villes surpeuplées et dangereuse. Tout ce qu’elle savait de cet endroit était cette idée vague, répandue dans les Tribu. La misère, le danger, le froid. Elle s’inquiétait de l’accueil qu’on leur réserverait. Quand Elyie et elle étaient arrivée en Oedoria, leur apparence physique n’avait pas posé un grand problème. Seuls les cheveux roux de Taïe, caractéristique familiale, et leurs oreilles rondes, avaient intrigué leurs hôtes. Puisqu’elle ressemblaient aux Soboemns, personne ne s’était inquiété outre mesure. Mais les Heleriens… Aucune des rumeurs sur leur compte ne rapportait une apparence étrange, aussi Taïe supposait qu’ils étaient humains. Les oreilles de Ka’ni et Lo’hic passeraient peut-être inaperçues un moment, mais pas pour longtemps. Comment régiraient-ils en voyant débarquer deux Néréeins, un Korafiè et un Radvenheng ? Enfin, si Ouvrier vivait assez longtemps. Je le tuerai dès que nous serons sortis de la Brume. Il l’avait presque suppliée de le faire, et cela ne lui posait aucun problème : qui sait ce qu’il aurait pu raconter à Saziel ?
Nali’ah était toujours obnubilée par son histoire de carte, mais on lui avait formellement interdit d’en parler à Ouvrier. Il était trop dangereux de le contrarier maintenant, alors qu’ils étaient entourés par la Brume.
“Il y a quelque chose là-bas.”
La voix de Ban’eh troubla le silence de la Forêt. Cela faisait quelques heures qu’ils marchaient le long des blocs de pierre grise des Montagnes, et le soldat pointait de sa main palmée une paroi un peu plus loin. En effet, on apercevait un relief étrange creusé dans la roche. Taïe craignait d’interpeller Ouvrier pour lui demander de s’y rendre, mais il semblait avoir entendu car il se dirigea aussitôt vers la direction pointée par Ban’eh. De loin, la Brume brouillait les contours de la gravure, mais de près, le dessin était incroyablement bien détaillé.
C’était un cadre rectangulaire, décoré de plumes gravées et de lignes brisées. Au centre, des traits semblaient être tracés au hasard, suivant des formes aléatoires.
“Je crois… je crois qu’il est à l’envers.”
Le néréein avait raison. Des inscriptions pouvaient être déchiffrées, mais les caractères étaient retournés. En regardant la scène dans son ensemble, on voyait que la gravure était taillée dans un énorme bloc de pierre, détaché de la paroi. Il semblait être tombée de bien plus haut, et s’était profondément enfoncé dans la terre. Lo’hic et Ka’ni annoncèrent qu’ils étaient peut être en capacité de le remettre à l’endroit, et les deux Néréeins proposèrent leur aide.
Les Soboemns envoyaient une puissante rafale ébranler le roc, tandis Nali’ah et Ban’eh glissaient de l’eau en dessous avant de la geler. En progressant ainsi, centimètre par centimètre, ils parvenaient à élever le bloc sur un monticule de glace. Ils usèrent de la même méthode pour le retourner. Les Néréeins avaient tirée leur eau du sol humide, et le vent de Lo’hic et Ka’ni faisait remuer la Brume. Ils n’avaient pas réussi à en tirer l’humidité car celle-ci n’était, d’après Nali’ah, pas composée d’eau. Elle trouvait cela étrange, mais ne s’y était pas plus intéressé. Après tout, qu’attendre d’une Brume qui attaquait les gens ?
Après une bonne heure d’efforts, le rocher fut enfin retourné. Taïe s’approcha pour retirer l’herbe et la boue qui s’était déposées dessus durant le processus et put enfin regarder le dessin correctement. Elle l’avait déjà vu quelque part : c’était une carte. Elle se retourna, s’attendant à ce que Ouvrier fasse une remarque désobligeante, mais celui-ci était trop concentré sur la Brume pour leur prêter attention.
