Chapitre 4

J'attrape la poignée de porte à laquelle mes doigts se serrent jusqu'à ce que mes jointures deviennent blanches. J'ai un mauvais pressentiment de déjà vu, pourtant je ne réussis pas à me souvenir. Je tourne délicatement la poignée puis j'ouvre la porte qui s'agrandit en sourdine. Mon souffle devient saccadé. Il est tellement rapide qu'il en devient ensuite bruyant dans cet espace au silence de mort. Je ne veux pas avancer dans ce local sombre, mais mes pieds n'écoutent pas ma tête. Pourquoi n'y voit-on rien ? Ce n'est pas habituel pour une salle de classe. Le vacarme d'un coup de bat de baseball résonne dans la pièce. Il se répercute contre les murs jusqu'à enfler dans mon crâne. J'attrape ma tête entre mes mains en grimaçant de douleur. Ma vue se brouille. J'entends quelqu'un pleurer. Mon coeur se serre en reconnaissant la personne à qui appartiennent ses sanglots. Ma tête me fait souffrir tandis que l'environnement remue de lui-même. Je tente d'avancer, mais j'avance sur place. Mes pieds bougent, mais moi, je ne parviens pas à me déplacer.

- Sid ! Où es-tu ? commencé-je à hurler.

La panique. Je la ressens. Celle qui s'accroche à ma peur qui cherchait déjà à s'agripper à mes tripes. Je l'entends pleurer, pourtant ce sont mes larmes qui coulent sur mes joues. Est-ce Sid qui pleure ou est-ce moi ? Je crie de frustration, car je ne parviens pas à bouger d'un millimètre. C'est comme si j'étais sur un tapis roulant. Et peu importe où mon regard se pose, je n'y vois rien. Que la pénombre et les objets ainsi que les murs qui tournent. La présence de Sid, elle, je ne la vois pas.

- Sid ! hurlé-je de nouveau.

Un deuxième coup de bat de baseball résonne. Cette fois, il est plus intense et plus douloureux. Je geins d'élancement en tombant à genoux sur le sol. Un rire retentit. Oui, un rire se mêle aux pleurs de Sid qui ne veulent pas se tarir. Ce rire crée en moi un frisson de terreur qui grimpe l'échine de mon dos. Je plaque mes paumes contre mes oreilles.

- Taisez-vous ! S'il vous plait, fermez-là ! beuglé-je.

Le temps que je clos les paupières une fraction de seconde, je constate que des cordes entourent mes poignets et mes chevilles si fermement que le sang dans mes veines peine à circuler librement. Je tente de défaire l'emprise qu'elles ont sur moi, mais les cordes, elles disparaissent devant moi. Loin. Si loin, que je n'en vois pas le bout. Elles brûlent ma chair comme si elles cherchaient à se fondre à l'intérieur. Des visages apparaissent à travers la noirceur. Ils sourient. Je reconnais chacun d'entre eux. Ils commencent à rire. Plus ils rient, plus leurs dents deviennent éclatantes. À un point tel que la salle de classe est éclairée. Bien que la pièce continue de tourner, je parviens à trouver Sid au centre de celle-ci. Ses cheveux bruns frisés sont en désordre. Son visage en détresse, contorsionné par la tristesse, est baigné de larmes. Sid sanglote violemment. Mon cœur rate un battement lorsque je vois que les cordes reliées à mes membres font le contour de son cou. Soudainement, une mousse blanchâtre s'extrait de sa bouche. Pendant qu'il régurgite, il lève ses poignets tandis qu'il me fixe de ses yeux marron. Sa chair se fend sans l'intervention de quoi que ce soit et le sang commence à couler sur sa peau.

Dès que je souhaite avancer, les visages de ceux qui rient deviennent gigantesques. Je perds Sid de vue. Ses pleurs s'évaporent, mais les moqueries des autres augmentent et agressent mes tympans. Je n'arrive plus à respirer. L'angoisse me gruge. Je veux retrouver Sid, je veux l'aider même si je me sens blessé et que je le déteste. Je veux que les rires se taisent et que ces visages affreux disparaissent. J'amène ma main à ma gorge. La mort. Oui, c'est ça. Je vais mourir. L'air ne passe plus dans mes poumons. Bien que mon cœur hurle d'accepter la situation et de mourir comme je l'ai tant souhaité à de multiples reprises, ma tête active l'instinct de survie. Je tente désespérément de respirer, mais j'en suis réellement incapable. La peur s'accroît au moment où je crois mourir et que mon corps entier est secoué.

Je me réveille. J'amène une main à mon cou en inhalant une grande goulée d'air. De ce geste, ma tête heurte quelque chose quand mon corps se redresse en même temps. Mes mains tremblent comme mon souffle, mes joues sont mouillées et mon regard perdu revient doucement à la réalité. La douleur du choc se fait sentir. Je grimace en massant mon front. Je capte des yeux bruns clairs. Où suis-je ? Je coule un regard agité à la pièce. C'est vrai, je suis au dortoir du centre. Il fait encore jour, ça me rassure. Je suis sorti des ténèbres. Je retire mes écouteurs dont la musique s'est arrêtée. Mon téléphone a dû manquer de batterie.

