Chapitre 39 - Narhem – Victoire

- Majesté ? l’interrompit un soldat alors qu’il discutait avec un gouverneur lointain. Pardonne-moi de te déranger mais Katherine a volontairement modifié sa route. Elle est en chemin pour les donjons.

- Je te remercie. Excuse-moi gouverneur, je vais observer ça et je reviens vite. Attends-moi, d’accord ? Servez-lui une collation, finit-il à l’adresse des serviteurs avant de sortir.

Enfin ! Elle se décidait. Narhem espérait qu’Elian s’ouvrirait davantage à sa filleule. Katherine montrait une naïveté à toute épreuve. Devant tant de douceur et d’innocence, la reine des elfes perdrait peut-être son mutisme. Utilisant un passage rapide dont Katherine ignorait l’existence, il arriva un tout petit peu avant elle. Depuis cet endroit, grâce à un habile jeu de tuyau en cuivre, il entendait les conversations dans le donjon.

- Elian ? lança la jeune femme.

- Katherine ? dit Elian.

- Que puis-je faire pour t’aider ?

- Retire la dague. Éloigne-la de moi.

Il y eut un silence total. Narhem attendit, prêt à bondir au cas où cette petite ingénue aurait assez de courage pour répondre à la demande de sa nourrice.

- C’est cette putain de dague qui me cloue au sol. Prends-la et jette-la loin, insista Elian.

Narhem sourit. Katherine ne faisait rien. Elle ne touchait pas à la lame posée. Elle était sous son contrôle. Il retint son envie de rire.

- Alors seulement je pourrai me lever et nous faire sortir de là. Je te protégerai et je te ramènerai à Falathon, insista Elian.

- Royaume rempli de traîtres à sa solde, murmura Katherine. Pays pourri infesté de vermines soudoyées.

Narhem ne cessait de sourire. Katherine détestait son propre pays. Craignait-elle pour sa sécurité si elle y retournait ? Elle aurait sans nul doute préféré retourner à Irin. Sauf que les elfes des bois ne l’accepterait jamais. Rêvait-elle du territoire peuplé d’elfes dont il lui avait fait miroiter l’existence ?

- Il ne tiendra qu’à toi de faire changer cela, précisa Elian.

- Il est trop fort pour moi, trop fort pour toi. Il nous surpasse tous.

Narhem n’en revenait pas. Elle était bien plus envahie qu’il ne le pensait. Les compliments de la jeune femme le touchèrent en plein cœur. Cette enfant reconnaissait sa valeur sans qu’il n’ait rien demandé. Étrangement, cela lui fit beaucoup de bien. Être roi demandait de la finesse mais également de la suspicion. Les compliments étaient rarement gratuits. Ceux-là, prononcés sans que l’on l’en sache récepteur, lui transpercèrent l’âme.

- Nous avons perdu une guerre que nous ignorions en cours, continua Katherine.

- Que tu ignorais en cours, la reprit Elian. Ton grand-père et ton père l’ont bien sentie, eux, cette guerre. Des milliers d’elfes noirs aussi. Moi aussi, finit-elle en désignant son épaule du regard.

- Pourquoi ne m’as-tu pas appris tout cela ? Tu devais…

- Élever deux enfants humains au milieu d’une forêt elfique qui les méprisaient. Je vous ai protégées puis rendues à votre patrie. Vous n’étiez que des gamines quand je vous ai confiées à Thorolf. C’était à lui que revenait votre éducation. Moi, je vous ai appris à marcher, à être propre, à parler le ruyem et le lambë. J’estime avoir rempli ma part du marché.

- Je ne connais pas la moitié des règles de grammaire du ruyem.

