« Les monstres sont des êtres effroyables et seuls les soldats les plus braves peuvent les détruire. C’est pour cela que l’Ordre Blanc existe »
- Légendes et histoire de l’Ordre Blanc
— J’arrive pas à croire qu’un basilic soit si près de nos frontières ! siffla Olric, étonné.
— Ces trucs se faufileraient chez toi s’ils en avaient l’occasion ! lui répondit Jorgen.
Olric et quatre autres soldats déambulaient dans l’épaisse forêt. Leurs armures blanche comme neige contrastaient avec les hauts arbres et leurs feuilles vertes. Une vaste forêt scindait Balan en deux, des arbres aussi épais que grands s’étendaient sur des kilomètres. Marcher parmi ces racines, hautes herbes et fougères n’était pas chose aisée ; de nombreux serpents et insectes tout aussi dangereux y vivaient.
Olric observait les alentours. De nombreuses plantes atteignaient sa taille l’empêchant de voir le sol. Il espérait ne pas marcher sur un animal susceptible de s’en prendre à lui. Les feuilles gigantesques camouflaient le soleil plongeant les bois dans la pénombre. Olric ne s’était jamais aventurer aussi loin de peur de se perdre. Et comme pour ses compagnons d’arme, la chaleur mêlée à l’humidité lui donnait envie de rentrer en ville. Il sentait la sueur dégouliner sur son visage rond, aplatir ses cheveux châtains. Sa fine barbe le grattait mais il ne pouvait se permettre de retirer son casque. La bête qu’ils traquaient était redoutable.
— Avançons, compagnons ! lança leur capitaine.
— Bordel, faut que j’enlève mon casque, je vais crever sinon !
Wyatt ôta son casque et soupira. Olric tourna la tête vers son ami : ses joues étaient rouges. Il passa une main dans ses cheveux bruns et souffla. Il pouvait à nouveau respirer.
— Casque, Wyatt.
— Désolé capitaine mais j’ai trop chaud, j’en peux plus.
— S’il y a bien un basilic…
Wyatt soupira, Olric se tut. Le jeune soldat voulait prévenir son ami dans dangers qu’il encourait mais Wyatt ne comptait pas l’écouter.
— Les monstres sont presque inexistants. Je suis sûr que ces chasseurs ont juste trop bu et se sont perdus, râla-t-il.
— Wyatt ! s’énerva le capitaine. L’Ordre Blanc a juré de protéger le royaume des monstres. S’il y en a, c’est notre devoir de les tuer !
Wyatt se tut. Le capitaine Trevor descendait d’une longue lignée de membres de l’Ordre. Et il voulait faire honneur à ses ancêtres et désirait que tous en fassent de même. Manquer de respect à l’Ordre, c’était manquer de respect à ceux qui s’étaient battus pour Balan.
Deux chasseurs avaient disparu il y a trois jours et l’Ordre Blanc fut envoyé les retrouver. Personne ne savait ce qu’il s’était passé. Ces chasseurs connaissaient la forêt, ils ne se seraient pas perdus. Quant aux loups, ils n’attaquaient pas les hommes à moins d’y être forcés. Il ne resta donc plus qu’une hypothèse. Les monstres. Autrefois, les basilics régnaient sur la forêt ; ces abominables serpents en effrayaient plus d’un. Les légendes leur prêtaient un acide des plus corrosif et un camouflage redoutable. Ils pouvaient se fondre dans le décor et jaillissaient des hautes herbes à une vitesse phénoménale. L’Ordre Blanc les extermina il y a des siècles. Du moins, c’est ce qu’ils pensaient. S’ils revenaient, ils devaient se dépêcher.
Mais ils ignoraient où chercher. La forêt était si dense qu’en faire le tour leur prendrait plusieurs jours. Par chance, ils savaient où les chasseurs avaient l’habitude de partir. Olric écoutait les oiseaux chanter et l’un de ses compagnons siffloter. La profondeur de la forêt les oppressait, ils se sentaient minuscule. Olric sursauta à chaque bruit. Il restait à l’affut du moindre craquement de branche, du moindre bruissement de feuille. Il craignait d’apercevoir un basilic jaillir de ces plantes vertes. Ses yeux bleus se perdirent dans les bois jusqu’à ce que leur capitaine parle.
