Chapitre 4

Attentif, assis face à Esmine, Jahangir avait posé ses coudes sur la table de bois, ses doigts fins couverts de lourdes bagues se rejoignaient à leurs extrémités et le bout de ses index touchait la pointe de son nez. Parfois ses mains descendaient sur son menton où il caressait sa fine barbe, trahissant sa profonde concentration. Il écoutait ce que disait la sorcière dont la nervosité contrastait avec le calme de son interlocuteur.

 

-- Jahangir, expliquait celle-ci en tapotant ses doigts sur le bois de la table, voici la raison de ma visite. Nous avons, par des sources sûres, eu connaissance de l’installation à Coloratur d’un mage d’une très grande puissance. Nous ne savons pas d’où il vient, mais il est possible qu’il arrive d’un autre monde, car nul n’a jamais entendu parler de lui jusqu’à présent.

-- Que me racontes-tu là ? questionna Jahangir, perplexe. Depuis quand es-tu au courant ? Quelles preuves as-tu de ce que tu avances ?

-- Nous sommes bien renseignées, mes amies et moi, répondit Esmine sèchement.

-- Balivernes ! s’écria Jahangir, Vous êtes un groupe de pies bavardes incapables de gérer vos pouvoirs. Qu’avez-vous accompli depuis votre installation à Astarax ?   

-- Nous disposons de relais qui nous transmettent des informations depuis Odysseus, nous sommes sans cesse à l’affût des nouvelles de ce continent dont la gouvernance a toujours en tête de dominer le monde, répondit Esmine, ignorant la méchanceté de Jahangir.

-- J’avais moi-même essayé de régner sur Odysseus il y a fort longtemps, répliqua Jahangir d’un ton aigre, mais j’ai été débouté par des êtres abjects qui ne pensaient qu’à détruire mon œuvre. Tant de travail annihilé par une poignée d’imbéciles !

-- Certes, tu n’as pas eu de chance, Jahangir, mais le problème est bien autre désormais. Ce mage est si puissant qu’il pourrait transformer notre planète en un enfer invivable. Nous ne connaissons pas encore ses desseins, mais ils sont certainement destructeurs, poursuivit Esmine. Si nous ne nous mobilisons pas contre lui, il va nous anéantir, nous et le reste de l’univers. Il terrorise la ville de Coloratur toutes les nuits. Pour l’instant, il n’a pas encore agi, mais tous les soirs mes correspondantes tremblent de savoir quand il va déclencher son attaque. C’est pourquoi je suis venue te proposer une alliance, car si nous restons seules mes amies et moi, nous ne serons pas en mesure de le vaincre. Or seul un groupe de sorciers et de magiciens qui uniront leurs pouvoirs et leurs forces pourra contrer ses ambitions.

-- C’est une bonne initiative, mais ne vous faites aucune illusion, dit Jahangir en éclatant d’un rire moqueur qui chez lui ressemblait à des bêlements de chèvre. Une poignée de sorcières ! vous n’êtes pas de taille, ni à vaincre un mage puissant ni à dominer le monde !

-- Sois sérieux Jahangir, je n’ai pas envie de plaisanter, rétorqua Esmine avec fureur.

-- Eh bien pour une nouvelle, soupira Jahangir, mes aspirations à devenir le maître de l’univers sont à nouveau compromises.

-- Concernant tes ambitions de régner en despote, oublie-les, nous t’en empêcherions ! s’écria Esmine. Nous voulons conserver notre liberté, il n’est pas question d’obéir à un seul et unique magicien. Si un jour tu deviens maître de l’univers, tu devras nous associer avec toi. 

-- Tu me fais rire, quels pouvoirs aurais-tu contre moi si je dominais le monde ? Je peux t’écraser comme un insecte rien qu’avec ma pensée ! Mais que proposes-tu alors ? demanda Jahangir. 

 

Il était furieux d’être à nouveau bafoué dans ses rêves les plus exaltants par des ensorceleuses qu’il estimait être des amateurs. 

 

– Et comment s’appelle ce mage si puissant que je n’ai pas l’honneur de connaître ? reprit-il.

-- Anamon.

-- Jamais entendu parler. Comment sais-tu tout cela ?

-- Je t’ai dit que nous avons des relais sur Odysseus qui nous envoient des informations. Nous redoutons qu’Anamon manifeste et étende son pouvoir sur d’autres territoires qu’Odysseus. Nous sommes désormais certaines que c’est lui qui déclenche les séismes qui secouent notre monde. 

-- Tu veux parler de la désertification, des tsunamis et de l’avancée des glaces ? dit Jahangir. 

-- Oui.

-- Et ce ne serait pas la faute des hommes et de leur folie des grandeurs ? poursuivit Jahangir.

-- Nous pensons qu’Anamon aiguise cette tendance et quand cela ne l’amuse plus, il frappe un grand coup.

– Depuis combien de temps agit-il à Coloratur ? s’enquit Jahangir.

– Depuis peu, avoua Esmine. Mais ses manifestations sont si spectaculaires qu’il nous semble essentiel, voire vital d’agir au plus vite.

-- Je crois que ce que tu racontes est du pur fantasme. Tu n’as aucune preuve de ce que tu avances. Mais je prends ton alerte au sérieux, tu n’as pas inventé la présence de ce sorcier. Comme il n’y a pas de fumée sans feu, il y a une part de vérité dans tes élucubrations. 

– A Coloratur, tout le monde le voit tous les jours. Anamon sort la nuit et étend son ombre gigantesque sur la ville. Il prend la forme d’un serpent cobra dont les yeux étincellent dans l’obscurité. Les hommes ne semblent pas encore s’en méfier, ils sont trop occupés par leurs propres problèmes, mais ils sont inconscients. Ce n’est pas du fantasme, si tu veux savoir, riposta Esmine, furieuse de l’attitude désinvolte de Jahangir. 

– Si tu dis vrai …, murmura Jahangir encore incrédule. un magicien qui agirait sur les éléments … mais alors … si nous éliminons Anamon … tout pourrait redevenir comme avant ? 

 

Jahangir entrevoyait soudain l’opportunité d’un nouvel avenir pour ses vieux rêves et caressait sa barbe avec satisfaction. Dans sa tête, toutes les idées et les images se mettaient à tourner à grande vitesse. Il était resté si longtemps prostré dans sa petite vie bien rangée, cloîtré au fond de sa ruelle dans sa maison prison, qu’il n’avait plus fait travailler ses petites cellules grises autant qu’il l’aurait dû. Et voilà que les rouages de ses neurones qui semblaient rouillés fonctionnaient à nouveau, les choses s’enchaînaient les unes aux autres, d’abord doucement puis de plus en plus vite, une idée en amenait une autre puis une nouvelle, comme un tourbillon, et un mince sourire vint s’imprimer sur le visage du magicien immobile.

 

-- Mais avant de l’éliminer, nous avons un plan à définir, une organisation à mettre en place, le but est de nous associer pour être plus forts et plus puissants que lui, et le vaincre, intervint Esmine qui commençait à avoir peur que son interlocuteur ne veuille se battre seul contre Anamon, ce qui lui semblait une absurdité.

-- Évidemment, répondit Jahangir. 

-- Tu es bien d’accord sur le principe ? insista Esmine. 