- Moi non plus, répliqua Elian. Je ne suis qu’une voleuse des bas fonds. J’ai reçu une instruction sommaire, réalisée par ta tante qui me racontait vaguement ses cours de loin. Je ne peux fournir ce que j’ignore. Le lambë ne s’écrivant pas, j’ai même dû créer moi-même le matériel. C’est précisément pour cette raison que j’ai tenu à ce que vous retourniez auprès des vôtres au plus tôt, afin de combler ces lacunes. Si Thorolf n’a pas été à la hauteur, je n’y peux rien. Et puis merde ! J’étais à peine plus vieille que toi. Je venais d’être propulsée reine, nourrice de deux jumelles humaines, maman, le tout en luttant pour guérir de cette saloperie de blessure au métal noir. Je défie quiconque de faire mieux dans ces conditions ! Allez tous vous faire foutre avec vos reproches mal placés.

Il y eut un petit silence gêné puis Katherine murmura :

- Narhem a refusé de me répondre alors je te le demande directement. Qu’est-ce qu’il veut de toi ?

Narhem tendit l’oreille. Le moment délicat était venu. Elian allait-elle enfin cracher le morceau ?

- L’anneau d’Elgarath, répondit Elian.

- Celui pour lequel ma tante Laellia a été torturée alors qu’elle n’était pas le vrai gardien ? Celui qui a été à jamais perdu parce que nul ne connaît l’identité de celui que mon père a désigné comme gardien ?

- C’est ça.

- Pourquoi te le demande-t-il à toi ?

- Parce que je suis la gardienne de l’anneau d’Elgarath.

Narhem se retint de hurler de joie. Enfin ! Elle l’admettait ouvertement. Après tout, jusque-là, ce n’était qu’une supposition, à égalité avec des milliers d’autres options. Narhem sourit pleinement. Son plan avait fonctionné. La vigilance de cette saleté de reine des elfes s’était relâchée face à sa filleule.

- Toi ? Une reine elfe gardienne d’un anneau humain ? Pourquoi ?

- Parce que Brian, alors que j’avais ton âge, me l’a confié. À ce moment-là, j’étais humaine et sans titre. Ton père m’honorait de sa confiance. Voilà pourquoi !

- Pourquoi le veut-il ?

- Pour pouvoir dominer le monde.

- Quel rapport ?

- Retire la dague et je te le dirai, indiqua Elian.

Narhem haussa un sourcil. Voilà qui était nouveau ! Elian tentait à son tour de manipuler la jeune femme. Créer un suspens, un inconnu, titiller sa curiosité pour la pousser à agir dans son sens. Intéressant, pensa Narhem. L’adversaire montrait un peu de ses compétences. Il hocha la tête. Cette ancienne voleuse méritait son rang de meilleur ennemi.

- Je suis navrée, vraiment, murmura Katherine avant de sortir en sanglotant.

Narhem venait de gagner cette bataille. La guerre serait encore longue mais au moins savait-il qu’il allait dans le bon sens. Restait maintenant à faire craquer ce redoutable adversaire. Narhem rejoignit le gouverneur et ne fit aucune remarque à Katherine. Il voulait qu’elle se croit invisible. Il désirait qu’elle y retourne. Si elle pouvait faire dire à Elian l’emplacement de l’anneau, tout se terminerait rapidement. Narhem eut du mal à tenir la discussion avec le gouverneur, l’esprit entièrement tourné vers son trésor, à portée de main.

 

###############################

 

Elle fut rapide, bien plus que Narhem aurait pu l’espérer. Dès le lendemain, Katherine retourna voir sa nourrice.

- Majesté. Katherine a de nouveau dévié. Cette fois, elle a d’abord fait un tour par la cuisine et transporte un panier de fruits.

Narhem grimaça. Katherine franchissait un pas. Elle s’opposait directement à lui. Elle savait qu’il la privait volontairement de nourriture. Elle allait le payer. D’abord, écouter l’échange. Peut-être serait-il intéressant ?

- Je sais qu’il t’affame depuis des lunes, dit Katherine en entrant dans le donjon en regardant autour d’elle.

