- Maman ? demanda Lorendel en ruyem peu après le retour d’Elian de Dalak. Est-ce que tu aimes papa ?
- Quoi ?
- Est-ce que tu aimes Theorlingas ?
Elian fut un instant choquée puis la consternation prit le dessus.
- J’espère que ce qu’ils t’ont promis en échange de cette question vaut le coup, fustigea Elian.
Lorendel pâlit, pris la main de le sac.
- Ça veut dire non ?
- Ça veut dire : mêlez-vous de vos fesses, s’écria Elian en utilisant le « vous » du pluriel existant en lambë, prouvant qu’elle s’adressait à la communauté et pas à son fils.
- Maman… commença Lorendel mais Elian lui coupa la parole.
- Si je réponds oui, alors je suis la reine humaine, écoutant des émotions non elfiques. Si je réponds non, alors je suis une salope qui refuse d’écarter les cuisses pour le reste de la communauté. Il n’y a pas de bonne réponse, Lorendel. Ils te manipulent et tu ne t’en rends même pas compte.
Lorendel fronça les sourcils, réfléchissant intensément aux propos de sa mère. Tout jeune adolescent, il commençait à penser par lui-même.
- Je n’ai pas de raison à donner, continua Elian. Je n’ai pas à me justifier. J’ouvre mes cuisses si je veux, quand je veux et à qui je veux. Nul ne devrait être forcé à réaliser ces choses-là.
- Ils disent que tu ne fais pas ta part, lança Lorendel, visiblement très gêné.
- Ma part de quoi ? S’ils parlent de contribution à la naissance de nouveaux elfes, alors tu es là, que je sache. S’il s’agit de sexe alors je me répète : personne ne devrait y être forcé. Si ces dames trouvent la pression trop grande et le nombre de rencontres trop important, alors je les encourage à dire « non ». Je les soutiendrai et empêcherai ceux qui tenteraient de s’opposer à leur volonté, par la force si besoin.
- Elles adorent baiser, répliqua Dolandar en apparaissant, faisant soupirer d’aise Lorendel, que la conversation dérangeait.
- Qu’elles arrêtent de se plaindre en ce cas !
- Les femmes ne se plaignent pas, précisa Dolandar. Ce sont les hommes qui le font. Tu es magnifique, tu le sais ?
- Tu veux me baiser ? gronda Elian.
- Je ne serai pas contre, indiqua Dolandar.
Elian lui jeta un regard noir.
- Je sais que tu ne voudras pas, précisa Dolandar. Les hommes ne comprennent pas, c’est tout. Ton refus les blesse.
Elian gronda.
- Pourquoi te rends-tu à Dalak ? demanda Lorendel.
Elian lui lança un regard de cendres.
- C’est réellement moi qui pose la question, se défendit-il. Tu me manques. J’aimerais savoir pourquoi tu m’abandonnes tous les ans !
- Je ne t’abandonne pas. Jouer sur les sentiments est si peu elfique.
- Je t’aime, assura Lorendel.
- Moi aussi je t’aime mon fils.
- Alors pourquoi me laisses-tu ?
- Parce qu’il paraît que m’occuper de toi fait de moi une reine humaine.
- Depuis quand leur avis t’intéresse-t-il ? rétorqua Lorendel.
Elian sourit, ravie de la réponse très à propos de son fils.
- Je vais commencer par calmer les angoisses de ces messieurs. Non, je ne baise pas à Dalak. Les elfes noirs ne voient jamais de femmes qui sont cloîtrées à l’intérieur des palais de coton. Je suis, de fait, la première qu’ils voient. Au départ, ils étaient… gênés, un peu patauds. Au bout d’un moment, ils ont fini par décider de ne pas me sexualiser. Ils me considèrent comme eux, ni plus, ni moins, pareillement. Nos relations sont cordiales.
- Même avec Saelim ? insista Dolandar.
- Je le vois à peine. Il n’y a pas de roi à Dalak alors les experts se réunissent pour résoudre ensemble les problèmes de la ville. Saelim y tient un siège en temps qu’expert Tewagi.
- Les anciens n’acceptent toujours par Saelim comme roi ? s’étrangla Dolandar. Nous avons fait tout cela en vain ?
- Non, le rassura Elian. Les anciens ne semblent plus écouter une petite voix lointaine mais ils n’acceptent pas non plus de mettre Saelim sur le trône. Un statu quo subsiste. Je précise qu’aucun des trois anciens n’est expert. Ils n’agissent donc pas afin de prendre eux-mêmes le pouvoir.
Dolandar fit la moue et Elian grimaça. Le protecteur ne semblait pas plus comprendre qu’elle.
- Et Beïlan ? souffla Dolandar.
- Quoi Beïlan ?
- Il est tout le temps avec toi quand tu reviens.
- Il me raccompagne, rendant la traversée retour des terres sombres extrêmement agréable, là où les pêcheurs à l’aller ne m’adressent jamais la parole et m’ignorent.
- Et vous ne baisez pas ?
- Non, assura Elian. Il m’a séquestrée et a torturé ma meilleure amie. Il a pris le trône à ma mère pour le compte d’un ennemi qui a tenté à plusieurs reprises de me tuer. S’il vient un jour, mon pardon sera long à obtenir.
- Tu lui as sauvé la vie, rappela Dolandar.
- Nul ne mérite de vivre ça, gronda Elian. De plus, Ceïlan a survécu grâce à lui. Nous nous sommes entraidés.
Il soupira d’aise. Elian fut satisfaite. Elle avait visiblement réussi à rassurer les angoisses des elfes masculins.
- Que vas-tu faire à Dalak si tu n’y baises pas et que les hommes te parlent à peine ?
- D’une part, j’essaye de nous rapprocher d’eux. Nous serons bien contents de les trouver lorsque ça nous tombera sur la tronche.
- Quoi donc ? demanda Dolandar, surpris.
- Ce n’est pas possible d’avoir des œillères comme ça, maugréa Elian. Vous vous rendez bien compte qu’il y a… un ou plusieurs mecs, on ne sait pas bien, là, dehors, qui veulent nous exterminer ? À leurs yeux, nous sommes une espèce sale et impure, au point de vouloir créer un poison capable de nous tuer nous et pas les humains. Ces gens ont de l’argent, énormément d’argent, la capacité à commander les elfes et les orcs, n’ont pas hésité à assassiner deux rois de Falathon, à enlever et torturer la sœur du roi et essayer de tuer la future reine encore bébé. Lorsqu’ils décideront qu’il est temps de nous attaquer, nous serons peut-être bien contents d’avoir quelques alliés. Les elfes noirs sont doués en combats rapprochés et nous à distance. Nous sommes complémentaires. Nous avons un ennemi commun. Une alliance serait bénéfique aux deux. Le moment est le plus adéquat pour nous rapprocher.
- Je pense que tu surestimes le danger, annonça Dolandar.
- Brian pensait la même chose et il est mort le soir-même après avoir levé son verre dans sa propre salle à manger royale. Lors de ce souper, Ceïlan a été empoisonné et il y a fort à parier que mon verre et le tien, pour ce qu’on en sait, contenaient le même produit.
- Quelle est l’autre raison pour laquelle tu vas à Dalak ? demanda Dolandar comprenant qu’il n’arriverait pas à rallier Elian à son opinion.
- J’essaye d’entrer dans les palais de coton mais les femmes elfes noires ne sont pas très accueillantes. Jusque-là, toutes mes tentatives se sont soldées par des échecs.
- Pourquoi veux-tu y aller ? interrogea Dolandar.
- Parce que je pense qu’elles ont la solution mais que je ne peux pas en être certaine avant d’y être entrée.
- La solution à quoi ? interrogea Dolandar.
- Combien de bébés naissent à Irin par an en moyenne ? Deux, parfois trois, nous sommes d’accord ?
- Plus souvent deux que trois mais oui, pourquoi ?
- Vu qu’il y une quarantaine de femmes à Irin, cela signifie que chaque femme met environ au monde un enfant tous les vingt ans.
- C’est ça, confirma Dolandar. Et alors ?
- C’est trop lent. Vu l’espérance de vie moyenne d’un elfe et notre nombre – à savoir trois mille deux cents trente-trois hommes, je sais, j’ai compté – il faudrait le double pour compenser uniquement les morts par vieillesse.
- Un elfe meurt rarement d’autre chose, indiqua Dolandar.
- Euh… Non, le contra Elian. Ou alors j’ai mal compris. Quand Ceïlan m’a confié la vie des elfes lorsque j’étais comtesse, il m’a dit qu’il y avait deux mille elfes à Irin et presque autant de dissidents. Cela fait quatre mille. À ce jour, il n’y a que trois mille deux cents elfes soit un déficit de huit cents âmes. Quelqu’un saurait-il où ils sont passés ?
- Ils sont restés en dehors d’Irin, supposa Dolandar.
- Vraiment ? Tu en es certain ? Moi je pense qu’ils sont morts et que l’organisation, là, dehors, qui nous hait, agi et que nous nous laissons faire, par manque de discernement. La vérité est que un elfe sur trois qui sort d’Irin ne revient pas.
Dolandar frissonna.
- Sur deux mille dissidents, huit cents morts, répéta Elian. Je n’interdis à personne de sortir. Je comprends qu’Irin est trop petite. Je le comprends d’autant plus que je le ressens jusque dans mes os. La vérité est que j’ai peur, peur d’arriver trop tard, peur que nos adversaires soient bien trop puissants.
