Chapitre 4

Par Alexis

« L’esclavage est primordial à notre société, sans ça, nous n’aurions pu connaitre de telles avancées. Certains hommes sont nés pour en servir d’autres comme nous servons notre roi. »

                                     - Décret sur l’esclavage

Veleim déglutit. Il n’en pouvait plus d’attendre dans cet endroit. Les petites cellules contenaient des dizaines de personnes et cette foule l’étouffait. Il peinait à respirer et à force d’être recroquevillé dans un coin, il gagnait des courbatures. La sueur collait ses longs cheveux sur sa tête.

Même si tous vivaient la même chose, il n’y avait aucune compassion entre eux. Dès que les gardes leur apportèrent de la nourriture, tous se ruèrent pour s’en emparer. Si le vieil homme n’avait pas retenu Veleim, sans doute aurait-il fini écrasé. Par chance, il s’en était sortit avec quelques bleus mais une femme fut poussée au sol sous les pieds de la foule. Son ventre gargouilla, la faim l’empêchait de bouger, de dormir même. Il voulait se reposer mais c’était impossible.

Les cris, les protestations, les pleurs et même la chaleur le gardaient éveillé. L’homme à ses côtés lâcha un léger rire. Veleim se tourna vers lui.

— Vous êtes arrivés il y a un jour et vous n’en pouvez déjà plus…

Veleim ne répondit pas, il n’en avait pas la force ni l’envie. Cet homme devait être captif depuis bien plus longtemps, preuve qu’il n’y avait aucun espoir.

 

*

Liza Razhul foulait le sol du marché aux esclaves accompagnée de son père. Ce gigantesque palais, bien que magnifique, lui donnait la nausée. Il brillait de mille feux et les plantes qui s’y trouvaient dégageaient un parfum délicat. Gart tenait à ce qu’on admire son marché, qu’on rêve d’y entrer. Mais en vérité, ce n’était qu’une façade qui cachait un côté bien plus obscur. Liza décelait de la terreur dans le regard des servants. On leur avait retiré leur liberté et leur humanité et Liza détestait cela. Les coutumes de son pays la dégoutaient même si elle y baignait depuis toute petite.

Elle observa les deux hommes qui nettoyaient le sol afin qu’il puisse briller. Leurs cernes et joues creuses la peinaient : ils étaient épuisés. S’ils s’arrêtaient, les gardes armés d’épées courbes les tueraient sans aucun doute.

Forcée d’accompagner son père dans cet endroit lugubre, elle devait se résoudre à détourner le regard. Au bout de plusieurs minutes, l’hôte des lieux vint à eux.

— Holon Razhul, quel plaisir de vous recevoir dans mon marché !

Ils se levèrent du petit banc en marbre et partirent à sa rencontre.

— Seigneur Gart, c’est toujours un plaisir de faire affaire avec vous.

Liza l’observa, son regard la dérangeait. Cet homme malsain la répugnait, elle sentit son sang bouillir dans ses veines. Elle n’avait pas la force ni le courage de le frapper mais l’envie était présente. E

— J’ai appris qu’une nouvelle cargaison venait d’arriver.

Gart hocha la tête, tout sourire de faire affaire.

— Papa, ça reste des humains…

Gart rit en entendant Liza.

— Des humains nés pour servir, jeune fille. Certains hommes doivent en servir d’autres, c’est les bases de notre monde. Comment le restaurant de votre père pourrait fonctionner sans esclaves ?

Elle se tut et grimaça. La boule au ventre, elle détourna le regard et soupira. Elle n’avait qu’une hâte : partir. Si Gart la sortait de ses gonds, elle allait le regretter et lui aussi.

— Allez, allons-y. Ils sont nombreux et je suis sûr que vous pourrez trouver votre bonheur !

 

*

Veleim rouvrit les yeux quand il entendit la porte s’ouvrir. Il se leva afin d’apercevoir le nouveau venu. Gart entra avec deux acheteurs. Son regard se porta d’abord sur l’homme d’une quarantaine d’années. Il ne possédait plus beaucoup de cheveux et sa barbe noire virait au gris. Veleim ne le craignait pas même si son visage ferme le refroidit. Cet homme n’avait rien d’un guerrier mais il n’aurait pas aimé l’affronter.

Ses yeux bruns croisèrent ensuite une jeune femme très élégante. Il resta bouche bée face à ses longs cheveux noirs qui tombaient le long de ses épaules. Des pointes dorées et brillantes les terminaient ce qui attisa la curiosité de Veleim. Son maquillage ne la rendait que plus belle : un rouge intense recouvrait ses fines lèvres et un trait noir faisait ressortir ses yeux. Dans son regard, Veleim décela une pointe de tristesse.

L’homme s’approcha des cellules et observa chaque esclave un à un. Par moment, il caressa sa barbe et soupira. Il s’arrêta sur Veleim et le scruta de haut en bas. Le jeune homme déglutit.

— Celui-là avec ses cheveux d’or.

Veleim resta bouche bée. Il sentit son sang se glacer alors que les gardes l’attrapèrent et le sortirent de la cage. L’homme empoigna ses boucles blondes, dégaina une dague et les trancha. Tout se déroula si vite que Veleim n’eut le temps de réagir. Il se mit à trembler.

— Là où tu vas travailler, tes cheveux devront être courts.