“Nali’ah, est-ce normal ? Tu nous as dit que seuls les Néréeins…
-Celle ci est trop ancienne. Elle date d’avant la Brume. Regarde : on y voit des détails que nos anciennes cartes contiennent. La Forêt de Brume n’est pas représentée, et la seule séparation en Helere et Oedoria est la chaîne de montagnes que nous longeons actuellement. Et là…”
Elle se tut un instant, effleurant la carte de ses doigts fins.
“C’est incroyable… murmura-t-elle. C’est… ô par tous les Tsadiens ! Je suis en plein rêve…”
Elle se retourna enfin, tout sourire, et commença à leur pointer des éléments de la carte d’un air professoral.
“Cette carte est un joyau. Elle date d’avant la Brume, la Grande Catastrophe, avant la disparition de certains Tsadiens. Et ce que je vois ici… Dépasse l’entendement. Jamais nous n’avons été en possession d’un tel document. Ici, se trouve Vagua’hey. Un peu plus au-dessus, Feli’ah, puis Far’hey et le gouffre de l’enfer. Chaque lieu porte la mention du peuple qui l’habite : les Néréeins, les Soboemns et les Korafiès, mais aussi le nom du Tsadien qui leur est lié. Mais lorsque nous arrivons aux Montagnes Masiths, aucune mention des Radvenhengs. Seulement une ville, Rag’hey, et à nouveau le nom “Masiths”. Et à l’endroit où doit se trouver le nom du Tsadien… “Roche”.”
Elle les regarda avec un grand sourire.
“Cette carte indique l’emplacement des peuples liés aux Tsadiens. Il y avait un peuple lié à Roche, qui habitait dans ces montagnes.
-Alors les Radvenhengs n’habitaient pas dans les Montagnes Masiths ?
-Non. D’après ce que je lis, ils habitaient… ici même. Dans la Forêt de Brume.”
Taïe pâlit un instant, avant de se reprendre.
“C’est surprenant, mais il est logique qu’ils aient déménagé lorsque la Brume est venue. Si elle les mettait dans cet état…”
Elle coula un regard en direction d’Ouvrier, qui parlait tout seul en agitant les bras dans le brouillard.
" Y en avait-il d’autres ? D’autres peuples ?
-Oui. Dans les montagnes Laires, les Caraseths, liés au Tsadien Tonnerre. Au nord-ouest, les Ecaléens, liés à Lumière, et à l’extrême sud, les Iteris, peuple d’Ombre. Ce qui est étrange, c’est que toute la partie ouest n’est jamais désignée sous le nom “Helere”. Seule une petite partie, vers le nord, en tant que nom de peuple. Les Heleriens. Le nom de la ville et celui du Tsadien ont été effacé. Le roche est totalement éclatée à cet endroit. Mais il doit rester encore un peuple, si l’on suit le nombre de Tsadiens…oui. Ici.”
À la grande surprise de Taïe, elle tentait de déchiffrer une inscription située au niveau de la Forêt Oubliée.
“Ils étaient liés au Tsadien Force, et s’appelaient les… voilà, les Terebs. Et leur capitale était…”
Les yeux ronds elle se retourna vers Taïe et Elyie.
“La capitale s’appelait Tribe.”
Tout d’abord, Taïe ne comprit pas. Puis tout s’éclaira.
“Attends, tu veux dire que… Les Tribus sont le peuple de Force ?
-Il n’y a pas de doute. Tribe, Tribu… ces deux noms sont beaucoup trop semblables pour qu’il s’agisse d’une coïncidence.”
Taïe se tourna vers Elyie.
“Tu te rends compte ? C’est incroyable ! Nous sommes un peuple lié aux Tsadiens !
-Oui… voilà ce qui explique beaucoup de choses, notamment la ressemblance entre les Esprits et les Tsadiens. Ce sont les mêmes. "
Tandis qu’elles s’extasiaient sur cette nouvelle, Lo’hic avait déjà sorti de quoi recopier la carte.
“Mais alors, demanda-t-il, vous êtes un peuple sans affinité ?”
