Chapitre 4 _ 14 octobre 1887

Par Rouky

Note de l’auteure : Le chapitre qui suit relate des scènes de sévices et de brutalité. Les lecteurs sensibles voudront peut-être s’en abstenir.

 

Le scalpel brillait dans la main de Nathaniel. Je frémis de la tête aux pieds, les sangles me meurtrissant déjà les poignets et les chevilles. Mes yeux s’égaraient sur les boiseries sombres, les tapisseries fanées, le plafond haut où la pluie résonnait comme un glas. Je voulais crier, mais ma gorge s’était resserrée au point de n’émettre qu’un gémissement.

— Basil, tu parais impatient, dit Nathaniel en tournant vers lui un regard complice. Peut-être souhaites-tu l’honneur de la première incision ?

Basil ricana. Ses doigts effleurèrent la lame, mais il la repoussa au dernier moment.

— Non. J’aime mieux quand la victime a déjà perdu un peu de sa superbe. Edgar, à toi l’honneur.

Blackwell s’approcha, posé, méthodique, comme s’il n’était pas un étudiant en médecine mais un bourreau de métier. Son visage, pourtant avenant, était déformé par une avidité malsaine. Il posa ses mains sur mes épaules, pressant jusqu’à me couper la respiration, puis il murmura à mon oreille :

— Ne crains rien, Ashwood. Nous avons tout le temps… toute la nuit.

Puis, d’un mouvement brusque, il s’empara du scalpel et, avec une violence qui me prit au dépourvu, arracha les boutons de ma chemise. Mon torse se trouva exposé à l’air glacé de la chambre.

— Que pourrais-je donc bien écrire ? fit Edgar, l’air faussement songeur.

— Pitié… implorai-je, le souffle brisé. Je vous en supplie, je ferai n’importe quoi, par pitié !

— Ah, j’ai trouvé ! s’exclama Edgar d’une voix enjouée.

Je fermai les yeux, priant intérieurement pour me réveiller de ce cauchemar. Mais la douleur arriva plus vite que la délivrance : le tranchant rencontra ma peau. Ma voix se déchira en un hurlement aigu. Chaque incision était froide, nette, juste assez profonde pour tracer une signature douloureuse. La douleur explosait, concise, et s’inscrivait comme une écriture vivante sur mon corps. J’aurais voulu m’éteindre, mais mon corps refusait. Je hurlai, et mes cris furent aussitôt recouverts par le rire de Nathaniel.

— Admirable ! dit-il en applaudissant. Quelle voix, quelle intensité ! Continue, Edgar, continue !

Basil me saisit par les cheveux et me força à relever la tête pour contempler l’œuvre de son ami. Sur mon ventre, des lettres grossières, humides, commençaient à s’ouvrir sous la lame : le mot « chien » se détachait, rouge sombre, sur ma peau nue. Les larmes montèrent, non seulement de douleur, mais de honte : le signe que j’étais devenu l’objet de leur plaisanterie macabre.

La pluie redoubla, frappant les vitres avec une fureur qui se confondait à mes sanglots. Je tirai de toutes mes forces sur les liens, mais chaque mouvement resserrait les cordes sur mes chairs. Le bois du lit grinçait, comme s’il se réjouissait lui aussi du spectacle.

— Pitié… sanglotai-je.

— À toi, Basil ! ordonna Nathaniel comme un maître de symphonie.

Basil s’approcha à son tour, une chandelle à la main. Sa flamme dansait, projetant des ombres monstrueuses sur les murs.

— Tu sais, campagnard, murmura mon second bourreau, il existe des douleurs qui marquent plus profondément que le scalpel…

Il inclina la chandelle, et des perles de cire incandescente s’écrasèrent sur ma blessure fraîche. Je hurlai comme si la cire me pénétrait jusqu’au cœur. Puis, sans hâte, Basil dirigea la flamme sous ma main droite. L’odeur de chair consumée monta dans l’air avant que je ne sente la morsure du feu. Alors, mes cris emplirent la pièce comme un chant funèbre, résonnant contre les murs. Basil maintint la chandelle de longues secondes, assez pour que je supplie la mort elle-même de venir me prendre.

— Regardez-le ! dit Nathaniel aux deux autres. Un agneau offert en sacrifice. C’est magnifique !

Quand enfin Basil se détourna, je sombrai presque. Mais Nathaniel ne le permit pas. Il m’asséna une gifle cinglante, et ses lèvres effleurèrent mon visage en un murmure venimeux :

— Je t’interdis de m’échapper.

Mes nerfs brûlaient, mon torse était en feu, ma paume n’était plus qu’un amas calciné. Alors Nathaniel monta sur moi, m’immobilisant de tout son poids. Il chevaucha mon ventre gravé des lettres sanglantes, déclenchant un nouveau hurlement de ma part. Mais ce cri mourut dans un linge qu’il m’enfonça dans la bouche.

Puis ses mains, blanches et délicates, se posèrent autour de mon cou. Et elles serrèrent. La pression s’accrut, inexorable, et son regard se fixa dans le mien.

— Depuis l’enfance, confessa-t-il dans un souffle, je rêve de contempler la vie s’éteindre dans les yeux de quelqu’un.

Ma respiration se coupa. Des taches sombres dansèrent à la lisière de ma vision. Mon corps convulsait, en vain. À l’instant où j’allais sombrer, il relâcha la pression, me laissant haleter comme un noyé. Puis, soudain, il reprit. Encore. Encore. Chaque fois qu’il m’offrait une bouffée d’air, ce n’était que pour la reprendre aussitôt, et prolonger ma lente agonie.

— Encore ! s’écria Basil, exalté.

Et Nathaniel recommença, son rire clair se mêlant à mes râles d’agonie.

— Ashwood, susurra-t-il tout en m’étranglant. Je te le dis : ta place n’est pas parmi nous. Mais crois-moi… tu nous seras bien plus utile en martyr qu’en camarade.

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