CHAPITRE 4

Par Myfanwi

Molkov se réveilla en pleine nuit. Il jurait que le sol avait tremblé sous ses pas. Il entrouvrit les yeux, puis se redressa. Mara, pelotonnée contre lui, dormait toujours à poing fermé. Il la décrocha gentiment de lui et se leva. Dans le couloir, plusieurs naines curieuses passaient la tête par l'entrebâillement de leurs portes. Il n’avait pas rêvé donc. Une autre secousse, plus forte, ne tarda pas à le confirmer. Les murs vibrèrent sous ses doigts et plusieurs fissures se créèrent au plafond. 

“Grand-père ? appela Mara d’une voix ensommeillée. Qu’est-ce qui se passe ?

- Ne bouge pas, je vais aller voir.”

Il quitta la pièce et se dirigea vers l’accueil. A l’extérieur, des soldats couraient, armes à la main. L’un d’eux croisa son regard et s’avança jusqu’à la vitre de confinement.

“Une attaque d’orques est en cours, sonnez l’alarme et gagnez tous les sous-sol stériles.”

Molkov garda son sang froid et obéit. Il se rendit derrière le bureau et brisa la vitre qui protégeait le bouton d’urgence. Une alarme stridente se mit à raisonner dans tout le bâtiment. Les murmures qui traversaient les étages se transformèrent rapidement en cris de panique. Une marée de naines se précipita à travers la porte qui s’était ouvert derrière lui. Mara, perdue, se jeta dans ses bras. Elle avait suivi le mouvement. Le vieux nain la souleva du sol et la serra contre lui. Le garde à l’extérieur le remercia d’un signe de tête avant de retourner à l’extérieur. Molkov attendit patiemment que toutes les naines soient rentrées pour les suivre avec la petite et fermer la porte derrière lui. Cette porte ne pouvait pas être ouverte de l’intérieur, ni de l’extérieur sans le code détenu uniquement par les paladins de Balgröm. C’est eux qui annonceraient la fin de cet enfermement. 

Molkov sentit ses entrailles se tordre en réalisant qu’il n’assisterait peut-être pas aux derniers moments de Magda. Prisonnier avec toutes ces femmes, il devrait attendre sans pouvoir rien y faire. Un sentiment trop commun dans cette citadelle de pierre et d’acier. Mara, effrayée, avait niché son visage dans son cou. C’était bien trop d’émotions pour la pauvre petite qui n’avait encore jamais connu ces attaques que par des rumeurs. Les orques attaquaient régulièrement le centre ville, mais depuis le début de la quarantaine, ils s’étaient tenus tranquilles. Le printemps naissant avait de toute évidence relancé les croisades.

Ces monstres ne vivaient que pour ça. Il y a longtemps, les ancêtres disaient qu’ils vivaient dans les montagnes. Chassés par la population nain grandissante, ils avaient entamé une grande migration vers le sud et s’étaient divisé en deux groupes. Les mercenaires ne posaient aucun problème, certains travaillaient même dans la citadelle jusqu’à l’hiver où ils regagnaient le désert pour la réunion annuelle de leur groupe. Les croisés, en revanche, représentaient un petit groupe d’un millier d’individus surarmés et prêts à tout pour reprendre les montagnes. Deux cent cycles plus tôt, ils avaient presque détruit Kazadröm, la citadelle militaire, la contraignant à une reconstruction qui n’était toujours pas achevée. La capitale, Mörok, plus à l’est, était relativement préservée. De toute évidence, Dolgaror était désormais leur cible.

Les montagnes avaient pourtant pris des dispositions pour ce genre de cas. Les attaques étaient régulières, mais jusque là sans grand danger. Molkov en avait connu quatorze depuis sa naissance. Il espérait que celle-ci se passe aussi bien que les précédentes. Cette fois-ci, sa vie seule n’était plus en jeu. 

Les sous-sols stériles ressemblaient au reste du bâtiment : blancs, vides. Des lits étaient disposés en rangées, mais seulement la moitié d’entre eux étaient utilisés, témoignage des ravages de la maladie qui rongeait la montagne. Il y avait encore un cycle, les trois quarts des lits seraient plein. Älcàpräjä prenait de plus en plus de vitesse. Aux pieds de chaque lit, un petit sac de ressources attendait son heure. Molkov déposa la petite sur un lit vide et s’assit à côté d’elle. Il saisit le sac et lui tendit un paquet de biscuits. Elle l’accepta avec un petit sourire inquiet.

“Tout va bien se passe, petiote. Tu verras.”