En effet, aucun membre des Tribus n’était doté de capacités extraordinaires. Taïe et Elyie furent un peu déçues, mais cela ne changeait pas grand chose. En revanche, Nali’ah leur confirma qu’ils déboucheraient sur des montagnes, et non pas dans une plaine.
“Ces mêmes montagnes qui abritent les Ecaléens, peuple de Lumière.”
La découverte de cette carte leur avait tous redonné espoir. Et si des peuples Tsadiens habitaient encore en Helere ? Qui sait ce qui avait pu se passer à l’ouest, durant toutes ces années ? La seule ombre restait l’inscription qui avait été effacée. Ils avaient tout d’abord pensé qu’il s’agissait du peuple de Temps, puisqu’elle était la seule Tsadienne qui n’était pas mentionnée, mais Nali’ah avait écarté cette possibilité. On voyait encore que seules deux lettres avaient été retirées. Celui qui était lié aux Heleriens restait donc un mystère. Ils étaient parvenus à la conclusion que, en tant que meneuse des Tsadiens, Temps n’était liée à aucun peuple. Ils n’avaient aucun certitude, mais c’était ce que la carte semblait indiquer. Quant au mystérieux peuple… Taïe s’inquiétait tout de même. Que s’était-il passé pour que, au fil des âges, leur nom soit donné à tout une partie du continent ? Elle passait ses journées à s’interroger. Ouvrier les menait toujours plus profondément dans la forêt, et la guerrière commençait à s’impatienter. D’après lui, il ne restait que un ou deux jours, mais la présence constante de la Brume autour d’elle ne la rassurait pas. Lors de la dernière nuit, elle s’était rapprochée de Pavel pour se réchauffer et se rassurer grâce à la lumière qu’il produisait quand son regard était tombé sur la boucle d’oreille du Korafiè.
“Ce symbole, sur ta boucle d’oreille, il signifie que tu es un Zeren, c’est cela ?
-Oui, exactement.
-Vous portez tous le même symbole ?
-Oui. Afin de signifier au monde entier que nous sommes des orphelins, des moins-que-rien. On nous prive d’une identité distincte.
-Et tu ne peux pas l’enlever ?
-Non. La pierre est accrochée sur un anneau parfait, soudé après qu’il nous soit enfilé.
-Tu ne peux pas le faire fondre avec ton feu ?
-Je… n’ai jamais essayé. Il est formellement interdit de la retirer. Elle permet de nous différencier. Enfin, pour ceux qui ne sont pas Zerens.
-Est ce que tu veux bien essayer ? Je te promets que je te la rendrai après. Je souhaite juste essayer quelque chose.”
Pavel, bien qu’intrigué, accepta. Il prit l’anneau entre ses doigts et le chauffa au maximum. Cela prit du temps, mais le métal finit par rougeoyer, et il put l’enlever.
“C’est très étrange, dit-il en secouant la tête dans tous les sens. J’ai l’impression qu’il me manque quelque chose, comme ça.”
Taïe attendit que le tout refroidisse, puis saisit la boucle d’oreille. La coinçant entre deux pierres, elle l’observa puis dégaina ses deux poignards. Prenant le plus long, elle en positionna la pointe juste en dessous du symbole Zeren. Puis, utilisant le manche de l’autre comme un maillet, elle asséna un coup sur le premier. Il s’enfonça légèrement dans la pierre avec un petit bruit mat. La guerrière rangea ses armes et présenta la pierre à Pavel.
“Voilà. Maintenant, la tienne aussi est unique. Tu n’es pas orphelin. Tu es notre frère.”
Le Korafiè contempla la gravure ainsi modifiée un instant, puis s’empressa de remettre son bijou avec un grand sourire. Il était trop ému pour parler, mais ce que Taïe voyait dans ses yeux valait tous les mots.
“Merci”, dit-il enfin.
Ouvrier n’avait pas menti. Le lendemain, la Brume, qui s’était épaissie au fur et à mesure de leur avancée, se faisait plus clairsemée. Gagnés par un regain d’énergie, tous avançaient plus vite, impatients de revoir le ciel et de sentir à nouveau le vent sur leur visage. Maintenant qu’ils savaient l’air frais proche, la Forêt leur semblait plus étouffante que jamais. Tous guettaient la lisière de la forêt avec impatience, prêts à découvrir Helere.