Narhem se plaça au plus proche de la porte, prêt à intervenir. Elian n’avalerait rien.

- Ceci dit, je n’ai pas amené que des fruits.

- Que veux-tu que je fasse de ça ? grogna Elian en retour.

Narhem ne pouvait voir sans être vu. Sa curiosité était au maximum.

- C’est sa dague que j’ai besoin que tu enlèves, pas que tu m’en amènes une autre !

Une lame ? Pourquoi Katherine avait-elle apporté ça à sa nourrice ?

- Peut-être que tu préférerais mourir que de subir ça, indiqua Katherine.

Il y eut un moment de silence. Narhem supposa qu’Elian était aussi interloquée que lui.

- Je porte ma propre dague à ma ceinture, fit remarquer Elian. Il ne me l’a jamais retirée.

De nouveau un silence. Katherine devait se rendre compte de sa stupidité.

- Du coup, tu veux manger ?

- Je veux que tu retires cette saloperie de dague en métal noir, Katherine.

- Je ne peux pas, pleura Katherine. Tu ne sais pas ce qu’il fait…

- As-tu seulement conscience de la souffrance que je subis ? gronda Elian. Je suis paralysée au sol. J’ai peine à respirer. Retire-la ! Je te protégerai.

- Pardonne-moi, Elian, mais tu ne sembles même pas être capable de te défendre toi-même contre lui. Je le côtoie depuis des jours. Je l’ai vu se battre, tenir des audiences, gérer des conflits… Il est brillant. Nul ne peut impunément s’opposer à lui.

- Et pourtant, il semblerait que je le fasse depuis des années.

- Regarde où ça t’a menée… bredouilla Katherine. Elian, je ne peux pas rester trop longtemps. Ça va vraiment paraître louche. Tu veux manger ou pas ?

Il y eut un silence puis un léger bruit de mouvement. Narhem choisit ce moment-là pour apparaître et ordonner d’une voix douce :

- Pose le fruit, Elian.

La reine obéit instantanément. La prune roula sur le sol. Elian n’avait même pas sursauté. Elle s’attendait à sa présence. Katherine, elle, devint plus blanche que la neige et se mit à trembler.

- Jeune fille, tu savais que je désirais affamer Elian. Tu m’as entendu le dire à Paillette.

Katherine n’osa pas croiser son regard. Elian se remit dans une position un peu plus confortable et attendit, le regard vide. Il était clair qu’elle se fichait totalement de ce qui allait suivre. Il pourrait l’écorcher vive devant elle qu’elle ne plierait pas.

Narhem s’approcha de sa prisonnière, s’accroupit devant elle puis murmura :

- Déguste donc cet excellent panier devant ta nourrice morte de faim.

Katherine regarda les fruits. Elle mit un moment avant de prendre le premier et de le porter à la bouche. Elle mangea tout en pleurant. Elian restait de marbre, comme si ce qui se passait à côté d’elle l’indifférait totalement. Était-ce vrai ou bien jouait-elle la comédie ? Narhem ne parvint pas à le déterminer.

Lorsque le panier fut vide, Narhem ordonna :

- Ramasse-le. On s’en va.

Katherine soupira. Elle semblait soulagée de la légèreté de la punition. Narhem sourit. Elle pensait réellement que cela s’arrêterait là ! Alors qu’il passait devant la dague, il se tourna vers Katherine.

- Prends la dague qui est par terre.

Katherine s’en saisit tandis qu’Elian gémissait, le mouvement de la lame jouant sur ses douleurs.

- Tu vois la ligne sombre là-bas ? désigna Narhem du doigt sur le sol.

Ce trait naturel dans la roche était à deux pieds plus proche d’Elian. Katherine hocha la tête.

- Pose la dague dessus.