- Quel rapport avec Dalak et les palais de coton ? recentra Dolandar.
- J’ai interrogé tous les elfes noirs. Leurs témoignages concordants me permettent d’affirmer que trois à quatre enfants sortent des palais de coton chaque année… sauf celles où les pluies détruisent Dalak mais c’est un évènement se produisant environ une fois par génération humaine.
- Elles sont plus prolifiques que nous, comprit Dolandar.
- Je ne vois pas comment tu peux déduire ça aussi vite, répliqua Elian. Cela dépend avant tout du nombre de femmes dans les palais. Si elles sont quatre-vingts alors elles font aussi bien que nous. Si elles sont dix, elles sont très fertiles.
- Dix ? répéta Dolandar. C’est impossible qu’elles soient aussi peu nombreuses.
- Et moi ça ne m’étonnerait pas vu les conditions de merde dans lesquelles elles vivent, indiqua Elian. Ceci dit, il doit naître plus que quatre enfants par an dans les palais. Il doit bien y avoir des filles de temps en temps.
- Il y aurait quatre à cinq enfants par an à Dalak ? s’exclama Dolandar.
- Si nous avions un tel taux de naissance, alors notre nombre augmenterait enfin au lieu de décroître.
- Que tentes-tu pour amener les femmes à t’ouvrir leurs portes ? interrogea Lorendel, intéressé.
- J’améliore leur quotidien et j’espère qu’elles me remercieront en m’invitant à visiter leur domaine. Pour le moment, ça n’est pas une franche réussite. J’ai amélioré leur vie mais elles me ferment tout de même l’accès. Elles sont craintives et je les comprends mais je ne désespère pas. Un jour, peut-être… En attendant, nous avons besoin d’alliés sur lesquels nous reposer. Je vais bientôt me rendre en Trolie afin de nouer des relations durables, je l’espère.
- Tu comptes… aller en Trolie ? s’étouffa Dolandar.
- J’ai demandé l’autorisation aux elfes noirs d’abord. Après tout, les troliens les ont chassés de leurs terres. Les experts de Dalak n’ont pas vu de raison de s’offusquer d’une alliance entre les elfes des bois et les troliens. Je vais donc m’y rendre pour la fête de la mousson. J’y suis attendue.
- Comment as-tu pu prévenir les troliens de ton arrivée ?
- Par message, depuis Dalak. Les elfes noirs savent écrire le ruyem, ont le matériel et Beïlan m’a fourni l’oiseau messager.
- Depuis Dalak, souffla difficilement Dolandar, dégoûté.
- Je ne peux pas le faire à Irin. Je n’y dispose pas du matériel nécessaire. Je fais avec ce que j’ai.
- Je peux venir ? demanda Lorendel. S’il te plaît, maman !
- Bien sûr. Ça te permettra de revoir les jumelles, sourit Elian.
- Katherine y sera ? s’enthousiasma Lorendel.
- Elles y vont tous les ans, indiqua Elian. C’est un rendez-vous classique entre les troliens et les falathens. Je n’ai pas prévenu Thorolf de ma présence là-bas afin de ne pas alerter nos ennemis. La Trolie étant neutre, le risque d’y croiser un membre de la communauté nordiste est minime. Dolandar, tu m’accompagnes ?
- Non, répondit le protecteur d’un ton sifflant et méchant.
- Quoi ? s’étouffa Elian qui s’attendait à la réponse inverse.
- Tu n’as rien à faire là-bas. Envoie un émissaire.
- Il n’y a aucun volontaire, répliqua Elian.
- Tu n’as même pas demandé !
- Ceïlan m’a dit que personne n’accepterait ce genre de poste.
- Quand je m’exprime au nom de la communauté, c’est inacceptable mais quand Ceïlan le fait, sa parole est d’or ?
Elian se prit le reproche en pleine face. Il l’aurait giflée que le résultat aurait été le même.
- Tu n’y vas que pour revoir les jumelles ! l’accusa Dolandar.
- Non ! J’y vais pour nous trouver des alliés, récusa Elian.
- Ce n’est qu’un prétexte ! s’écria Dolandar, très en colère. Dis-moi, Elian, y a-t-il le moindre risque à te rendre en Trolie ?
- Non, répondit Elian. Les troliens sont neutres dans cette affaire.
- Alors pourquoi vouloir ma présence ? D’habitude, tu te rends bien à Dalak sans moi. S’il n’y a aucun risque, alors tu n’as pas besoin de ma protection. S’il y en a, alors tu ne dois pas t’y rendre. Ta blessure t’affaiblit, te rend vulnérable. Tu es incapable de faire face au danger. Si menace il y a, alors un ambassadeur doit s’y rendre à ta place.
- Il n’y a pas de danger, répéta Elian, davantage pour s’opposer à Dolandar que parce qu’elle en était convaincue.
Après tout, un risque subsistait, certes minime, mais tout de même.
- Écoute-moi bien, gronda Dolandar. J’en ai assez de suivre une gamine impétueuse et irréfléchie. Si tu t’obstines, très bien, ça sera sans moi.
À ces mots, Dolandar s’éloigna. Lorendel en resta muet de stupéfaction. Jamais conflit n’avait été aussi violent à Irin. Elian en tremblait. Elle avait envie de pleurer mais se retint.
- Je veux bien venir avec toi, moi, dit Theorlingas en apparaissant.
Elian hocha la tête.
- Je te remercie, Théo.
Elian attendit jusqu’à l’aube suivante mais aucun volontaire ne s’annonça. Ils partirent donc à trois.
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- Trois laits de chèvre, s’il vous plaît, demanda Elian à la première auberge.
- Je n’en veux pas, ronchonna Theorlingas.
- Maman ! Je ne suis plus un gamin ! gémit Lorendel.
Elian soupira.
- Un lait de chèvre, une cruche de vin et une chope de bière, modifia Elian et la serveuse sourit avant de hocher la tête.
Elle revint rapidement avec la commande. Elian la paya tandis que Theorlingas grimaçait.
Lorendel but une gorgée de la cruche et fit la moue. Elian lui tendit la chope. Lorendel avala et sourit.
- Ça, c’est bon. J’aime la bière.
Elian sourit pleinement. Theorlingas ronchonna. Il s’était opposé à cet arrêt qu’il considérait comme trop dangereux.
- Tu es trop faible pour voyager. Dolandar avait raison.
- Trop faible ? Je m’arrête par envie, pour profiter, pas parce que je suis fatiguée ! répliqua Elian.
Theorlingas grimaça mais resta silencieux. Il ne la croyait clairement pas.
- Hé ! La danse de l’ours ! Maman ! S’il te plaît ! Viens danser avec moi ! s’exclama Lorendel
Elian fit la moue. Se donner en spectacle n’était pas exactement dans sa nature. Elle préférait passer inaperçue.
- S’il te plaît ! répéta Lorendel d’une moue adorable.
Elian rendit les armes. Elle se leva, offrant aux clients de l’auberge un spectacle rare et unique.
À la fin de la soirée, Elian paya deux chambres et les elfes purent se reposer.
- Où as-tu trouvé l’argent ? demanda Theorlingas en grondant.
- Je l’ai conservé de mes années d’assassin, répondit Elian. Laisse-moi dormir. Je suis fatiguée.
- Fatiguée, répéta Theorlingas.
Elian ronchonna puis se coucha et dormit d’une traite, protégée par un Theorlingas très mécontent.
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- Ce n’est pas trop tôt, maugréa Theorlingas lorsqu’apparurent les coupoles colorées des toits de Gjatil, la capitale de la Trolie.
- La fête de la mousson est demain, répliqua Elian. Nous sommes pile à l’heure.
- Une lune pour faire un trajet largement faisable en quelques jours, gronda Theorlingas. Lorendel n’aurait pas dû nous accompagner. Il nous a ralenti.
- Je te répète que je me suis arrêtée par envie de partager la nourriture, la boisson, la musique, l’ambiance avec Lorendel, et non par besoin.
- Toi, peut-être, mais lui ? Il est trop jeune. Il ne maîtrise pas bien…
- Ce voyage a été très agréable, dit Elian en souriant à son fils.
- Je t’aime, maman, répondit Lorendel en ruyem.
Theorlingas serra les poings en retour. Aucun elfe n’aurait dû ressentir ce genre de sentiment et encore moins l’exprimer.
- Je suis heureux de retrouver Althaïs et Katherine, indiqua Lorendel.
- Adelaïde et Caroline, le reprit Elian. Adelaïde de Farth et Caroline Pomly, ce sont leurs fausses identités. Surtout, ne te trompe pas !
- J’ai compris, indiqua Lorendel. Adelaïde et Caroline, c’est joli aussi.
Elian sourit. Les rues animées de la capitale les enchantèrent mais les elfes ne purent profiter longtemps de la réalité car le palais, prévenu de leur présence, leur fit envoyer une escorte faisant fuir les habitants. Elian ronchonna. Elle aurait préféré une arrivée moins bruyante.
- Vous n’avez pas fait les choses à moitié, impératrice ! s’exclama Elian.
Sur leur chemin, les trois elfes avaient en effet croisé des danseurs, des cracheurs de feu, des dresseurs de serpents, des dromadaires et de nombreux gâteaux sucrés.
- Bienvenue, accueillit Fatima M’Jora. Notre peuple est heureux d’accueillir en son sein pour la première fois des elfes des bois. Nous sommes honorés, Majesté.