-- Explique-toi, répliqua Jahangir. 

-- Tu connais mes amies, reprit Esmine, Sasa et Addora. En réalité nous sommes soeurs, mais inutile de te raconter notre vie.  

-- Mais si, c’est absolument nécessaire, répondit Jahangir. Je dois tout savoir de vous. Je ne veux pas m’allier avec des inconnues.

-- Et tu nous diras tout de toi ? ironisa Esmine.

-- J’essaierai … mais j’ai vécu si longtemps, j’ai oublié beaucoup de choses, fit Jahangir d’un ton vague.

-- Je n’en crois rien, trancha Esmine.

 

En réalité, Jahangir n’avait pas l’intention de dévoiler ses secrets aux trois sorcières, et surtout pas son ambition de conquérir les océans. Tandis que Esmine parlait, il cherchait comment lui cacher ses pensées et ses actes les plus secrets car il redoutait qu’elle ait des pouvoirs de divination qu’il ignorerait. 

 

-- Nous sommes nées il y a des centaines d’années ici à Astarax, et nous y avons toujours vécu. Personnellement j’ai beaucoup voyagé à l’époque où la ville était un port. Je prenais souvent le bateau et je me rendais un peu partout, au Nord, au Sud, et bien sûr à Coloratur. Nous y avons des cousines.

-- Voici tes fameuses donneuses d’informations, ricana Jahangir.

-- Absolument, renchérit Esmine, nous pouvons toujours compter sur la famille.

-- Mais qui étaient vos parents ? questionna le magicien.

-- Ils habitaient ici, dans la même maison que celle où nous logeons aujourd’hui. Ce n’étaient pas de grands sorciers, mais ils nous ont enseigné leur art et nous avons su améliorer beaucoup de choses. Tiens, par exemple, cette capacité que nous avons à changer notre apparence, c’est une pratique que nous maîtrisons parfaitement toutes les trois. Je crois que les sorts d’origine remontent à la reine Roxelle qui régnait sur Phaïssans. A l’époque où Phaïssans était un pays de Cocagne. Aujourd’hui les choses sont bien différentes, soupira Esmine.

-- Continue, insista Jahangir que les souvenirs nostalgiques d’Esmine n’intéressaient pas..

-- Sasa est de santé fragile, elle n’a pas quitté Astarax, c’est elle qui s’est perfectionnée dans la fabrication de potions magiques. 

-- En effet je l’ai rarement vue, dit Jahangir.

-- Tu l’as probablement vue beaucoup plus que tu ne crois, mais sans la reconnaître, fit Esmine avec un petit rire. Nous nous transformons rapidement, comme je viens de te le dire.

-- Abrège donc tes balivernes et poursuis, grogna Jahangir entre ses horribles dents noires.

-- Addora est notre cerveau, c’est elle qui imagine des scénarios, elle tient les comptes de la maison et elle rédige nos grimoires.

-- Et toi ? Que fais-tu, et qu’avez-vous accompli toutes les trois ? insista Jahangir. Je n’ai jamais entendu parler de vos exploits. Et pourtant j’habite ici depuis fort longtemps … 

-- Comme je te disais, je voyage. C’est moi qui ramène les ingrédients pour les potions, je recherche de nouvelles idées en observant le monde et je les soumets à mes sœurs.

-- Et vous vous ressemblez toutes les trois ? demanda encore Jahangir.

-- Nous sommes exactement semblables, répondit Esmine.

-- Comme c’est compliqué, répondit Jahangir, en somme quand je verrai l’une d’entre vous, je ne saurai jamais à qui j’ai affaire.

-- C’est exact, mais qu’y pouvons-nous ? Nous avons été conçues comme ça. 

-- Je n’aime pas beaucoup ça, justement, fit Jahangir, c’est confusant.

-- Il faudra t’y habituer.

-- Admettons. La suite ?

 

Jahangir commençait à s’impatienter, Esmine le regardait désormais sans plaisir. 

 

-- Anamon se trouverait dans le château de Coloratur, dit-elle. Du moins dans ce qu’il en reste.

-- Tu plaisantes ? s’écria Jahangir, c’est là que j’avais installé mon laboratoire quand je préparais mon attaque fulgurante, dans les oubliettes du château. Mais tout a été détruit.

-- Tu veux dire que le palais a été détruit à ton époque ? demanda Esmine avec étonnement.

-- Non, pas le palais, mon laboratoire et tous les souterrains qui y menaient ont été enfouis sous la montagne qui s’est effondrée. Mais de toutes les illusions que j’avais mises en place et qui en faisaient un château des plus remarquables, rien n’a subsisté, rien n’a résisté à ces vandales ...

 

La colère étouffait encore Jahangir à l’évocation de ce souvenir cruel. 

 

-- Eh bien désormais c’est le palais qui a été détruit. Très récemment. Ce n’est plus qu’un tas de pierres et de gravats.

-- C’est vrai ? Ah ! Je suis bien vengé ! s’exclama Jahangir.

 

Il éclata d’un rire triomphant qui dura plusieurs minutes, et chez lui ce rire ressemblait à un hoquet tandis que sa bouche s’étirait en un affreux rictus. Puis il se calma, mais il était encore secoué par des spasmes nerveux qui déformaient son visage et le rendaient encore plus effrayant. Il ne faisait pas peur à Esmine, elle n’avait eu qu’un objectif en venant le voir, faire une alliance avec lui pour se protéger de la menace d’Anamon. Elle avait depuis longtemps entendu parler de Jahangir, sa réputation n’était plus à faire dans le monde des sorciers et des magiciens. Aussi elle pensait qu’avec son soutien, elle pourrait se battre à armes égales contre Anamon. Jahangir habitait à côté de chez elle ce qui faciliterait leur éventuelle coopération, c’est pourquoi elle s’était décidée à lui rendre visite. Cependant elle était déçue par les remarques du magicien. Elle se demandait s’il n’avait pas exagérément vieilli et si ses capacités magiques ou même intellectuelles n’étaient pas réduites. Mais elle s’accrochait à son idée, n’ayant pas eu la preuve que les pouvoirs de Jahangir avaient effectivement diminué. Et puis elle captait par instant au fond de ses yeux une étincelle qui la confortait dans son hypothèse qu’il devait beaucoup simuler.

 

-- Quel plan proposes-tu ? demanda Jahangir lorsqu’il eut fini de rire, puisque c’est pour ça que tu es venue. Mais dis-moi d’abord, est-ce Anamon qui a anéanti le château ? 

-- Je ne peux pas te le confirmer, mais je pense que oui. 

-- Tu es incapable de m’apporter des informations importantes et fiables, c’est bien dommage. Alors, insista Jahangir, parle-moi de ton plan.

-- Je n’ai pas de plan défini, avoua Esmine, mon objectif c’est que nous rassemblions nos forces, nos pouvoirs et nos intelligences et que nous bâtissions ensemble ce plan.

-- C’est bien maigre, dit Jahangir, j’ai un peu l’impression que tu attends tout de moi et que tu n’as en réalité aucune idée en tête.

-- C’est assez vrai, je compte beaucoup sur toi, je sais que tu es un magicien très puissant, le flatta-t-elle habilement. 