- Est-ce que ça va ? Tu m’as foutu la trouille.

Je pose mon intérêt vers la voix inquiète. Edson est assis sur mon lit face à moi et se masse l'arête du nez. Ses sourcils froncés démontrent sa préoccupation.

J'essuie rapidement et sauvagement mon visage. Pleurer n'est pas une action que j'aime réaliser devant un public quelconque. Je reprends tranquillement mes esprits et le contrôle de mon corps. Je tente de me raisonner. C'était qu'un cauchemar. Le même qu'à toutes les fois. Ce n'est rien. Respire un bon coup, ça va passer.

- En pleine forme, réponds-je.

Sa main attrape un bout de mon t-shirt près de mon collet. J'ai un mouvement de recul avec ma tête devant son geste. Je glisse mes yeux vers mon chandail trempe de sueur.

- Bien sûr, c'est parce que t'as décidé d'aller faire du sport dans tes rêves, peut-être ?

Jolie dérision. J'esquisse un sourire, mais je hausse les épaules. Je n'ai pas particulièrement envie d'être ironique, mais pas plus d'être honnête. Parfois, le silence est plus sage que les paroles. De plus, je sens encore mon coeur et mon âme fragiles de ce rêve. Je fronce les sourcils. Je glisse mon regard dans la pièce.

- Où sont les autres ? Il est quelle heure ?

- C'est l'heure du souper, donc ils sont dans la cuisine. C'est pour ça que je suis là, j'étais venue te réveiller.

Je hoche la tête. Mon estomac est retourné par mes émotions. Je n'ai vraiment pas faim.

- Tu crois qu'ils vont appeler l'ambulance si je ne descends pas manger ?

Une lueur d'amusement fait plisser ses yeux. Edson rigole à ma question. Un grand sourire, une belle rangée droite de dents blanches. Il est encore plus mignon quand il est vu de près et quand il est détendu. Je me gifle mentalement. Ma sage voix intérieure me réprimande : « Ne perds pas la tête pour un garçon. Retiens-toi, cette fois. Souviens-toi  aussi de la manière dont ça s'est terminé avec Sid. L'amour est plein de folie et ça n'a jamais été bon pour toi.»

- Ça va, je leur dirai que je connais les premiers secours et premiers soins.

Oh oui, je veux bien que tu me fasses le bouche-à-bouche. Deuxième gifle mentale. « À quoi penses-tu ? Cesse tes imbécillités immédiatement ! » Avec le temps, je n'ai pas eu le choix de développer une deuxième personnalité. Sinon, qui me ramènerait à l'ordre lorsque nécessaire ? J'efface mes réflexions malsaines puis je lui souris. Il est plutôt drôle et sympathique, tout compte fait.

- Tu ne sautes pas le déjeuner, au moins ?

La plupart du temps, oui.

- Non. Ne t'en fais pas, je vais bien déjeuner demain matin. Comme ça, je ne vais pas m'évanouir pendant notre travail communautaire, promets-je en joignant les mains l'une à l'autre.

Il dresse son pouce et sourit. Il me tapote ensuite l'épaule.

- Tant mieux. Quant à moi, j'ai faim. Donc je vais descendre rejoindre la troupe.

Il se hisse de mon lit et quitte la chambre. Je me lève du matelas, faisant attention de ne pas me cogner la tête contre le bois au-dessus de moi. Sortant ma valise d'en dessous, je l'ouvre et je choisis un chandail propre. Ayant amené un sac plastique pour y fourrer mes vêtements sales, j'y insère mon t-shirt mouillé après l'avoir retiré. Le sac dans ma valise, je referme la glissière et le repousse à sa place. De quoi ai-je l'air lorsque mon sommeil est mouvementé par mes cauchemars ? Comment vais-je pouvoir dormir sans me prendre la tête ? Ça ne fait pas 24h que je suis ici et il y a déjà une personne qui a été témoin de ma faiblesse. J'angoisse à la tombée de la nuit et quand je dois dormir seul dans ma chambre. Maintenant, je vais angoisser, car je vais devoir dormir avec des inconnus dans une chambre. Rien que l'idée me donne d'avance l'envie d'angoisser. À genoux contre le plancher, je laisse tomber ma tête contre mon matelas. Je ferme les paupières et je soupire. Je les ouvre brusquement quand l'image de Sid, Maxwell et les autres cherchent à s'insinuer dans mon esprit. C'est toujours ainsi. Lorsque le soleil décline doucement et que la nuit approche, mon âme panique. Dès lors, je clos les yeux, les démons désirent faire surface pour me hanter.

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