Elian répondit aux salutations de politesse, discuta avec l’impératrice, jalousant Lorendel qui, au fond de la salle, discutait avec Althaïs et Katherine, arrivées depuis plusieurs jours à la capitale. Elian s’obligea à tenir son rôle bien qu’ayant plus que jamais envie d’être ailleurs.
Enfin, elle fut libre de ses mouvements et rejoignit les jumelles.
- Bien le bonjour, Adelaïde, salua Elian en s’adressant à une jeune femme grande, fine, rousse aux yeux verts, le portrait craché de sa mère.
- Que la lune et le soleil guident tes pas, nourrice, répondit Althaïs dans un lambë parfait.
- Tu apprécies la Trolie ?
- J’adore ! s’exclama Althaïs. C’est un endroit merveilleux. Ici, homme ou femme, peu importe. Tant qu’on sait se battre, on peut avoir tout ce qu’on veut.
Althaïs ayant toujours montré une grande passion pour le combat, sa remarque ne surprit nullement Elian. Althaïs ressemblait physiquement à sa mère mais avait le caractère de son père.
- Et toi, Caroline ? demanda Elian à la seconde jeune femme, petite, un peu ronde, les cheveux bruns et les yeux marrons.
Elian avait toujours un pincement au cœur en observant la seconde fille de Brian : elle ressemblait bien trop à sa tante, morte torturée pour un anneau dont tout le monde se fichait désormais.
- Je déteste. C’est horrible de ne pouvoir faire confiance à personne. La personne la plus proche de toi est celle qui a le plus de chance de te trancher la gorge un jour. Ce monde est empli d’hypocrisie, de mensonges, de ruses et de complots.
- Le royaume de Falathon aussi, répliqua Althaïs. Tu es juste trop naïve pour t’en rendre compte.
- Je suis obligée de passer tout mon temps avec les filles Thorolf et franchement, ce n’est pas un cadeau, cingla Katherine et imitant très bien le gloussement insoutenable d’une dinde. S’il te plaît, fais quelque chose pour que je rentre à Irin. Trouve une raison, n’importe laquelle. Armand t’écoutera !
- Non, répondit Elian. Tu vas devoir supporter tout ça. C’est ton devoir. Profites-en pour apprendre.
Katherine gronda. Elle détestait qu’Elian lui fasse la leçon. Elle se considérait comme bien trop grande pour cela, elle qui saignerait bientôt, à n’en pas douter.
- Je suis là maintenant, annonça Lorendel redonnant le sourire à Katherine.
- C’est ça, grogna Althaïs. Allez jouer, tous les deux. Ça nous fera de l’air.
Les deux enfants disparurent en riant tandis qu’Althaïs s’engouffrait dans la foule en quête d’action. Elian soupira. Comme ils grandissaient vite !
- Théo, je vais me reposer, annonça Elian. Je suis lasse et mon épaule me tire. Je vais méditer en terrasse. Tu peux rester t’amuser.
Theorlingas haussa un sourcil interrogateur.
- Elles te draguent toutes. Donne leur donc ce qu’elles réclament et reviens-moi un peu plus souriant, expliqua Elian avant de s’éloigner.
Elle arriva à sa chambre et dédaigna le lit pour l’immense terrasse devant la palmeraie. Elle s’installa en position du lotus et… s’écroula. En un instant, ce fut le néant, le noir complet. Le monde disparut. Tout s’arrêta.
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Elian ouvrit les yeux pour découvrir la lune haute. Elle se trouvait hors du palais sans souvenir d’en être sortie. Elle se remémorait s’être assise pour méditer sur la terrasse puis d’une douleur atroce lui vrillant le cerveau, suivie du néant.
- Ce n’est pas trop tôt. Debout. Une longue route nous attend.
Elian frémit en voyant l’homme lui faisant face. Elle reconnut immédiatement son adversaire de part son allure banale, classique, passe partout.
- Vous voulez que je marche. Et si je décide de rester là ?
- Je sors ma dague.
- Vos menaces ne…
Il dégaina lentement et la douleur augmenta, prenant racine dans l’épaule droite pour s’étendre dans le torse. Elian reconnut la cause : métal noir. Mais comment ? Cette souffrance, enfouie, souterraine depuis des années, pourquoi refaisait-elle soudain surface avec une telle violence ? L’homme continuait lentement son geste et la douleur remonta, inexorablement, vers le cerveau.
- Arrêtez, je vais marcher.
L’homme rengaina sa lame et la douleur disparut. Elian soupira d’aise puis se leva. Il lui tourna le dos et commença à s’éloigner. Elian regarda autour d’elle : des arbustes, des fleurs. Ils se trouvaient en plein milieu de la palmeraie. Elle tenta une fuite et la douleur la fit s’écrouler.
- Tu aimes souffrir ? fit-il remarquer en s’approchant. Je peux carrément te toucher avec ma lame, si tu préfères. Je te rassure : tu n’en mourras pas. Tu vas avoir l’impression que ton sang bout, que ton cerveau fond, que tes organes internes explosent mais aucune délivrance ne viendra. Tu veux ?
- Non ! hurla Elian.
- Alors debout… et marche.
Elian se leva péniblement et commença à le suivre. Son pas vif l’obligeait à accélérer et la douleur du métal noir rendait la chose compliquée. Lorsqu’ils sortirent de la ville, Elian se sentait mieux, assez pour oser parler.
- Qui êtes-vous ?
- Je m’appelle Narhem Ibn Saïd.
Il s’arrêta là.
- Pourriez-vous développer ?
- Comment ça ?
Elian soupira puis annonça :
- Je suis Elian, reine des elfes des bois. Vous êtes ?
- Reine des elfes des bois ? C’est là le seul titre que tu te donnes ?
Elian grimaça. Qu’entendait-il par là ?
- Ancien membre de la guilde des voleurs de Liennes, énuméra-t-il, vainqueur du grand tournoi annuel d’archerie de Falathon, membre actuel de la guilde des assassins de Tur-Anion, comtesse d’Anargh et reine des elfes des bois, je te l’accorde.
Elian grimaça. Ces titres là appartenaient au passé. Ils n’importaient pas.
- Ceci dit, j’en ai oublié un, précisa Narhem.
Elian plissa des yeux. Elle ne voyait pas à quoi il faisait référence.
- Gardienne de l’anneau d’Elgarath, annonça Narhem.
Elian se figea. Instantanément, la douleur dans l’épaule se fit sentir alors Elian, malgré la surprise, reprit la marche et toute souffrance disparut.
- Pourquoi serais-je la gardienne d’un anneau royal humain ?
- Parce que Brian Eldwen avait confiance en toi, indiqua Narhem. Nie autant que tu veux. Au contraire, réfute, oppose-toi. Ça n’en rendra la suite que plus distrayante.
- Vous semblez tout connaître de moi, lança Elian. J’ignore tout de vous.
Narhem sourit, soupira, haussa les épaules puis raconta :
- Comme toi, je suis parti de rien. Simple tonnelier, mon plus grand défaut était d’aimer un peu trop le vin. Souvent ivre mort, je passais le plus clair de mon temps à me battre dans les tavernes ou à baiser dans le foin. Je n’ai guère pris soin de ma femme et de mes enfants, je le crains.
Elian ne fit aucune remarque. Elle préféra garder le silence afin de le laisser parler et récupérer un maximum d’informations au passage.
- Je suppose que ça n’aurait jamais cessé si des marchands d’esclaves ne m’avaient pas mis le grappin dessus.
Esclave, frémit Elian. Cet homme-là avait connu l’esclavage ? Où ça ? À sa connaissance, ces pratiques n’existaient pas en ce monde. Elles appartenaient au passé.
- Ils m’ont forcé à me battre. Tué ou être tué. J’ai gagné les premiers combats mais rapidement, je me suis retrouvé face à plus fort que moi. J’aurais dû mourir sur le sable sous les cris de ces salopards de parieurs mais j’ai eu de la chance : dans une arrière cuisine, j’ai trouvé un foudre. Tu sais ce que c’est ?
- Un gros tonneau, répondit Elian d’un ton neutre.
Narhem hocha la tête.
- La plupart des gens l’ignore. Bref, ce foudre a aiguisé ma curiosité car vois-tu, je n’avais jamais vu un seul elfe noir consommer de l’alcool.
- Elfe noir ? répéta Elian qui, cette fois, ne put s’empêcher d’intervenir. Mais…
Soudain, elle comprit.
- Vous avez connu L’Jor ?
Narhem hocha la tête.
- Mais quel âge avez-vous ?
- Laisse-moi raconter. Tu vas comprendre.
Elian ravala toutes ces questions. Oui, elle allait écouter et serra les dents en se faisant la promesse de ne plus ouvrir la bouche.
- Naturellement, j’ai goûté le contenu du foudre. Ils appelaient ça du Fenshy. Ils m’ont assuré que c’était naturel, qu’aucune magie n’habitait cette boisson mais j’ai du mal à le croire. Quand j’ai avalé une gorgée de Fenshy, je me suis senti… immensément bien, requinqué, revigoré. Finie la faim, finie la soif, finie la douleur, finie la fatigue. Pendant une paire d’heures, j’ai été dans une forme olympienne. Tous les jours, je suis allé en cachette en consommer. Je suis devenu un champion dans l’arène jusqu’au jour où j’ai utilisé les lois de ses salopards d’elfes noirs contre eux. J’ai défié leur roi et j’ai gagné, montant ainsi sur le trône.