— Ton casque, Wyatt ! s’énerva Trevor.
— C’est bon !
Trevor dégaina son épée. Olric se figea, fixa la lame. Il déglutit et sortit son arme tout comme les autres soldats. Les battements de son cœur s’accélérèrent. Il souffla.
— Casque ! lança Olric à son ami.
Wyatt n’écoutait pas. Sur ses gardes, il ne se concentrait plus que sur les feuilles qui frémissaient au sol. Quelque chose approchait, ils le sentaient tous. Des sifflements se firent entendre et les hautes herbes s’abaissèrent. Olric déglutit, une goutte de sueur perla sur son front. Son regard resta rivé sur les plantes qui se mouvaient. Soudain, une bête jaillit du sol. Sans un bruit, Trevor trancha son corps. Les deux moitiés du serpent volèrent dans une gerbe de sang.
— Juste un serpent, rit Wyatt pour décompresser.
— Restez sur vos gardes, ordonna Trevor.
Tous semblaient garder leur sang froid alors qu’Olric, lui, stressait. Toutefois, il ne le montrait pas. il craignait qu’on le juge, un soldat trop sensible ne pouvait pas combattre. Leur marche continua de longues minutes jusqu’à ce qu’une odeur de pourriture leur donne des nausées. L’air devint tout à coup insoutenable, Olric écarquilla les yeux. Là, devant lui, un liquide carmin tachait l’herbe. Du sang. Il y en avait partout. Le cœur battant, il avança lentement puis se figea. Bouche bée, observa le massacre. Deux chasseurs gisaient au sol, baignant dans leur sang. Des larves se nourrissaient dans l’abdomen perforé du premier. Une vision qui rendit Olric aussi pâle que son armure. Il tituba et détourna le regard. Jamais il n’avait vu un corps aussi abimé. Ce trou béant laissait entrevoir ses organes liquéfiés pour la plupart. Mais la chose la plus horrible restait son visage. Sa peau de même pour sa chair furent dissoutes ne laissant plus que les os blancs. Aux différentes traces de morsures, il comprit que les monstres s’étaient déjà nourris.
— Ça empeste la mort, lâcha Trevor. Cette odeur piquante, c’est bien de l’acide.
— Maudits serpents, pesta Wyatt.
Olric suivit son ami qui se lança dans une rapide exploration. La présence des hautes herbes obstruait sa vue. Olric souffla, de nombreux insectes grouillaient au sol. Wyatt s’abaissa et jura.
— J’ai trouvé un pied !
— Un quoi ? s’étonna Olric en se retournant.
Son allié lui présenta un pied qu’il tint par la cheville. Soudain, Olric recula. Dans ses pupilles se refléta une silhouette monstrueuse et dangereuse.
— Derrière-toi ! bredouilla-t-il.
Wyatt se retourna, étonné. Un immense serpent aux écailles bleu-vert se dressa face à lui. Avant même qu’il n’attrape son épée, le serpent siffla puis cracha. Aussitôt, Wyatt sentit un liquide glacial mordre sa peau ; il hurla de toutes ses forces. Ses mains passèrent sur son visage qui rougeoyait. Ce froid mortel arracha sa peau par lambeaux, il tomba au sol sans cesser de crier. Ses yeux se transformèrent en une bouillie sanglante, la douleur rongea alors sa chair même. Impuissant, Olric observa la scène sans bouger. Son ami s’écroula et cessa d’hurler. Il observa son corps défigurer ; son sang se glaça. Soudain, il releva la tête ; le basilic avait disparu. Il déglutit, son cœur se mit à battre de plus en plus vite.
— Merde ! s’écria Jorgen.
Les soldats se regroupèrent autour du corps de leur camarade. Jorgen pressa sa main sur l’épaule d’Olric. Il le comprenait, plus qu’un frère d’arme il venait de perdre un ami. Soudain, ils perçurent un sifflement. Olric se tourna et, en une poignée de secondes, le basilic se propulsa sur lui. Olric, dans un cri de douleur, se retrouva écrasé contre un arbre. Aussitôt, les trois soldats se ruèrent sur la bête. Dans un sifflement rauque, son corps se contorsionna et elle cracha son puissant acide.