Elian gémit et trembla mais pas un mot ne sortit de sa bouche, pas une supplique, pas une demande, rien. Elle serra les dents et attendit en frissonnant, collée contre le mur, la douleur qui ne tarderait pas à exploser en elle. Narhem se prit à l’admirer. Serait-il capable, lui, de supporter une telle souffrance ? Il n’en savait rien. Elle faisait preuve d’une résilience extraordinaire.

L’information qui parvint au cerveau de Narhem le prit de cours : blessure au cœur. Narhem observa son torse pour y trouver la dague de métal noir qui venait de déchiqueter son organe vital principal. Incroyable ! Katherine tenait le manche. Elle venait de tenter de le tuer avec sa propre lame ! La petite ingénue avait osé. Elle avait trouvé le courage, la force, la volonté. Elle avait saisi l’opportunité. Jamais il ne l’en aurait cru capable.

Il retira nonchalamment la dague que Katherine avait lâché, abasourdie de l’absence de conséquence. Elle observa la lame, propre puis son adversaire, debout, devant elle. Narhem jeta la dague devant lui. Elle retomba un peu plus loin que la ligne proposée et Elian hurla. Katherine se retourna vers le son avant de se retrouver au sol, une violente gifle venant de l’y projeter. La princesse tenta de se protéger de ses bras. Peine perdue. Narhem était un expert. Il savait exactement où frapper pour faire mal sans abîmer. Après tout, il commençait à beaucoup apprécier sa petite assistante. La perdre serait fort dommageable.

Katherine ne demanda jamais grâce. Elle subit, convaincue de mériter ce qu’elle prenait, exactement comme Narhem l’espérait. Il s’arrêta enfin et le cachot fut plongé dans un silence seulement rompu par la respiration difficile d’Elian, devenue pâle, les yeux transparents, les cheveux blanchissants lentement.

- À genoux, ordonna Narhem à Katherine et malgré la douleur, cette dernière se mit en position en gémissant. Quelque chose à dire, peut-être ?

- Merci de n’avoir pas porté atteinte à mon intégrité physique, pleura-t-elle.

Narhem sourit. Elle le remerciait ! Il n’en espérait pas tant. Elle était réellement terrorisée. Elle avait sûrement cru perdre une main ou davantage.

- Debout, on s’en va.

Katherine le suivit, attrapant le panier au passage, sans un regard en arrière pour sa nourrice. De toute la journée, elle ne se plaignit pas. Elle recousit le vêtement déchiré par la lame sans se plaindre, tria les courriers, prit des notes et s’endormit à peine couchée.

Plus jamais Katherine ne retourna voir sa nourrice. Pas grave. De toute façon, Elian n’aurait rien dit à sa filleule. Elle n’était pas stupide. Elle se savait surveillée. Son apparition à la porte du cachot avait pris Katherine par surprise mais certainement pas Elian. Narhem allait devoir se résigner à attendre qu’elle craque.

 

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Narhem termina sa passe d’arme puis indiqua d’un geste à son opposant de faire une pause. Un messager venait de se placer devant les combattants et d’attendre. Tout le monde savait qu’on ne dérangeait pas le roi. On attendait qu’il vous permette de parler, à moins que l’urgence soit totale.

- Je t’écoute, annonça Narhem.

Katherine releva le nez pour écouter l’échange.

- Quelque chose de… surprenant est en train de se produire à une lune à l’est d’ici.

- Quoi donc ?

- Un homme se trimballe un elfe prisonnier, un elfe d’Irin.

Narhem plissa les yeux.

- Il raconte être un brigand, tombé sur sa proie par hasard, continua le messager. Il a décidé de vous l’amener. Il dit supposer que cela vous intéressera, puisque vous avez déjà emmené leur reine et que celui-là était sûrement venu tenter de la libérer.

- Il en sait des choses, ce brigand, lança Narhem, carrément suspicieux. Et il… vient réellement par ici ?

- Oui, droit sur le fort Ha’amuul.