-- Je dois réfléchir, je ne te dis pas que j’accepte, j’ai besoin d’en apprendre plus, répondit Jahangir qui commençait à se sentir concerné et que ce défi stimulait. 

 

Se mesurer à un mage puissant représentait un challenge qu’il jugeait digne de lui, mais il ne voulait pas se lancer trop vite, il en savait trop peu. En quelque sorte, Esmine se mettait à son service, et cette circonstance le satisfaisait. 

 

-- Pour en connaître davantage, il faut se rendre sur place, dit Esmine. Les transports ne sont pas sûrs de nos jours.

-- Ne t’inquiète pas pour ça, fit Jahangir, je saurai me débrouiller pour débarquer sur Odysseus sans aucun problème. Laisse-moi aller faire un tour à Coloratur et prendre la température là-bas, ensuite je reviendrai ici et nous discuterons de notre plan d’action. J’aurai peut-être des idées d’ici là.

-- Très bien. As-tu besoin de quelque chose ? demanda Esmine.

-- Je n’ai besoin de rien, répondit Jahangir, reviens dans trois jours et nous verrons ce qu’il convient de faire. 

 

Esmine était dépitée. Jahangir ne l’impressionnait pas, elle n’était arrivée à rien avec lui. Et il fallait encore attendre trois jours avant de faire quoi que ce soit, alors que les choses s’accéléraient à Coloratur. Ses informatrices venaient de lui apprendre que la population s’était révoltée et qu’il n’était plus possible de circuler dans les rues. La milice était devenue impuissante, les bâtiments officiels avaient été pris d’assaut et détruits, la gouvernance avait fui on ne savait où et le chaos régnait sur la ville. Et tous les soirs, l’ombre menaçante s’étendait de plus en plus loin sur la cité. Dorénavant elle effrayait les gens par sa taille gigantesque et les sifflements qu’elle émettait. 

 

Jahangir avait coupé court aux explications incomplètes et aux interprétations, il voulait voir par lui-même. La sorcière comprit qu’elle n’obtiendrait pas davantage de réponses ce jour-là. Aussi prit-elle congé et regagna sa demeure dans la ruelle sombre. A peine eut-elle ouvert la porte de chez elle qu’elle se détripla en trois personnes identiques qui se regardèrent en soupirant. Il était beaucoup plus facile ainsi de discuter. 

 

-- Il est pire que ce que nous pensions, incapable de croire qui que ce soit s’il n’a pas constaté par lui-même. Jamais on ne pourra faire une alliance sérieuse avec lui, dit l’une d’elle.

- Heureusement il n’a pas compris que nous n’étions qu’une seule personne, et trois à la fois, ajouta une autre des trois soeurs. Il a gobé tout ce que nous lui avons raconté.

-- En attendant, il ne m’amuse pas du tout, fit la troisième, et il ne m’inspire aucune confiance. J’imaginais à tort qu’il aurait des idées, des propositions, il a l’air d’être un vieux clown incapable. 

-- Malgré son air idiot, son aide Marjolin semble beaucoup plus malin, voire plus intelligent. Tu as vu son regard derrière ses lunettes bleues ?  

-- Et si nous misions sur lui ? proposa l’une d’elle.

-- Nous pouvons tenter l’expérience, c’est une solution, conclut la dernière. Mais je n’enterrerais pas Jahangir tout de suite, c’est un vieux rusé qui a plus d’un tour dans son sac, il nous mène en bateau depuis le début, j’en suis convaincue. 

 

Tandis que les sœurs devisaient, une ombre sortit de chez Jahangir et se glissa le long de la ruelle. Le sorcier, car c’était lui, se dirigeait vers la plage. Sur la route, il vérifiait à chaque instant en jetant des regards furtifs par-dessus son épaule que personne ne le suivait. Lorsqu’il en fut certain, il bifurqua vers la grève et marcha sur le sable jusque dans l’eau où il s’enfonça rapidement, puis disparut. Ayant pris sa forme de requin, il nagea vers les fonds marins pour se diriger à grande vitesse vers Odysseus. 

 

Jahangir ne se doutait pas que sa créature était derrière lui. Pour la première fois, Marjolin avait lancé le sort d’invisibilité qu’il maîtrisait enfin. Bien qu’il ait prétendu le contraire, il avait réussi à déchiffrer les runes du grimoire. Sa vue était moins mauvaise qu’il ne le disait et il se laissait souvent guider par son intuition. Après de nombreuses tentatives infructueuses, il avait enfin compris comment la formule fonctionnait. Il avait commencé à l’utiliser en remontant dans la salle où Esmine et Jahangir complotaient. S’approchant d’eux sans qu’ils ne le voient ni ne soupçonnent qu’il les écoutait, il avait entendu toute leur conversation. Il avait compris que Jahangir avait l’intention de traverser l’océan pour aller sur Odysseus. Il s’était précipité dans la ruelle dès que son maître avait quitté la maison après l’avoir informé qu’il allait faire un tour et l’avait suivi à distance. Parvenu à son tour sur la plage, il vit Jahangir s’élancer sous l’eau et regarda les vagues venir mourir sur le rivage après sa disparition. Il était assuré que son maître ne reviendrait pas avant longtemps, c’était à lui d’agir désormais.  

 

Revenant à pas lents vers la maison, il pénétra dans la ruelle et se trouva soudain nez à nez avec les trois sœurs qui sortaient de chez elles. Elles le croisèrent sans le voir et continuèrent leur chemin. Marjolin éprouvait une grande satisfaction, ce sort d’invisibilité lui donnait un pouvoir extraordinaire. En peu de temps il avait déjà appris beaucoup de choses qu’il aurait ignorées autrement. Il rentra chez lui sans avoir besoin d’ouvrir la porte car il pouvait passer à travers en étant invisible, annula le sort et retrouva sa forme habituelle instantanément. Il se dirigea aussitôt vers le laboratoire. Il avait vu dans son grimoire tout un chapitre consacré aux sorts de téléportation, et il projetait de l’étudier sans retard car il commençait à penser qu’il aurait bientôt besoin de voyager. Il avait envie de se rendre très vite à Coloratur car il se doutait que Jahangir voudrait œuvrer seul, et il ne voulait pas le laisser faire. 

 

Pendant ce temps, Jahangir avançait sous l’océan en ondulant. Il se demandait où il serait judicieux d’aborder sur Odysseus pour être le plus près possible de Coloratur. Tous les vieux ports étaient désormais ensablés, car la mer s’était retirée très loin des anciennes côtes, Tacomir se trouvait dans le désert et le delta du Tombo n’était même plus un marais. Quant à la baie où s’était déroulée la bataille contre Matabesh, c’était une vallée brûlante où il valait mieux ne pas s’attarder. Il était finalement préférable de s’approcher au plus près de Coloratur et de finir la route à pied, de préférence de nuit pour éviter les trop grandes chaleurs.

