Chapitre 4

    Je suivais vaguement du regard le point bleu du GPS du véhicule sérigraphié « POLICE » passer de rue en rue, alors que nous roulions dans un Paris presque vide.
    J’avais inspecté la radio, le branchement du deux-tons, la boite à gants pleine de mémos et de carnets pré-imprimés, le vieux paquet de Haribo oublié dans la portière et le gilet pare-balles à port discret coincé dans le vide-poche au-dessus des pare-soleils. Et j’avais dû admettre que c’était une vraie voiture de police.
    Je me tortillais pour sortir mon téléphone qui vibrait à nouveau, regardai « MOM » qui s’affichait en grand, et claquai le rabat de protection de l’écran.
    — Vous devriez répondre. Elle a déjà appelé plusieurs fois. Elle va s’inquiéter et croire que vous avez été kidnappée.
    Je ris méchamment.
    — C’est rassurant de savoir que je suis là de mon plein gré.
    Mon ironie me valut un regard agacé, mais Culusxan ne releva pas. Il se pencha pour attraper une oreillette, profitant que le feu passait au rouge, et appuya sur une touche raccourci de son téléphone de service.
    I had done nothing wrong. I was going to be cooperative, but this would not end with me victimizing myself again. I had years to train myself out of that bad habit, and I was feeling really pleased with myself regarding my performance so far.
    — Oui c’est moi. Je suis en route c’était plus long que prévu. Désolé.
    Sorry, not sorry...
     — Tu peux me prévenir le génotypeur de garde ? J’ai quelqu’un à tester.
    Maybe I should insist that being officially human, they are not allowed to get my DNA tested without serious charges ?
    — Non, tu peux rentrer. Si ça pue je file le dossier à l’équipe de permanence.
    So nice, thanks ! Look up, it’s green !
    — Laisse-le moi sur mon bureau, je vais le relire et appeler le proc pour qu’il décide ce qu’on doit faire du vendeur.
    Wait. Was he really doing some under cover operation at the bar ?
    — Ok. A demain !
    Culusxan took off his earplug and glanced at me, as if suddenly realizing that being almost a colleague, I was understanding more than I was showing.
    I trifled with a chipped nail while he pulled left towards the Seine. I had never spent that much time with a telepath, and curiosity started poking at me.
    — Vous avez parlé à mon chat ? Dis-je alors qu’on s’arrêtait à nouveau à un feu rouge.
    Culusxhan fronça les sourcils et me regarda de biais une fois, puis deux, et je compris qu’il essayait de savoir si je ne me fichais pas de lui, par hasard. Je me renfonçai dans mon siège et tournai la tête pour entrevoir Notre-Dame.
    — Si je vous pose la question, c’est que je ne sais pas.
    — Non. Certains animaux sont plus ou moins réceptifs, ça dépend des espèces. Les chats passent des concepts, des sensations, parfois des mots, mais c’est tout.
    — Il y a beaucoup d’autres espèces comme ça ?
    — Les pieuvres, les rats, les paresseux, les cochons domestiques, les corvidés, les perroquets et les abeilles.
    A mon tour je le regardai pour savoir s’il se fichait de moi. Mais il descendit son pare-soleil pour rendre le panneau « POLICE » visible et sorti un passe magnétique de sa poche.
    Je le laissai badger à l’entrée d’un parking et manoeuvrer pour se garer, puis je m’extirpai du véhicule en essayant de ne pas rayer celui d’à côté.
    — N’oubliez pas votre valise. Je ne reviendrai pas la chercher pour vous.