- Très bien. Que les hommes sur place renforcent leur nombre. Je veux une surveillance constante. Tant qu’ils avancent vers nous, qu’ils les laissent faire. S’ils s’éloignent d’un pouce, qu’ils leur tombent dessus et me les ramènent.

- Le brigand dit espérer une récompense à la hauteur du cadeau, précisa le messager.

- S’il est ce qu’il dit, il l’aura au-delà de ses espérances.

Le messager s’éloigna.

- Ils savent que c’est un elfe d’Irin parce que c’est un homme ? supposa Katherine.

- Non, il y a des hommes elfes à Eoxit. Ils savent que celui-là vient d’Irin parce qu’il porte un habit elfique, qu’il est bien coiffé, qu’il parle le lambë, qu’il a une arme à la ceinture ou un arc et des flèches, toutes choses qu’un elfe d’ici n’aurait pas. Ce n’est pas très difficile de les différencier.

Katherine hocha la tête.

- C’est probablement Theorlingas, annonça Narhem qui supposa que l’adolescent était bien trop jeune pour un si long voyage et était retourné à Irin prévenir les autres.

Katherine en fut bouche bée.

- Vous connaissez le compagnon d’Elian ?

Narhem sourit. Cela faisait longtemps qu’il croisait cet elfe. Il ne connaissait son nom que depuis Gjatil. Quant à savoir qu’il était le compagnon d’Elian, Katherine venait de le lui apprendre. Il était aux anges !

- Ah oui, c’est vrai qu’il est déjà venu ici, quand il a tenté de la sauver et qu’il a échoué, se retrouvant prisonnier torturé sous ses yeux.

Narhem savait qu’un elfe était apparu et que le bourreau l’avait utilisé pour faire craquer Elian. Le soldat avait fait un rapport détaillé. En revanche, Narhem ignorait qu’il s’agissait de Theorlingas.

- Voilà qui fait de ce nilmocelva quelqu’un de fort incompétent mais de très persévérant, répondit Narhem.

Katherine resta coi face à cette réplique. Narhem put reprendre son entraînement sereinement. L’avenir se dégageait. Elian n’avait qu’une seule faiblesse : ses émotions. Qu’on la torture, qu’on la coupe en morceaux ne la dérangeait pas mais qu’on touche un cheveu de ses proches et elle craquait. Beïlan avait réussi à la faire plier en torturant Laellia. La fois suivante, Theorlingas avait été la clef. Et voilà que le levier venait à lui. Narhem était aux anges.

 

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- Quelles nouvelles ? demanda Narhem, avide de savoir à quelle distance se trouvait le détonateur.

- Les soldats ont beaucoup de mal à suivre, annonça le messager. Ils ne s’arrêtent jamais, ni pour manger, ni pour boire, ni pour dormir, ni pour chier… De la part de l’elfe, cela s’entend mais le brigand, comment fait-il ? Peut-il y en avoir d’autres comme vous ?

- Non, dit Narhem en réfléchissant. Un brigand ? Disposez-vous d’une description ?

- Non, admit le messager. Souhaitez-vous que j’en demande une ?

- Non, inutile. Dites-leur de disposer des hommes partout sur le chemin. Dès qu’un groupe les perd, un autre prend le relais. Qu’on ne les lâche jamais d’une semelle. Autre chose ?

- L’elfe avance les yeux fermés et le brigand lui achète de la nourriture à chaque ferme croisée.

- Lui achète ? répéta Narhem.

- Le brigand n’y touche pas. Tout est pour l’elfe.

Narhem sourit. Cela confirma ses soupçons.

- Transmettez bien ce message : il viendra un moment où ils arrêteront d’avancer et se replieront pour se cacher. L’intervention devra être immédiate et musclée.

- À cette vitesse, ils seront sur nous dans une dizaine de jours tout au plus.

- Largement de quoi prévoir leur arrivée sur le terrain. Lorsque nos hommes les auront, je veux qu’ils me les amènent dans la haute cour nord.