 

Pour une fois, Jahangir ne perdit pas de temps à aller jeter un coup d'œil sur le palais de Lamar, il avait d’autres préoccupations. Il nagea en direction de Coloratur sans escale. Le chemin à parcourir était long. Il dut croquer quelques proies en route pour avoir suffisamment d’énergie pour faire la traversée d’une seule traite. Il passa le long du rivage de Der-Shappah. Il y avait englouti une ville entière sous le sable lors de ses expérimentations dans le passé. Il longea la presqu’île du volcan enfoui sous l’océan après qu’il l’eût fait explosé, rejoignit les falaises à l’ouest de Tacomir, au nord de la passe où il avait combattu le roi Matabesh avec ses forces armées, et vint s’échouer sur une plage au sud de Coloratur.  

 

Il se trouvait néanmoins très loin de la cité, en plein jour et au milieu des dunes. Il avait repris sa forme habituelle, sous sa longue robe à capuche qui le protégeait des ardeurs du soleil et s’apprêtait à marcher sur le sable brûlant. Le temps pressait, il ne pouvait pas attendre la nuit pour traverser le désert, aussi se mit-il tout de suite en route. Tout autour de lui, les paysages étaient lunaires, les volcans sous marins révélés par le retrait des eaux apparaissaient comme des boursouflures hérissées de dents calcaires, la végétation d’algues et les coraux étaient desséchés au point de partir en poussière, des ossements d’animaux marins blanchissaient sous la lumière aveuglante, tout était désolé. Jahangir côtoyait les mêmes cadavres et débris qu’il voyait au fond de l’océan, mais au grand jour, et comme pulvérisés par la chaleur et les vents du désert. Cependant il ne les regardait pas, obnubilé par son objectif d’arriver à Coloratur.  Il ne sentait plus la morsure du soleil ni les nuages de sable qui l’enveloppaient, car il avait lancé un sort de protection qui l’entourait d’une pellicule transparente et humide. Il avançait d’un pas déterminé en direction de la ville, sans jamais ralentir son allure. 

 

Après une demi-journée de marche rapide, il aborda les faubourgs de Coloratur. Tout comme Astarax, la ville avait été dévastée par les bombes et les incendies. Mais un effort de reconstruction avait été opéré dans cette cité. De nouvelles habitations avaient été élevées à la va-vite pour loger les populations, si vite que la plupart d’entre elles s’étaient déjà écroulées et formaient des monticules enchevêtrés à tous les coins de rues. Tout semblait bizarre. Une fine pellicule de poussière en suspension au-dessus de Coloratur filtrait les rayons du soleil, il faisait un peu moins chaud et plus sombre que dans le désert. Depuis que les immeubles s’effondraient un peu partout en soulevant des nuages de pollution, la qualité de l’air était très mauvaise et l’atmosphère souvent irrespirable.  Il n’y avait personne dans les avenues désertes qui convergeaient vers le centre-ville, et plus Jahangir s’approchait du cœur de la cité, plus il entendait des clameurs s’élever. Il commença à croiser des gens qui fuyaient la rébellion. Malgré ses vêtements étranges et sa capuche qui masquait son visage et ses yeux, personne ne le remarquait, il pouvait déambuler dans les rues sans attirer l’attention. La foule se densifia petit à petit et bientôt il se trouva encerclé par les manifestants qui exprimaient leur colère. Il se promit de ne rester que quelques minutes au milieu des rebelles pour apprendre les raisons de l’insurrection et vérifier ce que lui avait dit Esmine, car il détestait la proximité des hommes. Ensuite il s’écarterait et gagnerait le quartier de la ville haute, jusqu’au château.

 

En se faufilant parmi les insurgés, il écoutait leurs propos. Il comprit que la population était exaspérée par la gestion désastreuse de la ville, la corruption, la vétusté, l’insalubrité et l’écroulement progressif de toutes les habitations et le nombre croissant de morts innocents. Depuis des années, la gouvernance avait imposé sa loi par la force, et fait régner la terreur par l’intermédiaire d’une milice cruelle. Mais devant le soulèvement des habitants, les dirigeants avaient pris peur, ils avaient tout de suite capitulé et s’étaient enfuis sous la protection de la police. L’anarchie la plus complète avait envahi les rues, les places, les maisons. Nul ne savait ce qui allait se passer mais la violence s’installait déjà. Un peu partout, des gens se battaient, s’invectivaient, se marchaient les uns sur les autres. Des sauveteurs transportaient des brancards et quelques malheureuses ambulances essayaient désespérément de sauver les blessés en les emmenant hors de l’enfer pour les soigner. 

 

-- Si j’en crois les racontars d’Esmine, Anamon répand le chaos, pensait Jahangir en voyant le terrible désordre. Ça me rappelle quelque chose … J’en aurais bien fait autant à une certaine époque, je trouve ça au fond assez amusant … oui, mais alors on ne maîtrise plus rien car les hommes sont indisciplinés et font n’importe quoi quand ils paniquent. Enfin, grâce à son stratagème, Anamon a chassé la gouvernance et la milice et il est seul aux manettes. Ce qui m’intrigue, c’est que personne ne parle de cette ombre évoquée par Esmine … Je croyais qu’il faisait peur aux habitants … Ils ont l’air de craindre davantage les tremblements de terre et les brigands. Enfin je comprends qu’il y aura un jour un terrible combat entre Anamon et moi … Il ne pourra en rester qu’un pour dominer le monde, et ce sera moi. Je dois me préparer à cette éventualité. 

 

Il s’extirpa rapidement de la foule et gagna des ruelles moins peuplées. Il se dirigeait vers la ville haute. La nuit commençait à tomber, noyant dans l’obscurité la laideur de la cité en ruines. Jahangir longeait un trottoir quand une dizaine de pilleurs surgit de l’ombre et s’avança vers lui. 

 

-- Holà l’homme ! s’écria l’un d’eux, qui es-tu ? Où vas-tu donc comme ça ? Arrête-toi et donne-nous ta bourse. Dans tous les cas, n’aie plus d’espoir. Nous te tuerons après, tu es au bout de ta vie !

 

Et l’homme partit d’un rire cynique tandis que les autres entourèrent Jahangir en sortant leurs armes. Ils s’approchèrent de lui presque à le toucher.

 

-- Allons, allons, insista le bandit, voyant que Jahangir n’obéissait pas à son injonction. Fais preuve de bonne volonté sinon c’est sur ton cadavre que nous récupérerons ta bourse. 

 

Soudain, avec la vivacité d’un fauve qui attaque sa proie, Jahangir abaissa d’une main sa capuche et se mit à tourner sur lui-même comme une toupie en tendant l’index de son autre main, incantant un sort mortel qu’il lança devant lui sur sa trajectoire circulaire. Avant qu’aucun des malfrats n’ait eu le temps de réagir, huit d’entre eux gisaient sans vie sur le sol. Les deux autres tremblaient comme des feuilles, incapables d’imaginer qu’une seconde auparavant ils appartenaient à un puissant groupe de racket, dont ils étaient les seuls survivants.

 

-- Tiens, tiens, fit Jahangir, vous êtes moins fiers maintenant ! Vous voici devenus mes esclaves. Je peux faire de vous ce que je veux, vous êtes à mes ordres, sinon je ne donne pas cher de vos vies. C’est bien compris ?

-- Oui, Maître, murmurèrent les deux complices qui n’en menaient pas large.

-- J’ai quelques questions pour vous, bande d’incapables. Avez-vous entendu parler d’une ombre puissante qui plane sur Coloratur ? poursuivit Jahangir.

