Chaque jour se ressemblait : je me levais avec la seule motivation de danser. À la danse j'essayait d'éviter mes amis, je mangeais parfois mais souvent la douleur me coupait l'appétit. Je n'avais que la force de boire mon thé à l'hibiscus et à la menthe. Parfois je errais sans but sur les routes de campagne, mon skate comme seule compagnie. D'autres fois je passais tout un après midi dans mon lit et chaque nuit était hantée par des cauchemars.
J'avais finalisé ma chorégraphie mardi. J'y avait travaillé à chaque fois que j'étais venue à la danse, après un court échauffement. J'étais particulièrement satisfaite de l'enchainement des pas d'autant plus qu'ils allaient parfaitement avec la musique que j'adorais. Il ne m'avait resté plus qu'a la travailler ce que j'avais fait les deux derniers jours.
J'étais en train d'effectuer mon invention et plus précisément une attitude en tournant sur pointes dans le studio quatre, que j'avais réservé, comme tous les vendredis. Tout était calme étant donné que j'étais sûrement une des seules danseuse dans l'établissement. Les stages étaient finis pour la journée mais j'entendais de la musique venant de l'étage. En effet, il y avait en haut une salle encore plus spacieuse que les studios du Rez de chaussée, dans laquelle on pouvait s'entraîner à plusieurs. Cette pièce était plutôt fréquentée par les danseurs de jazz ou contemporain. Après avoir fait un port de bras, je commence enchainer six fouettés à merveille. Cette figure à laquelle j'avais tellement travaillé et que j'avais toujours maudit était à présent une figure parmi tant d'autre.
Un jour, lorsque j'étais rentrée à la maison après avoir essayé les fouettés à maintes reprises pendant mon cours, j'étais totalement frustrée et en colère d'autant plus que certains autres y étaient arrivés. Ma mère m'avait alors dit : "Ça ne sert à rien d'être en colère, ce n'est qu'en persévérant que tu y arriveras et si tu affrontes la danse comme ton ennemi tu n'y arriveras sûrement pas. Accompagnes la et dis toi que c'est un nouveau défi." Après réflexion, je m'étais dit qu'elle n'avait pas totalement tort et avec cette idée en tête, j'avais plus facilement réussi.
En repensant à cette phrase, rendue au quatrième tour de mes fouettés, je sens mes larmes couler sur mes joues, mais je ne m'arrête pas et pince les lèvres. Il fallait que je persévères, comme elle l'avait dit.
Soudain, j'entend un énorme vacarme. Je sursaute et trébuche. Le bruit venait du jardin du grand père d'une jeune élève. Il était accessible à partir du hall situé à côté du studio dans lequel je dansais. Monsieur Moneau était un grand ami du père d'Alexia, qui avait fondé l'école. Le jardin que l'on considérait comme le sien, puisqu'il s'en occupait, appartenait donc aussi à l'école.
Était il arrivé quelque chose à monsieur Moneau ? J'enlève mes pointe à la quatrième vitesse et enfile mes chaussures. Je ne pouvais pas regarder par la fenêtre car elle était trop haute. Je sors du studio, déverrouille la porte du hall puis descend les trois petites marches avant de contourner l'angle du mur. Je m'arrête net. Il ne semblait rien être arrivé au vieux monsieur car il arrivait d'un bon pas vers le parterre de fleurs situé à peu près sous la fenêtre du studio. Bertie se relevait tant bien que mal de celui ci, trois bassines en zinc renversés à ses côtés. Il se frottait l'épaule gauche tout en serrant les dents. Je recule de quelques pas.
- Mon parterre ! Qu'est ce qui te prends jeune homme ?
- Euh, euh…
Il repousse sa mèche qui lui tombait sur les yeux, toujours dans les hortensias, puis regarde vers la fenêtre, l'air de s'excuser.
- Tu t'imagines pas combien de travail c'est, d'entretenir ces fleurs hein ?
- Je suis…
- Tu n'as que ça à faire d'espionner les danseuses par les fenêtres ?
Je commence à comprendre et me cache complètement derrière le mur, toute surprise.
- J'en ai marre de ces gamins qui viennent dans mon jardin, c'est pas publique ici, enfin sauf pour les membres de l'école de danse. Et ne me dis surtout pas que tu danses ici ! Gronde il en secouant son index.
Bertie s'était relevé et commençait à enlever les petites branches et pétales de ses vêtements. Il semblait vraiment intimidé. C'était bizarre de le voir dans cet état.
- Je, je, je joue du piano pour les stages…
Monsieur Moneau ouvre grand la bouche et se pince le menton :
- Alors c'est toi ! Fait il avec un sourire.
- C'est moi quoi ?
- Ma petite fille m'a raconté qu'un pianiste s'amusait à espionner une danseuse par les fenêtres de l'école. Ah la jeunesse, dit il rêveur.
- Mais ce n'est pas une raison pour détruire mes plantes ! Rajoute il.
Je m'enfuie avant que quelqu'un me voit. Arrivée dans la salle de danse, je suis chamboulée et stressée. Bertie me regardait danser ? Mais pourquoi ? Avait il entendu la musique sur laquelle je dansais ? J'espérais de tout coeur que non. Je reste encore quelques minutes dans le studio, incapable de danser, le coeur battant puis je me rends dans les vestiaires.