S’il avait vaincu le roi des elfes noirs et qu’il vivait encore, alors cela signifiait que ce titre lui revenait de droit, faisant de Saelim un usurpateur. Pas étonnant que les anciens refusaient de le suivre. Pas étonnant qu’ils écoutaient une petite voix lointaine. C’était celle de leur roi légitime.
- Les mener à leur perte a été tellement facile, naïfs petits êtres primitifs.
Il expliqua en détails comment il s’y était pris pour les manipuler, les amener à s’entre-attaquer, à se trahir les uns les autres. Elian écouta en silence, enregistrant, consciente que si elle parvenait à rapporter ces vérités à Dalak, les anciens cesseraient de manière certaine de vénérer ce roi maléfique.
- J’ai permis leur extermination, annonça fièrement Narhem, n’en laissant qu’une poignée en vie dans les terres mortes du sud. Ceci dit, j’ai reçu de l’aide sur la fin, celle d’une femme à la peau noire en robe blanche demeurant dans les jungles miraculeuses du sud. Putain de magicienne ! Ce que je peux haïr la magie mais elle a été d’une connerie inimaginable. Pour me punir d’avoir exterminé les elfes noirs, elle m’a donné l’immortalité. Peux-tu imaginer punition plus douce ?
- Quoi ? s’exclama Elian, qui ne comprenait pas bien.
- Comme je te le dis ! Elle devait être une amie des elfes noirs parce qu’elle n’a pas du tout apprécié mes actes. En punition, elle m’a rendu immortel.
- Je ne saisis pas.
- Frappe-moi de ta dague, proposa Narhem en s’arrêtant de marcher pour la première fois depuis leur départ. Vas-y ! Tu n’auras aucune représailles pour cet acte.
Elian dégaina avec douceur puis enfonça la lame en plein cœur. Narhem ne cilla pas. Elle retira son arme, propre, exempt de sang. La blessure n’existait déjà plus.
- Immortel ! répéta-t-il en reprenant sa marche. Je vais être honnête : au départ, ça a été une malédiction et ça n’est pas simple tous les jours. Devoir sans cesse tout recommencer. Voir mes amis, mes enfants, les personnes que j’aime, mourir, n’est pas simple. J’ai eu des moments creux où j’ai tenté de contrer cette putain de malédiction et de mourir. J’ai tout essayé. En vain. Le feu, la noyade, sauter depuis le haut d’une falaise, non, rien n’y fait, je me relève toujours.
Elian secoua la tête. Qui ferait cela ? Pourquoi maudire de cette façon ?
- Vous voulez mourir, comprit Elian.
- Pourquoi dis-tu cela ? demanda Narhem en affichant sa surprise.
- Vous voulez l’anneau d’Elgarath, celui-là même qui a été en mesure de supprimer une malédiction. Vous voulez le mettre et espérer qu’il vous permettra enfin de trouver le repos ?
Si c’était le cas, Elian le lui donnerait volontiers et planterait avec joie sa dague dans son cœur pour lui rendre ce service.
- Non, Elian, le contra-t-il. J’aime ma vie. J’ai appris, j’ai grandi, j’ai évolué. Ça a été tout, sauf facile, mais aujourd’hui, je suis heureux de vivre.
Cet homme, né mortel, avait cherché à se tuer à de nombreuses reprises avant de finalement accepter son éternité. Elian aurait-elle à tenter de suicider avant de finalement intégrer sa nature eldarin ?
- Alors pourquoi vouloir un anneau capable de vous retirer cette immortalité que vous chérissez tant ?
- Parce que cette putain de magicienne n’a pas été si bête que ça. Je suis doublement maudit.
- Comment ça ?
- Immortel mais avec la fidélité à la terre.
- J’ignore ce que cela signifie.
- Quiconque m’est fidèle ne peut quitter mes terres sans mourir, expliqua Narhem.
- Vous ne pouvez pas envahir vos voisins, comprit Elian. La manipulation, la politique, les intrigues, le marchandage, la corruption sont vos seules armes.
- J’ai une immense quantité de soldats très bien formés, à pied, à cheval, sur mer, sur terre. Ils protègent mes frontières de… rien, en fait. Je suis allié avec les Troliens et Falathon m’ignore. Ils s’ennuient. Je pourrais envahir Falathon et de là, enfin raser Dalak sauf que…
- Votre belle armée tombera à l’instant où elle posera le pied en terres ennemies.
- Tu as compris.
- Sauf si vous portez l’anneau d’Elgarath. Vous deviendrez mortel mais vos armées iront où bon leur semble.
- Une fois Falathon conquis, je remets l’anneau pour me requinquer puis on repart vers Dalak, où j’exterminerai les elfes noirs jusqu’au dernier, prenant enfin ma revanche.
- Les elfes noirs, je comprends. Mais les orcs ?
- Je reconnais que j’ai eu tort, avoua Narhem. Ils ne faisaient qu’obéir à leurs maîtres. Je me suis rattrapé depuis, en leur offrant soutien, assistance, nourriture.
- Et en les envoyant mourir sous les remparts sud de Falathon ?
- Si une petite comtesse de merde n’avait pas empêché la trouée de se terminer, une poignée d’orcs seulement seraient morts. Ils ont longé la forêt, à la recherche d’un passage inexistant. Je l’ignorais. Je regrette sincèrement ces pertes. Je ne voulais pas que ça se passe ainsi.
- Les orcs ne vous sont pas fidèles ?
- Les orcs sont des animaux. La malédiction ne concerne que les humains et les elfes, des bois ou noirs. Mon meilleur cheval ou mon chien le plus loyal peut passer la frontière sans risque.
- Vos oiseaux aussi, comprit Elian.
Narhem acquiesça d’un geste de la tête.
- Ceci dit, si une petite voleuse de merde n’avait pas trahi sa guilde en dérobant l’anneau d’Elgarath que je m’apprêtais à acheter, tout ceci aurait été évité. De même que de nombreuses vies auraient été épargnées si une petite elfe des bois de merde n’était pas apparue par miracle pour voler son trône à ma marionnette de Beïlan.
- Beïlan, qui a quitté son poste à Irin parce qu’il voulait me baiser, ouvrant une voie royale à Ceïlan pour monter les elfes contre vous, annonça Elian.
- Avant cela même : si une petite comtesse capable d’aller plus vite qu’un cheval n’avait pas porté des messages alors que je faisais tout pour rendre la capitale aveugle, la victoire aurait été à portée de main. Ou encore si cette petite comtesse eldarin n’avait pas contacté les dissidents pour leur demander de venir prêter main forte, tant sur les remparts que comme coursiers un peu partout dans le royaume. Ensuite, tu viens sur mes terres, trop aimable, tu subis un interrogatoire auquel tu réponds. Tu n’y peux rien si on ne t’a pas posé la bonne question. Où est Laellia ? Elle est à la guilde des assassins. Après tout, que t’importe d’indiquer sa localisation puisque tu sais qu’elle n’est pas la gardienne de l’anneau. Tu es d’ailleurs la seule, en dehors de Brian, à le savoir et pour cause, tu es la vraie gardienne.
Elian plissa des yeux. Cet homme voulait l’anneau, certes, mais pas seulement. Elle n’avait eu de cesse de lui mettre des bâtons dans les roues. Il comptait la torturer et y prendre beaucoup de plaisir. « Nie autant que tu veux. Au contraire, réfute, oppose-toi. Ça n’en rendra la suite que plus distrayante » se souvint Elian. Elle était son ennemi autant qu’il était le sien et la rencontre était clairement en sa défaveur. La haine que cet homme lui portait était immense et personnelle.
- Que vous m’ayez pris en grippe, je le conçois. Mais les elfes des bois ? Qu’ont-ils fait pour…
- Rien, la rassura Narhem. Je n’ai rien contre eux et je ne souhaite en aucun cas m’en prendre à eux. Lorsque j’attaquerai Dalak, je le ferai en contournant le lac Lynia par l’est afin d’éviter toute rencontre avec les elfes des bois. S’ils interviennent dans ce conflit, je serai obligé de les réduire au silence mais ça ne sera pas de gaieté de cœur. Je préférerais autant qu’ils restent bien à l’abri en haut de leurs arbres.
- Pendant que vous tuez leurs frères ?
- Frères ? répéta Narhem. Qu’avez-vous en commun ? Un peu de pointe sur les oreilles ? C’est bien peu pour vous considérer comme appartenant à la même famille.
Elian fronça les sourcils et préféra ne pas entrer dans le sujet. Plus elle passait de temps avec les elfes noirs et plus elle se sentait proche d’eux. Les points communs étaient bien trop nombreux pour être balayés d’un revers de la main. Pour la première fois, elle était en désaccord avec son agresseur. Il venait de lui confirmer vouloir anéantir les elfes noirs et elle comptait bien l’en empêcher. Il fallait trouver un moyen de mettre un terme à sa bien trop longue existence afin de protéger les elfes, tous les elfes, mais comment ?
- Pour information, indiqua Narhem, Khala était mon second à l’époque. Il me vénérait comme un dieu. Il pensait que je leur offrais la terre promise. Il était stupide mais il me vénérait.
- Je l’ai tué en légitime défense, répliqua Elian, et cela m’a coûté une blessure au métal noir. D’ailleurs, pourquoi cette ancienne blessure se ravive-t-elle lorsque vous sortez votre dague ?