    J’émergeai de l’ascenseur en clignant des yeux pour m’habituer à la luminosité du hall et me laissai vaguement pousser vers un comptoir de l’autre côté de rangées de sièges en plastique bleu.
    — Donnez-moi un badge visiteur pour madame, demanda Culusxan au planton en lui tendant ma carte d’identité.
    Je le suivis ensuite dans les couloirs familièrement défraichis jusqu’à une grande pièce éclairée aux néons où se trouvaient deux bureaux, l’un encombré, l’autre bien en ordre.
    Hum. I bet he’s got the tidy one.
    Culusxan ôta son perfecto en cuir et un gilet pare-balle que j’avais été trop paniquée pour remarquer, et les rangea dans une penderie d’où il tira ensuite une veste de costume gris foncé.
    Yup. Definitely the tidy one.
    — Asseyez-vous, dit-il en me montrant un des sièges devant le bureau propre. Le génotypeur ne va pas tarder.
    Je tirai la chaise pour m’asseoir.
    — Ça marche comment ?
    — Comme pour un test ADN normal, marmonna Culusxan en sortant un ordinateur d’un tiroir. Sauf qu’on ne vous passe pas au FNAEG, mais à la base génétique internationale des télépathes.
    — Et ça vous sert à quoi ?
    — Vous commencez à me courir sur le haricot avec vos questions.
    — Vous m’agressez, et vous me sortez de chez moi pour un test ADN au milieu de la nuit, je pense que j’ai le droit de poser des questions. Et encore, je vous fais confiance sur la légalité de la procédure, parce que sinon j’en aurai bien d’autres, des questions.
    On frappa à la porte, et Culusxan lança « entrez » d’un ton presque soulagé.
    Un autre télépathe, celui-là avec la tête de l’emploi, entra en poussant un chariot avec une machine dessus. Puis il s’approcha.
    — Bonsoir madame. Ne vous inquiétez pas c’est exactement la même chose que quand vous allez en consultation chez le médecin. Vous êtes là pour quoi ?
    Je me gardai bien de lui signaler que, au grand jamais, aucun médecin ne m’avait fait de test ADN pendant un rendez-vous.
    — Vérification d’identité, Legentey. Indiqua Culusxan avant que j’aie eu le temps de traduire « because this guy barged into my place, fried my brain, and almost managed to convince me that I might be a telepath ». Lignée américaine.
    — Ok. Ouvrez la bouche.
    La manoeuvre m’était familière, mais cette fois j’étais sur la chaise et pas debout en veste blanche. Je me laissais gratouiller l’intérieur des joues en m’appuyant sur le ventre pour empêcher mon estomac de se nouer. Je commençais à m’inquiéter à nouveau.
    Je tournai le concept de test ADN dans ma tête en cherchant les résultats possibles, mais je ne voyais pas lequel serait « bon » et lequel « mauvais ». Si ça disait « humain », ça ne collait pas parce que j’avais littéralement entendu Culusxan me parler directement dans la tête. Si ça disait « télépathe », ça m’ouvrait une infinité de possibilités toutes plus désagréables les unes que les autres, même pour quelqu’un qui ne portait pas sa mère dans son coeur.
    — Qu’est-ce qu’il vous est arrivé à la fac ?
    Oh fuck there it goes.
    Je m’enfonçai les poings dans le ventre et tournai lentement les yeux vers Culusxan, en priant pour que son collègue ne finisse pas trop vite pour que je puisse me préparer psychologiquement à l’idée d’en reparler.
    — Je n’ai pas accès à votre dossier, mais ça sort sur google. Et je préfère écouter la victime que google.
    Ma prière fut ignorée, parce que c’est le moment où son collègue retira son machin swab de ma bouche. Je ravalai ma salive lourdement et le regardai briser la tête dans un tube en plastique, et s’affairer près de la machine, incapable de me tourner vers le bureau.
    Le génotypeur regarda sa montre deux fois, puis enfonça une aiguille à travers le couvercle du tube, déposa du liquide sur une plaquette d’analyse et la glissa dans la machine. J’entendis plusieurs bips alors qu’il réglait l’analyse puis il jeta les consommables utilisés dans une petite poubelle jaune et ôta ses gants.
    — C’est bon, appelez-moi quand c’est terminé.
    Please stay please stay don’t leave me there I feel sick.
    The door clinked close.
    — C’est pas long, ça sonne quand c’est fini. Vous voulez quelque chose à boire ?
    I shook my head so much I felt dizzy.
    This wasn’t good. Looking mentally ill would not help my case. I had to get a hold on myself.
    I took a deep breath in, imagined the voice of my therapist guiding me through as I pictured the beach next to my childhood home, the sound of the waves and the birds chirping.
    — Un café, coassai-je. S’il vous plait.
    Culusxan roula des yeux, appuya sur un interphone et commanda un café, puis se renfonça dans son siège et se plongea dans la lecture de quelque chose sur son ordinateur.
    Il farfouillait pour savoir ? Où ça ? Est-ce que les médias gardaient leurs articles et vidéos, dix ans après ? Si ça se trouve on trouvait encore THE vidéo, quelque part sur le blog d’un taré ? Merde  merde merde j’aurais dû écouter la psy et regarder de temps en temps ce qui restait pour en demander la suppression.
    Je repoussai le noeud dans mon ventre.
    — Ne fouillez pas, dis-je d’une voix blanche. S’il vous plait. Je peux… Je vais essayer.
    Quelqu’un toqua à la porte et vint apporter un café, et laissa aussi un sachet de sucre et un carré de chocolat. J’ouvris le sachet de sucre et le vidai sur ma langue dans l’espoir de chasser le goût de bile dans le fond de ma gorge.
    Je croisai brièvement le regard choqué de Culusxan et me concentrai sur une tâche de mayo que je n’avais pas vue sur mon chemisier.
    — Je venais de réussir le concours. On a repris les cours, et presque tous les soirs on écumait les bars avec la promo. Une fois on était dans le 19e et quelqu’un a mit du GHB dans mon verre. Une femme de chambre m’a trouvée le lendemain dans une chambre d’hôtel.
    — Et ensuite ?
    — On a porté plainte, puis j’ai repris les cours. Mais plus personne ne me parlait. J’ai mis une semaine à découvrir que tout avait été filmé. J’ai cru qu’avec la vidéo et les ADNs vous pourriez coincer ces salauds, mais au bout de trois mois y’avait toujours que trois noms probables sur la dizaine de types masqués dans la vidéo.
    — Je suis navré, dit-il d’un ton professionnel. C’est pour ça que vous avez cessé vos études ?
    Je ne voyais pas quel était le rapport entre ma situation présente et mon agression, mais je reconnaissais sans mal l’attitude de l’enquêteur qui flaire un truc et je doutais d’avoir la paix avant d’avoir craché le morceau.
    J’inspirai lentement à nouveau en pensant à ma plage et à mes oiseaux. C’était du passé, ça n’avait de possibilité de me faire du mal que si je lui en donnait le droit.
    — Oui et non. Je me suis accrochée encore quelques semaines dans l’espoir que ça se tasse, et parce que ma mère ne voulait rien entendre…
    Je tournai la tête vers la machine sur sa desserte. Ça bipait avec la même intonation que l’ECG  quand une sonde se décrochait. Un bip électronique pas content.
    Culusxan s’était levé en fronçant les sourcils.
    — Ça veut dire quoi ?
    Je n’eus pas de réponse. Culusxan revint s’asseoir à son bureau avec une expression confuse qui me fit trembler. Il se passait manifestement quelque chose que même lui ne comprenait pas. Il poussa le papier vers moi.
    — Normalement par ici on a le code de votre lignée Y, et là celui de votre lignée X. Comme la machine n’a pas trouvé votre lignée maternelle, elle conclut par « ERREUR X ».
    — Ça veut dire quoi ? Répétai-je connement.
    Je n’avais pas touché à mon café. Mon cerveau surchauffait. La machine avait trouvé ma lignée paternelle chez les télépathes ?
    No way. Maybe I could have accepted my mom stealing a telepath baby for herself, or even herself being a telepath, for she definitely was far from human, but dad ? Hell no.
    — Mon père était humain.
    — Je vais rappeler Legentey. Dit Culusxan en décrochant son téléphone. Il saura quoi faire.
    — Je suis une chimère.
    Le policier se raidit et me jeta un regard détestable.
    — Allô ? Ça y est, c’est fini ?
    — Ah, désolé, faux numéro.
    Culusxan raccrocha sèchement.
    — Qu’est-ce qui vous fait dire ça.
    — Vous partez du principe que mes papiers sont faux, et que la machine est détraquée. Moi je raisonne « hypothèse la plus probable ». La machine a raison, ma CNI a raison parce que mes parents  officiels sont humains, j’ai raison parce que je n’ai jamais eu de raison de douter que j’étais humaine, et vous avez raison parce que si je vous ai entendu c’est que je suis télépathe. Maintenant il faut que je vomisse.
    Je me levai comme je pus, regardai frénétiquement autour de moi, ne vis évidemment rien qui s’approchât d’un lavabo, et jetai mon dévolu sur la corbeille à papiers.