Il avait l’impression de ne dire que cette phrase ces derniers jours. Il la détestait de toute son âme. Plus rien n’allait. Tout s’écroulait autour de lui et il n’y pouvait pas plus quelque chose que tous les habitants de la citadelles, des quartiers riches aux manas. Il poussa un soupir et cacha son visage dans ses mains. Qu’allait-il devenir ? Comment allait-il gérer la mana et sa petite-fille ? Les deux modes de vie étaient trop incompatibles, il savait qu’il serait amené à faire un choix rapidement, et au fond de lui, il l’avait déjà fait. Il était vieux, il était temps qu’il rende son tablier de manaor pour celui de grand-père. Quelqu’un avait besoin de lui à présent.

Une petite main se posa sur son bras, inquiète. Il releva le visage vers la petite. Ses deux grands yeux bleus trop expressifs le dévisageait avec crainte. Des larmes menaçaient de couler d’un instant à l’autre. La pauvre ne comprenait rien à ce qui se passait.  Le plafond vibra au-dessus d’eux et une fine poussière de pierre leur tomba dessus. Mara se colla à lui et se boucha les oreilles alors que plusieurs femmes poussaient des cris de peur plus loin dans la salle. La secousse ne dura que quelques secondes et céda rapidement place au silence, seulement interrompu par les sanglots continus de certaines naines, jeunes comme plus âgées, terrifiées par les événements. Tous n’avaient pas la chance d’avoir leur proche auprès d’eux. Seuls deux autres nains mâles étaient présents dans leur tenue stérile, auprès de leurs femmes et filles. Les rares familles se soutenaient les unes les autres. Les nains étaient solidaires et déjà des naines prenaient les orphelines sous leurs ailes pour les rassurer.

Les heures s’écoulèrent lentement. Deux autres secousses secouèrent la salle, puis plus rien, mis à part le silence. La plupart des naines s’étaient endormies, Mara comprise, épuisées par les événements. Les rares encore debout s’étaient réunies dans un coin de la pièce pour prier Balgröm à voix basse pour la survie des autres nains. Molkov n’avait jamais été très croyant mais les rejoignit volontiers. Le culte de Balgröm marquait une grande partie de la vie des nains. Dieu de la guerre, il accueillait les mort sur son gigantesque champ de bataille afin qu’ils se joignent à son glorieux combat contre les forces du mal. Chaque mort renforçait la protection du monde. Molkov n’aimait pas vraiment cette idée. Il ne comprenait pas ce qu’il y avait d’attirant au fait de se battre pour l’éternité après une vie déjà suffisamment compliquée. S’il l’avait formulé à voix haute, Magda l’aurait battu jusqu’à la mort, elle qui était croyante jusqu’au bout des ongles. Un de leur rares points de divergence.

Leur prière fut interrompue par un grand coup dans la porte, qui raisonna en écho dans toute la pièce. Les naines endormies se relevèrent toutes d’un coup sur leur couchette, paniquée. La porte vola en éclat et deux boules dorées glissèrent à l’intérieur. Il y eut des cris, des pas de course.

“Mara !”

Trop tard. La boule explosa, le repoussant en arrière. Un gaz fort se répandit dans tout l’espace clos. Des cris éclatèrent de toute part et Molkov dut se protéger le visage pour éviter de mourir écrasé par les naines qui couraient de tous les côtés. Il profita d’une accalmie pour courir vers la couchette où devait se trouver sa petite-fille : elle n’y était plus. Paniqué, il secoua les bras pour essayer d’y voir plus clair. Il cria après sa petite-fille, et crut brièvement l’entendre répondre plus loin. Aveuglé par la fumée, il prit la direction de sa voix avec espoir.

Mais son chemin fut brutalement interrompu par une forme massive et verdâtre. Il n’eut pas le temps de freiner et fonça dans l’orque qui tomba au sol, déséquilibré. Fou de rage, il se releva immédiatement et se tourna vers lui. Ses yeux d’un vert foncé, haineux, étaient braqués dans les siens. Molkov serra les dents et donna un grand coup de tête dans le torse de l’assaillant. Il réussit à le passer, mais la main de la créature lui saisit la cheville et tira, le faisant tomber à son tour. L’orque donna un grand coup de pied dans son ventre.

“C’est Arakash qui te tue, nain.”

Molkov écarquilla les yeux en apercevant l’acier brillant d’une épée et reçut le coup de face, dans le ventre. Le souffle coupé, il s’écroula sur le côté. Mara était là, contre le mur, le visage ravagé par les larmes. Les orques l’enchainèrent, elle et d’autres naines, et ils les poussèrent vers la sortie.

“Non… Mara ! Mara ! hurla t-il.”

Il rampa jusqu’à la porte, une longue traînée de sang derrière lui. Elle ne partirait pas. Il allait la sauver. Mais ils allaient vite, et lui ne pouvaient courir. L’inconscience le cueillit avant qu’il atteigne l’entrée. Il s’effondra sur les marches avec une seule pensée : il n’en resterait pas là.

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