- Parce que j’ai exterminé les elfes noirs et que la connaissance est morte avec eux. Les survivants ne sont que des femmes ou des combattants. Ils ne savent rien. Les elfes noirs fonctionnent par castes fermées. Lorsque l’une d’elle disparaît, le savoir part avec elle. Les mineurs savaient tous qu’on ne guérit jamais d’une blessure au métal noir et que par la suite, la simple présence proche du métal ravive la douleur.
- Ma dague est en métal noir. Je l’ai prise au soldat à qui j’ai révélé l’emplacement de Laellia. Je ne ressens strictement rien quand je la sors. Votre lame… à peine elle apparaît que la souffrance me transperce.
- Tu es faible, dit-il d’un ton neutre. Tu avances lentement. Tu vois ce désert ?
Elian leva les yeux. Jusque-là, ils suivaient un cours d’eau et malgré la chaleur, Elian suivait même si elle peinait. Elle hocha la tête.
- Il va falloir le traverser, en plein milieu. Je marche déjà très lentement pour m’adapter à ton rythme. Je ne tolérerai pas un ralentissement plus profond. Prends sur toi et avance ! gronda-t-il.
- La douleur que vous avez ravivée est difficile à contrer. Avez-vous idée de ce que ça fait ?
- Non, je n’ai jamais eu le malheur de connaître ça. Avance ou la douleur augmente.
Elian serra les dents et puisa au plus profond d’elle-même afin d’augmenter sa régénération.
- La flèche qui t’a blessée n’était pas en métal noir, annonça Narhem alors qu’Elian avait réussi à accélérer le pas.
Il la récompensait en reprenant les échanges, comprit Elian.
- Quoi ?
- Il s’agissait d’un alliage, un subtil mélange d’acier et de métal noir. Ce minerai est extrêmement difficile à extraire, coûteux en énergie, en temps et surtout en main d’œuvre car les esclaves meurent dans d’atroces souffrances en se blessant dans les boyaux souterrains.
Elian blêmit. Ces pauvres mineurs vivaient tous l’horreur immonde de cet enfer sombre.
- Toutes les armes que j’ai fournies aux elfes noirs étaient des alliages. Les forgerons elfes noirs comptaient parmi les meilleurs. Ils réalisaient des merveilles mais il y avait si peu de matière première.
- Existe-t-il des armes exclusivement faites avec du métal noir ?
- À ma connaissance, deux, une dague et une épée. Les miennes. En métal noir pur pour le roi des elfes noirs.
Elian blêmit. Voilà pourquoi elle souffrait. Ces armes uniques au monde la blessaient par leur simple présence.
- Qu’avez-vous fait après avoir été maudit ?
- Je suis retourné à L’Jor mais ce pays, devenu la Trolie, était aux mains des anciens esclaves pour qui je n’étais rien. Je suis retourné chez moi. Après des années d’effort, je suis monté sur le trône, pas en me battant mais en gravissant les échelons, en prouvant ma valeur intellectuelle, en me montrant brillant et intelligent. J’ai mérité ce poste et je suis entouré de personnes fidèles et loyales.
- Qui meurent si elles quittent votre territoire.
- C’est ça. D’où mon besoin de l’anneau d’Elgarath. Avant d’envoyer un ambassadeur en Trolie, je dois m’assurer qu’il ne m’est pas fidèle. Quelle horreur ! Seuls les traîtres ont le droit de porter le titre d’ambassadeur. Du coup, de temps à autres, je m’y rends moi-même mais je suis occupé. Je ne peux pas perdre du temps à faire des ronds de jambe. Cette malédiction me prive de bien d’autres leviers que d’une armée. Je veux qu’elle cesse.
Elian baissa les yeux. Il ne fallait en aucun cas qu’il ait l’anneau. Il massacrerait tous les elfes à l’instant où il l’aurait.
La marche fut ensuite silencieuse. Elian réfléchissait beaucoup. Narhem était obligé d’aller lui-même rencontrer les dirigeants alentours. Elian aussi par manque de confiance en son propre peuple et de volontaires. Cet homme était né mortel puis devenu immortel. Elian était née humaine puis devenue elfe. Narhem avait développé une profonde haine envers les elfes. Allait-elle entrer dans la même folie que lui ? Elle secoua la tête. Jamais elle ne deviendrait comme lui.
- Les troliens ne sont pas surpris de voir le roi d’Eoxit ne jamais vieillir, ne jamais manger, ne jamais boire, ne jamais dormir ?
- Je mange, je bois et je disparais dans ma chambre pour donner le change. Quant à ne pas me voir vieillir, je viens assez peu souvent, je change de vêtement, je laisse pousser ma barbe ou mes cheveux et comme mes interlocuteurs changent, cela passe totalement inaperçu.
- Vous ne pouvez pas leurrer votre propre peuple…
- Mon peuple sait que je suis immortel.
- Ça ne les dérange pas ?
- Ce pays était une ruine à mon arrivée. Les guerres intestines le rendaient faible. Les nobles contre les paysans, les habitants de l’ouest contre ceux de l’est. Les brigands s’en donnaient à cœur joie dans ce foutoir. Aucune politique commune. Des inégalités. Des injustices. J’ai rétabli l’ordre, l’équité, la sécurité, l’hygiène. Mon peuple apprécie que je sois immortel. Il aime savoir qu’aucun abruti ne risque un jour de monter sur le trône et détruise ce paradis que j’ai crée ici.
Elian n’osa rien répondre. Où se situait la limite entre l’affabulation et la vérité ? Elle n’aurait su le dire et préféra garder ses réflexions pour elle.
Le désert vaincu, les montagnes suivirent. Elian se remettait doucement de la douleur du métal noir, permettant à la cadence d’augmenter encore. Elian restait admirative devant cet humain avançant sans boire, ni manger, ni dormir, ni se fatiguer. Il l’attendait, ralentissant son pas lorsqu’elle faiblissait, lui tendant la main devant de gros obstacles, allant lui chercher de l’eau. Malgré sa nature elfique, elle peinait à suivre le rythme infernal qu’il menait.
Les plaines fertiles agricoles pointèrent, ponctuées de villages, de villes, de campements, de forts. Narhem salua chacun et tous le lui rendirent, par un mot pour les paysans, un geste militaire pour les soldats. Les gens se pressaient autour d’eux à chacun village.
Elian constata que des éclaireurs à cheval prévenaient de leur arrivée et bientôt, la reine des elfes comprit. Narhem n’était pas le centre de l’attention. Seule l’elfe l’était. « Ange » put-elle entendre dans la foule et elle grimaça de dégoût. Elle en tremblait de rage. Elle aurait voulu les étriper, les égorger, les faire taire à jamais.
- C’est un compliment, tu sais, de te comparer à un ange, indiqua Narhem.
Elian gronda et il sourit pour toute réponse. Heureusement, du fait de leur haute vitesse de marche, aucun humain ne pouvait les suivre bien longtemps sans s’écrouler, le visage rouge, haletant, la main au côté.
- Nous sommes arrivés, indiqua Narhem alors qu’Elian ressentait la présence proche de l’océan.
Elle se sut totalement à l’ouest du continent. Ils l’avaient traversé de part et d’autre en une lune à peine. Le camp fortifié en pierre rayonnait. Très bien gardé, le pénétrer aurait demandé une sacrée volonté. Elian, malgré son passé de monte en l’air et d’assassin, n’était pas certaine de pouvoir y arriver.
De nombreuses personnes croisèrent Narhem mais nul ne vint l’embêter et ce bien que le maître, absent depuis un très long moment, devait être requis sur de nombreux points. Elian supposa qu’il avait donné des ordres et qu’il était scrupuleusement obéi. Elle le jalousa, elle à qui aucun elfe n’obéissait jamais.
- Entre, dit-il alors qu’ils venaient de descendre plusieurs volées de marches.
Elian pénétra dans le cachot éclairé par une petite meurtrière étroite.
- Au fond, contre le mur, précisa-t-il.
Elian obtempéra et à peine eut-elle touché le mur qu’une aiguille transperça son épaule. Narhem venait de sortir sa dague et sous ses yeux, il la posa au sol, juste devant la porte.
- Chaque jour, la distance entre elle et toi se réduira. Elle ne s’en ira que lorsque j’aurai l’anneau d’Elgarath dans la main.
- Allez voir dans une tanière d’ours. Il s’y trouve sûrement.
Narhem sourit pleinement puis disparut dans le couloir, ne s’embarrassant même pas de fermer la porte. Elian se leva et s’avança prudemment vers l’entrée ouverte. Elle réalisa de nombreuses tentatives mais rien n’y faisait, la douleur la clouait sur place à peine elle avançait vers l’arme inerte. Elian retourna contre le mur du fond, enrageant contre ce simple objet la privant de sa liberté.
- Plongez dans l’océan à des lieues de la côte. L’anneau d’Elgarath repose sur le fond, dit Elian le lendemain.
Du bout du pied, Narhem déplaça l’arme vers Elian en souriant.
- Creusez la tombe de Brian. Il le porte à son annulaire droit.
Troisième journée. Elian ne recevait aucune visite en dehors de Narhem. Ni eau, ni nourriture, Elian comprit qu’il prenait son temps, savourant ce moment. La torture serait longue. Le plus endurant gagnerait. Elle ne comptait pas faiblir.
- Il est dans le nid des aigles au pic des rapaces.
La douleur augmentait lentement, doucement. Chaque avancée de l’arme cisaillait un peu plus Elian, rendant son épaule sensible. L’acide dans ses veines parcourait tout son corps. Elle passait ses journées en méditation, prenant soin d’être bien éveillée lorsqu’il venait.