    — C’est bon ça va mieux ?
    Je haussais les épaules, avachie par terre, la corbeille entre les mains, encore parcourue de spasmes.
    — Fichez ça sur la fenêtre je n’arrive pas à réfléchir à cause de l’odeur.
    — Je fais ce que je peux, merci.
    — Vous savez ce que ça veut dire ?
    — Que mon père n’est pas mon père, d’une façon ou d’une autre ?
    Culusxan ouvrit et ferma la bouche plusieurs fois avant de se frotter le visage brusquement. Je me redressai en m’appuyant sur le bureau.
    — Je peux rentrer chez moi maintenant ? Ca existe, les chimères, non ?
    — Non je…
    — Mais j’ai rien fait de mal ! Et votre papier dit que mon père biologique est mort en 92 ! Quoi que vous deviez chercher ça peut attendre demain !
    — C’est pas ça…
    — Mais qu’est-ce que vous me voulez, enfin !
    — Attendez, dit Culusxan en levant les mains en signe d’apaisement. Attendez. C’est compliqué. Je ne sais pas si je peux vous laisser rentrer chez vous sans vous mettre en danger.
    — Comment ça ? Pourquoi est-ce que je serai plus en danger maintenant que hier ?
    Culusxan montra la machine.
    — Vos résultats sont enregistrés. Je ne peux rien effacer.
    — Ça ne m’explique pas pourquoi je serais en danger.
    Culusxan me regarda en se frottant le cou, soupira, puis sortit un iPhone de l’intérieur de sa veste.
    — Si je dois vous faire un cours sur les télépathes on en a pour des heures. Je ne sais même pas par où commencer.
    Il déverrouilla son téléphone et composa un numéro.
    — Ergis… Fit une autre voix d’homme un peu pâteuse. Tu as vu l’heure qu’il est ?!
    — Est-ce que tu as des gens chez toi en ce moment ?
    — Tu veux dire, à part toi ? Non.
    — Je ramène quelqu’un. J’ai besoin de ton aide. Ne me pose pas de questions pour l’instant.
    — … ok.
    Je fulminais à nouveau. C’était quoi ce type ?
    — Vous croyez que je vais vous suivre dieu sait où ? Lançais-je quand il eut raccroché.
    Culusxan s’approcha de la machine sans prendre la peine de me répondre.
    — Vous m’écoutez ?
    — Vous connaissez ce type d’appareil ?
    — Je vous demande pardon ?
    — Vous êtes infirmière. Comment peut-on faire en sorte que personne ne puisse retrouver vos résultats ? Au moins avant quelques heures.
    — Vous ne pouvez pas les effacer ?
    — Je vous ai dit que non. Le génotypeur est le seul à être habilité. Je n’ai pas de code d’accès.
    Je le regardai soulever et retourner l’appareil pour regarder en-dessous. C’était pas une blague il avait vraiment l’air de chercher comment cacher mon résultat.
    Je déglutis. Si il avait raison, que je lui fausse compagnie ou pas, il fallait dissimuler mon analyse.
    — Débranchez le câble, ordonnais-je en allant chercher ma tasse de café.
    Je basculai le séquenceur sur le côté, de façon à ce que les grilles d’aérations soient sur le dessus, et levai les yeux vers Culusxan qui attendait, prise en main.
    — Vous êtes sûr de vous ? Je dirai que vous m’avez fait peur et que je n’ai pas pu refuser.
    Il acquiesca et je vidai le café dans l’aération. Culusxan rebrancha immédiatement la machine, qui émit un grésillement et se mit à sentir le plastique chaud. J’appuyais sur le bouton « POWER » de l’articulation de l’index et vérifiai que ça ne s’allumait plus.
    Culusxan tira rapidement de sa penderie un sac à dos dans lequel il glissa son ordinateur et des papiers, puis il tira sur sa veste pour vérifier qu’il avait bien son arme et ses chargeurs.
    — Allons-y.
    — Vous devriez débrancher à nouveau, ça pourrait prendre feu.