-- Tout le monde l’a vue, elle sort la nuit, répondit l’un des deux hommes en chevrotant. Elle est gigantesque. 

-- Savez-vous de quoi ou de qui il s’agit ? demanda Jahangir.

-- C’est un maléfice, pour sûr, hasarda l’autre pillard. On ne sait pas si ce n’est pas juste une illusion pour faire peur et faire fuir les gens.

-- Nous, on n’a pas peur, ajouta le premier qui retrouvait un peu d’aplomb.

-- Montons à la ville haute, je veux voir de quoi il retourne, dit Jahangir. 

-- Tu es bien certain de vouloir aller au château, Maître ? s’enquit le second qui ne semblait pas aussi rassuré qu’il le prétendait.

-- Tout à fait certain, affirma Jahangir. Et comment vous appelez-vous ? Après tout, vous allez me suivre, j’ai besoin que vous ayez des noms. 

-- Liam, dit l’un.

-- Niall, répondit l’autre. 

-- Parfait, suivez-moi maintenant.

 

Et Jahangir rabattit la capuche sur sa tête. Enjambant les cadavres étalés sur le sol, il se remit à marcher en direction de la ville haute, Liam et Niall sur ses talons.

 

-- Montons jusqu’au château, reprit Jahangir en se faufilant dans les ruelles tortueuses sans hésiter, comme s’il les connaissait par cœur. Vous aurez pour mission de m’aider à fouiller les gravats, et de me dénicher une maison pour loger. Je la veux vieille et fraîche, tout près de l’entrée du palais.

-- Nous la trouverons, dit Liam.

-- J’espère bien, rétorqua Jahangir qui avançait si vite que les deux pilleurs devaient courir pour rester à sa hauteur. 

 

Après l’escalade accélérée de la colline, ils parvinrent au sommet, devant l’ancienne entrée des remparts devenue un simple passage au milieu de tas de pierres. Quelques pans de murs épais restaient debout, mais il était impossible de reconnaître le palais d’autrefois avec ses fortifications, son pont levis, son donjon et sa cour, dans les ruines qui s’étendaient devant eux. La nuit était noire et le nuage de poussière qui flottait au-dessus de Coloratur masquait les étoiles. Le ciel était sombre, à peine strié par quelques rayons d’une lune timide et blanchâtre.   

 

-- A quelle heure vient l’ombre ? demanda Jahangir en baissant sa capuche et en levant la tête pour regarder en l’air.

-- C’est très variable, répondit Niall, elle pourrait bien ne pas tarder.

-- Il faudra que tu sois plus précis à partir de maintenant. J’ai besoin qu’on me donne des informations fiables quand je pose des questions ! Asseyons-nous quelques instants, je suis un peu fatigué dit Jahangir qui ne s’était pas reposé depuis son départ d’Astarax.

 

Avisant un soubassement derrière lui, il se laissa tomber sur la grosse pierre carrée et à peine fut-il assis qu’il s’assoupit quelques instants. Pétrifiés de peur devant ce sorcier cruel, les deux complices n’osèrent pas bouger et se contentèrent de regarder le ciel. Alors qu’ils attendaient que l’ombre se manifeste, ils virent soudain une épaisse fumée noire sortir des entrailles des vestiges du château et s’élever au-dessus d’eux.

 

-- La voilà ! s’écrièrent-ils, et Liam secoua Jahangir pour le réveiller.

-- Ne me touche pas ! rugit Jahangir en se redressant brusquement.  

-- Maître ! L’ombre est là, regardez ! 

 

Jahangir vit monter devant lui la nuée sombre qui se mit à grossir et gonfler, puis prit la forme d’un serpent cobra dressé, ses crochets à venin pointés vers l’avant et sa langue fourchue pendante. Le reptile ondoyait au-dessus du château sans se déplacer et grondait et sifflait. Jahangir l’écoutait attentivement tandis que Liam et Niall, transis de peur, s’étaient sauvés dans les ruelles un peu plus bas et se terraient sous un porche.

 

-- Je ssssssuissss Ynobod, chuintait le serpent, je ssssssuis venu me venger. Je ssssssssssais que tu es là … tu m’as abandonné …. et maintenant je vais te poursuivre jusqu’au bout du monde et te détruire … ssssssois maudit ...  

 

Jahangir avait mortellement pâli. Il avait immédiatement compris que le serpent s’adressait à lui et il avait reconnu cette voix … Personne … Le puissant magicien ne s’était jamais appelé Anamon, c’était une élucubration des sorcières, Ynobod était Personne, son ancien apprenti, sa créature qui avait survécu dans le cœur de la montagne lorsque son laboratoire avait été détruit. Jahangir était stupéfait, après des siècles et des siècles, cette voix venue du fond des âges lui rappelait un temps où il avait failli réussir à devenir le maître du monde.

 

Il se souvint de la grande balafre qui barrait le visage de son esclave, il était d’une laideur à faire peur et servile à souhait, et pourtant Jahangir avait toujours estimé qu’il était une créature parfaitement réussie. Il le considérait comme un double de lui-même qui n’avait pas de personnalité propre, un esclave à son service, une extension de ses yeux, sa bouche et ses oreilles pour ses missions à distance. Personne avait rempli les tâches les plus difficiles, les plus délicates, et avait toujours su les mener à bien. Malheureusement lors du dernier combat, il avait été atteint d’une flèche foudroyante qui l’avait tué net, alors comment expliquer que sa voix résonnait aujourd’hui au-dessus des décombres du château ? N’était-il pas vraiment mort quand Jahangir l’avait vu tomber ? Était-ce pour cela qu’il prétendait avoir été abandonné lorsque Jahangir s’était enfui pour sauver sa peau ? 

 

-- Je te reconnais, dit Jahangir d’une voix tremblante, tu es Personne. Mais comment peux-tu être encore vivant, je t’ai vu mort à mes pieds ?  

-- Jahangir … ma vengeancccce ssssera terrible, susurra l’ombre du reptile. Où que tu sssssois je te trouverai ….. et je t’écraserai …. tu ne sssssurvivras pas à ma malédiction ...

 

Pendant que le serpent le menaçait, Jahangir réfléchissait à toute vitesse. Si Ynobod ne l’avait pas encore tué, c’est qu’il n’en était pas capable. Il ne pouvait pas se matérialiser et envoyer des sorts de mort tant qu’il serait à l’état de fumée, cela donnait un peu de temps à Jahangir pour préparer sa contre attaque et se protéger. Il devait changer son plan initial. Il allait retourner à Astarax se mettre à l’abri dans sa maison fortifiée et envoyer Marjolin surveiller Personne et le château à Coloratur. Il lui faudrait trouver un moyen sûr de faire traverser l’océan à sa créature, car peu de bateaux se risquaient à naviguer désormais entre les continents, à cause des attaques de pirates ou des séismes. En attendant, Liam et Niall allaient faire le guet jour et nuit près du palais, et rapporteraient à Marjolin lorsqu’il arriverait. Et Jahangir devrait s’associer avec Esmine et ses sœurs, car le challenge était bien différent de ce qu’il avait imaginé. La haine et la soif de vengeance de Ynobod étaient si fortes qu’il pouvait réellement craindre pour sa vie, malgré tous ses pouvoirs. Jahangir ne pouvait rester en première position, il avait besoin d’alliés pour former un front qui le protégerait. 