Jorgen s’élança face à elle et, en une roulade, se retrouva à sa droite. Avant même que le basilic ne puisse esquiver, il frappa sa nuque. Le serpent recula et, dans son regard, Jorgen lu une rage profonde. Trevor et le dernier soldat émergèrent de derrière mais d’un mouvement de queue, le basilic les envoya au sol. En un instant, il tourna la tête et fondit sur le sol avant de disparaitre dans les fourrées.
Les quatre hommes restèrent sur leur garde. Ils percevaient toujours le sifflement du monstre, signe qu’il ne s’était pas caché. Olric souffla, il sentit la sueur couler le long de son front. Les basilics étaient de redoutables prédateurs ; deux couches d’écailles recouvraient leur peau et leur vivacité n’avait d’égal que leur dangerosité. La perte de leur camarade les affectait, les enrageait mais ils devaient garder leur sang-froid. À la moindre faille, le serpent les tuerait.
Trevor scrutait la forêt à l’affut du moindre mouvement. Soudain, les plantes frémirent sur sa droite.
— Là !
Il s’élança. Le basilic jaillit des plantes, ouvrit sa gueule remplie de minuscules crocs. Trevor leva son arme et, dans un cri de courage, frappa de plein fouet. Le serpent retomba au sol et rampa sur sa droite. Puis, il se contorsionna et fonça sur Jorgen. En une roulade, l’ancien forgeron esquiva le coup. Le quatrième soldat émergea face au monstre et planta sa lame dans sa nuque. La bête émit un sifflement empli de souffrance. Elle se redressa et cracha, l’homme esquiva d’un bond. De derrière, Olric chargea. D’un bond, il frappa sa tête. Soudain, la bête siffla et s’enroula autour de son corps. Les craquements qu’émirent son armure le firent hurler. Trevor se précipita sur lui et attaqua. Le monstre esquiva puis, referma ses puissantes mâchoires sur son bras droit. Trevor se débattit mais seul un miracle pouvait le sauver. Dans un élan de courage, Jorgen bondit sur le monstre, s’agrippa à son cou et enfonça ses index dans ses yeux. La bête hurla et lâcha prise puis envoya l’homme au sol. Aveuglée, elle ne pouvait se fier qu’à son ouïe. Dans un bond, Trevor planta sa lame dans ses yeux. Le monstre se débattit, siffla. Le capitaine poussait sur son épée. Ensemble, ses hommes s’élancèrent sur le monstre et entaillèrent ses écailles, sa peau, sa chair. Au bout d’une trop longue minute, les sifflements sifflèrent et la bête s’écroula au sol. Tous fixèrent ce cadavre comme pour s’assurer qu’il ne se redresse pas.
Olric déglutit et se retourna vers Wyatt, la mine peinée. Il fixa longuement ce corps dénué de vie et ravagé par l’acide. Quelques heures avant, il buvait encore de l’hydromel avec lui et riaient de bon cœur et à présent, il gisait au sol. D’une tape dans le dos, Jorgen s’avança à ses côtés. Leur capitaine soupira avant de s’adresser à eux.
— Nous allons l’enterrer ici.
Il froid mais au fond de lui, son cœur était en peine. Tous avaient conscience du danger qu’ils vivaient pourtant, perdre l’un d’eux restait une épreuve difficile.
Ils se mirent à la tâche dans le plus grand silence, même la forêt cessa d’émettre le moindre bruit. Le deuil ouvrait leurs cœurs comme ils creusaient la terre. Wyatt n’était plus. Ils auraient aimé pouvoir le ramener mais ils n’en avaient pas les moyens. Ils plongèrent le corps en terre et attendirent un instant avant de le recouvrir. Sans larmes, sans un mot, leurs regards se plongèrent sur le sol. Leur frère d’armes les avait quittés aujourd’hui. Dans un dernier salut, ils l’enterrèrent et partirent.