- Bien, Majesté.

Le messager s’éloigna pour transmettre les volontés de son roi. Narhem sourit. Il se rendit dans cette même cour et s’approcha des soigneurs des orcs qui y résidaient derrière une haute palissade. Les orcs détestant les humains, mieux valait les séparer des résidents du fort.

- Affamez-les, ordonna Narhem au dresseur. Plus un gramme de nourriture.

Les dresseurs pâlirent.

- Vérifier d’abord la solidité de la clôture sur toute la longueur et renforcez en cas de besoin, précisa Narhem.

Les dresseurs acquiescèrent sans pour autant perdre leur visages graves.

 

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Narhem était monté en haut des remparts est dès l’annonce. Katherine sur les talons, il plissait les yeux pour voir l’escorte et ses prisonniers. Le brigand et sa proie avaient enfin dévié, à peine le fort visible à l’horizon, ils s’étaient réfugiés dans un bois proche, où les soldats postés n’avaient eu qu’à les cueillir. Ils approchaient par l’est du fort.

- Mais c’est Lorendel ! s’exclama Narhem en découvrant les traits du « brigand ».

- Comment pouvez-vous connaître leurs noms ! s’exclama Katherine, maintenant en colère.

- Comme je suis heureuse de te voir, Lorendel ! lança Narhem d’une voix aiguë. Elian, s’il te plaît, fais quelque chose pour que je rentre à Irin. Trouve une raison, n’importe laquelle. Armand t’écoutera !

Katherine blêmit à cette imitation volontairement très imparfaite et caricaturale d’elle-même. Narhem reprit sa voix normale.

- Le simple fait que vous parliez parfaitement le lambë était suspect en soi mais que vous, deux humaines, ayez pu aller à Irin ? De simples suivantes accueillies par les elfes ? Jamais aucun humain n’a pu voir Irin, tu le sais ça, n’est-ce pas ? Armand écoutera Elian ? Depuis quand ces deux-là sont-ils en contact ? Depuis que les elfes ont pris sous leurs ailes les jumelles censées être mortes, les nièces de Laellia Eldwen, la meilleure amie de la reine des elfes. Vous vous êtes cramées vous-même. Sans ce petit échange, jamais je n’aurais découvert ton identité réelle. Tu parles trop, Katherine.

La jeune femme resta médusée, incapable de se défendre, muette, figée de stupeur.

- Tu peux posséder l’armée la plus puissante et perdre, par manque d’information. Les messages que m’envoient mes petits oiseaux à Falathon semblent bien inoffensifs pris séparément. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils acceptent mes marchés. Ensemble, ils me donnent tout ce qu’il me faut pour entrer en Falathon par le chemin le plus sûr. Si j’avais su, il y a des années de cela, que la fille cadette du capitaine de la garde d’une ville paumée au sud de Falathon s’était pris d’affection pour une saloperie de voleuse des bas-fonds, peut-être que mon magnifique plan parfaitement orchestré ne serait pas tombé à l’eau.

Katherine jugea bon de ne pas répondre.

- Cette putain de drosophile va enfin arrêter de me casser les couilles. J’ai maintenant tout ce qu’il me faut pour la faire plier. Lorsque ça sera fait, Falathon sera rayé de la carte puis les elfes noirs cesseront enfin de parcourir ce monde.

Katherine baissa les yeux en réponse. Narhem descendit, traversa la cour nord pour rejoindre les donjons. Dans la geôle, il récupéra son épée et sa dague qu’il remit au fourreau. Malgré l’absence de source de douleur, Elian ne broncha pas, restant au sol, allongée. Cela faisait des jours qu’elle ne tenait plus la position assise.

Narhem lui envoya une formidable coup de pied dans le ventre. La reine elfe hoqueta et gémit.

- Suis-moi, en rampant s’il le faut.