 

-- Personne, murmura Jahangir sachant que le serpent l’entendait, si j’avais su que tu étais en vie dans le laboratoire, je t’aurai envoyé des sorts de guérison, mais tu gisais à mes pieds, inerte, mort.

-- Tu m’as ignoré une fois de plussssss, tu n’as même pas essssssssayé, je n’étais qu’un pion entre tes mains, existant uniquement pour te ssssssservir, répondit Ynobod, j’ai sssssouffert pendant des ssssiècles, enfermé et ssssseul, et maintenant est venu le temps de ma vengeanccccce ….   

 

Tandis qu’il sussurait, le serpent commença à se rétracter et à former un filet de fumée noir qui rapetissa, s’enfonça progressivement au milieu des ruines du château, et finit par disparaître tout à fait. 

 

Jahangir se releva, encore secoué par le choc qu’il venait de subir, et se mit à la recherche de ses deux acolytes. Il fallait faire vite désormais, il ne savait pas de combien de temps il disposait pour retourner chez lui.

 

-- Où êtes-vous, misérable engeance, hurla-t-il en parcourant les ruelles désertes.

-- Nous sommes là, chevrotèrent les deux lascars qui tremblaient dans le renfoncement d’un porche sombre lorsque Jahangir passa à côté d’eux.

-- Sortez de là, le serpent est parti, dit le magicien.

 

Liam et Niall apparurent dans la lumière du clair de lune. Tout autour d’eux, les vieilles maisons de pierre se dressaient, noires sur la clarté du ciel nocturne. Les ombres de leurs toits pointus, des créneaux et des tours semblaient avancer, menaçantes et gigantesques, elles envahissaient petit à petit les ruelles tortueuses. Jahangir n’avait pas peur mais il savait que Ynobod continuerait à étendre son pouvoir chaque jour davantage, et qu’il était temps de réagir. Il donna rapidement ses instructions et fit comprendre à Liam et Niall qu’ils n’avaient pas d’autre alternative que de les suivre, car s’ils étaient surpris à désobéir, ils ne survivraient pas à leur insubordination. 

 

Les deux individus baissèrent la tête et acquiescèrent servilement, ils jurèrent qu’ils avaient bien compris la mission et les enjeux. 

 

– Je vais vous envoyer Marjolin, vous devrez suivre ses ordres au doigt et à l'œil. Je n’ai pas besoin d’une demeure dans la ville haute finalement, j’ai d’autres tâches à réaliser. Concentrez-vous sur la surveillance du serpent.

 

Il était temps qu’il regagne l’abri de sa maison à Astarax. Jahangir laissa les deux acolytes tremblants de peur, s’éloigna dans les venelles étroites et se perdit dans l’obscurité. Liam et Niall partirent de leur côté, à la recherche d’un lieu d’où ils pourraient observer le château et les apparitions de la fumée sans être vus.

 

Jahangir traversa Coloratur pour rejoindre le bord de l’océan, ignorant les manifestants et les rebelles qui avaient envahi les rues, scandaient leurs slogans de révolte même la nuit, et défilaient en s’éclairant avec des lampes puissantes. Personne n’osa se mettre en travers du chemin du magicien, et il gagna les faubourgs rapidement. ll marcha tout droit dans le désert dès qu’il eut quitté les zones urbaines. Il avait rabattu sa capuche sur la tête et ses chaussures pointues émergeaient à chaque pas sous sa robe. Il avançait au milieu des dunes de sable, au clair de lune, esquivant les serpents qui se faufilaient furtivement autour de lui. Aucun d’eux n’aurait tenté la moindre attaque, ils sentaient par instinct qu’il valait mieux ne pas l’approcher. Dès que Jahangir aperçut la frange d’écume des vagues et le rivage dans le lointain, il accéléra encore l’allure, parcourut la plage et entra dans l’eau sans ralentir, presque en courant. Quelques instants plus tard, il nageait dans les fonds marins, métamorphosé en requin, et prit la direction d’Astarax. 

 

Il lui fallut quelques heures pour traverser l’océan sans encombre et rejoindre le rivage près de chez lui. Dès qu’il fut sorti de l’eau, il se transforma à nouveau en Jahangir et se dirigea vers sa maison. Marjolin, qui étudiait avec une grande attention dans le grimoire les sorts de téléportation et ne s’attendait pas à le revoir si tôt, l’entendit arriver. Il referma le manuel et se précipita pour l’accueillir.

 

-- Maître ! Tu es de retour ! s’écria-t-il, comment s’est passé ton voyage ? 

-- Ah Marjolin, je suis épuisé, dit Jahangir en se laissant tomber sur une chaise, je reviens d’Odysseus, je suis allé faire un tour à Coloratur.

-- Mais c’est terriblement loin, compatit Marjolin en regardant Jahangir par-dessus ses lunettes bleues. Qu’es-tu allé faire là-bas ?

-- Je voulais recueillir des informations par moi-même, répliqua le magicien.

-- As-tu pu obtenir tous les renseignements que tu es allé chercher à Coloratur ? s’enquit Marjolin avec déférence. 

-- Oui, c’est pire que ce que je pensais. Je vais avoir besoin de toi là-bas, expliqua Jahangir, pour surveiller l’un de mes pires ennemis. C’est cela que j’ai découvert. Seuls toi et moi devons savoir que le magicien dont est venu me parler Esmine veut ma mort. Tu ne dois rien dire à quiconque, ni à Esmine ni à ses sœurs ni à personne. 

-- Esmine t’a parlé d’un magicien ? demanda Marjolin avec étonnement, car il n’était pas censé savoir ce dont avaient parlé les deux sorciers.

 

Jahangir fut à ce moment-là obligé d’expliquer à son apprenti pourquoi il avait décidé de faire le voyage jusqu’à Coloratur.

 

-- Rien de tout ce que je raconte ici ne doit être révélé, précisa Jahangir une fois qu’il eût tout dévoilé à Marjolin, c’est entre toi et moi. 

 -- Bien entendu, Maître, je serai muet comme une tombe, dit Marjolin. Mais comment vais-je me rendre à Coloratur ? Il n’y a plus de bateaux qui traversent l’océan pour aller à Odysseus. 

-- J’ai réfléchi à cela en marchant dans le désert, fit Jahangir d’un ton de conspirateur, heureusement que je peux faire plusieurs choses à la fois. Nous avons besoin de trouver un pirate qui dispose d’une embarcation et qui t'amènera à bon port.

-- Un pirate ! s’exclama Marjolin avec étonnement. Mais où le trouver ? 

-- Dans les tavernes d’Astarax, répondit Jahangir. Et il faut faire vite. Comme tu n’es pas très rapide, c’est moi qui vais aller le chercher, et crois-moi, il n’aura pas envie de me trahir une fois que je l’aurai recruté. Donne-moi à boire une potion de régénération, je me sens faible.

 

Après être descendu dans le laboratoire souterrain et avoir fouillé sur quelques étagères poussiéreuses, Marjolin trouva la fiole qu’il cherchait. Il apporta aussitôt à son maître la petite bouteille remplie d’un liquide vert sombre. Jahangir en but tout le contenu et resta quelques instants avachi sur la chaise, avant de se redresser avec vigueur. La potion avait agi, il avait retrouvé toute son énergie.