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arcadius
Posté le 27/01/2024
Bonjour,

Encore un chapitre intéressant, cela commence à prendre forme. Même si le passage sur le GHB est court, il a un énorme impact (ça donne bien la sensation qu'elle veut arracher le pansement). En revanche, je note qu'elle a interrompu son récit sans dire pourquoi elle a mis fin a ses études, il va donc falloir attendre pour connaître le fin mot de l'histoire.

à bientôt
Camille Octavie
Posté le 31/01/2024
Bonjour,

Effectivement, elle veut dire... mais pas vraiment.
L'interruption est volontaire, j'avais besoin de maintenir un peu de suspense ;) j'espère néanmoins que dans le récit ça coule à peu près naturellement (qu'on a pas trop l'impression que je l'ai empêchée exprès de dire tout)
arcadius
Posté le 01/02/2024
Cela me semble bien fait, puisque la difficulté est mentionné avant dans ses pensées et qu'elle "profite" d'une occasion pour s'interrompre...
Camille Octavie
Posté le 01/02/2024
Ou! Je suis contente :) Merci pour ton avis
elinamrtn
Posté le 18/12/2022
Ahlala un chapitre encore très intéressant ! Le cadre de l'histoire se pose peu à peu, on sent que les choses sérieuses risquent de très bientôt commencer ! J'ai 15000 questions en tête et j'ai vraiment hâte d'y trouver des réponses.
Encore rien à dire au niveau de ta plume, ton écriture est vraiment agréable à lire ! Le fait de mettre des passages en anglais donne un rythme intéressant à l'histoire et nous plonge encore plus dans la tête de Vic. Je ne peux d'ailleurs qu'affirmer que j'adore ce personnage et il me tarde d'en savoir plus sur elle !
Camille Octavie
Posté le 18/12/2022
Je suis très émue de te lire ! :D
N'hésites pas à poser tes questions si tu ne trouves pas les réponses bientôt. Compte-tenu du style, et du fait que je souhaitais un roman court, je n'ai pas pu être exhaustive sur les détails, mais j'ai plein de réponses pour toi si tu ne trouves pas ton bonheur dans le texte.
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