Katherine s’avança pour aider sa nourrice à obéir à l’ordre donné. Narhem ne l’en empêcha pas. Avec l’aide de Katherine, ils furent rapidement en haut.

- Lâche-la, ordonna Narhem et Elian se retrouva au sol.

Était-elle réellement incapable de bouger ou bien donnait-elle le change, attendant le bon moment ? Narhem n’aurait su le dire. Après tout, les lames rengainées, Elian n’avait plus aucune raison de souffrir. Il resta sur ses gardes, prêt à réagir au moindre mouvement suspect de sa prisonnière.

Ses soldats arrivèrent. Le timing était parfait. Ils s’écartèrent pour laisser apparaître Theorlingas et le faux brigand qui conservait son rôle, ne se sachant pas démasqué. Un regard vers sa prisonnière lui apprit qu’elle traînait sur le ventre les yeux fermés. Il s’accroupit et l’attrapa par les cheveux sur le haut du crâne. Elle cria et ouvrit les yeux. Il s’apprêtait à lui parler mais un cri du fond de la cour le prit de vitesse :

- Maman ! s’exclama le faux brigand.

- Maman, murmura Narhem. Tu veux dire que… Lorendel est ton fils. C’est un jour merveilleux.

- Non, murmura Elian.

Il la tenait. Sa plus grande faiblesse. Narhem sentait une formidable érection monter. Plus rien ne s’interposait désormais entre lui et son trésor.

- Tu vois l’enclos, là, chuchota Narhem en lui désignant l’endroit. Il contient des orcs affamés. J’ai déjà vu de mes yeux ces bêtes avaler un corps en moins de deux tours de moulin par grand vent. Humain ou elfe, peu leur importe quand ils ont faim.

Elian gémit en retour.

- Jetez-le dans l’enclos, ordonna Narhem d’une voix forte. Non, pas l’elfe, le brigand !

- Non ! murmura Elian.

Les soldats retirèrent ses armes au faux brigand. Il tenta de se défendre mais les experts le tinrent aisément en respect. Il fut mené de force jusqu’à l’escalier donnant accès au surplomb par lequel les dresseurs nourrissaient habituellement les orcs. L’enclos n’avait pas de porte. La brèche aurait été trop aisée à briser. Mieux valait jeter par dessus.

- Dans mes cheveux, murmura Elian. Il est dans mes cheveux. Je vous en prie, épargnez-le.

Narhem mit en pause d’un geste. Il sortit sa dague de métal noir et d’un geste vif, trancha la chevelure blanche qui s’éparpilla sous le vent océanique léger. Un petit bruit métallique attira son attention et il découvrit, ahuri, une bague roulant sur le sol. Il l’attrapa. « Elgarath » mentionnait une gravure à l’intérieur. Incroyable ! Il était là depuis le début, bien caché dans la longue chevelure blonde de la reine. Narhem n’avait même pas fouillé sa prisonnière, n’ayant pas imaginé une seule seconde qu’elle eut pu commettre la bêtise de le porter sur elle.

Narhem serra l’anneau dans son poing. Après tant d’années à lui courir derrière et le voir disparaître sous son nez, il n’en revenait pas de le tenir enfin. Il eut soudain envie de l’essayer, maintenant, tout de suite. D’un geste désinvolte, il fit signe au dresseur qui jetèrent Lorendel dans l’enclos.

- Non ! hurla Elian avant de murmurer : Lorendel.

Narhem buvait la peine de sa prisonnière comme du petit lait. Il la tenait. Il sentait la force, la puissance et le pouvoir couler dans ses veines, faisant battre son cœur à la chamade, emplissant son esprit de coton chaud.

- L’autre aussi, précisa Narhem. Ramenez-la dans son cachot mais fermez la porte à clef cette fois. Je vais à la tour de surveillance sud. L’attaque de Falathon va pouvoir commencer.