Quand ils aperçurent enfin la lisière au loin, le cœur de Taïe se mit à battre plus vite. Cela lui rappelait son arrivée en Oedoria. Il y avait devant elle un tout nouveau monde à découvrir. Qui sait ce qu’ils y trouveraient ? Quelles vérités, terribles ou merveilleuses, quels secrets allaient-ils encore déterrer ? Elle prit une grand inspiration, suivant tout le groupe en direction de l’inconnu. Plus que quelques pas et…
Ils quittèrent la Brume.
Félicitations pour l'achèvement de ce premier tome ! Ce fut une belle aventure aux côtés de tes personnages qui sont devenus plus que des amis mais une famille ! La scène de Thaïe et de Pavel est magnifique !
Comment te dire que " DEJA " !!!! Non tu ne peux nous laisser sur une telle fin ! Tout le chapitre est riche en révélation et en rebondissement. Cette carte perdu dans la brume qui nous en apprend enfin tellement plus sur les peuples et leurs liens avec les Tsadiens. Les Radvenhengs chassés de leur forêt par cette même brume qui semble être des âme cherchant vengeance ! Ce mystère autour d'ouvrier qui est insensible à cette brume et qui lui parle ! Ce peuple ne manipule t-il pas pouvoirs et autres ? C'est un sacré mystère que tu nous offres pour cette fin de tome et tout comme Thaïe qui semble s'être apaisé, je frissonne au contact de cette inconnue qui s'étend à la lisière de la forêt.
Globalement, l'intrigue s'est mise en place doucement, mais cette lenteur était nécessaire afin d'apporter de la profondeur à ton histoire. La cohérence des éléments et des événements que tu as su distillé avec soin, pousse à vouloir en savoir plus sur cette univers que tu as créé.
Bon à plus, je reviendrai quand le tome 2 sera disponible 😅🤣
Merci beaucoup, je suis vraiment heureuse d'avoir pu compter sur tes retours jusqu'à la fin. Je te retrouverai donc dans le tome 2 ! Tu trouveras peut-être la réponse à tous les mystères que tu cites ici.
╬À bientôt !
D'abord, je suis très contente que tu ais pu finir ton premier tome ! Félicitation ! C'est la première fois que je finis un roman sur PA alors je suis émue.
Pour avoir une vision globale de ton roman, il faudrait que je relise tout depuis le début, ce que je ferais avec plaisir. Je reviendrais sûrement faire un retour en fin d'année, après la réécriture, pour faire un autre commentaire dessus ! :D
J'ai été confuse avec la scène des révélations, notamment avec "Les Tribus sont le peuple de Force", j'avais totalement oublié de qui il parlait, qui est Force (?)
La scène de la fin avec Pavel m'a mis les larmes aux yeux, ça montre comment Taïe est sortie de son attitude aigrie, ses remarques déplacées et son mépris des relations aux autres pour donner aux orphelins ce qu'elle a toujours voulu avoir : une famille loyale.
Une faute que j'ai vue : Taïe en venait à e demander => Taïe en venait à se demander
J'ai vraiment hâte de lire la suite (dans le tome 2 !) mais en attendant je te souhaite bonne chance pour la réécriture du tome 1 ! :DD
Merci beaucoup, je suis très heureuse d'avoir enfin réussi à terminer. Merci a toi surtout d'avoir été là depuis le début ! Tous tes commentaires et les remarques que tu faisais on été d'une grande aide. Je serai ravie d'avoir à nouveau ton retour après la réécriture.
Au niveau de la scène des révélations, Force était l'un des 10 Tsadiens ( Temps, Fluide, Flamme, Roche, Air, Esprit, Tonnerre, Lumière, Ombre, et Force ). La carte indique l'emplacement de tous les Peuples liés aux Tsadiens, et on découvre donc que les Tribus en sont un ( au même titre que les Néréeins et les Korafiès, par exemple ).
À bientôt, dans le tome 2 !