 

-- Je pars aussitôt à la recherche d’un pirate, dit-il. Nous n’avons pas de temps à perdre, Anamon étend son pouvoir, et nous devons être prêts face à lui.  

-- Que ferai-je à Coloratur une fois que je serai arrivé, ô mon maître tout puissant ? s’enquit Marjolin. 

-- Cesse tes flagorneries, répliqua Jahangir, l’heure n’est pas aux sentiments. Tu surveilleras l’ombre et ses agissements, et surtout sa progression. Ynobod n’était pas encore prêt quand il m’a vu, ce fut ma chance. Ce ne sera peut-être pas pareil la prochaine fois, aussi je dois me préparer à le contre-attaquer. Mais je veux savoir ce qu’il en est, mesurer la force et les pouvoirs de mon ennemi, savoir contre qui je vais me battre, alors je t’envoie là-bas. Tu y retrouveras deux imbéciles qui montent la garde en t’attendant.

-- Ynobod disais-tu, Maître, reprit Marjolin, est-ce le nom de ce mage ? Tu parlais aussi d’Anamon ?

-- Ynobod. C’est comme ça qu’il s’est lui-même nommé, contrairement aux élucubrations d’Esmine qui l’appelait Anamon. Elle est ridicule, j’ai l’impression qu’elle ne comprend pas grand chose à ce qui se passe et cela m’effraie. Oui, mais j’ai besoin d’elle, murmura Jahangir qui se leva et se prépara à ressortir. J’y vais.

 

Quelques instants plus tard, il claqua la porte d’entrée et traversa la ruelle à grandes enjambées. Contrairement à son habitude lorsqu’il partait pour la plage, il tourna à gauche et non pas vers la droite lorsqu’il arriva à l’extrémité de l’impasse. Il marcha le long de la route jusqu’à ce qu’il pénètre dans les faubourgs d’Astarax, là où la cité ne ressemblait plus à rien. Suivant son instinct, il se dirigea vers le centre ville où il avait le plus de chance de trouver rapidement une taverne, zigzaguant au milieu des amas de détritus, des poutrelles et des blocs qui rendaient toute avancée compliquée. Il eut soudain la sensation d’être suivi et se retourna, prêt à incanter et lancer un sort de mort, lorsqu’il vit derrière lui une petite vieille mal fagotée qui courait dans sa direction. 

 

-- Jahangir, où vas-tu donc si vite ? Tu n’es même pas venu nous rendre visite pour nous raconter ton voyage à Coloratur, dit la bonne femme d’une voix chevrotante tout en continuant à poursuivre le magicien.

-- C’est toi, Esmine, murmura Jahangir, le temps presse, je dois trouver un moyen d’envoyer Marjolin à Coloratur pour surveiller l’ombre.

-- Tu l’as  donc vue, fit Esmine, tu as constaté que je t’ai dit la vérité. Alors, après réflexion, as-tu un plan à nous proposer ? 

-- Comme je viens de te le dire, le plus urgent est de savoir comment et à quelle vitesse évolue ton Anamon, il semble que ses pouvoirs grandissent de jour en jour. Il nous faut à tout prix savoir de combien de temps nous disposons pour agir.

-- Que viens-tu chercher à Astarax ? interrogea Esmine.

-- Un pirate qui pourrait traverser l’océan sur son bateau et amener Marjolin à Coloratur, répondit Jahangir.

-- Bonne idée, fit Esmine, tu n’as pas d’autre moyen plus rapide ? 

-- Non, mes oiseaux dragons sont morts depuis longtemps car je ne m’occupais pas d’eux. Hélas, avoua Jahangir. Ils auraient pu le transporter en effet. 

-- Un sort de téléportation ? insista Esmine.

-- Je te dis que non, répliqua Jahangir, tous ces sorts mineurs ne m’ont jamais intéressé. Je les ai pratiqué il y a très longtemps pour éloigner des intrus, mais jamais pour moi-même. Je bougeais peu et n’en ai jamais eu besoin. Autant te dire que j’ai totalement oublié la formule, et je ne saurais même pas la retrouver.

-- Alors suis-moi, je peux au moins t’aider pour la première partie de ton plan. Je vais te mener à une taverne où tu vas trouver ton pirate et son bateau. Par chance, j’en connais un et je sais où il passe la plupart de son temps. Mais il leur faudra des semaines pour arriver à Coloratur, sauf si tu sais faire souffler des vents favorables, précisa Esmine.

-- Non, c’est le privilège de Lamar, le roi des mers. Je ne peux naturellement pas lui demander de m’aider, dit Jahangir. J’espère que ton pirate sait manier habilement son bateau, même par vents contraires, et qu’il mettra moins d’une semaine à parvenir à Coloratur.

– Il a la réputation d’être expert, mais qui peut se vanter de dompter les caprices de l’océan ? fit Esmine.

– Justement, c’est ce qu’on attend d’un pirate, rétorqua Jahangir. Qui t’a parlé de lui ? D’où le connais-tu ?

– Il nous livre des produits en provenance d’Odysseus pour nos préparations, répondit Esmine d’une voix évasive. En général, on peut lui faire confiance s’il est bien payé.

 

Esmine le guida au milieu des sentiers urbains jusque devant un immeuble écroulé. Elle se faufila au milieu des décombres dans l’entrée d’un souterrain qui s’enfonçait sous des monceaux de gravats accumulés. Jahangir la suivit et ils débouchèrent au bout d’une dizaine de mètres à l’intérieur du boyau dans une vaste salle très sombre. Des lumignons accrochés sporadiquement aux parois jetaient des rayons jaunes, diffus et peu éclairants. Derrière le comptoir où évoluaient plusieurs individus patibulaires, se trouvaient des étagères couvertes de bouteilles de toutes les formes et toutes les couleurs. Partout des consommateurs étaient assis, affalés ou debout autour de tables improvisées, certains jouaient à des jeux, d’autres buvaient ou mangeaient sans discrétion, tous parlaient fort. Il régnait un brouhaha indistinct, percé de temps à autre par un rire ou des cris. Les odeurs de sueur et de moisi prenaient à la gorge quiconque essayait de respirer normalement, et une vapeur noirâtre et nauséabonde issue des cuisines brouillait l’atmosphère. Esmine s’arrêta et se mit à observer l’assemblée. 

 

-- Je n’ai aucun problème pour voir dans cette ambiance enfumée, dit-elle. Grâce à ma vision infrarouge. Je vais identifier rapidement ton pirate, je suis certaine qu’il est là. Il aime venir ici quand il fait escale à Astarax. Tiens, le voilà, il est assis à cette table-là. Il joue aux cartes. Il semble en très mauvaise posture, il a dû tricher et ses adversaires s’en sont aperçus.

 

Esmine et Jahangir s’approchèrent d’un individu passablement saoul, dont les longs cheveux gris et sales pendaient dans le cou, se mêlant à sa barbe fournie qui contenait des miettes de pain et autres restes de nourriture. Il avait de grosses mains et des doigts épais aux ongles carrés lestés de bagues. Il avait l’air très en colère et ne cessait de lever les bras pour clamer sa probité. Quand Esmine le toucha à l’épaule, il leva vers elle des yeux presque aveugles et un regard torve.