- Une couleuvre l’a avalé. Bon courage !
Les yeux dans les yeux, ne laissant rien paraître de sa souffrance.
- Brian l’a fait fondre. Il n’existe plus depuis des années.
Une lune depuis son enlèvement de Gjatil, estima Elian. Nul ne viendrait à son secours. La retrouver relevait de l’impossible. Il avait trop bien monté son coup. Ça serait un face à face. Lui contre elle.
Surprise ! Narhem était accompagné cette fois !
- Elian ? lança Katherine en lambë. Qu’est-ce que tu fais là ?
- Je m’en fous, dit Elian en ruyem. Vous pouvez la torturer ou la tuer. Je m’en fiche totalement.
- Je sais, répondit Narhem. Tu n’as pas hésité à faire torturer et tuer sa tante alors je me doute.
- Vous l’avez torturée et tuée, nuança Elian.
- Et je regrette d’avoir dû le faire, précisa-t-il. Je déteste m’en prendre aux humains. J’évite au maximum. J’ai été extrêmement peiné en apprenant son ignorance et qu’elle avait dû subir tout cela pour rien. J’ai trop de vies humaines sur les mains. Moins j’en prends et mieux je me porte.
- Vous regrettez aussi d’avoir assassiné son grand-père et son père ? accusa Elian.
- Je ne comprends pas, dit Katherine. La porte est ouverte et il n’y a pas de garde. Pourquoi ne s’enfuit-elle pas ?
- Je te renvoie la même question, cracha Elian qui ne comprenait pas pourquoi sa filleule, la princesse de Falathon, se tenait aux côtés de cet homme sans chaîne ni attache.
- Parce qu’elle ne peut pas s’approcher de la porte. Elle s’écroulerait avant d’avoir atteint le seuil, indiqua Narhem. Toujours rien à me dire ?
- Allez chercher un milieu d’un bûcher, il y est peut-être… répondit Elian.
La douleur enfla un peu plus. Elian grimaça. Bouger était impossible. Le moindre mouvement la rapprochant de la dague lui incisait le ventre. Insupportable…
- Dansez nu sous la pleine lune sur le rocher aux sorcières en chantant le bransle du paysan et l’anneau apparaîtra sous vos yeux ébahis.
- C’est trop facile, dit Narhem que Katherine n’accompagnait plus.
- Quoi donc ? répondit Elian.
- Katherine… Elle est molle, influençable, fragile, naïve, incompétente. J’ai à peine eu à la menacer et elle s’est assagie. Elle obéit à tout. Un petit chien bien dressé… sauf que ça ne m’a rien demandé. Trop facile. Tu l’as bien mal élevée.
- J’ai fait ce que j’ai pu sous les regards incendiaires de mon peuple.
- La persévérance, le courage, la volonté, la force d’esprit, tout cela s’acquièrent dans les premières années alors qu’elles étaient sous ta protection. Althaïs est-elle aussi inutile ? Rouk étant un abruti, Falathon n’est pas prêt de relever le nez.
- Althaïs sait se battre, le contra Elian.
- Compétence on ne peut plus inutile pour une reine, fit remarquer Narhem. Franchement, tes compétences en combat rapproché et en archerie t’ont aidée à gouverner Irin ?
Elian baissa les yeux. Narhem sortit, sans oublier de rapprocher un peu plus l’objet de la tourmente.
Il fallut de nombreux jours à Katherine pour trouver le courage de revenir voir Elian seule, sans Narhem et à voir son allure, elle n’avait pas le droit d’être là. Cependant, la domination de ce démon était déjà bien ancrée. Malgré ses nombreuses tentatives, Elian ne parvint pas à faire retirer la dague à sa filleule.
Le lendemain, Katherine revint avec un plateau de fruits et une dague. Lorsque Katherine lui expliqua qu’elle la lui offrait afin qu’elle puisse se suicider et quitter enfin ce tourment, Elian n’en revint pas. Non seulement la proposition était ridicule mais en plus, cela prouvait que Katherine n’avait pas remarqué qu’Elian était toujours armée.
En maudissant les inaptitudes de sa filleule, Elian se rabattit sur un fruit, s’attendant à ce que Narhem l’en empêche. Il ne la déçut pas. Elle lâcha la prune sur son ordre avant de s’isoler mentalement. Katherine dut déguster le panier devant elle. Elian n’en avait cure. Il voulait la voir sombrer. Il pouvait toujours courir.
Katherine dut prendre la lame et ordre lui fut donner de la rapprocher, beaucoup. Elian se prépara à souffrir mais contre toute attente, la douleur disparut. Elian, surprise, ne profita pas de l’occasion et la douleur revint d’un coup lorsque Narhem retira la lame qui venait de transpercer son cœur.
Katherine venait de le frapper de sa dague… de métal noir pur… et le démon n’avait pas bronché. Narhem jeta la dague et Elian hurla. La douleur venait de grimper très vite. La lame de feu transperçait son épaule et la putréfaction envahissait son bras d’un côté, son poumon de l’autre. Ce fut dans un brouillard qu’elle perçut Katherine se faire rouer de coups par Narhem. Lorsqu’il eut fini, elle le remercia.
« Merci » répéta Elian dans sa tête et soudain, elle comprit. Katherine était perdue. Elle lui appartenait désormais. Elle ne lui serait d’aucun secours. Il connaissait l’art de manipuler les esprits et transformait Katherine pour la faire sienne. Elian se résigna. Elle contre lui. Un combat perdu d’avance.
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Si Elian avait pu bouger, elle aurait pu prendre la dague tant elle était maintenant proche d’elle.
- Va curer les latrines de Tur-Anion. Brian l’a jeté dedans, parvint à articuler Elian.
- Tu es une adversaire de valeur, à n’en pas douter, admit volontiers Narhem. Passons le cran supérieur.
Elian ne disposait pas de miroir mais elle voyait ses bras et ses veines sailler à travers sa peau transparente. Nul doute que son apparence devait être atroce. Narhem s’éloigna pour s’arrêter au niveau de la porte.
- Ça va faire mal, prévint-il avant de dégainer son épée.
La douleur explosa dans le crâne d’Elian qui hurla. Elle savait que Narhem était parti en laissant son épée de métal noir pur sur le sol mais Elian n’était désormais plus en mesure de prononcer un son ou de voir. Elle n’était plus que douleur, souffrance, chaque partie de son corps exposée à la brûlure, au broiement, aux incisions. Plus aucun répit n’existait. Elle s’écroula sur le sol, la station assise lui étant désormais intenable.
Elle sentit la présence de Narhem mais elle ne pouvait pas parler. Aucun son ne sortait. Elle n’était que douleur. Elian repensa à la proposition de Katherine. La mort offrirait enfin un répit. Même si Elian avait voulu le faire, elle n’en était plus capable. Son corps ne répondait plus. Ses os brisés en mille morceaux, ses muscles déchiquetés, ses organes internes broyés, ses poumons remplis d’eau, son cœur martelé, son cerveau comprimé, ses dents arrachées, ses ongles retirés, sa peau écorchée et son épaule… douleur indescriptible, violente, infinie, illimitée, profonde, saillante, brûlante…
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La douleur, qui n’avait eu de cesse d’augmenter jusque-là, cessa brusquement mais Elian ne pouvait plus bouger. Son corps en morceau s’y refusait. Un coup de pied dans le ventre lui fit ouvrir les yeux.
- Suis-moi, en rampant s’il le faut, l’entendit-il lui ordonner.
Il avait replacé ses armes dans leurs fourreaux mais le métal noir ne partait pas immédiatement. Une telle douleur mettrait du temps à s’estomper… des années, estima Elian. Katherine, présente, souleva Elian, l’aidant à avancer, ce dont la reine elfe aurait été incapable seule.
Elle fut posée sur le sol. Elle se sut à l’air libre. En levant les yeux, elle aurait pu voir le ciel, le soleil, les nuages, des arbres, peut-être même des oiseaux. Elle ne pouvait pas. Elle n’était qu’une ombre, plus morte que vive.
Narhem l’attrapa par les cheveux, sur le dessus de la tête, la forçant à regarder devant elle. Elle voyait trouble, des formes humanoïdes bougeaient dans le lointain. Elian aurait été incapable de distinguer les traits d’un seul d’entre eux.
- Maman ? entendit-elle crier en ruyem.
Lorendel ? reconnut-elle. Pourquoi était-il là ? Elle cligna des yeux, tentant de le voir mais le brouillard ne se leva pas.
- Maman, murmura Narhem à son oreille. Tu veux dire que… Lorendel est ton fils. C’est un jour merveilleux.
Pourquoi était-il là ? Il n’aurait pas dû être là ! Theorlingas aurait dû le ramener en sécurité à Irin. Ce fort n’était certainement pas la place d’un elfe. Theorlingas connaissait le danger de ce pays. Pourquoi avoir une nouvelle fois tenté un sauvetage ? C’était perdu d’avance. Lorendel n’aurait pas dû être là.
- Non, murmura Elian.
Il rit bruyamment.
- Tu vois l’enclos, là, chuchota Narhem en lui désignant un endroit. Il contient des orcs affamés. J’ai déjà vu de mes yeux ces bêtes avaler un corps en moins de deux tours de moulin par grand vent. Humain ou elfe, peu leur importe quand ils ont faim.
Elian gémit. Elle n’avait jamais vu d’orc mais avait entendu de nombreuses histoires sur la façon dont ils dévoraient un mouton en un claquement de doigts.