Veleim hocha la tête, seule chose à faire. Cet homme le méprisait et il craignait qu’il ne le frappe. Aussitôt, une corde passa autour de son cou et l’étrangla. Il suffoqua et l’attrapa. Soudain, les gardes lièrent ses mains et le frappèrent. Veleim retomba à genoux, on le souleva.

— Liza, je te confie ce garçon le temps d’effectuer le paiement.

Liza soupira puis attrapa la corde et tous les quatre remontèrent accompagné d’un soldat. Veleim les suivit sans même penser à fuir. Il n’y parviendrait pas et il n’avait aucun autre choix qu’obéir.

 

*

Liza fixa ce garçon à la fois intriguée et peinée. Il semblait avoir son âge ce qui la touchait davantage : elle aurait pu être à sa place. Elle en eut la boule au ventre et ce silence la pesait.

— Moi c’est Liza, et toi ?

— Veleim.

Il lui répondit sans même la regarder, sur un ton des plus froids. Elle grimaça, il était attaché à la corde qu’elle tenait, sa réaction était compréhensible. Il ne voulait pas parler à celle qu’il devait considérer comme sa maitresse. Mais Liza voulait se montrer sympathique.

— Tu viens d’où ?

— De Ténérie.

— Ton pays était en guerre contre Héliar, je me trompe ?

Veleim hocha la tête, toujours aussi froid.

— Et ils ont gagné deux provinces. Ils ont ruiné des villes et nous avons dû fuir. La suite, tu la connais

— C’est horrible. Tu as été séparé de tes parents ?

Liza porta sa main à sa bouche, choquée par son court récit. La guerre était une terrible chose qu’elle espérait ne jamais connaitre. Veleim hocha la tête sans comprendre. Elle ignorait tout de lui et il était son esclave, elle n’avait aucune raison de s’attrister sur son sort.

— Liza ! Arrête de parler à ce garçon s’écria Holon.

Veleim se tourna vers son propriétaire, celui-ci lui lança un regard des plus sombres. Liza se releva, Holon attrapa la corde et le tira brusquement. Veleim hoqueta. Liza baissa le regard et soupira. Le jeune homme sentit son cœur se serrer dans sa poitrine, une bien horrible vie commençait pour lui.

 

*

Veleim n’avait jamais vu un restaurant aussi grand. Ceux qu’il connaissait en Ténérie n’étaient que des petits établissements. Holon possédait un restaurant sur deux étages très lumineux. Ces tapisseries beiges coupées par de grandes colonnes et l’âtre de pierre lui donnaient une ambiance chaleureuse. Afin qu’il n'y fasse pas trop chaud, Holon avait pris soin de remplacer les fenêtres par des grillages de bois. Des napes brunes recouvraient les nombreuses tables et un tapis rouge surplombait les escaliers.

— Tu travailleras ici, lança le propriétaire.

Veleim hocha la tête : il ne s’était pas attendu à tant de luxe. Il découvrit ensuite les cuisines, derrière l’escalier. Un endroit complexe et tout aussi éclairé. Juste à côté se trouvaient ses quartiers. Il déglutit quand il découvrit la minuscule pièce où six tapis de paille y étaient entassés. Il n’était pas seul et ses compagnons lui lancèrent un regard désolé. Comme il pouvait s’y attendre, des gardes armés patrouillaient dans ces quartiers réservés au personnel. Dès qu’Holon eut refermé la porte, un homme grand et musclé se présenta à lui.

— Aslan, enchanté. Bienvenue en enfer.

Cet homme le dépassait d’une tête et ne semblait pas très âgé même si son crâne rasé ne le rajeunissait pas.

— C’est ici qu’on vit ?

— En effet. J’ai vu ton regard, ne crois pas que travailler ici est une partie de plaisir. Holon est une ordure de la pire espèce. Nous ne cessons jamais de travailler mis à part pour quelques heures par jour. Et je ne te parle même pas de ses punitions…

Aslan ne finit pas sa phrase, trop déboussolé. Il pointa du doigt un homme au bras amputé. Veleim déglutit et frissonna.

— Ne conteste jamais les ordres et fais attention à tout ce que tu fais. La moindre erreur peut te couter un bras, ou la vie.

Veleim trembla, il commençait à connaitre l’étendue de ce cauchemar qu’il vivait. Holon tenait sa vie entre ses mains, il la retenait par un mince fil si fragile.

— Et… Vous n’avez jamais essayé de vous rebeller ?

Aslan éclata de rire.

— Nous sommes si peu nourris et si fatigués que même sans armes, les gardes nous tueraient.

Il soupira.

— Accepte ton sort. Viens, installe-toi.

Veleim obéit et s’assit sur une chaise. Aslan s’empara d’une paire de ciseaux et se mit à lui couper les cheveux.

— Mieux vaut être présentable.

Veleim patienta et scruta les quatre autres esclaves. Tous restaient silencieux sur leurs tapis de paille. L’atmosphère de ce lieu pesait sur leurs épaules à tous et les petites bougies rendaient cet endroit bien plus sombre.

— Et de ce côté, dit Aslan en pointant une mince porte de bois, tu as nos toilettes. Bouche-toi le nez en entrant, c’est juste un trou et c’est rare qu’il soit vidé. Chaque matin, les gardes nous amènent une bassine d’eau. Tu as l’obligation de te laver, question d’hygiène.

À la puanteur ambiante, Veleim comprit que cette eau n’était pas des plus propres. Il baissa le regard et resta silencieux. Sa nouvelle vie allait bientôt débuter et il ne savait pas combien de temps il allait vivre.

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