 

-- On m’accuse de frauder, dit-il, vous avez bien vu que je suis l’honnêteté même ! rugit-il d’une profonde voix grasse de fumeur invétéré. 

 

Et il étala ses cartes où malheureusement pour lui se trouvaient deux atouts semblables. Il allait se lever pour se défendre contre une injuste accusation quand Jahangir s’interposa et le tira en arrière. Surpris par la force du magicien et à bout d’arguments, le pirate se tut. 

 

– Nous avons une affaire à régler avec Monsieur, expliqua Esmine aux joueurs de cartes.

– Qu’il nous paie ce qu’il nous doit et qu’il s’en aille, s’écria l’un des convives en dégainant un revolver qu’il posa sur la table à côté de sa main. C’est un sale tricheur.

  

Pour le faire taire et éviter une querelle qui les aurait retardés, Jahangir jeta quelques pièces de monnaie sur la table. Puis il poussa sans ménagement le pirate qui le suivit sans insister, À peine se fût-il éloigné de la table qu’un autre individu s’assit à sa place et la partie de cartes reprit sans le moindre temps mort.

 

Esmine et Jahangir entraînèrent le pirate le long de l’étroit couloir jusqu’à la sortie et ils se retrouvèrent sur l’esplanade devant le souterrain.

 

-- J’ai besoin de toi et de ton bateau pour transporter quelqu’un, dit Jahangir sans attendre. -- Entendu, Maître, répondit le pirate sans hésiter.

 

Il regardait alternativement Esmine qu’il n’avait jamais vue, et Jahangir qu’il ne connaissait pas. Deux petits vieux mal vêtus. Ils avaient l’air de sans-abris qui traînaient dans la ville à la recherche de nourriture et d’un gîte. Il ne comprenait pas comment ils étaient si menaçants, lui sous sa capuche dont les yeux brillaient d’un éclat cruel, et elle dont le petit sourire carnassier faisait peur à voir. Le pirate qui n’était pas très courageux lorsqu’il se trouvait en ville avait tout de suite cédé à l’intimidation. Il avait vite compris par instinct que l’enjeu de cette mission était sa survie et que les deux vieillards étaient bien plus redoutables qu’ils ne le paraissaient.  

 

-- Ton nom ? demanda Jahangir

-- Bartolomeo, répondit le pirate.

-- As-tu un bateau capable de traverser l’océan ? poursuivit Jahangir. 

-- Oui, fit le pirate qui commençait à se demander où tout cela allait le mener, car il comprenait confusément qu’il s’agissait d’une mission très dangereuse.

-- Es-tu prêt à partir ce soir ? dit Jahangir.

-- Le bateau est à Athaba, répliqua le pirate, ce n’est pas tout près d’ici. 

-- Débrouille-toi pour aller le chercher. Prends deux de tes compagnons, tu embarques ce soir et je vais te présenter celui qui va voyager avec toi. Tu l’emmènes à Coloratur, et gare à toi si tu dévies de la route.

-- Tu me paies combien pour tout ça ? osa Bartolomeo dans un dernier sursaut de fierté, ce n’est pas gratuit.

-- Je te laisse la vie, alors estime-toi payé d’avance, riposta Jahangir.

 

Bartolomeo essayait de se rebeller, alors Jahangir décida de mettre tout de suite fin à ses récriminations. Il tendit le doigt vers le souterrain et lorsqu’il lança le sort, un amas de pierre et de blocs de béton s’effondra devant l’entrée de la taverne. A l’intérieur, les clients et les propriétaires étaient désormais bloqués sans possibilité de sortir. Ils auraient été condamnés à une mort certaine s’il n’existait pas une autre sortie. Mais dans ce type d’établissement, il y avait toujours moyen de s’éclipser par une deuxième issue. Cependant, la leçon avait porté ses fruits. Ce petit épisode acheva de convaincre Bartolomeo. Il accepta la proposition de Jahangir et d’Esmine sans contester. Il promit de revenir à la nuit avec le bateau et ses deux acolytes, Angus et Fergus.

 

-- Si tu ne te trouves pas ce soir au lieu convenu, triple imbécile, je te retrouverai, menaça Jahangir, et je ne donne pas cher de ta vie.

-- C’est entendu, Maître, dit Bartolomeo en s’inclinant.

-- Et maintenant pars vite, rugit Jahangir. 

 

Au retour de Jahangir, Marjolin reçut des instructions très précises. Le soir même, après avoir gagné la zone portuaire, il embarqua sur Mormor, le navire de Bartolomeo. C’était un vieux rafiot rouillé et déglingué qui avait beaucoup navigué et écumé les mers. Le bateau avait accosté sur un ancien ponton dans le port d’Astarax et Marjolin le trouva très précisément où le pirate avait promis qu’il se trouverait. Prudent, Bartolomeo avait emmagasiné une grande quantité de carburant qu’il avait acheté à Athaba, pour traverser l’océan sans tomber en panne. A l’heure dite, le navire largua les amarres et fit route vers la haute mer. 

 

Un peu plus loin à l’ouest de la ville, sur la plage où il venait se jeter à l’eau lorsqu’il partait pour ses promenades sous l’océan, Jahangir se tenait debout à côté d’Esmine. Tous deux regardaient le petit bateau quitter le port et s’éloigner vers l’horizon.  

 

-- J’espère que Marjolin n’aura pas nausée, dit Esmine, car elle avait un peu pitié du jeune homme dont c’était la première sortie sur l’eau, même si elle ne l’aimait pas beaucoup.

 

Jahangir ne disait rien. Il se moquait éperdument que Marjolin ait le mal de mer. Comme toujours, son intérêt personnel était la seule chose qui comptait pour lui. Il espérait seulement que Marjolin ferait son rapport une fois arrivé à Coloratur et estimerait le temps dont ils disposaient avant que Ynobod ne devienne incontrôlable. Et qu’il ne donnerait pas tout de suite de mauvaises nouvelles. Il utiliserait le canal de transmission d’Esmine pour envoyer ses informations de Coloratur à Astarax, Esmine lui avait indiqué comment contacter ses cousines.

 

Lorsque le petit point noir eut disparu dans l’azur du soir, Esmine et Jahangir reprirent le chemin de la ruelle.

 

-- Expose-nous ton plan d’action, dit Esmine tandis qu’ils marchaient rapidement. Viens chez nous pour en parler.

-- Je vais juste te dire comment je perçois le danger, répondit Jahangir, mais tant que nous ne savons pas comment Anamon va agir, nous ne savons pas comment le combattre. C’est pourquoi j’ai envoyé Marjolin à Coloratur. Marjolin est intelligent. Il est chargé d’étudier le terrain et le comportement d’Anamon pour que nous puissions établir une stratégie de défense … ou d’attaque. Au fait, il ne s’appelle pas Anamon, mais Ynobod.

-- Comment le sais-tu ? répliqua Esmine.

-- C’est lui-même qui me l’a dit, dit Jahangir en remontant sa capuche sur sa tête, et dans l’ombre de véritables flammes se mirent à danser dans ses yeux.

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