Il attrapa un cheval qui traînait, le monta et sortit du fort qu’il contourna pour se rendre plein sud. Arrivé rapidement à la tour de surveillance, il grimpa ses marches jusqu’à son sommet. Là-haut, il passa l’anneau à son doigt sans rien ressentir de particulier. Ce truc était-il vraiment magique ? Il allait vite le savoir. Normalement, désormais, ses armées n’étaient plus liées à la fidélité à la terre. Maintenant, le monde entier lui appartenait.

Il alluma une lanterne et souffla dans un énorme cor. À l’horizon, des centaines de bateaux s’élancèrent vers Falathon. Il observa les navires passer la frontière navale fictive et continuer leur route, les marins à bord bel et bien vivants. Son sourire exprimait une joie intense.

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blairelle
Posté le 09/09/2023
Bon je me doute que c'est pas si simple, et que si le chapitre d'Elian est après, c'est parce qu'elle avait un plan de secours... Par exemple, avoir une copie de l'anneau dans ses cheveux... Et les marins ne sont en fait pas loyaux à Narhem ?
blairelle
Posté le 09/09/2023
(oui je sais, l'espoir fait vivre)
Nathalie
Posté le 09/09/2023
Espoir, espoir... Non ! Ca ne peut pas se terminer comme ça ! Narhem ne peut pas gagner ! Ben si... Ou pas... Faut lire la suite pour savoir. Après, le roman est loin d'être fini...

Bonne lecture !
blairelle
Posté le 24/10/2023
Le brigand et sa proie avaient enfin déviés => dévié

Et sinon, quand on lit Narhem-seul, à ce moment il a l'air d'être le type qui s'est enfin débarrassé de son problème. Il semble un peu un connard d'avoir jeté Lorendel et Theorlingas aux orcs ; mais pourquoi n'a-t-il pas demandé qu'Elian suive le même chemin ? Après tout, c'est Elian qui l'énerve, pas Theorlingas ou Lorendel. Il veut la garder sous la main au cas où elle ait menti ? Mais dans ce cas, il fallait garder Lorendel également.
blairelle
Posté le 24/10/2023
Ah oui et au sujet du début du chapitre, quand Katherine va rendre visite à Elian, j'aime bien le passage, Narhem qui s'en sert surtout pour "vérifier" la soumission de Katherine. Par contre quand il se dit « ouah Katherine ne veut même pas rentrer à Falathon », c'est illogique. D'une part elle n'a jamais aimé Falathon, si elle avait voulu quitter Eoxit elle aurait plutôt voulu rentrer à Irin. Et ensuite, ce qu'elle dit c'est pas « je ne veux pas rentrer à Falathon » c'est « il a des espions partout à Falathon, il me retrouvera, je ne suis pas en sécurité là-bas »
Nathalie
Posté le 24/10/2023
Salut blairelle

Lui-même s’en voudra d’avoir fait jeter Lorendel et Theorlingas aux orcs. Lui-même dira qu’il ne comprend pas ce geste désinvolte qui le révulse. Lui-même sera incapable d’en donner la moindre explication. Il était ivre de joie et le geste a été fait sans être réfléchi. Il est devenu le connard d’empereur qui peut et donc fait. Il s’en mordra les doigts ensuite.

Pourquoi ne pas jeter Elian ? Parce qu’il n’a aucune raison de le faire, tout comme Lorendel et Theorlingas. Certes, elle l’énerve mais c’est bon, elle est à terre. Il l’a défaite. Nul besoin d’aller plus loin.

J’essaye vraiment de montrer la folie de Narhem. Ce type est complètement fou. Même lui ne se contrôle plus à ce moment-là. L’anneau lui fait faire n’importe quoi. Même ses conseillers le savent et finiront par le lui avouer. Je voulais montrer à quel point ses décisions devenaient mauvaises et c’est Lorendel qui en paye le prix (désolée, petit, te tuer n’a pas été facile pour moi).

J’ai modifié le passage dans la prison.

Encore merci pour tes commentaires !
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