Chapitre 3 _ 14 octobre 1887

Par Rouky

J’arrivai devant la chambre de Nathaniel après le dernier cours de la journée. Ses appartements se trouvaient dans l’aile nord de l’université, à l’écart des bruits du campus, comme si l’on eût volontairement voulu les retrancher du reste du monde. Le couloir était désert, et la pénombre qui y régnait n’était déchirée que par la lueur vacillante de quelques chandelles. Un silence troublant, presque religieux, pesait dans l’air.

Je toquai prudemment, et la porte s’ouvrit presque aussitôt. Nathaniel se tenait sur le seuil, vêtu de la même redingote d’un sombre mauve que le premier jour où je l’avais croisé.

— Sois le bienvenu, dit-il d’un ton suave en s’effaçant pour me laisser entrer.

Je franchis le seuil, et découvris une chambre vaste, presque aussi grande qu’un appartement londonien, dont les lambris sombres et les lourdes tentures semblaient étouffer toute clarté. Deux jeunes hommes se tenaient déjà à l’intérieur, figés comme deux statues dans la pénombre. Nathaniel s’empressa de faire les présentations.

— Ashwood, voici Edgar Blackwell et Basil Harker. Mes amis, je vous présente Lysandre Ashwood.

Le nommé Edgar s’avança, un sourire indéchiffrable aux lèvres, et me tendit la main.

— C’est donc toi… le fameux Lysandre.

— “Fameux” ? répétai-je, mal assuré.

Il ne daigna répondre que d’un haussement d’épaule ironique. Basil, à son tour, me tendit une main moite qu’il retira presque aussitôt, comme souillé par le simple contact. Un rictus de dégoût passa sur son visage.

Je sentis mon cœur s’emballer tandis que Nathaniel refermait la porte derrière nous. Le cliquetis du verrou me fit frissonner.

— Alors… balbutiai-je, cherchant à masquer mon trouble. Que comptez-vous étudier ce soir ? La médecine ? La biologie ?

— Oh, tais-toi donc ! soupira Basil avec mépris.

— Pardon ? m’offusquai-je.

Nathaniel éclata d’un rire bref, sec.

— Basil, tu aurais pu attendre encore un instant…

— Je refuse de prolonger cette mascarade, grogna Harker. Ce campagnard ne méritait même pas l’honneur de me serrer la main.

Ma gorge se serra ; je passai deux doigts dans mon col, déjà humide de sueur.

— Je… je crois que je ferais mieux de m’en aller, dis-je dans un souffle.

— Certainement pas, grinça Edgar Blackwell. Nathaniel nous a promis que la soirée serait divertissante.

— Et je tiens toujours mes promesses, ajouta Nathaniel, son sourire cruel se dessinant à nouveau. Allongez-le sur le lit. Attachez-le.

Je me figeai, glacé d’effroi. Mais à la vue des deux étudiants qui s’approchaient, un instinct de survie irrépressible me poussa vers la porte. Je tentai de m’y précipiter, mais Edgar m’attrapa d’un geste brutal. Sa poigne de fer trahissait une force insoupçonnée sous ses élégants habits ; mes efforts désespérés ne suffirent pas à m’en libérer.

Il me traîna vers le grand lit à baldaquin, au centre de la chambre, où Basil vint lui prêter main-forte. Ils me jetèrent dessus et commencèrent à m’attacher aux montants, pieds et poings liés.

— Nathaniel ! hurlai-je, les larmes aux yeux. Qu’est-ce que cela signifie ? Arrête ça !

— Tss, ne prononce pas mon nom, siffla-t-il en se penchant vers moi. L’entendre dans ta bouche me donne la nausée. Pour toi, c’est “monsieur Le Duc”, campagnard.

Un sanglot m’échappa malgré moi. La pluie martelait les vitres avec une rage qui se confondait au battement affolé de mon cœur.

— Je vous en supplie… dis-je, suffoquant. Je ne vous ai rien fait, laissez-moi partir !

Nathaniel s’approcha lentement, délaissant sa redingote qu’il posa avec soin sur un fauteuil. Ses doigts fins retroussèrent les manches de sa chemise immaculée. Son regard flamboyait d’une lueur malsaine.

Il ouvrit un tiroir, et en sortit un objet étincelant qui me fit blêmir : un scalpel. La lame captait la lumière des chandelles, projetant un reflet froid sur les murs.

— Eh bien, messieurs, déclara-t-il avec une douceur effroyable en brandissant l’instrument. Qui de vous souhaite inaugurer l’opération ?

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