- Jetez-le dans l’enclos, ordonna Narhem d’une voix forte. Non, pas l’elfe, le brigand !
Il y avait quelqu’un d’autre, un elfe. Theorlingas, comprit Elian. Il était là. Lorendel n’avait rien demandé. Il était innocent.
- Non ! murmura Elian.
Elle ne parvint qu’à observer de vagues mouvements dans son champ de vision, des formes qui s’avançaient vers un endroit sombre. Elle entendait son fils gronder.
- Dans mes cheveux, murmura Elian. Il est dans mes cheveux. Je vous en prie, épargnez-le.
Les mouvements cessèrent. Elian observa Lorendel mais la douleur la rendait aveugle. Narhem venait de sortir sa lame. L’horreur noire frôla sa cicatrice et un incendie ravagea son corps tout entier, ne laissant aucun refuge. Le métal noir trancha les cheveux et Elian sentit son esprit défaillir. La folie la guettait. Ses oreilles perçurent un cri puis des bruits atroces de mastication et d’os brisés. Ce salopard avait jeté Lorendel malgré l’obtention de l’anneau.
- Non ! hurla Elian avant de murmurer : Lorendel.
Cet enfant innocent venait de perdre la vie pour rien. Le démon venait de se venger d’années de lutte, de batailles perdues, de plans démontés.
Elian revit son fils, dansant avec elle au son d’un bransle, découvrant le goût de la bière, riant aux éclats en sautant de branches en branches à Irin. Elle revit le jour de sa naissance, petit bébé déposé dans ses bras. Ses premiers pas, son premier « maman », son premier chant en lambë, sa première passe réussie, leurs combats amicaux, son sourire… Il était sa lumière, son rayon de soleil.
Elian se sentit emplie de remords. Pourquoi l’avait-elle quitté si souvent pour lui préférer Dalak ? Si elle était restée, elle aurait pu partager tellement plus avec lui. Trop tard pour ces moments perdus. Lorendel ne lui offrirait plus jamais le bleu de ses yeux, ses câlins, sa tendresse, sa jeunesse rafraîchissante, loin des critiques et insultes des elfes d’Irin, le seul à l’aimer, inconditionnellement.
Ne valait-il pas mieux mourir et le rejoindre ? À quoi bon rester en ce monde ? Pour qui ? Pour quoi ? Sauver les elfes de la mort fondant sur eux ? Qu’est-ce que leur extermination changerait ? Les humains possédaient déjà ce monde, n’en laissant que des miettes aux elfes. L’espèce en voix d’extinction déclinerait un peu plus vite, voilà tout.
Elian, la fille d’Ariane, éloignée pour apporter un regard neuf, extérieur. Elle était censée trouver la solution. Ils pouvaient aller se faire foutre ! Tant de poids à porter ! Et puis quoi encore ? Elian était censée sauver les elfes de l’apocalypse. C’était bien trop demander. Non, elle allait mourir ici et laisser les elfes se débrouiller. Narhem fondrait sur eux et les exterminerait jusqu’au dernier. Tant mieux. Ils cesseraient de souffrir et trouveraient enfin le repos, comme Lorendel.
Elian vit défiler devant elle les visages des enfants d’Irin, aussi purs que Lorendel, innocents. Ils allaient mourir, comme les autres, comme Brian et Laellia, morts dans cette guerre que Narhem s’apprêtait à gagner. Les combats duraient depuis tellement longtemps ! Comment vaincre un être immortel ?
Immortel ? Sauf lorsqu’il portait l’anneau et nul doute qu’il allait le mettre au plus vite afin de tester son pouvoir. Il attendait depuis tellement longtemps. Il allait envahir Falathon au plus tôt. Il était prêt, rongeant son frein depuis des lunes. Pour la première fois depuis des siècles, il était mortel. Un coup suffirait à réduire le démon au silence.
Elian perdit toute envie de mourir. Une formidable volonté de vivre s’empara d’elle et le chant retentit. Elle l’entendait, parfois, dans le lointain, lorsqu’elle avait besoin de soutien. Elle se souvint de la première fois, juste après que Dolandar ait failli à sa mission de protection. Seule, perdue en pleine forêt, le chant elfique l’avait guidée. Qui chantait aussi bien ? Comment se nommait son ange gardien ? Pourquoi murmurait-il ? Elle chercha à s’orienter afin de trouver sa direction. Peine perdue.
Elian s’enfonça dans un profond désespoir et le chant s’estompa pour disparaître. La douleur liée au métal noir redoubla de puissance. La torture vrillait l’esprit d’Elian. Laellia avait-elle eu à subir de tels assauts ? Elian se revit corriger les fautes de lambë de son amie dans sa chambre à Liennes puis son esprit sauta au mariage de Brian, alors que Laellia, sous les regards d’une foule ahurie, sortait de dessous sa robe le précieux anneau royal.
Morte pour rien, elle aussi. Le démon possédait le trésor. Tous morts pour rien : Arthur de Baladon, Brian Eldwen, tombés dans des batailles d’une guerre désormais perdue. Elian revit Laellia lui sauter au cou, victorieuse du tournoi annuel d’archerie de Tur-Anion, puis sa jalousie. Ceïlan… Elian revit son frère et son cœur battit à tout rompre. Son cher frère, premier confident, il avait su lui donner confiance en elle, assez pour détacher ses cheveux blonds et les montrer au monde. Il avait été le premier à voir une elfe en elle. Le chant revint, berçant Elian. Ceïlan chantait-il pour elle ?
Elle revit la première fois qu’elle avait posé les yeux sur lui, à Tur-Anion, pendant le tournoi d’archerie. Le monde avait disparu. Il n’y avait plus eu que lui, ses traits, son visage, ses yeux, ses mains, son corps… Elian avait déjà vu des elfes mais Ceïlan faisait battre son cœur. Penser à lui suffisait à faire couler du nectar dans ses veines, solidifier ses os, raffermir sa volonté, augmenter sa force.
Elle allait mourir sans avoir jamais partagé de moment intime avec lui, amour à jamais perdu, temps gâché pour la seule et unique raison qu’ils avaient la même mère ? Notion inexistante chez les elfes… La parentalité n’avait aucune importance. Ceïlan était un elfe… parmi d’autres… mais un faisant vibrer Elian jusqu’au plus profond de son ventre. Ceïlan… Elle tourna ses pensées vers Irin, espérant que le chant venait de son frère mais la mélodie s’évanouit.
Elle se revit marchant de branches en branches. La reine humaine, murmuraient les elfes dans son dos. Elian retrouva sa solitude tandis qu’à peine sortie de l’enfance, elle devait élever trois enfants. Nul ne l’aidait. Nul ne venait la soutenir malgré les pleurs des bébés. Elle était seule, reine méprisée de son peuple.
Theorlingas revenait près d’elle, de temps à autre. Il lui offrait son corps, pas son soutien. Elle était son seul contact réel. Où était-il ? Narhem l’avait probablement jeté dans l’enclos des orcs lui aussi. Il aurait eu tort de s’en priver, après tout.
Elian était seule, totalement seule, nul ne viendrait à son secours… Désirait-elle seulement être secourue ? Narhem était mortel, certes. Encore fallait-il pouvoir le battre ! Cette foutue douleur la clouait sur place, l’empêchant de lever le petit doigt. Elle ne risquait pas de se dresser face à ce combattant aguerri dans cet état !
Elle allait mourir et n’avait qu’un seul regret : Ceïlan. Elle l’avait rejeté par peur de ses propres sentiments. Elle avait tout fait pour éviter le plus possible l’herboriste. Elle se souvint de sa frayeur lorsqu’il s’était écroulé après avoir levé son verre à Tur-Anion. Si elle l’avait perdu…
Elle en frémit de terreur. Ceïlan, son amour, son bien-aimé, son frère, elle le désirait tant. Pourquoi se l’être refusé ? Elle le savait consentant. Si elle réclamait, il accepterait et avec grand plaisir. Elle regrettait tant son éloignement, ce refus moral inutile et stupide.
Elle laissa ses pensées divaguer. Elle s’imagina avec lui, main dans la main, se rapprochant, marchant sous les arbres, les fleurs s’ouvrant sur leur chemin, les branches se soulevant pour les laisser passer sous le chant inaudible et merveilleux de Ceïlan.
Il lui souriait. Il s’approcha d’elle et l’embrassa. Elian le lui rendit et le rêve s’accentua, plongeant Elian dans les délices inconnus d’un érotisme intense. Tandis que son esprit créait pour elle le moment parfait, son corps devenait chaud, brûlant.
Le chant reprit et soudain, Elian comprit son erreur. Personne ne chantait pour elle. Ni ange gardien, ni Theorlingas, ni Ceïlan. Cette voix merveilleuse, vibrante, profonde et puissante était la sienne. Impossible de trouver la direction. Elle venait d’elle-même, de quelque part au creux de son ventre, là…
Le chant explosa, plus beau et plus rayonnant que jamais tandis que dans son rêve, Elian jouissait en compagnie de Ceïlan. Le mal noir recula devant une telle beauté, devant cette lumière brillante, étincelante. Encore ! hurla Elian à Ceïlan qui reprit avec vigueur.
Le corps frémissant, le bas-ventre en feu, Elian se redressa, d’abord à quatre pattes, puis accroupit, pour enfin se relever.
Elle n’avait qu’un seul but : tuer ce salopard. Tout en restant en contact avec son chant qui l’emplissait, ses pensées volant vers Ceïlan, elle s’avança jusqu’à la porte, qu’elle crocheta aisément, Narhem ne l’ayant jamais dépouillée de son équipement.
Elle sortit dans le couloir. Elle ne voulait qu’une chose : détruire ce monstre, libérant ainsi à jamais son peuple de la menace. « Commence déjà par celui dans la geôle voisine » dit une petite voix dans son esprit. Elian ouvrit la porte sur sa gauche pour y découvrir un Theorlingas ravagé par la tristesse.
- Elian ? s’exclama-t-il, abasourdi.
Elle ne lui adressa pas un mot. Il ne serait plus jamais l’exutoire de ses sentiments. Il méritait bien mieux. Elian l’avait utilisé et elle le regrettait. Si elle devait de nouveau coucher avec lui, ça serait par envie et non par rejet de son amour pour Ceïlan.
Elle se désintéressa de l’elfe blond. Elle avait bien mieux à faire pour l’instant. Elle se retourna et se dirigea vers l’extérieur. En bas des marches se trouvait un garde. En la voyant arriver, il frémit et resta immobile. Elian s’arrêta devant lui et le transperça des yeux.
- Où est Narhem ? demanda-t-elle.
- À la tour de surveillance sud, répondit-il, apparemment heureux de ne pas être la proie de celle-là.
Elian, silencieuse, ne lâcha pas l’homme des yeux.
- Oh, pardon, finit-il par lancer avant de lui expliquer rapidement où se trouvait cette tour et le chemin le plus simple pour s’y rendre.
Elian prit le chemin de la sortie sans que le soldat ne l’en empêche, ni elle, ni Theorlingas. Dans la cour, Elian ignora son environnement pour emprunter directement le chemin conseillé par le garde des cachots.
De nombreux soldats la virent passer. Ils eurent la bonne idée de ne pas se mettre en travers de sa route. Ils se contentèrent de l’encadrer, la suivant à distance respectable.
Ainsi, lorsqu’Elian arriva au pied de la tour de surveillance sud, une centaine de soldats l’escortaient. De là, Elian voyait l’océan plein sud, recouvert de navires prêts à envahir Falathon. Ils toucheraient terre dans quelques instants et nul ne les empêcherait. Elle s’arrêta devant le garde en faction devant la porte de la tour.
- Dites à Narhem qu’Elian est en bas et souhaite lui parler.
Le garde dévisagea la demandeuse puis la centaine de soldats qui attendaient, stupéfaits, la suite des évènements. Il haussa les épaules puis passa la porte. Elian se recula de quelques pas et attendit patiemment. La tour était haute. Il faudrait du temps au soldat pour gravir la centaine de marches.
Au loin, les navires s’approchaient tandis que la plage se vidait des pêcheurs. Elian cessa d’observer l’avancée de l’armée pour se concentrer sur la situation présente. Narhem apparut dans l’encadrement de la porte. Le regard qu’il posa sur Elian fut difficile à déchiffrer, un mélange de surprise, de joie, de curiosité. Elle n’y lut aucune animosité, aucune haine, aucun amour non plus. Il semblait simplement heureux.
- Je te défie, dit Elian en amhric.
Narhem afficha un visage neutre mais ses yeux pétillaient.
- Je vais utiliser mes propres armes, en métal noir, indiqua Narhem en amhric.
- Très bien, répondit Elian dans la même langue avant de se tourner vers l’ensemble des soldats.
Son regard embrassa l’assemblée. Elle observa chacun d’eux un par un avant de venir se planter devant l’un d’eux.
- Donne-moi ton épée, ordonna-t-elle en ruyem.
Le soldat jeta un œil derrière l’épaule d’Elian avant d’obtempérer. Elle ne pouvait décemment pas se battre avec une simple dague. Maintenant, le duel était honorable. Elian testa rapidement l’arme pour constater qu’elle avait bien choisi. Pendant qu’elle s’habituait à cette lame, Narhem parla à ses hommes mais Elian ne l’écouta pas. Elle ne comptait pas perdre sa concentration pour des broutilles.
- Éloignons-nous un peu, proposa Narhem.
Elian le suivit vers l’ouest. Ici, la falaise surplombait l’océan. L’endroit était magnifique. Les soldats formèrent un demi-cercle autour de la zone de combat, désireux de ne pas en perdre une miette. Theorlingas se perdait au milieu d’eux.
Sur le trajet, Elian vérifia discrètement que l’anneau d’Elgarath était bien fiché sur l’annulaire de Narhem et se retint de sourire en constatant sa présence. Elian respira profondément. Ne pas se croire gagnante. Ne pas sous-estimer l’adversaire. Narhem avait vaincu le roi des elfes noirs, le meilleur combattant de L’Jor. Il n’était certainement à prendre de haut. La moindre opportunité serait saisie, la moindre erreur fatale, Elian en était consciente.
Elian et Narhem se placèrent face à face, se saluèrent puis Narhem dégaina. Elian ne ressentit rien, aucune douleur, aucune aiguille de feu, aucune liquéfaction des organes. Totalement guérie, sa blessure ne la ferait plus jamais souffrir. Narhem cilla puis attaqua sans attendre. Elian esquiva et les combattants se remirent en place. La passe suivante se fit de la même manière.
- Combat, au lieu d’éviter ! gronda Narhem. Serais-tu une lâche ?
Elian ne répondit rien. Ses actes avaient deux buts : découvrir Narhem, ses forces, ses faiblesses et le fatiguer. Depuis des siècles, il ignorait la fatigue et la soif. Avec l’anneau, la réalité de la nature allait se rappeler méchamment à lui et sous le soleil brûlant, l’effet ne devrait pas tarder.
Elian para l’attaque suivante et repoussa son adversaire qui se rattrapa aisément. La lame de sa dague longea sa cuisse, ripant sur le vêtement elfique. Sans lui, Elian aurait été griffée par le métal noir et aurait dû subir ses effets. Au lieu de cela, elle était indemne. Narhem sursauta de surprise, ne comprenant pas ce qui venait de se produire.
Elian profita de ce moment d’égarement pour attaquer. Au dernier moment, elle lâcha son épée, le prenant de cours, changea sa dague de main, l’utilisa pour frapper la main gauche de son adversaire qui, de douleur, lâcha sa propre dague. Elian, d’un mouvement souple, ramassa son épée et reprit sa position, non sans avoir envoyé au loin la dague de métal noir pur.
- Ça fait mal ? lança Elian tandis que Narhem grondait.
Il venait de se faire blesser par une lame de métal noir, certes un simple alliage, mais tout de même. Pourtant, il semblait autant affecté que si l’égratignure ne portait pas ce mal. Elian éloigna ce détail pour se concentrer sur le combat, car Narhem semblait très énervé que son adversaire ait réussi à percer sa défense.
De colère, il fonça comme un taureau mais la reine des elfes ne se fit pas prendre au piège grossier. Bien sûr qu’il venait de feindre la rage pour déclencher une réaction chez son adversaire. Elian fit semblant de tomber dedans et au dernier moment, s’adapta au changement prévisible de Narhem. Dans la passe, Narhem perdit son épée. Désarmé, l’humain immortel recula. Elian s’avança vers lui tandis qu’il observait autour de lui, cherchant une porte de sortie inexistante.
Son propre chant enveloppait Elian, ne la quittant pas. Sa lame s’approchait du corps de Narhem, elle était prête. Elle allait enfin débarrasser le monde de ce démon, libérer son peuple de cette menace. Narhem sourit l’espace d’une seconde. Elian plissa des sourcils et sous ses yeux ébahis, il retira l’anneau de son doigt avant de se jeter dans le vide.
Elian se tourna vers les navires, sur l’océan. Ils voguaient toujours mais sur le pont, seuls des cadavres naviguaient. Il avait choisi sa propre vie plutôt que celle de ses hommes les plus fidèles. Il venait de tuer des milliers d’humains pour sauver son existence.
Elian baissa ses armes en observant le vide devant elle. C’était fini. Elle venait de perdre. Tout ça pour rien. Elle rengaina sa dague, ramassa les armes de métal noir, les jeta dans l’océan puis retourna vers les soldats.
Les hommes en armes s’écartèrent avec respect devant elle. Elle retrouva le soldat lui ayant prêté son épée et la lui rendit en le remerciant. Puis, elle s’éloigna en marchant vers l’est, Theorlingas sur les talons. Nul n’osa l’en empêcher. Ne venait-elle pas de prouver être capable de battre le meilleur combattant au monde ?
Sinon, chapitre très bien écrit, on revoit tout du point de vue d'Elian et j'aime beaucoup toutes ses fausses indications pour trouver l'anneau
Elian tient tête à Narhem (qui est ravi, d'ailleurs). C'est un moment fort entre ces deux-là. Ravie que ça t'ait plu !
Bonne lecture (encore une journée à dévorer mes mots. Encore merci ! Ça me réchauffe le cœur de voir que mon texte plait !)
Dansez nu sous la pleine lune sur le rocher aux sorcières en chantant le bransle du paysan et l’anneau apparaîtra sous vos yeux ébahis
Va curer les latrines de Tur-Anion. Brian l’a jeté dedans
Et sinon, est-ce qu'elle vient de réussir à se connecter à son moi intérieur ? Ariane a récupéré toutes les connaissances de [insérer nom de la magicienne qui lui a transmis], sauf la magie. Est-ce qu'Elian est la fille de Mamou, qui a une régénération surpuissante ?
Merci de te transmettre tes suppositions. J'adore !